Claire Touzard : Se réapproprier la “folie” pour reprendre du pouvoir


Qui est fou dans ce monde de fous ? Dans son ouvrage Folie et Résistance (éd Divergences, 2025), la journaliste et autrice Claire Touzard s’interroge sur la manière dont notre société perçoit et exclut la folie. Ce mot, moins présent dans la psychiatrie, continue d’être utilisé pour parler de celles et ceux qui ne rentrent pas dans la norme. En mêlant réflexion politique et expérience personnelle, elle nous explique comment la santé mentale sert encore trop souvent à juger, classer et mettre à distance. 

Plein Espoir prend part à cette réflexion collective. Parce que vivre avec des difficultés psychiques ne relève pas seulement de soi. Cela concerne aussi les proches et appelle des appuis autour. Les Groupes d’Entraide Mutuelle, les Clubhouses ou la Mad Pride dont parle Claire Touzard montrent combien la communauté peut changer la donne. On y crée du lien quand tout isole, on y allège ce qui pèse sur les épaules, on y entend des expériences qui se répondent. On y retrouve peu à peu une capacité d’agir, une prise sur son parcours et une manière d’avancer, ensemble.

Ces mouvements s’inscrivent dans l’esprit du rétablissement, né de la volonté des personnes concernées de reprendre prise sur leur vie. Leur phrase fondatrice en dit toute la portée : rien à propos de nous sans nous. Cette approche change le regard. Elle s’éloigne d’une vision centrée sur le manque ou la maladie et rappelle que chacun peut retrouver une place, une voix, un chemin qui lui ressemble. Finalement, dans son récit, Claire Touzard montre que la “folie” ne se réduit pas à un stigmate. Elle éclaire plutôt les limites d’un monde qui exclut vite et nous éloigne parfois du réel. Elle ouvre aussi une invitation à réfléchir à ce qui permettrait, enfin, d’avancer ensemble.

Plein Espoir : Votre livre s’ouvre sur une expérience à la fois intime et politique. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire un récit ?

Claire Touzard : J’étais arrivée à un moment de ma vie où le mot folie s’imposait à moi, mais d’une manière différente. D’un côté, il y avait ce diagnostic de bipolarité qu’on m’avait donné et que je questionnais : selon quels critères, qui décide de ça ? Je voulais comprendre comment on établit ces diagnostics, ce qu’ils disent vraiment de nous.

En parallèle, il y avait ce mot folie qu’on utilisait souvent à mon sujet, notamment parce que j’étais féministe et que je prenais la parole sur des sujets politiques. Alors, je me suis demandé : qu’est-ce qu’on appelle vraiment la folie aujourd’hui ? Qui définit la norme, ce qui est raisonnable ou non ?

J’ai fini par voir que le corps médical, comme le politique, revendiquent chacun ce pouvoir de catégoriser et de contrôler. Et qu’ils se rejoignent, finalement, dans une même logique de normalisation. C’est ce lien que j’ai voulu explorer dans le livre : montrer comment la folie, loin d’être un simple diagnostic, peut devenir un lieu de résistance, à la fois intime et politique.

Plein Espoir : Vous rappelez que le mot folie a peu à peu disparu du vocabulaire médical. Pourtant, dès qu’une personne sort un peu du cadre, on la qualifie aussitôt de folle. Pourquoi ce terme revient-il si facilement quand il s’agit de discréditer une parole ou une idée ?


Claire Touzard : Parce que la folie convoque un imaginaire très fort, un imaginaire de peur et d’altérité. Les fous, ce sont ceux qu’on tient à distance. C’est une peur archaïque, presque viscérale. Traiter quelqu’un de fou a toujours été une manière de le disqualifier. Si on regarde l’histoire, tous les mouvements de contestation ont été confrontés à ça : les militants pour les droits civiques, les féministes, toutes celles et ceux qui ont remis en cause un ordre établi. Le mot fou a servi à décrédibiliser leur parole, à la réduire à une émotion, une impulsion, une irrationalité.

