Troubles psychiques : l’écriture comme outil pour se réapproprier son histoire


Comment reprendre le contrôle de son histoire quand on vit avec des troubles psychiques ? Depuis plus de vingt ans, Nathalie Aoustin, Vice-Présidente de la Fédération Santé mentale France, anime des ateliers d’écriture au sein de différentes structures où elle ne se place pas du côté du soin, au sens médical du terme, mais de l’art et de l’expression. Pour Plein Espoir, elle nous explique que l’écriture n’est ni un traitement ni une analyse, mais avant tout un espace de création et de jeu, une manière de retrouver sa propre voix. Hors du cadre médical, c’est une autre façon d’exister pour les personnes concernées, sans être définies uniquement par un diagnostic. En mettant des mots sur son vécu, on peut parfois se remémorer des fragments du passé, reconnecter des souvenirs enfouis, mais aussi prendre de la distance avec son trouble. L’écriture ouvre alors une autre perspective sur soi. Une première étape pour se réapproprier son récit et, peut-être, amorcer un chemin vers le rétablissement.

Plein Espoir : Depuis plus de vingt ans, vous animez des ateliers d’écriture créatifs pour des personnes touchées par des troubles psychiques. Comment ce projet est-il né ?


Nathalie Aoustin : J’ai grandi dans une famille où l’art et la lecture avaient une place très importante. Mes parents étaient enseignants, et ils m’ont transmis cette sensibilité. J’ai fait des études d’arts plastiques à Toulouse, puis de Lettres modernes à la Sorbonne, à Paris. Tout allait bien, jusqu’à la préparation de l’agrégation où j’ai connu ma première hospitalisation en psychiatrie. Ça a tout remis en question. J’ai dû quitter Paris et revenir à Toulouse, où une psychiatre-psychanalyste m’a diagnostiqué une psychose maniaco-dépressive. C’est elle qui m’a orientée, en 1997, vers l’association Bon Pied Bon Œil, un lieu d’échange entre usagers, qui est ensuite devenu un groupe d’entraide mutuelle (GEM).


J’y ai animé mon tout premier atelier d’écriture, sans me douter à l’époque que ce serait un tournant décisif. C’est là que j’ai compris que l’écriture pouvait être bien plus qu’un simple exercice : un espace de liberté, un moyen d’exister autrement. Depuis, j’interviens dans différents lieux de soins et au sein des GEM. Ce qui caractérise mon approche, c’est que je me tiens en décalé du cadre médical. Je ne suis pas dans le soin à proprement parler, mais du côté de l’art, du littéraire. L’écriture n’est pas prescrite comme un traitement, elle n’est pas contrainte par un cadre thérapeutique. Elle est un terrain d’exploration, un espace où chacun peut déposer ses mots à sa manière, sans obligation de raconter sa maladie, sans crainte d’être jugé. Pour beaucoup, c’est une autre façon d’aborder ce qu’ils traversent. Ils se découvrent autrement, réapprennent à raconter leur histoire sous un angle nouveau. Et cette ouverture, parfois, permet d’amorcer un chemin vers le rétablissement.

Plein Espoir : En quoi l’écriture peut-elle être un outil précieux pour les personnes vivant avec des troubles psychiques ?


Nathalie Aoustin : L’écriture permet d’exprimer son vécu sans être enfermé dans le cadre du soin. Elle aide à raconter son histoire autrement, à la reprendre en main. Mais elle joue aussi un rôle essentiel dans la mémoire. Quand on vit avec des troubles psychiques, certaines périodes de notre vie peuvent nous échapper, devenir floues, difficiles à reconstituer. Écrire, c’est parfois retrouver des morceaux oubliés, remettre du lien entre les événements.


C’est un processus qui peut être douloureux, car faire émerger ces souvenirs, les poser sur le papier, oblige à les regarder en face. Mais dans un cadre bienveillant, comme celui d’un atelier d’écriture, cela devient une première étape. Une façon de renouer avec son parcours avant, si besoin, d’en parler plus en profondeur avec un thérapeute. L’écriture ne soigne pas, mais elle prend soin, elle ouvre une porte, elle permet de mettre en mouvement ce qui était figé.

Plein Espoir : Comment expliquer que certains souvenirs refont surface à travers l’écriture ?


Nathalie Aoustin : L’écriture agit parfois comme un déclencheur, mais ce n’est pas systématique. Chez certains, poser des mots sur le papier fait ressurgir des images, des sensations, des bribes du passé. Ce qui compte, c’est de laisser venir les choses sans forcer, en respectant le rythme de chacun.


J’ai remarqué que lorsqu’un événement douloureux est enfoui, il peut ressurgir autrement, sous une autre forme. C’est souvent le cas, par exemple, pour certains troubles alimentaires qui peuvent être liés à des traumatismes vécus dans l’enfance ou la préadolescence. Mais il faut aussi garder en tête que certaines personnes préfèrent ne pas se souvenir. Parfois, l’oubli est une protection. Pourtant, à mon sens, la mémoire joue un rôle essentiel dans le processus de cicatrisation. Dans ce contexte, l’écriture offre un espace où ces souvenirs peuvent émerger et se déposer, sans pression. Ce n’est pas une finalité en soi, mais souvent une première étape, un moyen d’amorcer un apaisement avec son histoire personnelle.


Plein Espoir : Lorsqu’on reçoit un diagnostic, y a-t-il un risque de s’y enfermer, de ne plus voir le reste ? Comment l’écriture peut-elle aider à dépasser cette étiquette ?


Nathalie Aoustin : Oui, ça arrive. Pour certains, poser un diagnostic est un soulagement, car cela met enfin des mots sur ce qu’ils traversent. Mais parfois, cela devient une limite, une étiquette qui prend toute la place. On en vient à ne plus se voir autrement qu’à travers son trouble. Et on oublie qu’un rétablissement est possible.


L’écriture permet justement de redonner de la place à tout ce qui existe au-delà du trouble. Sur une feuille, on peut poser ses pensées sans pression, on peut inventer, jouer, imaginer, sans devoir formuler les choses comme dans un entretien avec un soignant. Beaucoup de personnes me disent qu’écrire est plus facile que parler. Dans un atelier, la page devient un espace intime et libre, sans jugement. Chacun peut choisir de partager ou non ce qu’il a écrit. Parfois, il arrive qu’une personne préfère garder son texte pour elle, et qu’elle finisse par le lire à quelqu’un de son choix, dans l’institution.


Pour moi, l’important, c’est d’ouvrir des chemins d’écriture, de proposer des points de départ : ça peut être un mot, une image, une phrase d’auteur. Chacun doit pouvoir explorer à son rythme, sans rester bloqué face à une page blanche. Et souvent, cela aide à redonner confiance, à se reconnecter à soi autrement que par le prisme du diagnostic.


Plein Espoir : Quel regard portez-vous sur le pouvoir thérapeutique de l’écriture ?


Nathalie Aoustin : Encore une fois, et c’est important pour moi de le rappeler, je me place du côté de l’artistique. Maintenant, il est vrai que l’écriture a un effet thérapeutique de surcroît. Ce n’est pas mon objectif premier, mais c’est quelque chose qui vient naturellement avec la pratique. Grâce aux mots, aux images, aux références littéraires ou artistiques que l’on choisit, on ouvre des espaces intérieurs, on se reconnecte à soi. Et dans les moments difficiles, écrire permet de se rassembler, de mettre du sens sur ce que l’on traverse. L’écriture, c’est aussi un processus. Ce que l’on pose sur le papier un jour, on peut le reprendre plus tard, le retravailler, en faire quelque chose de beau, ou simplement y revenir avec un regard neuf. Il est arrivé que certaines personnes soient publiées. 


Dans les ateliers que j’anime, j’ai vu des personnes hospitalisées pour des troubles alimentaires ou suite à des crises d’angoisse trouver, à travers l’écriture, des clés essentielles. Parfois, en écrivant, des souvenirs remontent, des éléments du passé prennent une autre signification. Une jeune fille souffrant d’anorexie a ainsi retrouvé, dans ses textes, l’importance de sa grand-mère dans sa vie, ce qui lui a ouvert une nouvelle réflexion sur son parcours. Une autre personne, qui souffrait de crises d’angoisse sévères, a découvert en écrivant que leur origine remontait au départ brutal de son psy, une peur de l’abandon qu’elle n’avait pas encore identifiée. L’écriture ne remplace pas la thérapie, mais elle permet d’amorcer un travail. C’est une porte d’entrée vers soi, une façon de mieux comprendre ce qui nous habite.

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Trouble psychique et identité : se réapproprier qui l’on est


Qui suis-je ? C’est une question difficile pour tout le monde, mais peut-être encore plus quand on vit avec un trouble psychique. Longtemps, Fabienne Germond – connue pour son engagement en faveur de la santé mentale, notamment dans le milieu professionnel – a longtemps avancé sans mettre de mots sur son trouble anxieux et dépressif, naviguant entre phases de mieux-être et rechutes, entre traitements et silences. Jusqu’au jour où tout a basculé. Pour Plein Espoir, elle revient sur son parcours, son cheminement vers le rétablissement et la manière dont elle a appris à vivre avec son trouble sans le laisser définir qui elle est. Trouver un équilibre, accepter sa réalité, ne plus lutter contre soi-même : autant d’étapes qui lui ont permis, peu à peu, de s’apaiser et de se réapproprier son identité.

Plein Espoir : Comment le trouble psy est-il entré dans votre vie ?


Fabienne Germond : Mon trouble anxieux – anxieux et dépressif, en fait – s’est manifesté dès l’adolescence. J’avais seize ans quand j’ai poussé la porte d’un psychiatre pour la première fois. J’ai aussi pris des traitements, par périodes. Mais la vie continuait. J’ai fait de longues études supérieures, je suis entrée dans le monde du travail. Avec, toujours en arrière-plan, des moments où il fallait un suivi, d’autres où je pouvais m’en passer. Parfois des médicaments, parfois rien. C’était là, en filigrane, sans que je mette un nom ou une étiquette dessus. Une espèce de présence diffuse, ni tout à fait admise, ni totalement ignorée. On me demande souvent pourquoi je n’y ai pas plus fait attention plus tôt, mais je crois que je culpabilisais de ne pas réussir à avancer comme les autres, pas comme j’aurais dû. Et puis en 2008, ma fragilité, qui jusque-là restait un peu en sous-marin, est ressortie d’un coup. Plus moyen de faire comme si de rien n’était.

Plein Espoir : Que s’est-il passé à ce moment-là ? 


F. G. : À ce moment de ma carrière, j’avais un poste très axé client, satisfaction, résultats… Un univers ultra-industriel, avec une pression énorme. Au début, ça allait. Et puis, ça s’est dégradé. Une collègue s’est lancée dans une compétition avec moi et en parallèle, mon volume horaire a explosé. Je m’écroulais de sommeil et après deux heures, j’étais réveillée. Mon cerveau était en boucle sur ce que j’avais fait la veille, ce que je devais faire, ce qu’il fallait rattraper. J’étais complètement obsédée par le boulot, les objectifs à atteindre, j’ai perdu l’appétit et à un moment ça a craqué. Un week-end, j’ai fait une grosse crise de larmes et j’étais incapable de bouger. J’ai fini par appeler un psychiatre et j’ai été en clinique de repos pendant plusieurs mois. 

Quand je suis sortie, la bataille était loin d’être terminée. J’ai sombré dans une profonde dépression, trois ans d’épuisement, de doutes, d’incapacité à me relever. J’ai dû me résoudre à un arrêt de longue durée. Heureusement, mon entreprise m’a permis d’intégrer un parcours de maintien en emploi. C’est dans ce cadre que j’ai découvert l’association Clubhouse, un espace où l’on sort de l’isolement, où l’on réapprend à exister autrement, où la santé mentale n’est plus un tabou mais une réalité qu’on apprivoise. Ce fut un tournant. J’ai compris, enfin, que mon trouble psychique faisait partie de moi. Qu’il n’était ni un fardeau à cacher, ni une fatalité à subir. Je pouvais choisir la place qu’il occuperait dans ma vie. Paradoxalement, c’est dans la chute que j’ai commencé à trouver mes réponses. 


Plein Espoir : Vous dites que le Clubhouse a joué un rôle clé dans votre recherche d’identité. Était-ce parce que, pour la première fois, vous pouviez échanger avec des personnes qui traversaient les mêmes épreuves ? Parce que vous vous sentiez enfin comprise ?


F. G. : J’ai peu à peu investi le champ de la santé mentale, découvert ses acteurs, compris les dynamiques qui le traversaient. Il y avait le monde associatif, le secteur médical, les travailleurs sociaux. Mais surtout, il y avait celles et ceux qui vivaient avec un trouble psychique, comme moi. Ce réseau, cette communauté, ont joué un rôle essentiel. Rencontrer d’autres personnes concernées m’a permis de respirer. J’ai pu poser ma souffrance, la sortir du silence, la mettre en mots. Et cette parole, je l’ai travaillée, affinée. Au Clubhouse, nous avons mené un long travail sur le témoignage : raconter son parcours, poser noir sur blanc ce que l’on avait vécu, mettre en récit les étapes, les chutes, les moments de bascule. Il ne s’agissait pas seulement d’écrire, mais de réfléchir ensemble à ce que ces trajectoires disaient de nous, de nos fragilités, de nos résiliences. Ce travail d’introspection a été fondamental. Il m’a permis, petit à petit, de prendre de la distance avec cette souffrance. Elle est toujours là, bien sûr. Elle fait partie de moi, de mon histoire, de mon identité. Et à partir du moment où j’ai pu la nommer, l’identifier, l’accepter, elle a cessé d’être un poids.


Et puis, au fil des rencontres, j’ai vu d’autres personnes traverser les mêmes épreuves. Certaines avaient des parcours plus lourds que le mien. Ce n’est pas une question de hiérarchie dans la douleur – on ne cherche pas à savoir qui souffre le plus. Mais il y a quelque chose de profondément apaisant à se sentir appartenir à un collectif. À savoir que l’on partage une expérience commune, que l’on peut se reconnaître dans le vécu de l’autre. Cela m’a appris à relativiser, à changer de regard. On passe de je ne peux pas à je peux, malgré tout. Peu à peu, on se décentre. On ne se regarde plus seulement soi-même : on voit les autres, on comprend qu’ils existent, qu’ils avancent, eux aussi. Et cette prise de conscience fait toute la différence.


Plein Espoir : À travers ce travail, considérez-vous que le trouble occupe une place essentielle dans votre identité ?


F. G. :  C’est une question que je me suis souvent posée. Au Clubhouse, on travaillait sur la manière de parler de sa maladie, sur le langage à employer, sur la façon dont on se définit. Certains insistaient : on ne dit pas « je suis bipolaire », on dit « j’ai un trouble bipolaire ». Une nuance importante pour beaucoup. Mais ce débat m’a toujours dépassée. Dire j’ai un trouble anxieux ou je suis anxieuse, pour moi, ça revient au même. Je ne m’attarde pas sur les mots. Ce qui compte, c’est ce que cela représente dans ma vie. Et pour moi, ce trouble fait partie de mon identité. Il n’est pas toute mon identité, mais il n’est pas négligeable non plus.

