Comment reprendre le contrôle de son histoire quand on vit avec des troubles psychiques ? Depuis plus de vingt ans, Nathalie Aoustin, Vice-Présidente de la Fédération Santé mentale France, anime des ateliers d’écriture au sein de différentes structures où elle ne se place pas du côté du soin, au sens médical du terme, mais de l’art et de l’expression. Pour Plein Espoir, elle nous explique que l’écriture n’est ni un traitement ni une analyse, mais avant tout un espace de création et de jeu, une manière de retrouver sa propre voix. Hors du cadre médical, c’est une autre façon d’exister pour les personnes concernées, sans être définies uniquement par un diagnostic. En mettant des mots sur son vécu, on peut parfois se remémorer des fragments du passé, reconnecter des souvenirs enfouis, mais aussi prendre de la distance avec son trouble. L’écriture ouvre alors une autre perspective sur soi. Une première étape pour se réapproprier son récit et, peut-être, amorcer un chemin vers le rétablissement.

Plein Espoir : Depuis plus de vingt ans, vous animez des ateliers d’écriture créatifs pour des personnes touchées par des troubles psychiques. Comment ce projet est-il né ?
Nathalie Aoustin : J’ai grandi dans une famille où l’art et la lecture avaient une place très importante. Mes parents étaient enseignants, et ils m’ont transmis cette sensibilité. J’ai fait des études d’arts plastiques à Toulouse, puis de Lettres modernes à la Sorbonne, à Paris. Tout allait bien, jusqu’à la préparation de l’agrégation où j’ai connu ma première hospitalisation en psychiatrie. Ça a tout remis en question. J’ai dû quitter Paris et revenir à Toulouse, où une psychiatre-psychanalyste m’a diagnostiqué une psychose maniaco-dépressive. C’est elle qui m’a orientée, en 1997, vers l’association Bon Pied Bon Œil, un lieu d’échange entre usagers, qui est ensuite devenu un groupe d’entraide mutuelle (GEM).
J’y ai animé mon tout premier atelier d’écriture, sans me douter à l’époque que ce serait un tournant décisif. C’est là que j’ai compris que l’écriture pouvait être bien plus qu’un simple exercice : un espace de liberté, un moyen d’exister autrement. Depuis, j’interviens dans différents lieux de soins et au sein des GEM. Ce qui caractérise mon approche, c’est que je me tiens en décalé du cadre médical. Je ne suis pas dans le soin à proprement parler, mais du côté de l’art, du littéraire. L’écriture n’est pas prescrite comme un traitement, elle n’est pas contrainte par un cadre thérapeutique. Elle est un terrain d’exploration, un espace où chacun peut déposer ses mots à sa manière, sans obligation de raconter sa maladie, sans crainte d’être jugé. Pour beaucoup, c’est une autre façon d’aborder ce qu’ils traversent. Ils se découvrent autrement, réapprennent à raconter leur histoire sous un angle nouveau. Et cette ouverture, parfois, permet d’amorcer un chemin vers le rétablissement.
Plein Espoir : En quoi l’écriture peut-elle être un outil précieux pour les personnes vivant avec des troubles psychiques ?
Nathalie Aoustin : L’écriture permet d’exprimer son vécu sans être enfermé dans le cadre du soin. Elle aide à raconter son histoire autrement, à la reprendre en main. Mais elle joue aussi un rôle essentiel dans la mémoire. Quand on vit avec des troubles psychiques, certaines périodes de notre vie peuvent nous échapper, devenir floues, difficiles à reconstituer. Écrire, c’est parfois retrouver des morceaux oubliés, remettre du lien entre les événements.
C’est un processus qui peut être douloureux, car faire émerger ces souvenirs, les poser sur le papier, oblige à les regarder en face. Mais dans un cadre bienveillant, comme celui d’un atelier d’écriture, cela devient une première étape. Une façon de renouer avec son parcours avant, si besoin, d’en parler plus en profondeur avec un thérapeute. L’écriture ne soigne pas, mais elle prend soin, elle ouvre une porte, elle permet de mettre en mouvement ce qui était figé.
Plein Espoir : Comment expliquer que certains souvenirs refont surface à travers l’écriture ?