Le pouvoir valorise la raison, la force, la maîtrise tout ce qui s’oppose au passionnel à l’émotionnel, des qualités qu’on a longtemps attribuées aux femmes et aux minorités. C’est une façon très efficace de hiérarchiser le monde : d’un côté, ce qui aurait de la valeur et serait sérieux, de l’autre, ce qu’on renvoie du côté du désordre ou de l’excès. Historiquement, les femmes qui se rebellaient contre leur mari ou contre le patriarcat ont été enfermées, diagnostiquées hystériques, souvent avec l’aide du corps médical (sur ce sujet, nous vous conseillons la lecture de Mon vrai nom est Elisabeth, d’Adèle Yon, ndlr). La folie, l’hystérie, tous ces mots ont servi d’outils de contrôle, dans la continuité d’un ordre à la fois patriarcal et carcéral. Et c’est précisément ce que je questionne dans le livre : à quel moment le soin, ou ce qu’on présente comme tel, devient-il coercitif ? À quel moment ces mots, censés apaiser ou comprendre, servent-ils en réalité à maintenir un ordre politique et social ?

Plein Espoir : Et pourtant, on parle beaucoup de libération de la parole autour de la santé mentale, comme si nos fragilités étaient enfin reconnues, presque valorisées. Est-ce, selon vous, une réalité ou une illusion rassurante ?


Claire Touzard : Non, je ne crois pas que le fait d’en parler davantage signifie que la stigmatisation ait reculé. J’ai même l’impression que, paradoxalement, plus on en parle, plus une autre forme de dévalorisation s’installe : la moquerie, la banalisation. On entend souvent dire : “Ah, maintenant, tout le monde est bipolaire”, comme si le simple fait d’évoquer un trouble suffisait à le rendre dérisoire. La stigmatisation n’a pas disparu, elle s’est simplement déplacée. Aujourd’hui, elle passe par la dérision, et continue de nier la profondeur et la réalité de la souffrance psychique.

En fait, tout cela repose sur une échelle de valeurs profondément politique. Tant qu’on reste dans un monde capitaliste, ce qui est valorisé, c’est la capacité à mettre ses émotions de côté, à taire sa sensibilité pour s’adapter à un système fondé sur l’efficacité et la productivité. Dans ce cadre-là, exprimer sa fragilité est une faute. C’est pour cela, je crois, que de plus en plus de personnes ne s’y reconnaissent plus. Beaucoup refusent d’entrer dans ce moule et n’arrivent pas à s’y sentir bien. Les plus jeunes, notamment, s’auto-diagnostiquent, se disent hypersensibles, recherchent des réponses en ligne. Ce n’est pas seulement une mode : c’est une manière de dire je n’arrive pas à m’intégrer dans une société qui valorise ce que je ne suis pas. 

Mais la vraie question, et c’est celle que je pose dans le livre, c’est : est-ce que ce sont ces personnes qui sont anormales à ne pas réussir à s’intégrer, ou est-ce la société qui est incapable d’accueillir leur sensibilité, leur différence, leur beauté ? Cette multiplication des diagnostics traduit, selon moi, une impasse : on pathologise des personnes qui ne font que réagir à un système violent. Le problème, ce n’est pas elles, c’est le monde dans lequel elles essaient de vivre.

Plein Espoir : Dans le livre, vous expliquez qu’en cherchant à gommer nos fragilités et à contenir nos émotions, la société finit par créer elle-même de la folie. C’est bien cela ?


Claire Touzard : Oui, je le pense. Bien sûr, il y a des personnes qui ont un terrain plus sensible que d’autres, mais j’ai du mal avec cette tendance à tout individualiser, à tout ramener à la génétique.  D’ailleurs et c’est documenté, les traumatismes peuvent modifier la structure du cerveau. Autrement dit, ce qu’on vit, ce qu’on traverse, peut littéralement transformer notre cerveau. Il y a une part neurologique, mais il y a aussi tout le reste comme l’impact des traumatismes, de nos environnements, de nos sociétés, de la violence ordinaire qu’on subit. Tout cela façonne aussi notre psyché. Il ne faut pas l’oublier.

Le système actuel est très culpabilisant. On finit toujours par vous faire sentir que c’est de votre faute. Et surtout, il individualise tout : chacun est censé gérer son trouble, prendre son traitement, faire un effort sur soi. Alors qu’en réalité, le soin devrait être un effort collectif. Il passe aussi par la discussion, par le lien, par ce qu’on crée ensemble.

Plein Espoir : Vous dites que la folie, c’est une autre forme de lucidité. Est-ce cette lucidité-là qui dérange le plus, parce qu’elle met en lumière ce que la société préfère ne pas voir ?