Je vis avec. Je l’accepte. De toute façon, je n’ai pas vraiment le choix. Mais l’accepter, ce n’est pas le subir. C’est négocier avec lui, jour après jour. Trouver un équilibre. Alors non, je ne passe pas mon temps à y penser, je n’en parle pas tout le temps. Mais c’est là, en toile de fond. Il faut rester vigilante, ajuster en permanence. Apprendre à se protéger de soi-même, de ses émotions. Apprendre aussi à se protéger des autres. C’est un travail de tous les jours. Pas toujours visible, pas toujours conscient. Mais il est là. Une sorte d’apprentissage permanent, qui continue encore, qui continuera toujours.


Plein Espoir : Quand on vous demande de parler de vous, est-ce que vous évoquez facilement votre trouble psychique ?


F. G. : Oui, assez facilement. Mais ça dépend toujours du contexte. Je ne vais pas en parler à n’importe qui, n’importe quand. J’essaie de sentir si c’est le bon moment, si l’environnement s’y prête. Est-ce que la discussion est propice ? Est-ce que mon interlocuteur est réceptif ? Est-ce pertinent d’en parler ici et maintenant ? Dans mon cadre professionnel, par exemple, je suis à temps partiel et je fais beaucoup de télétravail. De fait, je suis un peu en marge du fonctionnement quotidien de mes collègues. Mon rythme est lié à des problématiques de santé, et là-dessus, je n’ai aucun mal à me livrer.

Récemment, j’ai partagé mon histoire dans un livre de Claire Le Roy Hatala sur les troubles psychiques et le travail. J’ai montré l’ouvrage à mon supérieur et on en a discuté. Par ailleurs, j’interviens parfois pour des sensibilisations en entreprise. Ces engagements nécessitent de m’absenter, mais dans le cadre du mécénat de compétences, ce qui suppose d’en parler à mes responsables. Là encore, j’aborde le sujet sans difficulté.


Plein Espoir : Pour vous, le rétablissement passe-t-il forcément par une forme de paix avec soi-même ?


F. G. :  Oui. Après, ce n’est pas tous les jours facile, ni même possible. Il y a des moments où l’on refuse d’admettre, où l’on s’accroche à l’illusion que tout va bien. D’autres où l’on s’effondre, où l’on se laisse submerger par la tristesse. Et bizarrement, ça fait du bien. Se décourager, s’accorder un instant de répit dans la lutte, c’est parfois nécessaire. Mais ce que j’ai appris, c’est qu’il ne faut pas rester dans la plainte ou dans l’immobilisme trop longtemps parce que ça ne mène nulle part. À un moment, il faut réussir à reprendre pied, à retrouver un équilibre.


Moi, quand je suis au plus bas, je m’agace, je bouillonne intérieurement. Mais avec le temps, j’ai compris que ces moments faisaient partie du processus. Ils ne sont pas des échecs, juste des passages inévitables sur un chemin plus long. Le plus difficile, c’est qu’on aspire toujours à retrouver un état d’avant. Comme si le but était de redevenir exactement la personne que l’on était. Mais il faut accepter que cette version-là de soi n’existe plus tout à fait. Le seul moyen d’avancer, ce n’est pas d’effacer ce qui a changé, mais de l’intégrer.


L’acceptation, c’est essentiel. Pas au sens de la résignation ni du renoncement. Ce n’est pas se dire c’est comme ça, je n’y peux rien, ni réduire toute son identité à son trouble. C’est plutôt comprendre qu’il fait partie du paysage, qu’il faut trouver comment composer avec. Et c’est aussi apprendre à être indulgent avec soi. À reconnaître qu’il y aura toujours des jours plus compliqués que d’autres. À comprendre que parfois, ces ralentissements que notre corps nous impose ne sont pas des obstacles, mais des signaux. Peut-être qu’ils sont là pour rappeler qu’on a trop tiré sur la corde, qu’on a besoin d’un pas de côté. Peut-être qu’au fond, le rétablissement, ce n’est pas chercher à redevenir comme avant, mais apprendre à exister autrement.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


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Un jour, mille rôles : mon quotidien avec un trouble psy


Dans une journée, on enchaîne les rôles sans même y penser : parent, salarié, ami, conjoint… Mais quand on vit avec un trouble psychique, tout peut sembler plus lourd. Parfois, la maladie rend difficiles des gestes simples pour les autres. Souvent, il faut cacher sa fatigue, ses angoisses, faire semblant pour rassurer et avancer. Trouver un équilibre entre ce qu’on ressent et ce qu’on montre reste un défi. Pour mieux comprendre comment on jongle avec tous ces rôles, nous avons suivi Alma (1), personne concernée par un trouble bipolaire et maman de deux petites filles. Elle nous raconte une journée de sa vie, jonglant entre les rôles de maman, compagne, femme et patiente, entre doutes, espoirs et petites victoires.

Alma a 35 ans. Elle est la maman de Julia et Anna, trois ans et un an et demi. Avec Fabien, son compagnon, ils ont tous les deux décidé de quitter Nantes pour s’installer dans un village au bord de la mer. Leur maison est petite, mais leur jardin est grand, et surtout, leurs filles peuvent grandir au calme, loin du bruit de la ville. Ce changement de vie, Alma l’a aussi voulu pour elle et ça l’aide à retrouver un équilibre. À 25 ans, on lui a diagnostiqué un trouble bipolaire. Elle souffre également d’endométriose pour laquelle elle attend une opération. Depuis quelque temps, une suspicion de trouble de l’attention et de haut potentiel intellectuel (HPI) soulève d’autres questions sur sa manière de fonctionner et d’interagir avec le monde. Chaque jour, Alma jongle entre ses rôles : maman, compagne, femme, mais aussi femme en parcours de rétablissement, vivant avec un trouble psychique. Ce n’est pas toujours facile, souvent épuisant. Mais elle avance avec force et espoir. Pour Plein Espoir, elle a accepté de partager son quotidien, avec ses défis et ses victoires, dans l’espoir d’apporter du soutien à celles et ceux qui traversent les mêmes épreuves.


10h, patiente : Je ne vais pas mentir : en ce moment, ce n’est pas la grande forme. On m’a dit que c’était courant chez les personnes bipolaires, cette fatigue qui s’installe dès décembre et m’épuise jusqu’en février. Je dors beaucoup, mais jamais assez. Chaque matin, mon corps peine à se lever, mon esprit reste engourdi, comme s’il refusait d’affronter le jour. Heureusement, avec Fabien, on a trouvé un équilibre. Il sait que le matin est mon moment le plus difficile, alors il prend le relais. Il prépare le petit déjeuner des filles, puis les emmène à l’école, ce qui me permet de dormir un peu plus longtemps et de me réveiller à mon rythme. Quand la maison redevient silencieuse, c’est le seul moment de la journée où je ne porte aucun rôle. Je ne suis pas encore la mère qui rassure, la compagne qui soutient, la femme qui tient bon. Je suis juste moi, seule avec ma maladie. Alors, je me prépare un café, je prends mes médicaments – du Valium, pour calmer mes angoisses – et j’essaie d’entrer doucement dans la journée.


12h, travailleuse : Après des études aux Beaux-Arts, que j’ai dû interrompre à cause d’un long séjour en maison de repos et d’une relation amoureuse difficile, je me suis beaucoup cherchée. J’ai exploré plusieurs chemins : la photographie, la scénographie, différents projets créatifs. Mais à chaque fois, le rythme était trop intense, les remarques des collègues trop lourdes à encaisser. Puis l’endométriose est venue compliquer les choses, m’empêchant de travailler pendant des mois.


Aujourd’hui, après une longue période sans activité, je me sens prête à faire quelque chose. Pourtant, ce rôle de travailleuse me coûte énormément. Il faut faire les démarches administratives pour la reconnaissance de mon handicap, apprendre à être ponctuelle, consulter les offres d’emploi, refaire mon CV en essayant de combler les trous, se projeter dans un futur incertain. Ce n’est pas simple. Et même quand un poste m’attire, une question me hante : est-ce que je suis capable de le faire ? Avec ma coach, on essaie d’identifier ce qui me conviendrait le mieux. Faut-il demander une reconnaissance de handicap auprès de la MDPH pour ma bipolarité ou pour mon endométriose ? On ne peut pas faire les deux. Comme s’il fallait choisir quelle partie de moi mérite le plus d’être prise en compte. Pourtant, ces deux aspects de ma santé dictent mon quotidien.


Malgré tout, je continue d’avancer. Je réfléchis à plusieurs options : m’investir dans une association d’aide aux femmes victimes de violences, dans la sensibilisation à la santé mentale, ou bien relancer une activité artistique en freelance. Trouver sa place dans un territoire isolé, même quand on est parti par choix, n’est pas évident, mais pour la première fois depuis longtemps, j’ai envie d’y croire.


14h, patiente : Avec la fatigue, j’ai beaucoup de mal à me concentrer en ce moment. Alors, j’ai besoin de récupérer. Au début, ça m’inquiétait. Aucun des médecins que je vois ne m’avait parlé de cet effet secondaire, et tous me disaient que tout irait bien. Mais la dernière fois, quand j’ai eu rendez-vous chez le radiologue, je lui ai parlé des médicaments que je prenais : trois Valium et du lithium chaque jour. Il m’a répondu que c’était normal. Normal d’être épuisée. Normal d’avoir du mal à se concentrer plus de quelques heures par jour. En un sens, ça m’a soulagée. À défaut de la faire disparaître, j’ai une explication.


Avant d’aller chercher mes filles à l’école, j’essaie de récupérer un peu. Si je ne trouve pas le sommeil, je bouquine ou je m’allonge, le temps de recharger un peu les batteries. Mais ce n’est pas comme le matin, où je peux être simplement moi-même avec ma maladie. Florian n’est pas loin. Quand il me surprend allongée, je fais comme si ce n’était que pour quelques minutes. Comme si je ne faisais que souffler avant de repartir. J’essaie de cacher que j’aurais besoin de plus. Je souris, je dis que tout va bien, que j’étais juste en train de penser. Puis, dès qu’il repart bosser dans son cabanon au fond du jardin, je continue de me reposer.


16h, masque social : Je commence par aller chercher Anna à la crèche. En général, elle me saute dans les bras, un grand sourire aux lèvres. Je discute brièvement avec les autres mamans, échange quelques banalités. Certaines ont l’air vraiment sympas. Depuis notre déménagement, je n’ai plus mes copines, et l’isolement commence à peser. J’ai beau être habituée à composer avec la solitude, je sais que ça n’aide pas mon moral. Avoir plus d’échanges en dehors de mon couple, pouvoir compter sur une oreille attentive, ça ferait du bien. Mais ici, je tiens mon rôle. Je suis la maman sans histoire, celle qui parle des premiers mots, des goûters d’anniversaire, des petites bêtises des enfants. Jamais je ne me risquerais à parler de mes douleurs, de mon trouble, de ces moments où la fatigue est si écrasante que tout me semble insurmontable. Je souris, je donne le change. C’est plus simple ainsi.


Parfois, je me dis que ça serait plus facile si j’avais des amies qui vivaient les mêmes choses que moi. Je pourrais être honnête, ne pas craindre que l’image que je donne se fissure. Mais ici, dans ce petit village, la santé mentale reste un sujet tabou. J’ai peur de la stigmatisation. Peur qu’on me colle une étiquette, qu’on m’évite, ou pire, que mes filles soient aussi exclues. Je n’ose même pas imaginer les chuchotements : « Les filles de la folle ».


Alors, je reste à ma place et je crée du lien social. Une maman comme les autres, ou du moins, c’est ce que j’essaie de montrer. Après la crèche, je récupère Julia à la maternelle. Une dans la poussette, l’autre sur sa trottinette. On rentre à la maison, et c’est l’heure du goûter.


17h, maman investie : Avec mes filles, je suis complètement moi-même. C’est instinctif, naturel. On joue, on rigole, je les regarde grandir et apprendre de nouvelles choses avec bonheur. Même quand je ne vais pas bien, ces moments m’offrent une parenthèse. Pendant ces quelques heures passées avec elles, j’oublie tout le reste. Mon moment préféré, c’est le bain. Elles en mettent partout, ça éclabousse, et on rit aux éclats. Je n’ai pas peur de mal faire, tout se fait spontanément. Et puis, de les voir pleines de vie, ça me rassure. Je me dis que, malgré tout, j’ai réussi quelque chose de beau. Mais il y a aussi les jours plus compliqués. Ceux où j’ai du mal à sortir du lit. J’essaie de faire en sorte qu’elles ne me voient pas trop dans ces états-là. Elles sont encore petites, mais je sais qu’elles ressentent tout. Alors parfois, je fais aussi semblant avec elles. Ou je leur dis que je travaille, pour qu’elles ne s’inquiètent pas.


20h, compagne : Quand les filles sont couchées, j’allume souvent un petit feu dans la cheminée. C’est censé être un moment à deux, un instant de calme avec Florian. Mais je ne vais pas mentir : en ce moment, ce n’est pas simple entre nous. Dès le début, je lui ai tout dit. Que je n’étais pas un cadeau, que je souffrais de bipolarité, que je sortais d’une relation violente qui m’avait laissée en miettes. Il a écouté, il a voulu comprendre. Je crois qu’il ne réalisait pas vraiment ce que ça voulait dire. 


Être compagne, c’est un rôle aussi. Et celui-là, je ne pensais pas qu’il serait si difficile à tenir. Cacher ma maladie aux autres, minimiser, j’y suis habituée. Mais avec lui ? Est-ce qu’on n’a pas envie d’être totalement soi-même avec la personne qu’on aime ? Pourtant, depuis quelques mois, je m’efface. Les deux premières années, tout allait bien. J’étais dans une phase stable, et l’amour portait tout. Mais aujourd’hui, je vais moins bien. Et lui… lui ne le supporte pas. Il me reproche de ne pas avancer, de ne pas faire assez d’efforts pour m’insérer ici, pour retrouver un travail. Quand je lui dis que ça ne va pas, il part. Chez sa famille, chez des amis. Avec les filles, il est un père formidable. Avec moi, c’est un peu plus compliqué, même si je sais que ça le fait souffrir de me voir comme ça. Parfois, je sais qu’un simple câlin suffirait. Mais ce n’est plus possible pour lui. Alors, j’ai commencé à mentir. À dire que ça va, à minimiser mes douleurs, mes angoisses. Ce masque est nouveau. Il me pèse. Mais je préfère ça plutôt que de le voir s’éloigner définitivement.