Nathalie Aoustin : L’écriture agit parfois comme un déclencheur, mais ce n’est pas systématique. Chez certains, poser des mots sur le papier fait ressurgir des images, des sensations, des bribes du passé. Ce qui compte, c’est de laisser venir les choses sans forcer, en respectant le rythme de chacun.
J’ai remarqué que lorsqu’un événement douloureux est enfoui, il peut ressurgir autrement, sous une autre forme. C’est souvent le cas, par exemple, pour certains troubles alimentaires qui peuvent être liés à des traumatismes vécus dans l’enfance ou la préadolescence. Mais il faut aussi garder en tête que certaines personnes préfèrent ne pas se souvenir. Parfois, l’oubli est une protection. Pourtant, à mon sens, la mémoire joue un rôle essentiel dans le processus de cicatrisation. Dans ce contexte, l’écriture offre un espace où ces souvenirs peuvent émerger et se déposer, sans pression. Ce n’est pas une finalité en soi, mais souvent une première étape, un moyen d’amorcer un apaisement avec son histoire personnelle.
Plein Espoir : Lorsqu’on reçoit un diagnostic, y a-t-il un risque de s’y enfermer, de ne plus voir le reste ? Comment l’écriture peut-elle aider à dépasser cette étiquette ?
Nathalie Aoustin : Oui, ça arrive. Pour certains, poser un diagnostic est un soulagement, car cela met enfin des mots sur ce qu’ils traversent. Mais parfois, cela devient une limite, une étiquette qui prend toute la place. On en vient à ne plus se voir autrement qu’à travers son trouble. Et on oublie qu’un rétablissement est possible.
L’écriture permet justement de redonner de la place à tout ce qui existe au-delà du trouble. Sur une feuille, on peut poser ses pensées sans pression, on peut inventer, jouer, imaginer, sans devoir formuler les choses comme dans un entretien avec un soignant. Beaucoup de personnes me disent qu’écrire est plus facile que parler. Dans un atelier, la page devient un espace intime et libre, sans jugement. Chacun peut choisir de partager ou non ce qu’il a écrit. Parfois, il arrive qu’une personne préfère garder son texte pour elle, et qu’elle finisse par le lire à quelqu’un de son choix, dans l’institution.
Pour moi, l’important, c’est d’ouvrir des chemins d’écriture, de proposer des points de départ : ça peut être un mot, une image, une phrase d’auteur. Chacun doit pouvoir explorer à son rythme, sans rester bloqué face à une page blanche. Et souvent, cela aide à redonner confiance, à se reconnecter à soi autrement que par le prisme du diagnostic.
Plein Espoir : Quel regard portez-vous sur le pouvoir thérapeutique de l’écriture ?
Nathalie Aoustin : Encore une fois, et c’est important pour moi de le rappeler, je me place du côté de l’artistique. Maintenant, il est vrai que l’écriture a un effet thérapeutique de surcroît. Ce n’est pas mon objectif premier, mais c’est quelque chose qui vient naturellement avec la pratique. Grâce aux mots, aux images, aux références littéraires ou artistiques que l’on choisit, on ouvre des espaces intérieurs, on se reconnecte à soi. Et dans les moments difficiles, écrire permet de se rassembler, de mettre du sens sur ce que l’on traverse. L’écriture, c’est aussi un processus. Ce que l’on pose sur le papier un jour, on peut le reprendre plus tard, le retravailler, en faire quelque chose de beau, ou simplement y revenir avec un regard neuf. Il est arrivé que certaines personnes soient publiées.
Dans les ateliers que j’anime, j’ai vu des personnes hospitalisées pour des troubles alimentaires ou suite à des crises d’angoisse trouver, à travers l’écriture, des clés essentielles. Parfois, en écrivant, des souvenirs remontent, des éléments du passé prennent une autre signification. Une jeune fille souffrant d’anorexie a ainsi retrouvé, dans ses textes, l’importance de sa grand-mère dans sa vie, ce qui lui a ouvert une nouvelle réflexion sur son parcours. Une autre personne, qui souffrait de crises d’angoisse sévères, a découvert en écrivant que leur origine remontait au départ brutal de son psy, une peur de l’abandon qu’elle n’avait pas encore identifiée. L’écriture ne remplace pas la thérapie, mais elle permet d’amorcer un travail. C’est une porte d’entrée vers soi, une façon de mieux comprendre ce qui nous habite.
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