Claire Touzard : Oui, je pense que beaucoup de personnes qui n’arrivent pas à s’intégrer sont, au fond, des personnes sensibles qui renvoient à la société l’image de sa propre violence. Ce sont elles qui perçoivent le plus finement ce qui ne va pas, et c’est précisément pour cela qu’on les considère comme vulnérables ou anormales. Alors qu’en réalité, elles sont peut-être les plus lucides. 

Mais ce savoir-là dérange. Il est dangereux pour l’ordre établi, parce qu’il dévoile les failles du système. Dans le livre, je parle par exemple de la photographe américaine Nan Goldin. C’est une artiste qui a connu l’addiction, et qui, au moment où elle a gagné en reconnaissance, a utilisé sa voix pour dénoncer l’industrie pharmaceutique responsable de la crise des opioïdes. Elle a retourné sa fragilité en force politique et poétique.

Plein Espoir : Vous parlez de la honte, de la peur du jugement, de la violence des mots. Au moment où le diagnostic de bipolarité est tombé, vous dites avoir été laissée dans le flou. Qu’est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ?


Claire Touzard : Déjà, mon diagnostic, je le remets en question. Il n’est pas complètement certain : j’ai vu d’autres psychiatres qui m’ont dit que, peut-être, je ne l’étais pas. Mais au fond, ce n’est pas tant une question de diagnostic. Dès lors qu’on se positionne en dehors des cadres établis, qu’on conteste, qu’on lutte, on finit toujours par être perçu comme une anomalie.

Dans le livre, je cite la philosophe Sara Ahmed, qui explique dans La promesse du bonheur que les féministes ont souvent été traitées de rabat-joie, au point que certaines ont fini par en faire un statut, une identité politique. C’est un peu la même chose avec la folie : à un moment, il faut accepter de regarder ce qu’on nous renvoie, de le questionner, voire de se le réapproprier. C’est une manière de transformer la stigmatisation en force.

Plein Espoir :  Selon vous, le mot folie mérite-t-il d’être réhabilité, comme on a pu le faire avec d’autres termes autrefois stigmatisants ?


Claire Touzard : Aujourd’hui, il y a un vrai mouvement de réappropriation de ce mot. Certains collectifs le revendiquent, comme on l’a fait autrefois avec d’autres termes jugés péjoratifs. Je pense par exemple au mot queer, qui était une insulte avant d’être porté en étendard par les communautés LGBTQ+.

C’est un peu la même chose avec la folie. Des collectifs, comme ceux qui organisent la Mad Pride, cherchent à lui redonner du sens, à en faire quelque chose de vivant, de joyeux, d’assumé. En se réappropriant ce mot, on coupe l’herbe sous le pied de ceux qui l’utilisent pour nous marginaliser. Dire : Vous nous trouvez fous ? Eh bien, on l’est, et on l’assume à notre manière, c’est renverser le stigmate. Je n’ai pas peur de ce mot. Au contraire, je le trouve plus humain, plus juste, que les termes médicaux comme trouble mental, qui me semblent bien plus violents. Ces expressions se veulent bienveillantes, mais elles enferment, elles figent. La folie, c’est un mot vivant, un mot qui respire, qui laisse la place à la complexité et à la liberté.

Plein Espoir : Que faudrait-il repenser en priorité pour que notre société apprenne enfin à accueillir la vulnérabilité plutôt qu’à la stigmatiser ?


Claire Touzard : Il faut changer le système, mais aussi notre manière de regarder le monde. Repenser ce qu’est la diversité, la pluralité. Il faut retisser du lien social, c’est essentiel. Aller vers l’autre, au lieu de le diagnostiquer, de le stigmatiser. Réapprendre à vivre ensemble, à repenser le soin collectivement.

Ce que dit Claire Touzard apporte une lecture forte et personnelle de ce que peuvent représenter les troubles psychiques aujourd’hui. Si nous avons choisi de la mettre en lumière, c’est aussi parce que son point de vue s’inscrit dans un moment où la parole s’ouvre, où l’on accepte davantage de regarder ces questions autrement. Depuis le confinement, les récits se sont multipliés, les prises de conscience aussi, et cette diversité d’expériences a commencé à déplacer le regard collectif. L’année Grande Cause nationale dédiée à la santé mentale a montré que quelque chose est en train de bouger. Des associations, des proches, des collectifs d’entraide et des personnes concernées se mobilisent ensemble et font évoluer les regards. Peu à peu, ces questions commencent à trouver leur place dans une conversation un peu plus ouverte.