23h, femme en reconstruction : Après le repas et mes derniers médicaments, je me couche vers 23h. En ce moment, je dors plutôt bien. Enfin, au début. Je m’écroule rapidement, puis, vers 2h du matin, mes yeux s’ouvrent d’un coup. La maison est silencieuse, plongée dans l’obscurité. Florian dort. Moi, je suis réveillée, souvent avec ces douleurs au ventre qui viennent me rappeler que mon corps est aussi fatigué que mon esprit. Alors, pour ne pas le déranger, je me lève. J’attrape un plaid et je vais m’installer dans le salon, seule avec mes pensées. Et c’est là que le bilan s’impose, toujours un peu brutal. Ma relation amoureuse est fragile. Ma vie professionnelle est en suspens. Mais il y a mes filles. Elles sont mon ancre, ma lumière. Dans ces moments-là, je pense souvent que je suis un boulet pour mes proches, pour la société. À d’autres instants, c’est tout l’inverse : une vague d’énergie me prend, et soudain, tout devient possible. J’ai envie de tout faire, de tout reconstruire. Et je repense à la journée, à ces rôles que je joue. Maman, compagne, femme en reconstruction, patiente qui doit se battre pour être entendue. J’essaie de paraître équilibrée, de faire comme si je n’avais pas de trouble psychique, comme si tout allait bien. Tout ça m’épuise.


Je sais que je ne suis pas la seule dans cette situation, mais j’aimerais juste être un peu plus moi, sans avoir à composer en permanence avec les autres et ce qu’ils attendent de moi. Après, je sais qu’avant ça, il faudrait d’abord que j’apprenne à m’aimer un peu plus, avec mes variations, mes changements d’humeur, mes élans et mon épuisement. Et puis, je repense aux rires des filles dans le bain, à leurs petites mains qui s’accrochent aux miennes, à leurs voix qui m’appellent dans la maison. Je repense à ces instants où tout semble juste. Alors, même si cette nuit ressemble à d’autres, même si demain apportera son lot de doutes et de combats, je me dis qu’il y aura aussi des éclats de joie, des moments de douceur, et peut-être, au creux de tout ça, un peu de paix. Je retrouve le sommeil. 

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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Le trouble psychique change-t-il qui je suis ?


Quand un trouble psychique survient dans notre vie, il ne bouleverse pas seulement  notre quotidien,  nos relations sociales ou notre rapport au travail. Il touche à quelque chose de plus profond : notre identité. On peut alors se demander si le trouble change notre façon d’être, notre personnalité, nos envies ? Mais aussi, comment lui faire une place, sans qu’il n’efface tout le reste ? Ces doutes et ces remises en question sont vertigineux, mais ils peuvent aussi être l’occasion d’apprendre à mieux nous connaître et à se réinventer autrement. Pour explorer ce chemin, Plein Espoir a rencontré Nathalie et Jérémy (1) : deux parcours différents, deux façons de vivre avec un trouble psychique et une manière unique de questionner l’impact de ce trouble sur la construction de l’identité.

Un jour, sans vraiment comprendre pourquoi, tout devient plus difficile. Une tristesse qu’on n’arrive pas à expliquer, une angoisse qui nous paralyse, une fatigue si lourde qu’elle nous cloue au lit. On voudrait continuer de faire comme avant, mais le corps ne suit pas, et la tête non plus. Il pouvait déjà y avoir des signes avant, mais on n’y a pas fait attention. Et puis, un jour, le trouble s’installe vraiment. Les émotions deviennent trop fortes ou disparaissent complètement. Le simple fait de sortir, de voir nos proches, de faire les choses les plus simples demandent un effort immense. Même aller acheter une baguette à la boulangerie est mission impossible.


Avant que le trouble n’arrive dans notre vie, on avait généralement des projets, des envies et surtout, une certaine image de soi. Et puis, du jour au lendemain, tout change. Il faut alors accepter que certaines choses soient plus compliquées, que ça prend du temps, mais aussi découvrir de nouvelles manières d’avancer. On ne va pas se mentir, le chemin vers le rétablissement est généralement long et il faut parfois accepter que la reconstruction ne se fasse pas toujours en une seule fois. Pourtant, ces épreuves nous apprennent beaucoup sur nous-mêmes. Elles nous montrent que l’on peut s’adapter, avancer malgré tout, et que chaque petite victoire compte. Avec le temps, on comprend que le rétablissement, ce n’est pas revenir à un état de santé antérieur et faire disparaître le trouble de notre vie, mais c’est apprendre à vivre avec, sans qu’il prenne toute la place. Alors, même dans les moments les plus difficiles, il est important de s’accrocher, de tenir bon, car avec du temps et du soutien, il est toujours possible d’aller mieux.

Mon trouble, c’est ce qui fait que je suis moi ?

Jérémy a toujours été un enfant dans son monde. Dès qu’il le pouvait, il s’enfermait dans sa chambre pour dessiner et inventer des histoires. Il aimait imaginer qu’il était un super-héros, capable d’effacer la violence du monde ou de s’envoler loin de tout. À l’adolescence, la musique et l’écriture ont pris une grande place dans sa vie. Un refuge pour échapper à ses angoisses. Mais les questions tournaient en boucle dans sa tête, surtout la nuit : « Pourquoi je suis là ? Quelle est ma place ? J’ai déjà 16 ans, donc ça veut dire que je suis plus proche de la mort qu’hier ? » Le pire, c’était quand il regardait les étoiles. « En fait, je suis rien du tout. Une poussière de rien. » Comme il n’arrivait plus à trouver le sommeil, ses parents l’ont emmené voir un psychiatre. Rien n’en est vraiment ressorti : il était juste un ado un peu trop rêveur.


Après le bac, il est entré en école d’art. Un environnement où tout le monde cherche à être unique, mais il était encore différent des autres. Ses rêveries prenaient de plus en plus de place, plusieurs heures par jour. Elles lui semblaient si réelles qu’il avait du mal à en sortir. Résultat : il oubliait les dates de ses rendus, de se faire à manger, de se laver. En cours, son esprit était absorbé par les bruits de stylos, les respirations, les lumières trop fortes. Comme s’il ne savait pas trier ce qui était important. « Je savais déjà que j’étais différent, mais en même temps, je trouvais que le monde était encore plus étrange que moi. » Parfois, il avait des prises de conscience si brutales qu’elles lui faisaient physiquement mal. « Dans ces moments-là, je me recroquevillais sur moi-même, incapable de bouger, avec une douleur très forte dans la poitrine. Il m’arrivait d’avoir du mal à respirer. »


Et puis, un soir, tout est devenu trop lourd pour lui. Il a avalé des médicaments qu’il avait sous la main. Il avait oublié que son copain devait passer pour finir un projet. Il l’a retrouvé allongé sur son lit et a appelé les secours. Après l’urgence, Jérémy a passé plusieurs mois en maison de repos. Ce temps loin du monde a été bénéfique. « L’école d’art m’avait épuisé parce qu’il fallait énormément produire, donc, je me suis reposé et j’ai recommencé à créer à mon rythme. D’abord des dessins, puis j’ai demandé l’autorisation pour avoir un dictaphone et enregistrer les bruits du quotidien. J’ai commencé à imaginer des morceaux et tout un univers musical. » Petit à petit, il a appris à mieux comprendre son trouble. Il n’était pas juste « un rêveur ». Ce qu’il vivait portait un nom : un trouble de l’attention avec une hypersensibilité. Il a mis en place des stratégies pour mieux vivre avec : associer ses routines à des codes couleur, noter ses priorités sur papier, toujours garder un carnet à portée de main, mettre des alarmes sur son téléphone pour ne rien oublier. Comme ça arrive dans la plupart des troubles psychiques, il savait qu’il ne pourrait pas fonctionner comme tout le monde, mais il pouvait trouver des manières de contourner les difficultés.


S’il a quitté l’école sans diplôme, aujourd’hui, il travaille dans une maison de retraite où il anime des ateliers artistiques. Et quelque part, il a trouvé son équilibre. « Quand je me présente, j’ai du mal à ne pas parler de mon trouble tout de suite. Parce que c’est ce qui fait que je suis moi. » Comme beaucoup d’entre nous, il a d’abord cru que son trouble était une faiblesse, un poids à porter. Mais aujourd’hui, il porte un autre regard : 

« Parfois, j’aimerais arrêter les médicaments, ne plus avoir ces moments de peur existentielle, mieux gérer les priorités. Après, je pense que ça me permet de voir au-delà de ce que la plupart des gens ressentent. » Son regard s’adoucit. « Il suffit de voir mes frères et sœurs, qui ne sont pas du tout dans l’art. Ce n’est ni mieux ni moins bien, juste différent. Mais pour moi, c’est une chance. Créer me permet d’exister autrement, de voir le monde à ma façon et de l’exprimer. C’est ma manière de dire ce que je ressens, et c’est important. » 


Beaucoup d’entre nous le savent déjà : l’art peut être un vrai refuge quand on vit avec un trouble psychique. Peindre, écrire, jouer de la musique… Peu importe ce qu’on choisit, créer permet souvent d’exprimer ce qu’on ne peut pas toujours dire. Quand les pensées s’emballent, que l’anxiété est trop forte ou que l’énergie manque, les pratiques artistiques peuvent aider à se recentrer, à poser ce qui déborde. C’est aussi une façon de reprendre le contrôle, de structurer le chaos intérieur, de ralentir et de respirer. 

Quand la rechute bouscule l’identité

Après, même sans trouble psychique, il n’est pas toujours simple d’avoir une vision juste de soi. Alors quand on vit avec, surtout dans les moments de moins bien, cet équilibre devient encore plus fragile. L’image que l’on a de soi se trouble, déformée par la fatigue, l’angoisse ou le doute. On ne se reconnaît plus, on a l’impression d’avoir perdu ce qui faisait notre force, d’être une version diminuée de nous-même. Pour certaines personnes, cette remise en question n’arrive qu’une fois. C’est le cas de Jérémy : son trouble a marqué sa vie, mais il a fini par le comprendre et à s’adapter, sans avoir à tout reconstruire à chaque étape. 


Mais bien souvent, le rétablissement n’est pas une ligne droite. On peut penser avoir trouvé une stabilité, puis une rechute arrive et tout bascule à nouveau. Il faut alors s’adapter et accepter que l’équilibre doit encore être réinventé. C’est ce que vit Nathalie, atteinte d’un trouble anxieux généralisé depuis qu’elle est jeune femme. Après un premier travail sur elle, une rechute a tout remis en question. Et avec elle, une question lourde de sens : Est-ce que j’ai vraiment avancé si je rechute encore ? Qui suis-je en dehors de ces allers-retours entre mieux et moins bien ? « Avant ma rechute, il y a un an, je me voyais comme quelqu’un de fort. J’avais appris à gérer mon trouble anxieux, je me sentais capable, résiliente, nous confie-t-elle. Mon hypersensibilité, je l’avais transformée en force. J’étais engagée dans la sensibilisation à la santé mentale et j’étais fière de défendre l’idée qu’être vulnérable, c’était aussi une forme de puissance. Pleurer, ressentir fort, tout ça, c’était beau. Et puis, un jour, tout a basculé. »


Hospitalisée en clinique psychiatrique quelques semaines, puis en arrêt de travail pendant plusieurs mois, Nathalie a vu son monde s’effondrer. « Moi qui aidais les autres, moi qui tenais bon, je n’étais plus capable de rien. J’étais tout le temps fatiguée, il était impossible de me concentrer, et je n’arrivais même plus à être là pour mes amis. » Quand elle a tenté de reprendre son travail en temps partiel thérapeutique, elle a vite compris que ce n’était pas possible. « Je n’arrivais pas à tenir une journée complète. Mon cerveau ne suivait plus, ma mémoire me lâchait. J’avais l’impression d’être une version diminuée de moi-même. » Son CDD terminé, elle a donc pris la décision de ne pas le renouveler. « J’ai dû me rendre à l’évidence : je ne pouvais plus fonctionner comme avant. J’avais besoin de m’arrêter, de me soigner vraiment, avant de pouvoir repartir. »


Mais avec cette pause est venue une autre bataille : celle de l’identité. « Je me dis tout le temps que je ne suis plus moi. Que je suis cassée. Je veux juste redevenir celle que j’étais avant », nous confie-t-elle. La dépression a brouillé son regard sur elle-même. Avant, elle se définissait par sa capacité à repousser ses limites, à être présente pour les autres, à avancer coûte que coûte. Aujourd’hui, tout lui semble flou. Et c’est normal : quand le trouble nous empêche d’agir comme avant, il devient difficile de se reconnaître, de savoir ce qui reste de soi au-delà des symptômes.


Pourtant, parfois, un regard extérieur peut nous aider à voir autre chose. Quand Nathalie est partie de son travail, elle a reçu une vague d’amour inattendue. « Mes collègues m’ont envoyé des messages qui m’ont bouleversée. Ils m’ont décrit comme quelqu’un de lumineuse, de précieuse… et ça m’a fait un choc. Parce que ce n’est pas du tout comme ça que je me vois en ce moment. » Ces mots l’ont questionné : « Si je n’existe pas que dans mes victoires, alors je n’existe pas que dans mes échecs non plus. Je suis là, peu importe où j’en suis dans mon rétablissement. » Aujourd’hui, elle reconnaît qu’elle est encore en plein cheminement. « Je ne vais pas prétendre que j’ai tout compris. Je doute encore beaucoup. Mais je me dis que si d’autres me voient autrement, c’est peut-être que moi aussi, un jour, je finirai par me retrouver. »

Qui je suis vraiment ?

On le sait bien, l’identité n’est pas quelque chose de figé. Elle évolue, elle se transforme, elle se cherche. Mais quand on vit avec un trouble psychique, elle peut devenir encore plus floue. Certains jours, on a l’impression d’être en accord avec soi, et puis à d’autres moments, on ne se reconnaît plus du tout. Et puis, il y a cette peur. La peur que le trouble prenne toute la place. Qu’il absorbe tout le reste. Qu’il devienne l’unique réponse à la question : Qui es-tu ? Comme si un diagnostic suffisait à tout expliquer. Comme si, au-delà de ça, il n’y avait plus rien. Alors on lutte. Contre le regard des autres, contre les étiquettes, contre cette impression d’être réduit à une case. Parfois, on peut cacher ce qu’on traverse. Parfois, on peut jouer un rôle pour être celui ou celle que les autres attendent de nous, mais aussi, pour ne pas être défini par quelque chose qu’on ne contrôle pas toujours.


Mais alors, est-ce qu’on peut vraiment se résumer à un trouble ? Chez Plein Espoir, on est convaincu que l’identité n’est pas une liste de symptômes. Elle se construit à travers nos expériences, nos souvenirs, nos relations, nos rêves, nos choix – même ceux qui semblent trop petits pour compter. Alors, peut-être que la réponse à Qui suis-je ? change d’un jour à l’autre. Peut-être que parfois, elle nous échappe complètement. Peut-être qu’on doute, qu’on cherche encore des réponses, qu’on hésite ou qu’on se sent perdu. Mais une chose est certaine : on est bien plus qu’un trouble psychique. Et peu importe ce qu’on traverse, notre identité ne disparaît pas. Elle nous appartient, et personne, ni même un trouble qui prend beaucoup de place, ne peut la prendre. Elle est à nous. 

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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Quand un trouble psy s’invite dans le couple : comment trouver un nouvel équilibre ?


Quand un trouble psychique s’invite dans le couple, c’est tout le quotidien qui peut être  bouleversé : la vie professionnelle, sociale, les relations sentimentales et parfois même l’amour qu’on se porte. Entre doutes, peurs et incompréhensions, certains couples parviennent à surmonter cette épreuve ensemble, tandis que d’autres prennent des chemins différents. Mais bien que ces moments soient difficiles, ils peuvent aussi offrir l’opportunité de réinventer la relation et de se redécouvrir autrement. Pour mieux comprendre ce qui se joue dans ces moments, Plein Espoir a rencontré Juliette (1), qui a accepté de nous raconter son histoire avec Karim, diagnostiqué d’un trouble bipolaire alors qu’ils étaient déjà en couple, pour nous raconter comment ils ont pu retrouver un nouvel équilibre à deux.

« Tu as changé, tu n’es plus le même », « Je ne sais pas quoi faire pour t’aider »… Ces phrases, on les entend souvent quand le trouble psychique vient perturber la relation amoureuse. C’est normal, car parfois le trouble emporte tout : les repères, ce qu’on a construit à deux, et l’idée qu’aimer, c’est toujours avancer dans la même direction. D’une manière ou d’une autre, le trouble modifie parfois grandement la trajectoire personnelle de celui qui vit avec, le quotidien, et peut même questionner l’amour que l’on ressent pour l’autre. Certaines personnes parviennent à surmonter les épreuves ensemble et à renforcer leur lien, tandis que d’autres choisissent des chemins différents. Mais même si cela reste difficile, chez Plein Espoir, nous sommes convaincus que ces moments sont aussi des occasions de se réinventer. Pourquoi ? Parce qu’ils nous poussent à mieux comprendre qui nous sommes, à exprimer nos limites et nos besoins, et à repenser ce que l’on veut ou peut offrir dans l’amour. La véritable question n’est donc pas de savoir si l’amour peut tout sauver, mais plutôt comment la relation peut s’adapter à ces nouvelles réalités de la vie.

Un trouble qui bouleverse tout

Juliette a 24 ans et cela fait trois ans qu’elle est en couple avec Karim. Leur histoire était simple et heureuse, jusqu’à ce que tout bascule. Un soir, après une semaine de travail intense, Karim sort avec des amis. Puis, plus de nouvelles. Il disparaît pendant deux jours. Inquiète, Juliette tente de le joindre, en vain. C’est finalement un ami commun qui le retrouve dans un bar. Il n’a pas dormi, il a pris de la drogue et se comporte de manière incontrôlable. La situation dégénère, la police intervient et Karim est conduit à l’hôpital. Là, les médecins posent un premier diagnostic : il a fait une crise maniaque et souffre très probablement d’un trouble bipolaire. D’ordinaire, il faut des années avant qu’un tel trouble ne soit identifié, les retards de diagnostic peuvent aller au-delà de dix ans. Mais dans son cas, les choses vont vite : l’un de ses parents étant déjà repéré comme tel, les médecins n’ont pas mis longtemps à reconnaître les signes.


Juliette se souvient : « Quand les médecins ont parlé de bipolarité, ça m’a fait peur. Je ne connaissais rien à cette maladie. Et puis, j’ai toujours pensé qu’il valait mieux privilégier l’accompagnement plutôt que les médicaments. Mais là, il n’avait pas le choix. » Comme beaucoup, elle imaginait d’abord que les traitements médicamenteux étaient trop lourds, qu’un suivi psychologique suffirait peut-être. Mais face à la gravité de la situation, elle comprend que Karim en a besoin pour se stabiliser. Son regard sur la maladie évolue : elle réalise que les médicaments ne s’opposent pas à l’accompagnement, mais qu’ils sont en l’occurrence une aide nécessaire pour retrouver un équilibre. Très vite, Juliette comprend qu’il ne suffit pas de savoir théoriquement ce que signifie être bipolaire : il faut apprendre à vivre avec, au quotidien. Les émotions de Karim peuvent être intenses, imprévisibles, et sans repères clairs, tout devient plus difficile. Elle réalise alors l’importance d’un cadre stable et rassurant, autant pour lui que pour elle. Des routines, des limites, des repères : tout cela l’aide à ne pas se laisser emporter par les hauts et les bas, et à préserver un équilibre dans leur relation.


Après l’épisode de perte de contrôle et le choc du diagnostic, Karim tombe dans une profonde dépression. Dans son cas, l’adaptation aux effets des médicaments est assez difficile durant les premiers mois. Les antipsychotiques, nécessaires pour le stabiliser, le fatiguent énormément. Il se sent ralenti, vidé, comme déconnecté de lui-même. Et en plus, il faut du temps pour ajuster le bon dosage, ce qui rend cette période encore plus compliquée. Après trois semaines à l’hôpital, il est transféré en clinique de repos pour plusieurs mois. Quand il en sort, il ne se sent pas capable de reprendre sa vie d’avant. Il décide alors d’arrêter de travailler, de rendre son appartement et de retourner chez ses parents. Un choix difficile, mais qui lui permet d’être accueilli dans un cadre rassurant, où il peut se reposer et essayer d’aller mieux. Juliette, déjà bouleversée par tout ce qu’il a vécu, doit maintenant faire face à un homme qui semble absent. « Parfois, il n’avait pas l’énergie pour sortir ou même me parler. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce n’était pas moi qu’il rejetait, mais juste qu’il allait mal. » Elle apprend à ne pas tout prendre pour elle, à accepter que Karim ait besoin de temps. Leur relation change, elle doit s’adapter. L’amour est toujours là, mais il doit maintenant cohabiter avec la maladie.


Avec le temps, Juliette réalise que la maladie a changé Karim. Même s’il reste le même, leur relation évolue avec cette nouvelle réalité. Petit à petit, elle s’adapte et se recentre sur l’essentiel : l’amour qui est toujours là. Mais ce n’est pas toujours simple. « Parfois, je ne savais pas comment agir avec lui, ni comment l’aider au mieux. » Dans ces moments-là, il est normal d’adopter un comportement différent avec son partenaire. Ces réactions sont propres à chacun. On peut choisir de ne pas en parler pour éviter de brusquer ou d’être maladroit, on peut vouloir beaucoup s’investir, comme si on avait une mission à accomplir, et parfois, on a juste besoin de prendre du recul et de s’éloigner un peu pour souffler. Peu importe la réaction, avancer ensemble demande de la force, surtout quand l’avenir est incertain.

Trouver un nouvel équilibre

Dans un couple, quand l’un des deux traverse une période difficile, une question revient souvent : que peut-on attendre de l’autre ? Au début, les partenaires essaient souvent de sauver l’autre, avant de comprendre que ce n’est pas possible. Il faut accepter qu’être simplement là, présent pour l’autre, c’est déjà beaucoup. Quand Karim est retourné vivre chez ses parents, Juliette a eu du mal à trouver sa place. Elle voulait l’aider, mais malgré tous ses efforts, elle avait l’impression que rien ne changeait. Elle lui préparait à manger, lui proposait de sortir, organisait des moments à deux. Pourtant, Karim restait distant, comme si sa présence ne faisait aucune différence. Ce n’est qu’en parlant avec un professionnel que Juliette a compris que ce n’était ni un manque d’amour ni un rejet. Sous l’effet des médicaments et encore épuisé, Karim n’arrivait plus à exprimer ce qu’il ressentait. Il avait besoin de temps pour se reconnecter à ses émotions. Même s’il paraissait distant, le fait que Juliette reste présente et prenne soin de lui était déjà une étape importante dans sa reconstruction.


L’histoire de Juliette et Karim montre que vivre avec un trouble psychique, ce n’est pas juste apprendre à gérer des changements au quotidien. C’est aussi un travail de chaque jour pour adapter la relation, trouver des solutions et avancer ensemble. Le couple évolue, et chacun doit apprendre à s’adapter. Aujourd’hui, Karim suit un traitement mieux adapté et son état s’est stabilisé. Mais l’équilibre reste fragile. « Maintenant, quand il y a un problème, on a mis en place des codes, comme des émojis pour expliquer nos émotions. Je suis vraiment contente de ses progrès, parce qu’à un moment, j’avais arrêté de sortir, je riais moins, je ne faisais plus de projets… Je sentais que ça commençait à peser sur ma propre santé mentale. »


L’année suivant la première crise de Karim, beaucoup ont conseillé à Juliette de le quitter pour se protéger. Mais elle a choisi de rester, par amour. « J’ai failli partir tellement de fois. Ça aurait été plus simple, mais je l’aime encore, alors je m’accroche. » Karim culpabilise souvent après une crise et fait tout pour aller mieux. En plus de son traitement et de ses rendez-vous chez son thérapeute, il a testé l’hypnose, la sophrologie, tout ce qui pourrait l’aider à mieux gérer ses émotions. Sa détermination donne de l’espoir à Juliette. « Si on traverse tout ça ensemble, on sera peut-être plus forts que les autres couples. Et si ça ne marche pas, au moins, on aura tout essayé. » Au début, elle était perdue, effrayée par un diagnostic qu’elle ne comprenait pas. Aujourd’hui, elle a appris à mieux comprendre la bipolarité et à s’adapter aux changements de Karim.

Surmonter les obstacles

Nous le savons, un trouble psychique peut bouleverser une relation. Il change la façon d’interagir, oblige à revoir ses attentes et redéfinit la place de chacun dans le couple. Comme l’a vécu Juliette, l’annonce du diagnostic est un choc, autant pour la personne concernée que pour ses proches. Dans ces moments-là, certains projets doivent être mis en pause : vivre ensemble, fonder une famille, voyager… Le temps de retrouver un équilibre. Mais cela peut aussi créer des frustrations, surtout quand les envies ou les priorités ne sont plus les mêmes. Ce décalage, qu’il concerne de grands projets ou des petites choses du quotidien, est parfois difficile à accepter. On aimerait savoir où l’on sera dans quelques mois, mais la vérité, c’est qu’on ne peut pas le prévoir. La seule chose à faire, c’est avancer, à son rythme, ensemble.


Ce n’est pas un secret : la communication aide à traverser les moments difficiles. Quand c’est possible, il est important de parler de ce qu’on ressent, de ses besoins et de ses limites, sans craindre le jugement de l’autre. Ouvrir le dialogue permet d’éviter que chacun se referme sur lui-même et de garder un lien fort dans la relation. Il faut aussi accepter que tout ne se règle pas du jour au lendemain. Ces épreuves sont difficiles, mais elles peuvent aussi être l’occasion de réinventer la relation. L’amour évolue, devient plus fort et plus profond, quand chacun apprend à accepter ses fragilités et à avancer à son rythme, sans pression ni reproche.


Parfois, il faut le dire, tout le monde n’a pas la force de rester, comme Juliette l’a fait. Un choix individuel qui compte aussi certains déterminants socio-culturels, ou de genre : certaines études constatent ainsi que les femmes ont six fois plus de risque de connaître une rupture amoureuse pendant un cancer ou une maladie grave que les hommes. Trouver un nouvel équilibre prend du temps et n’est jamais simple. Il y a des moments de doute, des périodes où tout semble trop lourd à porter, où l’on se demande si continuer est encore possible. Mais l’histoire de Juliette et Karim est un bel exemple de patience et de persévérance. Leur relation montre qu’on peut ajuster ses attentes, redéfinir ses projets et avancer autrement. Ce n’est pas facile, mais leur parcours prouve que l’on peut traverser ces épreuves ensemble, à son rythme, sans avoir toutes les réponses dès le départ.


Cela dit, une relation qui ne survit pas à un trouble psychique n’est pas un échec. Parfois, les chemins se séparent, et ce n’est pas une fin en soi, mais une étape. On apprend aussi de ces expériences : même avec tout l’amour du monde, certaines histoires prennent une autre direction. L’essentiel, c’est d’avoir essayé et fait de son mieux. Alors, que l’on avance ensemble ou chacun de son côté, il y a toujours une manière de se reconstruire. Ces épreuves de la vie nous aident à mieux nous connaître et à nous rapprocher de ce qui nous fait vraiment du bien.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


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Troubles psychiques et sexualité : appréhender les variations du désir


On le sait bien : en matière de sexualité, il suffit parfois d’une journée stressante, d’une nuit difficile ou d’une mauvaise nouvelle pour que notre désir s’étiole. C’est tout à fait normal. Et souvent, après quelques jours plus calmes, tout revient doucement. Si, avec les années, on comprend que le désir sexuel n’est pas figé, les troubles psychiques peuvent accentuer ces changements parfois brutaux. En particulier quand on prend des traitements : certains antidépresseurs ou anxiolytiques peuvent avoir un impact important sur la libido. Pour toutes ces raisons, chez Plein Espoir, nous pensons qu’il est important d’aborder la question du désir sexuel avec bienveillance. Comment accepter qu’il évolue sans en avoir honte ? Comment en parler avec justesse ? Quelle que soit notre réponse, gardons en tête que même avec des troubles psychiques, il est possible d’avoir une sexualité épanouie. Cela nécessite parfois de repenser son intimité, de prendre le temps de s’écouter, de comprendre ce qui nous fait du bien et d’avoir le courage d’en parler. En tout cas, pour notre bien-être global, ça vaut vraiment le coup de prendre le temps d’essayer. 

On croit souvent que quand tout va bien, la sexualité suit. Et c’est souvent vrai : se sentir bien dans sa tête et dans son corps aide à se connecter à l’autre, à soi-même, et permet d’explorer plus facilement ses envies. Mais ce n’est pas toujours aussi simple. La libido ne dépend pas que de notre mental, elle est également influencée par notre santé physique, les hormones, ou encore nos relations. Il arrive donc de traverser des moments paisibles où le désir sexuel est absent. Rien d’alarmant à cela : ces variations sont normales et souvent imprévisibles. Plusieurs formes de désir sexuel cohabitent et sont aujourd’hui mieux reconnues, y compris l’asexualité. En revanche, quand l’esprit est envahi par les tracas du quotidien, par des pensées qui tournent en boucle, c’est plus compliqué. Et si en plus, on doute de soi, de son apparence, qu’on est agité, qu’on a des problèmes de sommeil… comme c’est souvent le cas quand on vit avec des troubles psychiques, alors on peut se couper de son corps et de ses envies. Dans ce genre de situation, il ne faut pas oublier que c’est souvent juste une façon de réagir face à une épreuve. 

Désir sexuel et santé mentale : un duo inséparable

À 45 ans, Paul (1) n’avait jamais eu de problèmes de santé mentale, ni de souci avec sa libido. Marié depuis quinze ans et papa de deux jeunes garçons, il menait une vie plutôt calme. Puis, un jour, le boulot a commencé à peser lourd. Trop lourd. Son médecin lui a conseillé de prendre du temps pour lui, mais quand son arrêt de travail s’est terminé, il a fait une crise délirante. Un soir, il n’a pas réussi à allumer son téléphone et il a oublié le prénom de ses enfants. Après trois semaines d’hospitalisation pour burn-out, les psychiatres l’ont mis sous antidépresseurs et anxiolytiques. Il reconnaît que cet accompagnement thérapeutique l’a aidé à être moins stressé et à chasser ses idées noires. En revanche, il a pris beaucoup de poids et a perdu tout désir pour sa femme. « J’ai toujours eu du désir, mais depuis que je prends des médicaments, c’est devenu super rare. Ma libido est à zéro. Déjà que la prise de poids me donne moins confiance en moi, que j’ai envie de me cacher, je vois que ça fait beaucoup de peine à ma compagne. Même si j’essaie de la rassurer, elle croit que c’est de sa faute. Que je l’aime plus. Alors que ça n’a rien à voir », nous explique-t-il.