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« J’ai transformé mon histoire en force » : grandir avec un parent en souffrance psychique


Mickaël, game designer, vit avec un trouble borderline. Sa mère aux multiples épisodes dépressifs, souffrait probablement du même trouble, mais elle n’a jamais été diagnostiquée ni suivie. Dans ce témoignage pour Plein Espoir, il raconte comment grandir aux côtés d’une mère vivant avec un trouble psychique a façonné sa personnalité et ses choix de vie et surtout, comment il a réussi à transformer cette histoire en force en créant un jeu vidéo immersif qui sensibilise à la santé mentale et explore la complexité des émotions humaines.

Mon projet s’appelle The Others (“les autres” en français, ndlr)  et c’est probablement l’œuvre la plus importante de ma vie. Un jeu vidéo où, en découvrant les pathologies des autres personnages, on se découvre soi-même. Le joueur se met dans les baskets des personnes vivant avec un trouble psychique pour mieux les comprendre. C’est ma façon d’expliquer : « Regardez, c’est ça que vivent ces personnes ! » Quelque part, c’est aussi un moyen de transformer mon histoire personnelle en quelque chose d’utile. Pour comprendre comment j’en suis arrivé là, il faut remonter à mon enfance, qui m’a appris l’empathie d’une manière singulière.

L’image a été générée par une intelligence artificielle

Quand l’enfant devient l’adulte de la maison

Ma mère était une femme triste, toujours habillée en noir, qui écoutait Edith Piaf en boucle, en proie avec de nombreux épisodes dépressifs. Elle avait perdu un enfant juste avant moi et me répétant souvent que j’aurais dû avoir un grand frère. Ce qui fait que je me suis longtemps senti comme un enfant « pansement », celui qui devait réparer cette blessure.

Mon enfance a été marquée par ce qu’on appelle la parentification, c’est-à-dire l’inversion des rôles parent-enfant. Très tôt, j’ai été responsabilisé pour les tâches ménagères : dès 11 ans, je faisais la cuisine, le ménage et je gérais le quotidien, surtout pendant les périodes où mes parents étaient séparés et où ma mère était au plus mal, incapable de sortir de son lit. Je veillais également sur mon frère cadet, qui lui, a été plus épargné. En tant qu’aîné, j’étais un peu le chef de famille par intérim.

Cette situation était complexe à vivre. D’un côté, endosser ces responsabilités me donnait le sentiment d’être indispensable à la maison, avec l’espoir de me faire aimer davantage par ma famille. De l’autre, je ressentais de la frustration, celle de faire des choses qui n’étaient pas de mon âge. Avec le recul, je me dis que j’ai appris plein de choses utiles très jeune et que je suis devenu rapidement autonome, avec un sens des responsabilités assez développé pour mon âge. Mais sur le moment, je vivais surtout dans l’évitement des conflits et dans ce besoin constant de prendre soin des autres, et surtout de ma mère, ce qu’on appelle le syndrome du sauveur.

Mes parents, issus d’une génération qui ne prenait pas soin de sa santé mentale, n’ont jamais consulté. Ils étaient dans un schéma de victimisation permanente, incapables d’entendre la souffrance de leurs enfants. Hélas, ma mère n’a jamais suivi de traitement pour soigner sa dépression. Après plusieurs tentatives de suicide, elle s’est donné la mort l’année dernière, deux jours avant ce qui aurait dû être son premier rendez-vous chez un psychologue. Un cap qu’elle n’a jamais réussi à passer malgré mes encouragements à suivre une thérapie (si vous traversez une période difficile ou avez des pensées suicidaires, contactez le numéro national de prévention du suicide au 3114, accessible gratuitement et anonymement 24h/24 et 7j/7).

Le déclic : comprendre pour mieux se reconstruire

À son décès, j’ai ressenti une culpabilité immense, comme si j’avais échoué à cette mission que je m’étais donnée depuis l’enfance : la sauver. Mais c’est justement ce deuil qui m’a poussé à entamer un vrai travail thérapeutique. Aujourd’hui, avec du recul et un accompagnement au CHU de Montpellier, j’ai compris que ce n’était pas ma responsabilité. J’étais un enfant, puis un jeune adulte qui faisait de son mieux avec les outils qu’il avait.