Ce que décrit Paul n’est pas un cas isolé. Lorsqu’on traverse un moment difficile, il est fréquent de ne plus ressentir de plaisir, d’être tout le temps fatigué et de ne plus avoir de désir sexuel. Si cela est mal vécu pour tout le monde, chez les hommes, s’ajoute souvent la pression de bien faire et de performer. Malheureusement, ce poids peut accentuer les problèmes et augmenter la frustration quand ça ne fonctionne pas. « Quand j’ai perdu mon érection matinale, c’était très dur à accepter. C’était comme si, tout d’un coup, j’étais malade. Que ma vie s’arrêtait là. Je me suis caché plusieurs fois pour pleurer. Mais mon psychiatre m’a expliqué que c’était normal et que ça reviendrait quand on baisserait le traitement et que la crise passerait. Ça m’a un peu soulagé. D’ailleurs, ces derniers jours, je me sens un peu plus joyeux. Même si j’ai pas encore retrouvé de désir pour ma femme, cet apaisement me donne envie d’être plus tendre avec elle : je lui fais des câlins, je lui propose d’aller au restaurant. J’essaie de me rassurer en me disant que c’est déjà un bon début. »


Dans un monde qui valorise la performance, on entend souvent dire que, pour qu’un couple marche, la sexualité doit toujours être au top. Alors, forcément, dès que ça coince un peu, notamment à cause des troubles psy, on se sent en danger, comme si la relation toute entière pouvait s’arrêter. Mais réduire l’intimité conjugale à ce seul aspect, c’est passer à côté de l’essentiel. L’intimité, ce n’est pas que la sexualité, c’est aussi les petits gestes d’attention du quotidien, des fous rires, des sorties qui cassent la routine, ou juste du temps passé à deux. C’est tout ce qui fait qu’on se sent bien, qu’on s’attache, et qu’on a envie de rester ensemble. 

Trouver des solutions adaptées

« Je sais bien que l’intimité ce n’est pas que le sexe, mais ça dépend aussi de l’âge qu’on a, des expériences qu’on a vécu… Quand j’ai vu qu’à 27 ans, mon désir avait totalement disparu, c’était très dur », nous confie Bastien. Comme pour Paul, ces troubles psychiques ont commencé après une expérience difficile au travail. Son équilibre psychique s’est ensuite dégradé avec des problèmes d’argent et des tensions avec sa famille. Pendant plusieurs mois, il a perdu le sommeil, les crises d’angoisse sont devenues quotidiennes, et il a commencé à fuir sa copine. Il n’avait plus envie d’elle, plus envie de rien d’ailleurs. Comme beaucoup, Bastien a mis du temps avant de mettre des mots sur ce qu’il traversait. Ce n’est qu’après de longs mois de souffrance qu’il a fini par accepter l’accompagnement thérapeutique. 


Dès la première séance, le diagnostic tombe : anxiété généralisée. Sa psy lui propose alors une idée simple pour détendre la situation dans son couple, mais pas évidente à accepter : parler avec sa copine d’une pause temporaire de sexe. L’idée, c’était de lever la pression et la culpabilité qui pesaient sur lui. Elle lui a conseillé de profiter autrement de leur temps à deux : avec des câlins, des massages, de cuisiner ensemble, danser, jouer à des jeux ou simplement se blottir sous un plaid pour regarder une série. Bref, retrouver des moments complices, sans attentes ni tensions. Après une pause de quatre mois, le désir est progressivement revenu : « J’ai commencé à me faire plaisir seul, à regarder d’autres femmes parce qu’il n’y avait pas d’enjeu avec elles et puis, quand je me suis rassuré, j’ai de nouveau eu envie de me rapprocher de ma copine. Alors, j’ai toujours du mal à aller jusqu’au bout, mais rien que de ressentir quelque chose à ce niveau-là, ça me fait du bien. Je suis un peu plus confiant pour la suite », nous confie Bastien.


De son côté, Julia, qui vit avec un trouble bipolaire, a mis plusieurs années à comprendre l’impact de la maladie sur sa vie intime : « On parle souvent des hauts et des bas émotionnels, mais on ne réalise pas à quel point cela peut bouleverser l’intimité, le rapport au corps et le désir. » Diagnostiquée à 26 ans, elle a traversé des phases où son envie débordante la poussait à multiplier les expériences, parfois sans réfléchir aux conséquences : « Il y a des périodes où j’avais une énergie folle et un besoin incontrôlable de me sentir vivante. Je sortais beaucoup, je rencontrais des gens, et je ne prenais pas toujours la peine de me protéger, ni physiquement ni émotionnellement. »


Ces phases d’euphorie étaient suivies par des périodes de dépression : « Dans ces moments-là, le désir disparaît. Mon corps ne répond plus, même quand j’essaie de me toucher, je ne ressens rien. C’est comme si je n’existais plus à ce niveau. » Julia explique que ces changements de désir sont difficiles à vivre, pour elle mais aussi pour ses copains : « Beaucoup de mes copains m’ont quittée parce qu’ils ne comprenaient pas les phases que je traversais. Mais je ne l’ai pas mal vécu, parce que quand je ne vais pas bien, il n’y a plus de place pour l’autre. » Aujourd’hui, Julia semble avoir trouvé un nouvel équilibre, aidée par un traitement médicamenteux qui lui a permis d’apaiser les hauts et les bas émotionnels : « Avec mon compagnon actuel, qui vit aussi avec un trouble bipolaire, on a appris à communiquer sur nos phases. Quand je ne vais pas bien, il respecte mon besoin d’espace et ne me sollicite pas quand je n’ai pas envie. Et quand je suis trop intense, il essaie de trouver les mots pour que ça ne devienne pas trop étouffant. Avec lui, c’est différent de tout ce que j’ai connu parce qu’il me comprend vraiment. »


Même si le chemin peut être plus difficile et prendre beaucoup de temps, l’histoire de Bastien et de Julia montrent qu’accepter que le désir change quand on vit avec des troubles psychiques est un premier pas vers le rétablissement. Cela permet de se libérer du poids de la culpabilité et de la honte, des sentiments fréquents dans ces moments-là. Quand le désir pour l’autre devient plus rare, on peut être tenté de s’isoler, de cacher ce qu’on ressent ou même de fuir sa relation pour voir si ça fonctionne ailleurs. Pourtant, c’est justement à ce moment qu’il est important d’oser parler avec son/sa partenaire. Plutôt que de risquer qu’il ou elle se sente rejeté(e), on peut tenter de verbaliser les choses. « Je traverse une période difficile, j’ai moins de désir, mais ça n’a rien à voir avec l’amour que j’ai pour toi. » : ce genre de mots peut rassurer, et même si cela nous met en insécurité au premier abord, cela peut également permettre de renforcer la relation. On se soulage d’un gros poids, on assume où l’on en est et on permet à l’autre de continuer à nous choisir à nouveau, avec une communication plus fluide. 

S’affranchir des règles

Dans la vie, et encore plus quand on vit avec des troubles psychiques, il n’y a pas de mode d’emploi pour la sexualité ou le désir. Ce qui compte vraiment, c’est de trouver son propre équilibre, tout en gardant en tête que ça peut bouger avec le temps. Prenons un exemple : le désir sexuel peut s’éclipser à cause d’une dépression, d’un gros stress ou même d’un traitement médicamenteux. Mais ça ne veut pas dire qu’on n’a plus besoin de proximité ou d’affection. Parfois, on préfère les câlins, la tendresse, sans forcément passer par le sexe. Et cette manière de partager l’intimité est tout aussi précieuse. L’inverse est vrai aussi : parfois, le désir sexuel peut devenir beaucoup plus intense, comme lors d’une phase maniaque dans un trouble bipolaire, où certaines personnes ressentent beaucoup plus de désir. Quand la phase passe, il y a souvent un retour à un équilibre, avec moins d’envies. Ces hauts et ces bas peuvent être perturbants et c’est pour ça qu’il est très important d’apprendre à se connaître et savoir comment on fonctionne, avec son trouble psy. 


Après, quand on est en couple, on peut avoir du mal à vivre le fait que son partenaire ait moins de désir pour nous pendant un certain temps. Plutôt que de se sentir rejeté(e) et même si l’autre semble fermé, qu’il fuit la discussion parce qu’il a honte ou qu’il évite le problème, le mieux, c’est d’essayer d’en parler doucement, sans jugement. Quand on prend le temps de se dire que ce n’est pas une question d’amour, mais juste un moment difficile, ça change tout. 


Si on arrive à parler de nos besoins sans jugement, on peut trouver des solutions ensemble, se soutenir sans pression. Parfois, traverser cette épreuve ensemble peut même renforcer l’amour. Mais il faut aussi savoir que si l’autre ne comprend pas ou ne fait pas l’effort de parler, il peut arriver qu’on choisisse de partir. Parce qu’on mérite d’être avec quelqu’un qui respecte nos besoins, nos limites, et qui est prêt à avancer avec nous. N’oublions pas que chaque personne est différente, et surtout que la sexualité n’est pas un concours. Ce n’est pas une question de performance, mais de bien-être. Et même quand le désir sexuel semble s’éloigner pour de bon, il est toujours possible de le raviver à son rythme. L’essentiel est de trouver ce qui nous fait du bien, que ce soit seul(e) ou à deux. Chez Plein Espoir, on le sait bien, les hauts et les bas font partie de la vie, mais il existe toujours des moyens de se sentir épanoui dans sa sexualité et de trouver son équilibre, quel que soit le chemin qu’on choisit.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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Troubles psychiques : gérer les non-dits au sein d’une relation amoureuse


« Tu ne me dis jamais rien ! » ou « Pourquoi tu ne m’en as pas parlé plus tôt ? » Ces phrases, on les entend souvent quand on se dispute. Elles traduisent l’idée qu’une relation amoureuse devrait être un espace de totale transparence, comme si aimer signifiait tout partager. Mais la réalité est plus complexe. Si les non-dits existent dans tous les couples, leur poids peut devenir encore plus lourd quand on vit avec des troubles psychiques. Parce que parler de ses fragilités, c’est risquer de s’exposer, d’être vu autrement ou d’être mal compris. Mais le silence, à la longue, peut nous peser, nous isoler, ou nourrir une certaine honte. Chez Plein Espoir, nous pensons que ces choix – parler ou se taire – méritent réflexion : qu’est-ce qui nous freine ou nous pousse à parler à la personne qu’on aime ? Que disent ces silences sur nous et nos relations ? Et cacher, est-ce vraiment mentir ? Quoi qu’on décide, l’important est de respecter son rythme et de ne pas culpabiliser.

Cacher ou mentir : est-ce que c’est pareil ? La communication est souvent présentée comme le socle des relations sentimentales solides. Pourtant, il est fréquent que l’un des partenaires, parfois même les deux, choisissent de garder certaines choses pour eux. Ces silences, qu’ils soient volontaires ou simplement protecteurs, peuvent prendre des formes variées : du petit oubli délibéré au secret plus lourd. Mais alors, pourquoi choisir de cacher certaines informations au lieu d’être complètement transparent avec la personne qu’on aime ? Bien souvent, dans ces situations, c’est la peur qui prend le dessus. Quand il y a de l’amour et donc un enjeu, on peut redouter d’être jugé, mal compris ou même rejeté quand on montre ou qu’on parle de nos fragilités. Cette crainte est encore plus forte chez les personnes qui vivent avec des troubles psychiques.

Ne pas parler de ses troubles, une stratégie contre le rejet de l’autre

Même si la santé mentale est un sujet de plus en plus abordé dans la vie de tous les jours, les personnes qui vivent avec des troubles psychiques restent largement stigmatisées et mal vues dans la société. Un rapport de 2020 de l’OMS explique que les personnes concernées sont généralement considérées comme “imprévisibles”, “incapables” ou « à problèmes ». Et comme on peut l’imaginer, cela impacte aussi la vie amoureuse, puisque ça nourrit la peur et pousse chacun à cacher ses difficultés. Dans le podcast Plein Espoir – Vivre bien avec un trouble psy, le docteur Mickael Worms-Ehrminger revient sur son expérience des troubles des conduites alimentaires, présents dans sa vie depuis l’enfance. Il explique que, face à l’homme qu’il aime, il a longtemps préféré trouver des excuses plutôt que de parler de son trouble : plus simple de dire qu’on a bu trop de café ou qu’on stresse en ce moment pour expliquer une agitation ou un manque d’appétit. Dans son cas, ce n’était pas une volonté de cacher la vérité, mais plutôt une difficulté à trouver les mots, le courage de se confier, ou simplement d’être capable de raconter son histoire.


Par curiosité, on est allé voir sur Reddit, un réseau social où les utilisateurs partagent anonymement leurs expériences. J’ai découvert une discussion lancée par une jeune femme vivant avec un trouble bipolaire qui posait une question simple : « Est-ce que vous pourriez être en couple avec une femme ayant un trouble psychique ? » Certaines personnes ont répondu que c’était possible, à condition que la personne soit suivie et qu’elle veuille « guérir ». Mais beaucoup ont dit que ce serait trop difficile, qu’ils ne s’en sentaient pas capables, et que ceux qui répondaient « oui » ne se rendaient pas compte de ce que ça représentait au quotidien. Quand on entend ce genre de remarques dans la vie de tous les jours, cela montre bien que la méconnaissance et la peur des troubles psychiques sont encore très importants. 


Il serait particulièrement réducteur de penser que les non-dits concernent uniquement les personnes vivant avec des troubles psychiques. Selon la psychologue Claudine Biland, qui a longuement étudié la question, on peut compter environ un mensonge tous les dix échanges dans une relation établie, et un toutes les trois interactions dans une romance naissante. Après, il faut tout de même distinguer les types de mensonges. Certains sont sans réelle conséquence : c’est ce qui se passe lorsqu’on exagère un succès, qu’on cache une mauvaise habitude ou qu’on passe sous silence une anecdote embarrassante. Bref, quand on cherche à se présenter sous son meilleur jour. Mais d’autres, comme ne pas parler d’une infidélité dans un couple exclusif, de ses dettes financières ou de problèmes professionnels, peuvent avoir un impact bien plus lourd sur une relation. Et pourtant, si on peut penser que cacher un trouble psychique à son partenaire pèse nécessairement sur un couple, ce n’est pas toujours le cas. Chacun doit rester libre de choisir ce qu’il souhaite ou se sent prêt à partager avec l’autre. On n’est pas obligé de tout dire, et surtout, il n’y a aucune raison de culpabiliser. Parler de soi demande du courage et si on n’en est pas capable, ce n’est pas une faute. L’essentiel est de ne pas se tromper soi-même, de ne pas s’effacer sous prétexte de protéger l’autre.