Le vrai tournant, ça a été mon diagnostic et mon suivi dans un programme pour les personnes atteintes d’un trouble de l’humeur borderline. Deux heures chaque semaine, tous les jeudis, on partage nos récits entre pairs. En observant ce que je ressens et en écoutant les autres, j’ai retrouvé ma mère. Je suis aujourd’hui convaincu qu’elle avait le même trouble que moi, qui d’ailleurs peut avoir un caractère héréditaire.

Les personnes concernées sont hypersensibles, écorchées vives. Elles vivent les émotions de manière très intense et mettent beaucoup de temps à les faire passer. Leurs problèmes d’estime de soi sont souvent amplifiés par des schémas familiaux difficiles. Or ma mère avait elle-même eu une enfance difficile et elle a reproduit ce schéma.

Prendre conscience et se détacher des vieux schémas

Ce qui a vraiment changé pour moi, c’est la prise de conscience. Grâce au suivi thérapeutique, j’ai appris à identifier les mécanismes automatiques qui me guidaient depuis l’enfance. Ce besoin compulsif de sauver les autres, d’éviter les conflits à tout prix, de me rendre indispensable pour être aimé… aujourd’hui, je les reconnais quand ils se manifestent. Et surtout, je peux choisir de ne pas les suivre aveuglément.

Je ne dis pas que c’est facile ou que tout est réglé. Ces réflexes sont profondément ancrés. Mais maintenant, quand je sens que je glisse dans ce rôle de sauveur, je peux m’arrêter et me demander : « Est-ce que je fais ça pour l’autre ou pour apaiser mon anxiété ? Est-ce vraiment ma responsabilité ? » Cette distance critique, c’est ce qui fait toute la différence. Je ne suis plus prisonnier de ces schémas, je les observe, je les travaille.

Mon copain m’aide beaucoup dans ce processus. Nous avons construit une relation saine, où je n’ai pas besoin de m’oublier pour être aimé. C’était nouveau pour moi au début, presque déstabilisant, mais c’est libérateur. J’apprends petit à petit à poser des limites, à dire non, à reconnaître mes besoins sans culpabiliser.

Transformer l’expérience en projet porteur de sens

Aujourd’hui, j’ai la chance d’exercer le métier de game designer alors qu’au départ, j’étais juste un geek qui aimait les jeux vidéo ! Petit à petit, j’ai orienté ma carrière sur des sujets éthiques : diversité, inclusion, accessibilité, impact social. J’avais besoin de trouver de la valeur dans ce que je faisais, mais différemment qu’avant.

La différence, c’est que je ne crée pas mon projet par obligation ou par culpabilité, mais par choix conscient. Je ne cherche plus à « sauver » qui que ce soit. Avec mon jeu vidéo The Others, je veux raconter des histoires émouvantes autour des patients tout en sensibilisant sur les différentes pathologies mentales mais je le fais avec des limites claires, en préservant ma propre santé mentale et mon équilibre.

Ce projet est important pour moi parce qu’il transforme l’expérience difficile de grandir avec un parent qui a un trouble psychique en quelque chose d’utile pour la société. Mais contrairement à l’enfant que j’étais, je sais maintenant que ma valeur ne dépend pas de ce que j’apporte aux autres. Je ne porte plus le poids du monde sur mes épaules. Je crée ce jeu parce que ça a du sens pour moi, pas parce que je dois réparer quelque chose.

Et puis, je m’en suis plutôt bien sorti, je suis fier de mon parcours de vie et d’œuvrer à mon rétablissement chaque jour. Cela n’a été possible que parce que j’ai accepté de demander de l’aide, de suivre un accompagnement thérapeutique, et d’ouvrir les yeux sur les mécanismes qui me guidaient. Mon message aux personnes qui ont grandi dans des contextes similaires, est celui-là : il est possible de se reconstruire, de sortir des vieux schémas, mais cela demande un travail actif. La prise de conscience est la première étape, le suivi thérapeutique est un outil précieux, et s’entourer de personnes bienveillantes fait toute la différence.

Mon histoire avec ma mère n’a pas eu de happy end, mais mon histoire à moi n’est pas terminée. Et aujourd’hui, je peux dire que j’en écris les chapitres avec plus de liberté et de sérénité.