Ne pas parler de son trouble pour faire comme s’il n’existait pas

Morgane (1) a 34 ans aujourd’hui, et elle vit avec un trouble anxieux généralisé. Ses premières crises d’angoisse ont commencé au début de sa vingtaine, après un avortement. Quand elles sont devenues quotidiennes, ses parents ont cru qu’elle devenait… folle. Ils ont même envisagé de l’interner, alors qu’elle avait simplement besoin de temps et de soutien. Marquée par ce manque de compréhension, Morgane a choisi de cacher son trouble. Elle n’en parle qu’à quelques amis proches et évite le sujet avec ses partenaires. Pour elle, garder le silence, c’est une façon de réduire son trouble, comme si l’ignorer pouvait le rendre moins important, voire le faire disparaître. Pendant des années, elle s’est naturellement tournée vers des relations sans attachement profond, où elle n’a jamais ressenti le besoin de se dévoiler. « C’était plus simple comme ça », nous confie-t-elle.


Mais cacher son trouble n’est pas toujours évident. Quand une crise survient, elle doit bien justifier son absence ou expliquer pourquoi elle préfère rester seule. Avec le temps, trouver des excuses est devenu un exercice épuisant, d’autant que ce n’est pas toujours possible. Pourtant, pour Morgane, ce choix reste intimement lié à une peur : celle de ne pas être aimée si elle montre ses fragilités. Ne pas en parler, c’est à la fois une manière de se protéger et une tentative, d’être acceptée pour ce qu’elle voudrait être, et non pour ce qu’elle est parfois contrainte de vivre.


Récemment, Morgane a trouvé la force de s’ouvrir à son copain qu’elle voit depuis plus de six mois. Elle a d’abord attendu qu’il parle de ses problèmes familiaux pour oser parler des siens. Ce jour-là, elle a tout raconté : la première crise d’angoisse et les progrès qu’elle a faits au fil des ans. « Maintenant, ça fait dix ans. J’ai appris à vivre avec, et mes crises sont bien moins fréquentes qu’au début. Mais il y a encore des situations que je ne maîtrise pas, comme prendre l’avion », explique-t-elle. Ce qu’elle retient surtout, c’est le soulagement. « Je lui ai dit comment réagir en cas de crise, qu’il ne fallait pas paniquer. Je me sens plus apaisée, comme si j’avais un allié prêt à me soutenir en cas de besoin. » Pour Morgane, ce pas en avant a été une libération et l’a aidé à avancer dans son rétablissement. Elle vivra toute sa vie avec ce trouble, mais ça ne l’empêche plus d’être épanouie.  

Éviter que le partenaire utilise le trouble comme prétexte à tout

Adrien, lui, a 42 ans. Il vit avec un trouble dépressif depuis presque vingt ans, mais il n’en parle pas. À personne. En couple depuis deux ans, il n’a pas évoqué ce sujet avec son compagnon. « Il sait que je vois un psy, mais aujourd’hui, c’est presque banal, surtout quand on a un travail prenant. Tout le monde parle de burn-out ou de charge mentale. Quand je vais mal, je dis simplement que je suis un peu stressé ou fatigué. Je ne donne pas plus de détails », raconte-t-il. Depuis qu’ils sont ensemble, Adrien n’a pas connu d’épisode dépressif majeur. Les moments difficiles restent dans l’ensemble assez gérables, et il parvient à les masquer. Ce silence, c’est un choix réfléchi : « Chacun a ses petits secrets, son jardin privé. Je ne vois pas l’intérêt de tout partager. Peut-être que si on s’installait ensemble, je me sentirais prêt, puis il me verrait prendre des médicaments, mais pour le moment, ça n’a pas sa place. »


Ce besoin de cacher cette part de lui trouve son origine dans une mauvaise expérience. Adrien a parlé une fois de son trouble, c’était avec la personne avec qui il est resté dix ans. Il lui raconté ses journées passées au lit, ses idées noires dans les pires moments. Mais très vite, ça s’est retourné contre lui. « À chaque dispute, il me disait que c’était moi le problème, que j’étais malade, pas normal, que mes problèmes étaient impossibles à gérer. J’ai regretté d’avoir fait confiance. »


Après cette relation, Adrien a décidé de se taire. Parler de sa dépression, c’était offrir à l’autre une arme qu’il pourrait utiliser contre lui. « Avec mon copain actuel, c’est différent. Je pense qu’il serait compréhensif. Mais une fois que c’est dit, on ne peut plus revenir en arrière. Il y a toujours un risque. Alors, j’attends. » Pour l’instant, Adrien trouve un équilibre dans cette discrétion. « Ce n’est pas toujours facile, mais j’ai appris à gérer mes moments difficiles tout seul. Et puis, je me dis que tout le monde a ses « casseroles ». Moi, c’est celle-là, je fais avec. »

Se sentir libre de parler ou de garder des choses pour soi

Les non-dits existent partout, que l’on vive ou non avec des troubles psychiques. Parfois, garder le silence est un réflexe de protection, mais au bout d’un moment, cela peut aussi devenir difficile à porter. Dans une relation naissante, ce silence peut peser, surtout quand on se pose cette question : « Est-ce que je suis en train de mentir à l’autre ? Est-ce qu’il me le reprochera plus tard ? » Ce doute peut nous empêcher de nous engager, de bâtir quelque chose de durable. Mais se mettre à nu, c’est aussi prendre un risque. Celui d’être rejeté ou, comme cela a été le cas pour Adrien, que l’autre utilise notre différence contre nous.


Chez Plein Espoir, on croit que le choix de parler ou de garder certaines choses pour soi appartient à chacun. Ce qui compte, c’est de savoir pourquoi on fait ce choix. Parfois, se demander ce qui freine l’envie de parler peut ouvrir la porte à des réactions inattendues, à cette sensation précieuse d’être aimé dans toute sa vérité. Mais si le silence nous protège et qu’il reste léger à porter, il est aussi légitime de vouloir se préserver. L’essentiel, c’est de trouver son équilibre, d’être en accord avec soi-même, et d’accepter que chaque parcours est singulier. Parce qu’au fond, que l’on choisisse de parler ou de se taire, l’important est de ne pas fermer la porte à l’idée d’être, un jour, agréablement surpris par l’Autre.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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Couple et troubles psy : et s’il était possible de s’épanouir autrement ?

“Et toi alors, tu as un amoureux ?” On entend dès le plus jeune âge cette question qui se transforme rapidement en forme d’injonction : notre bonheur se niche forcément dans une relation amoureuse.  En réalité, et heureusement, on peut s’épanouir autrement. Et si la solitude peut faire peur quand on vit avec un trouble psychique, elle peut aussi être l’occasion de prendre soin de soi et faire ce qui nous fait vraiment plaisir. Loin des contraintes du couple, on peut se lancer dans des projets personnels ou renforcer des liens importants, comme nos amitiés. Mais attention, il est important de distinguer solitude et isolement : la solitude peut être un espace de liberté, alors que l’isolement est souvent vécu comme une contrainte. D’ailleurs, quand on choisit la solitude, on se rend vite compte que le bonheur ne dépend pas d’une autre personne, mais d’abord de l’amour qu’on se porte et des liens qu’on tisse avec les autres. En tout cas, chez Plein espoir, on en est convaincu : il est tout à fait possible d’être épanoui sans être en couple.

Ces dernières années, on parle de plus en plus d’asexualité, de polyamour, d’amour platonique…, ou même du choix de rester seul. Les mentalités semblent s’ouvrir et l’idée de vivre sans être en couple paraît de plus en plus acceptée. Pourtant, dans les films, les séries et, plus largement, dans la culture populaire, on continue de nous expliquer qu’on serait tous plus heureux en couple. Comme si, sans ce lien – celui qui unit deux personnes autour d’un projet commun – on risquait de passer à côté de l’essentiel. Mais parfois, et plus encore lorsqu’on vit avec des troubles psychiques, on peut réaliser que le couple n’est pas toujours facile à envisager et qu’il n’est pas fait pour nous. Et devinez quoi ? On peut tout à fait s’épanouir autrement. Pour mieux comprendre comment vivre heureux sans être en couple, on a rencontré Lucie, Jessica et Adélaïde, qui ont accepté de nous partager leurs parcours (1).

Ne pas céder aux injonctions de la société 


Lucie, 28 ans, est convaincue de ne pas être faite pour le couple. Célibataire depuis toujours, elle n’a jamais envisagé la vie autrement. Ce n’est ni par peur ni par rejet, mais simplement parce que l’idée du couple ne lui parle pas. Elle n’a jamais ressenti d’attirance particulière pour quelqu’un et considère aussi le sexe comme accessoire. D’ailleurs, quand il s’agit de choisir entre le couple et la liberté, le choix est simple : « Pour moi, être seule, c’est être libre de prendre mes décisions. Je fais mes projets sans avoir à m’ajuster aux envies de quelqu’un d’autre. Mais attention, être célibataire par choix ne signifie pas être isolée ! Mes amis sont essentiels à mon équilibre. J’adore partager des moments avec eux, mais après j’aime autant rentrer chez moi et retrouver mon espace. »


Dépressive chronique depuis près de dix ans, la jeune femme traverse parfois des périodes difficiles marquées par des pensées très sombres. Ses parents, inquiets pour elle, aimeraient qu’elle en finisse avec le célibat : « Ils me disent que je vais le regretter, que plus tard, je serai moins jolie et que je ne pourrai pas avoir d’enfants. Parfois, ils me disent que la vie est de plus en plus chère et que c’est plus facile à gérer à deux. Mais aussi que si ça ne va pas bien dans ma tête, je serais contente d’avoir quelqu’un à côté. » Lucie comprend, mais cela ne change rien : « Je trouve que c’est malhonnête de se mettre en couple juste pour des raisons pratiques, sachant que je ne ressens rien pour l’autre. Et puis, le fait d’être dépressive me pousse encore plus à rester seule. Je n’ai pas envie d’imposer ça à quelqu’un, ni de m’excuser ou de faire semblant quand je ne vais pas bien. » La culpabilité de se sentir « un poids » est une réalité pour beaucoup de ceux qui vivent avec des troubles psychiques. Mais il est important de ne pas oublier que la solitude n’est pas toujours une malédiction. Elle peut aussi être une étape nécessaire : un espace pour se redécouvrir, pour apprivoiser ses blessures avant de se rouvrir au monde, ou à l’autre. 


Bien que ce soit souvent perçu comme un tabou, Lucie se sent épanouie, malgré l’absence de relation amoureuse. De toute façon, ce n’est pas le genre de chose qu’on peut forcer. Elle continue de résister aux pressions extérieures pour vivre selon ses propres choix : en dehors de ce qu’on attend d’elle, mais en harmonie avec qui elle est vraiment. Ce choix lui permet de se recentrer, d’affronter ses peurs et ses doutes sans attendre qu’une autre personne l’aide à le faire. 


« Ce qui compte, c’est de trouver un équilibre. On n’a pas besoin d’un couple pour ça. Moi, ce que j’aime, c’est entretenir des amitiés profondes et profiter de ma vie seule, sans chercher à plaire ou à m’adapter aux autres. » La jeune femme qui se considère comme aromantique (une personne qui ne ressent pas de sentiment amoureux) n’a jamais pensé devenir maman un jour et refuse même l’idée de vivre autrement que seule. Et vous savez quoi ? Ça ne l’empêche pas de réaliser plein de choses ! 

Plus de tranquillité émotionnelle

Contrairement à Lucie, Jessica, 26 ans, a vécu plusieurs histoires d’amour. Par ailleurs, elle n’imagine pas une vie sans sexualité à deux. Pour autant, son trouble borderline a souvent été à l’origine d’incompréhensions dans ses anciennes relations, ce qui l’a beaucoup fait souffrir. « Ma dernière histoire a duré trois ans, et quand la personne avec qui j’étais m’a dit que ça serait bien de s’installer ensemble, j’ai fui. J’avais très peur de m’enfermer avec lui et de ne plus arriver à gérer les moments où je ne vais pas bien. Je passais mon temps à pleurer. » Avec le trouble borderline, on peut parfois avoir du mal à gérer ses émotions, mais aussi, il n’est pas rare qu’un petit malentendu ou un changement de comportement soit vu comme un rejet. Elle nous explique : « Par exemple, quand je ne reçois pas de message pendant une journée, je peux commencer à me dire qu’on m’aime plus ou qu’on me déteste. »


Il y a deux ans, Jessica a donc pris une décision importante : renoncer au couple exclusif, parce que c’était trop difficile. Depuis, elle a trouvé une autre façon de vivre ses relations amoureuses. Elle fréquente trois garçons qui sont aussi des amis de longue date. « Ce qui est important, c’est qu’ils soient d’abord mes amis. Ils connaissent déjà mon trouble, donc ils comprennent mes réactions et ils sont là quand ça ne va pas. » Pour Jessica, ces relations répondent à plusieurs besoins liés à son trouble. Cela lui permet d’éviter la pression d’un couple exclusif qui pourrait réveiller ses peurs, sans renoncer à l’amour. Et si elle traverse une période difficile, elle peut se tourner vers eux sans craindre de les perdre ou qu’ils réagissent mal. C’est sa façon à elle de garder les commandes, de ne plus être embarquée dans le manège des attentes et des désillusions. L’idée qu’un amour puisse réparer ce qui s’effrite à l’intérieur, c’est beau, c’est même tentant. Mais c’est aussi dangereux. Émilie préfère croire qu’un lien solide ne tient jamais à une mission de sauvetage. On ne sauve personne, et surtout pas soi-même, en se perdant dans l’autre.


Bien que cette forme d’amour ne soit pas “classique”, elle nous montre qu’on peut être aimé et soutenu sans les contraintes du couple exclusif. Elle offre aussi un luxe rare : du temps pour soi. Ce petit espace où l’on peut respirer, se retrouver, recoller les morceaux quand l’équilibre vacille. C’est une façon d’aimer qui écoute, qui s’adapte, qui sait vivre au rythme des besoins de chacun. Un acte de courage, en réalité. 

Des phases de trop-plein, puis de vide profond

Adélaïde a 63 ans, et des histoires d’amour, elle en a vécu. Beaucoup. Malgré les montagnes russes de son trouble bipolaire, diagnostiqué à 25 ans. Ce trouble complexe se caractérise par des variations importantes de l’humeur, où l’on passe de périodes de grande énergie à des phases de dépression profonde, où on se retrouve dans une incapacité à se connecter aux autres. L’alternance de ces phases rend les relations stables difficiles à vivre. D’ailleurs, la première fois que Adélaïde a connu la dépression, c’est lorsqu’elle est tombée amoureuse d’un homme alors qu’elle était déjà en couple. Elle se souvient que le mélange de sentiments a été trop difficile à gérer : « Je n’ai pas supporté. J’ai quitté mon compagnon et je suis retournée vivre chez mes parents. Pendant six mois, je n’arrivais pas à prendre soin de moi, si on me disait pas d’aller me laver, je le faisais pas et j’étais incapable de me faire à manger. J’ai fini par être hospitalisée. » 


Avec les années, Adélaïde a appris à comprendre comment elle fonctionne. « Quand je suis dans une phase maniaque, tout me semble possible : je suis pleine d’énergie, je multiplie les relations et mon désir sexuel est important. Mais dès que la dépression arrive, je me referme sur moi-même, je n’arrive plus à m’intéresser à rien ni à personne. Pendant longtemps et que je sois amoureuse ou non, je rompais systématiquement quand je n’allais pas bien. » Il est facile de comprendre que, dans ces conditions, maintenir un couple, avec des projets communs et une vie partagée, est souvent impossible. D’ailleurs, contrairement à beaucoup de femmes de sa génération, Adélaïde n’a jamais aspiré à la maternité ni à bâtir une relation « très sérieuse » avec un homme.  « Depuis toute jeune, quand je rencontre quelqu’un, je suis à fond. Mais au bout de quelques mois, je me lasse, je ne vois plus l’intérêt de continuer. Et puis, j’ai été hospitalisée six fois. Ce n’est pas facile de maintenir des relations stables avec tout ça. »


Aujourd’hui, son état est stabilisé. Et bien qu’elle voit quelqu’un depuis deux ans, elle ne parle toujours pas de couple. Chacun chez soi. Ce qui est important pour elle, c’est de vivre pleinement l’instant, tout en gardant de l’espace pour être heureuse de le retrouver. « On pourrait croire que j’ai raté quelque chose, mais je ne suis pas d’accord. Ça ne m’a pas empêchée d’avoir une carrière épanouie et des amitiés très solides. La plupart de mes amies sont là depuis l’adolescence, et c’est ça qui fait mon équilibre. On dit souvent que les histoires d’amour sont les plus importantes dans la vie, mais pour moi, ce sont mes amitiés qui comptent. Et je ne pense pas que ce soit un amour moins fort. » Avec son parcours, elle nous montre que refuser d’être en couple ne signifie pas du tout renoncer à l’amour. C’est simplement une façon de l’orienter ailleurs : vers l’amitié, la famille, ou même un engagement personnel qui résonne. Se recentrer sur soi, c’est poser les fondations d’un amour plus ancré, plus stable, plus durable. Pas celui qui s’épuise dans les attentes d’une relation classique, mais celui qui se construit lentement, sur des bases plus profondes.

On le sait bien, les troubles psychiques peuvent être invisibles, presque secrets. Mais leurs effets, eux, sont parfois loin de passer inaperçus. Comme Lucie, Sarah, Adélaïde, certains choisissent de renoncer au couple pour ne pas exposer leur partenaire à des crises, des sautes d’humeur imprévisibles, ou des émotions trop lourdes à porter à deux. Ce n’est pas de l’égoïsme, mais un geste d’amour. Un amour, à la fois envers soi et envers l’autre. Pourtant, cette décision, souvent difficile à assumer, soulève une question fondamentale : pourquoi accorde-t-on autant de poids à la vie à deux, au point de considérer la solitude comme un échec ? Si l’on prend un moment pour observer autour de soi, on se rend vite compte que de plus en plus de personnes, même sans troubles psychologiques, choisissent un chemin différent, loin des attentes traditionnelles. Toutes ces histoires nous rappellent que refuser le couple, opter pour une solitude active, ne rime pas avec toujours isolement. C’est plutôt une reconnaissance de ses limites, de ses besoins, et de sa capacité à tisser des liens autrement. Ce n’est pas un renoncement. C’est une manière de se reconstruire, plus fort, plus serein, en toute liberté, et en dehors des contes de fées que l’on nous raconte depuis notre enfance.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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Rupture et troubles psy : quand la fin d’une relation met à l’épreuve nos fragilités émotionnelles

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Bien que la rupture soit souvent perçue comme un passage douloureux mais inévitable de la vie, pour les personnes vivant avec un trouble psychique, elle peut parfois raviver des peurs et fragiliser l’équilibre émotionnel. Après le choc de l’annonce, elle peut aussi être un moment précieux pour apprendre à mieux se connaître, comprendre ses besoins et ses envies. La distinction entre rupture et séparation est importante : la rupture est souvent vécue comme un événement brutal et dramatique, une porte qui claque sur quelque chose d’irrésolu, laissant peu de place à la réflexion. À l’inverse, une séparation est une décision posée, réfléchie, qui permet de mettre fin à une relation en toute conscience. Alors, même si cela prend du temps, il est essentiel de se rappeler qu’une reconstruction est possible et qu’on peut aller mieux.

En 2025, on sait bien chez Plein Espoir qu’il suffit de quelques clics pour commencer une nouvelle relation, et d’un message pour y mettre fin. Un couple sur cinq se sépare avant cinq ans, et un mariage sur deux se termine en divorce, selon l’Insee. La rupture semble presque normale. Pourtant, quand nous la vivons, c’est bien plus qu’un simple événement : c’est un bouleversement profond, un mélange de douleur physique et émotionnelle, un vide où tout semble s’effondrer.


Quand on vit avec des troubles psy, une rupture peut réveiller des peurs anciennes, rouvrir des blessures qu’on croyait guéries et perturber notre équilibre. Pour mieux comprendre ce que cela implique, nous avons rencontré Julien, Leïla et Enzo (1). Ils nous ont raconté leur souffrance, ce vide intérieur, mais aussi expliqué comment, petit à petit, ils ont surmonté cette épreuve, se sont reconstruits et se projettent désormais vers un avenir plus serein.

Une rupture qui peut profondément bouleverser l’équilibre psychique

Leïla, 32 ans, pensait que son histoire allait durer. Huit ans à faire des projets, à vivre des moments simples. Puis, un soir, entre le plat et le dessert, son compagnon lui dit : « Je ne t’aime plus. » La phrase tombe, froide et brutale. Le lendemain, Leïla part se réfugier chez ses parents, perdue, ne sachant pas comment affronter ce qui vient de se passer. « Je pleurais tout le temps, je ne savais même plus quel jour on était. Manger, respirer, même exister… tout semblait impossible », raconte-t-elle. Sa douleur est palpable. Aimer, c’est se donner. Perdre l’autre, c’est parfois se perdre un peu soi-même, on le sait bien.


Pour des personnes comme Leïla, qui souffrent de troubles psychiques, une rupture brutale peut tout chambouler. Son anxiété généralisée, diagnostiquée lorsqu’elle était adolescente, se réveille. Crises d’angoisse, insomnies, pensées obsédantes… tout revient en force. « Mon psychiatre a dû augmenter les doses de mes médicaments, alors qu’on avait commencé à les réduire depuis plus d’un an. C’est comme si je revenais en arrière, en pire », explique-t-elle. Parfois, ces moments sont accompagnés de pensées sombres. Julien, 42 ans, connaît bien cette situation. Lui, qui vit avec une dépression chronique depuis plus de quinze ans, s’effondre lorsque sa compagne de cinq ans le quitte du jour au lendemain. « D’un claquement de doigt, plus rien n’avait de sens », nous dit-il. Il tente de tenir bon, de s’accrocher, mais la douleur devient insupportable : « J’ai pris mon scooter, je voulais que ça s’arrête. Je n’ai pas roulé assez vite. Juste une cheville foulée. Quelques mois plus tard, j’ai pris un couteau de cuisine. Heureusement, ma sœur est arrivée à temps. » Après cet incident, il passe six semaines dans une maison de repos pour se calmer et retrouver un peu de force. Il sait qu’il lui faudra du temps pour aller mieux, parce que la souffrance ne disparaît pas du jour au lendemain. D’ailleurs, il est fréquent de vivre un nouvel épisode dépressif après une rupture. On a tous connu chez Plein Espoir un proche qui revenait dans des états compliqués alors que l’on pensait que c’était derrière lui, même après plusieurs années parfois. Une étude publiée dans le Clinical Psychological Science, montre d’ailleurs que 60 % des personnes ayant déjà traversé une dépression risquent de rechuter après une rupture. Les hommes sont particulièrement touchés : leur risque de rechuter après une rupture est multiplié par 3,3, contre 2,4 pour les femmes.


Parfois, la douleur va encore plus loin. Certains, comme Enzo, 28 ans, tombent dans des comportements autodestructeurs, comme l’alcool, dans l’espoir de soulager un peu la souffrance. Après quelques semaines avec Pauline, elle lui annonce qu’elle ne veut plus jamais le revoir. Enzo, bouleversé, essaie de la convaincre de lui accorder une dernière chance, en vain. Alors qu’il avait commencé à traiter son addiction à l’alcool avec un thérapeute, il retombe dans ses anciennes habitudes. Il nous confie : « Si je ne buvais pas, je repassais sans arrêt l’histoire dans ma tête, cherchant des détails que je n’avais pas remarqués. » Il sait bien que l’alcool n’est qu’un moyen de tenir le coup, mais au matin, la douleur est toujours là.

Des nouvelles routines et un accompagnement thérapeutique

Pour Leïla comme pour Julien, ces ruptures ont ravivé une peur de l’abandon. En psychologie, on parle d’un mécanisme profond, souvent lié à des expériences qui remontent à l’enfance : un parent absent, une séparation brutale ou des schémas familiaux où l’amour semble toujours conditionnel. Cette peur peut rester cachée en nous pendant des années, mais un événement comme une rupture peut la réveiller. On ne voit pas toujours la douleur qu’elle cause, mais elle se manifeste de différentes manières : insomnie, stress accru, voire des inflammations chroniques, selon l’American Psychological Association. Ces effets montrent que la souffrance d’une rupture va bien au-delà de la tristesse. 


Il existe plusieurs façons de nous aider à surmonter une rupture et retrouver un équilibre émotionnel. Par exemple, la thérapie individuelle peut nous aider à mieux comprendre nos comportements, à améliorer l’estime de soi et à apprendre à gérer nos émotions pendant les moments difficiles. Participer à des groupes de soutien permet de partager nos expériences avec d’autres personnes qui ont vécu la même chose, créant ainsi un espace de compréhension et de solidarité. Enfin, adopter des habitudes de bien-être, comme faire du sport, méditer ou pratiquer des activités créatives, peut aider à stabiliser notre état émotionnel. Ces routines sont importantes pour retrouver la sérénité et progressivement se recentrer sur soi.


De retour de sa maison de repos, Julien a continué de voir son thérapeute, mais il a aussi cherché des moyens concrets de reprendre le contrôle de sa vie. Il a décidé de faire du sport un jour sur deux, même si au début, c’était dur de trouver la motivation. Comme il nous le dit : « Au début, je me forçais à sortir du lit, C’était pas facile, j’étais épuisé. » Mais peu à peu, cela devient une habitude. Au fil des semaines, son corps a changé et à améliorer sa perception de lui-même. « C’est devenu essentiel. Le sport m’a permis de mieux dormir, mais aussi de donner un sens à mes journées. » En se concentrant sur des objectifs simples, il a pu détourner son attention de la douleur de la rupture et se concentrer sur ses progrès. « Ce n’était pas juste physique, ajoute-t-il. Ça m’a redonné confiance en moi. » Ce retour au corps l’a aidé à avancer, à se reconnecter à la réalité et à redonner du sens à sa vie.


Pour Leïla, la rupture a été un vrai tournant. Elle l’a vue comme une occasion de travailler sur sa peur de l’abandon et sur son estime de soi. « Depuis que je suis jeune adulte, j’ai toujours été en couple, nous raconte-t-elle. J’avais du mal à exprimer ce que je voulais vraiment, mes désirs, mes envies. Comme beaucoup de personnes qui ont un attachement insécure, je faisais tout pour satisfaire l’autre, pour répondre à ses attentes. C’était difficile de me retrouver seule, je me sentais perdue, je pensais que ma vie n’avait plus de sens sans lui. » Elle a compris qu’elle devait accepter cette réalité pour avancer et faire face à ses propres limites. « Il a fallu que j’accepte mes imperfections. Peu importe ce que je pouvais faire, je devais apprendre à vivre avec ça. » Heureusement, elle a pu compter sur le soutien de sa famille et de ses amis, même si elle reconnaît que le chemin vers la guérison passait avant tout par une réconciliation avec elle-même. Elle a commencé par changer de médecin et augmenter la fréquence de son suivi. Son thérapeute lui a proposé un exercice simple, mais précieux : noter chaque jour ses émotions dans un carnet. Cela l’a aidée à prendre du recul sur ce qu’elle vivait et à voir les choses différemment. En parallèle, Leïla s’est fixée des petits objectifs pour se reconnecter à la vie, comme retrouver ses amis pour boire un verre ou organiser des moments juste pour elle, un « date » où elle prenait soin d’elle. « C’était important de me donner des petites victoires, de voir que j’étais capable d’avancer. » Petit à petit, cette routine l’a aidée à reprendre confiance en elle et à se sentir plus sereine.


Enfin, Enzo a pris une décision importante : il a décidé de s’installer temporairement chez sa meilleure amie pour mieux contrôler sa consommation d’alcool. « Chez elle, je ne pouvais plus me cacher ni me mentir à moi-même », raconte-t-il. En parallèle, il est retourné voir des pairs aidants lors de réunions hebdomadaires, un espace où il a appris à dénouer ses émotions et à progresser. Il s’est aussi donné des objectifs simples, comme lire un livre chaque semaine et marcher au moins trente minutes par jour, pour donner un sens à ses journées. Ce n’était pas toujours facile, surtout quand on alterne avec des moments de mieux et des rechutes. « Parfois, on pense que tout est fini, et d’autres fois, on se sent plus fort, plus calme. Mais avec le temps, j’ai vu que les crises étaient plus faciles à gérer et s’espacent de plus en plus », nous explique Enzo. Grâce aux progrès qu’il a faits, il a franchi une nouvelle étape en réactivant son profil sur une application de rencontre. « Refaire confiance à quelqu’un, ça prendra du temps. Mais je me sens capable d’essayer autre chose. »

Beaucoup d’entre nous l’ont vécu : contrairement à une séparation qui peut être plus maîtrisée, conscientisée, une rupture est souvent brutale, fait écho à des expériences passées inachevées, pas toujours bien intégrées… Elle peut ainsi déstabiliser notre quotidien, fragiliser notre estime de soi en profondeur et nous plonger dans des émotions intenses, parfois difficiles à gérer. Pour les personnes souffrant de troubles psychiques, cette épreuve devient encore plus complexe. Une rupture peut réveiller des angoisses profondes, amplifier nos peurs, réactiver des systèmes de défense devenus peu à peu inutiles, donc destructeurs et donner l’impression qu’il n’y a plus d’issue. C’est pourquoi il est essentiel de s’accorder du temps pour se remettre, de ne pas minimiser ce qu’on ressent, et de chercher du soutien. Ce soutien peut venir de proches, de groupes d’entraide, de pairs aidants qui ont vécu des expériences similaires, ou de professionnels capables d’apporter un accompagnement adapté. Et même si l’avenir sans la personne qu’on aimait semble difficile à imaginer, il peut être plein de promesses. Une rupture, aussi douloureuse soit-elle, peut être un moment pour apprendre à mieux se connaître. Elle nous invite à réfléchir à nos besoins, à nos limites, et aux schémas qui ont marqué nos relations. Cela peut être l’occasion de comprendre ce qui compte vraiment pour nous, ce qui manque dans notre vie, et les changements nécessaires pour avancer. Avec du temps, de l’écoute, et des routines pour aller mieux, il est possible de se reconstruire et de se projeter dans un avenir où le bonheur prend une nouvelle forme.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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La posture du sauveur : comprendre ses limites pour mieux appréhender sa relation amoureuse

Vouloir que son ou sa partenaire aille bien et tout faire pour l’aider, c’est profondément humain. Mais croire que l’on peut véritablement sauver l’autre, surtout lorsque des troubles psychiques s’en mêlent, peut se révéler illusoire et épuisant. Si la posture du sauveur est animée par une intention généreuse, il faut parfois accepter que certaines blessures ne se refermeront pas et apprendre à poser des limites, pour préserver son équilibre et permettre à l’autre d’avancer à son rythme.

Soutenir la personne qu’on aime quand ça ne va pas, c’est instinctif, évident. Mais parfois, ce besoin d’aider déborde. On ne se contente plus d’être là, on veut sauver, réparer. Cette posture du sauveur pose question : jusqu’où peut-on porter la souffrance de l’autre sans y laisser une part de soi ? Quels sont les dangers émotionnels et psychologiques qui en découlent ? Pour mieux comprendre ce qui se joue dans cette dynamique, chez Plein Espoir on est parti à la rencontre de Roxanne, Matthieu, Anaïs, Benjamin et Sarah qui ont accepté de nous raconter leur histoire (1).

Les ressorts de la dynamique du sauveur 

Roxanne croise pour la première fois le regard de Louis dans un couloir du bureau. Il sort d’une rupture difficile, et son visage, marqué par la tristesse, intrigue la jeune chargée de communication. C’est lui qui fait le premier pas, qui l’invite à dîner. Mais dès leurs premiers rendez-vous, Roxanne perçoit la faille. Louis boit plus qu’il ne parle, et ses silences sont lourds, chargés de cette détresse qu’il a du mal à masquer. Et pourtant, elle persiste. « J’avais envie de lui plaire, de le voir aller mieux. Je pensais que ce n’était qu’une mauvaise passe comme cela arrive souvent après une grosse rupture », se dit-elle, comme pour se rassurer.


Une croyance similaire guide Matthieu, étudiant en BTS graphisme, lorsqu’il rencontre Anaïs, une jeune femme qui lutte contre l’anorexie depuis l’adolescence. Attiré par son esprit vif et son humour décalé, Matthieu tombe sous son charme et il se retrouve à devenir son pilier. Dès le début de leur histoire d’amour, il s’investit et n’hésite pas à annuler ses propres projets pour être à ses côtés, espérant qu’il détient la clé pour soulager ses souffrances.


Sarah, enfin, est amie avec Benjamin depuis dix ans, ils ont l’habitude de partager des soirées et des grands éclats de rire. Quand Sarah se sépare du père de sa fille, ils commencent tous deux à se fréquenter et à tomber amoureux. Mais en partageant son quotidien, l’ami revêt un autre visage. Très vite, Sarah se rend compte que, malgré son rôle de père qu’il assume très bien et un travail très prenant, Benjamin lutte contre une addiction à la drogue. Contrairement à ce qu’elle pensait, sa consommation n’a rien d’occasionnelle et d’anodine. Benjamin cherche des réponses à son mal-être dans la consommation de substances, elle en est à présent persuadée et elle commence à douter. En même temps, s’il y a bien une personne qui peut l’aider, c’est elle. 


Dans ces trois histoires, un mécanisme insidieux semble se mettre en place : celui du sauveur. Cette posture se cache d’abord derrière une bienveillance sincère : on se dit qu’avec notre amour et nos efforts, on peut tout changer chez l’autre, l’aider à surmonter ses difficultés, voire des troubles psychiques auxquels nous ne connaissons finalement pas grand-chose. La croyance sous-jacente est simple : « C’est une noble chose à faire, un défi que je dois relever. » On s’imagine être, d’une certaine manière, « meilleures » ou plus aimables que les autres, parce qu’on se dévoue par amour. Cette dynamique, que certains spécialistes qualifient de « codépendance », place le sauveur dans un rôle où il cherche, sans s’en rendre compte, à combler lui-même un vide intérieur ou parfois même à réparer ses propres blessures. Il nous donne également un rôle, une mission qui permet de mettre de côté nos propres problématiques et d’éviter de lancinantes questions. Qui peut-on être si on n’est pas utile, mieux que ça : vital à l’autre ? Mais voilà : quand le changement qu’on espère chez son partenaire n’arrive pas, ou que les progrès alternent avec des rechutes (ce qui est souvent le cas avec les troubles psychiques), et que la reconnaissance tarde à venir, la frustration finit par s’installer. À l’inverse, un rétablissement parfois inattendu laisse dévoiler une relation déséquilibrée, où s’il l’on ne fait plus figure de sauveur, l’attrait pour l’autre s’estompe.

Un rôle qui a tendance à se répéter

Cette envie de tout résoudre, ce n’est pas nouveau pour Matthieu. Trois ans avant Anaïs, il a tout mis de côté pour son ancienne copine qui avait un trouble d’anxiété généralisée. « À la fin, je n’étais plus qu’une coquille vide », se souvient-il. L’idée de « sauver » l’autre l’a beaucoup frustré, et pourtant, avec Anaïs, il retombe rapidement dans le même piège. Il veut être celui qui fait, celui qui soigne, malgré le recul sur ses erreurs passées. Pour lui, comme beaucoup, il admet qu’il est difficile de lâcher le rôle du sauveur parce qu’il offre une illusion de contrôle et de valeur. D’un autre côté, chaque tentative de réparation fait naître une attente et une dépendance mutuelle. Souvent, le geste de sauver l’autre est illusoire parce qu’il est fait malgré lui, sans même l’interroger sur ses besoins réels, ses désirs ou ses valeurs. C’est comme forcer quelqu’un à aller en thérapie : cela n’a ni sens ni efficacité, car aucun changement ne se produit tant que l’autre n’a pas choisi de s’engager lui-même dans cette démarche.


Chez Roxanne aussi, soutenir et vouloir aider les autres est une impulsion qui remonte à l’enfance. Elle n’hésite pas à réorganiser ses journées, à offrir une oreille attentive, à prêter son canapé pour ceux qu’elle aime. Pourtant, cette dynamique n’est jamais sans retour. Les amies, une fois rétablies ou du moins apaisées, ont tendance à s’éloigner, sans gratitude ni explication, ce qui la blesse à chaque fois. Mais contrairement à Matthieu, la jeune femme refuse d’admettre qu’elle se perd dans cette posture. « Peut-être que je suis une bonne poire », dit-elle, comme pour minimiser la souffrance qu’elle endure. Ce rôle de sauveur, loin d’être un choix rationnel pour elle, répond surtout à un besoin profond d’avoir un impact positif sur l’autre. Mais, loin d’être un acte totalement vertueux, il l’empêche aussi de réaliser que son besoin de reconnaissance reste insatisfait. Alors, elle continue à donner, sans voir que cela la vide peu à peu.

Ne plus culpabiliser des blessures de l’autre

Sortir de la posture du sauveur, c’est admettre qu’on ne peut pas guérir l’autre, en tout cas pas comme on l’entend, que l’amour n’est pas une mission à accomplir et qu’il ne peut se substituer à un accompagnement extérieur. Anaïs le comprend avec Matthieu, qui, dans son élan de bienveillance, veut toujours accélérer les choses. « Depuis qu’on est ensemble, je veux qu’elle aille mieux, qu’elle dépasse ses peurs, et j’ai toujours pensé qu’en l’aidant, elle s’en sortirait plus vite », nous confie Matthieu. Pourtant, Anaïs lui a très vite fait comprendre qu’encourager quelqu’un comme elle à se battre n’était pas la meilleure chose à faire, qu’elle avait besoin de temps. Mais il n’arrive pas à l’entendre :  « Mon amoureux ne peut pas mener le combat à ma place. Et quand on me pousse trop à dépasser mes limites, je peux craquer. Il y a des jours où j’avance, et d’autres où je recule. Oui, c’est frustrant, mais c’est ma réalité. » Matthieu doit accepter une vérité fondamentale : l’amour ne consiste pas à imposer son rythme à la personne qu’on aime, mais d’abord à respecter celui de l’autre, même s’il implique des échecs et des reculs. 


Face aux troubles psychiques, vouloir sauver l’autre peut être rejeté par celui qu’on essaie d’aider. Sarah,  croyant que l’intervention de ses amis ferait réaliser à Benjamin que son addiction est un problème, se heurte à un mur. Ce rejet, souvent incompris par celui qui veut apporter son aide, plonge Sarah dans une vulnérabilité qu’elle n’avait pas anticipée. Elle ne perçoit pas immédiatement que Benjamin considère cette intervention comme une humiliation, un affront à sa dignité. Ce rejet n’est pas une réaction rationnelle, mais un mécanisme de défense face à une souffrance qu’il n’est pas encore prêt à affronter. Pour Sarah, c’est une déception amère, une prise de conscience douloureuse : il est possible que ses bonnes intentions soient perçues négativement. « Ça a été un moment très dur, je voulais être là pour lui, lui montrer que je pouvais être un vrai soutien pour lui, qu’il pouvait s’en sortir avec nous tous. J’ai mis du temps à comprendre pourquoi il avait réagi comme ça et j’étais très triste », se souvient-elle.


Roxanne se retrouve elle aussi dans une situation délicate avec Louis, lorsqu’elle comprend que son état se dégrade. Elle lui suggère de consulter un professionnel, mais sa proposition est tout de suite rejetée. Louis lui reproche d’en faire trop et lui demande de s’éloigner pour respirer. Finalement, il préfère rompre avec elle et l’éviter, au point de ne plus répondre à ses messages. Ce rejet brutal laisse Roxanne désemparée, d’autant qu’elle pensait agir pour son bien. Après plusieurs mois de silence, Louis commence à aller mieux : il sort de nouveau, prend soin de lui. Lorsqu’un collègue lui apprend qu’il a rencontré quelqu’un d’autre, Roxanne se sent comme anéantie. « Il avait rejeté mon aide, alors que j’avais tout fait pour qu’il aille mieux. » Cette situation lui révèle une vérité douloureuse : son désir d’aider, même s’il est bien intentionné, ne pouvait pas s’imposer à Louis. C’est lui qui devait faire le choix de se faire aider. Roxanne se rend compte, à travers cette rupture et son rejet, que parfois, il faut savoir se retirer et respecter les limites de l’autre. Elle comprend que l’on peut être là pour quelqu’un, mais dans une certaine mesure. Ce qu’elle prend désormais en compte pour éviter de se perdre dans les problèmes des autres.

Passer du rôle du sauveur à celui de l’accompagnant

Quelques mois après la discussion avec ses amis et la rupture qui en a suivi, Benjamin propose à Sarah de prendre un café. Il commence par s’excuser pour son silence et lui avoue que prendre conscience de son addiction n’a pas été facile. « Avant, je pensais que je contrôlais tout », explique-t-il. Mais cette discussion, qu’il a vue comme une intrusion, a été le déclic. « C’était trop tôt, je n’étais pas prêt à accepter la réalité. » Après des semaines de réflexion, Benjamin a décidé de se rendre aux Narcotiques Anonymes et de faire une pause dans sa consommation pour comprendre l’ampleur de son problème. Sarah n’avait pas tort, mais il lui a fallu beaucoup de temps pour l’accepter, et ce fut douloureux. Son rejet initial de l’aide n’était pas un manque de gratitude, mais une réaction instinctive face à sa vulnérabilité. Aujourd’hui, ils sont ensemble et avancent avec un nouvel équilibre. Sarah a appris à prendre du recul et à ne plus insister sur son addiction, laissant Benjamin la gérer avec ses thérapeutes. Ils se soutiennent sans pression. Leur relation s’est renforcée, non pas par une guérison rapide, mais par la patience et le respect du rythme de chacun.


De son côté, Matthieu a choisi de prendre du recul, une décision qui l’a aidé à comprendre que son amour pour Anaïs ne devait pas être une mission de sauvetage. Après une décennie de hauts et de bas, il a compris que l’amour ne consiste pas à réparer l’autre, mais à l’accepter dans ses moments de souffrance et dans les moments plus légers. Le temps qu’il a pris pour lui, en décidant de partir marcher quelques semaines alors qu’Anaïs était hospitalisée, lui a permis de réaliser qu’il ne pouvait pas être le seul à porter le poids de la maladie. La décision de se détacher temporairement a été un acte de soin pour lui-même, et paradoxalement, cela a renforcé sa capacité à soutenir sa partenaire. Matthieu a compris que, pour que leur relation survive et qu’ils avancent ensemble, il devait prendre soin de lui. C’est ce qui lui a permis de se réinventer dans cette dynamique de couple : être présent et dans l’accompagnement sans chercher à être le sauveur.


Quant à Louis, il revient finalement vers Roxanne, après des mois de silence, avec des excuses sincères et des explications. Après leur rupture, il a consulté un professionnel, où le diagnostic de dépression chronique a été posé. En deux séances, sa vie prend un tournant, et il entame un accompagnement thérapeutique avec des résultats positifs. Il lui explique qu’il regrette d’avoir été aussi dur avec elle et reconnaît l’injustice de sa maladie envers ceux qui ont voulu l’aider. Roxanne accueille cette reconnaissance, mais l’amour qu’elle portait en elle est parti. Elle l’écoute sans chercher à raviver une relation éteinte, heureuse d’une forme de réconciliation, mais sans illusions sur ce qu’ils ont vécu. Elle sait maintenant qu’aimer ne signifie pas tout porter, surtout face à un trouble psychique. Aujourd’hui, comme ils ont décidé de rester amis, elle l’aide d’une autre manière, avec des frontières plus claires. « Je fais attention avant de trop donner », dit-elle, consciente que l’amour ne justifie pas tout sacrifice.


Au final, prendre soin de quelqu’un qui traverse des troubles psychiques est un défi complexe, qui exige une attention délicate et une capacité à poser des limites, et à reconnaître parfois que nous avons, nous aussi, besoin d’aide de professionnels, aux compétences spécifiques. Ce n’est pas une question de se mettre dans le rôle du « sauveur », de chercher à réparer ce qui échappe à notre contrôle, mais de respecter le rythme de l’autre et de comprendre que l’on ne peut pas tout changer. À travers ces expériences, Roxanne, Matthieu et Sarah ont appris à ajuster leurs attentes, à réaliser que l’amour dans sa forme la plus sereine, inclut aussi le respect des frontières de chacun. Loin d’être une forme d’abandon, ce recul devient un acte d’accompagnement, une manière de continuer à être présent sans se perdre soi-même. Si parfois le processus est lent, que c’est parfois frustrant, il permet aussi de renforcer les liens d’une manière plus juste et équilibrée. Après tout, l’amour ne réside pas nécessairement dans la guérison des blessures de l’autre, mais parfois dans la sagesse de savoir quand se retirer pour mieux soutenir la personne qu’on aime. C’est ainsi que, petit à petit, chacun trouve son propre équilibre, entre soutien, compréhension et respect. 

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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