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« Glass child » ou l’enfant invisible face à la maladie d’un parent


Des milliers d’enfants grandissent aux côtés d’un parent en souffrance psychique. Pour ces « jeunes proches », l’empathie et le sens des responsabilités peuvent devenir une seconde nature. Mais ils composent aussi avec la peur ou l’isolement, parfois jusqu’à l’effacement. Plein Espoir a rencontré Hélène Davtian, psychologue, membre de l’association Étincelle & Co — qui anime une communauté de pratique dédiée aux « jeunes proches » et à la parentalité en psychiatrie. Elle plaide pour des réponses concrètes : reconnaître leur place dans les parcours de soins en formant les équipes à les accompagner, sans les réduire à de simples « aidants juniors ».

Plein Espoir : Quand on grandit avec un parent en souffrance psychique, est-ce qu’on grandit comme tous les enfants ?

Hélène Davtian : Un enfant qui grandit avec un parent qui vit avec un trouble psychique, s’adapte en permanence. Ces enfants font de gros efforts de régulation de leurs émotions, tentent de comprendre, s’ajustent aux fluctuations de la maladie. On les appelle parfois des « glass child », des enfants transparents qui vont tout faire pour être invisibles et ne pas attirer l’attention sur leur famille. C’est ce qu’on appelle l’aide par l’effacement. Beaucoup d’enfants taisent leur vécu par peur d’être séparés de leur parent ou crainte qu’il soit hospitalisé de force. Ces enfants ne produisent en général pas de symptômes… jusqu’au moment de l’émancipation, où beaucoup craquent. Une jeune femme me disait récemment : « Comment entrer dans ma vie d’adulte alors que je n’ai jamais été une enfant ? » Cette adaptation forcée a un coût.


Plein Espoir : Quels ressentis reviennent le plus souvent ?


Hélène Davtian : Les enfants évoquent l’isolement, la honte, la culpabilité, l’insécurité. L’adolescence par exemple agit comme un miroir qui active un questionnement envahissant sur l’identité, accentue le décalage entre corps et esprit, et nourrit la peur de « devenir malade » à son tour. Ces émotions résonnent directement avec la souffrance du parent. Elles sont très présentes, mais rarement exprimées. Les adolescents, par exemple, disent souvent que « tout va bien ». Pour connaître l’expérience vécue des enfants d’aujourd’hui, nous travaillons surtout par approches rétrospectives avec des adultes.



Plein Espoir : On parle parfois d’un phénomène de parentification des enfants. De quoi s’agit-il ?


Hélène Davtian : Tout enfant, face à un parent fragile, essaie de compenser, il requalifie son parent, le soutient et devient en quelque sorte son co-parent. Cette  parentification à petite dose, sous forme de solidarité ou d’empathie, n’est pas problématique dans une famille. Le problème, c’est quand l’enfant est figé dans cette posture, il s’épuise et ne peut plus tenir cette place et être à la fois, un enfant en apprentissage. Il y a parfois de la gratification à être un enfant « très mûr », mais aussi des situations trop lourdes, parfois traumatisantes. Certains disent « je ne veux plus jamais voir ma maman ». Ces paroles doivent être entendues. Si elles ne le sont pas, on met en danger la santé mentale de l’enfant.



Plein Espoir : Aider son parent lorsqu’on est en capacité de le faire peut avoir des effets positifs, mais où placer les limites ?


Hélène Davtian : L’enfant peut soutenir, mais cela ne doit pas être quelque chose qu’on attend de lui. Or, ils sont très généreux et vont souvent au-delà pour soulager leur proche. Par exemple, certains accompagnent leur parent dans un délire pour qu’il ne soit pas seul. C’est donc aux adultes de dire : « Là, ce n’est pas ta place. ». Avec Étincelle & Co, nous avons conçu un petit baromètre pour qu’un adulte puisse aider un enfant à aborder ses limites. En psychiatrie, la question des limites est centrale et il faut placer ces limites à la maison également.


Plein Espoir : Vous privilégiez le terme « jeunes proches » à celui de « jeunes aidants » qui est pourtant officiel. Pourquoi ce choix ?

Hélène Davtian : « Jeunes aidants » vient d’une définition anglo-saxonne. Il s’agit de jeunes de tous âges, apportant une aide significative, toutes pathologies confondues. Bien que le terme se soit imposé dans les politiques publiques, il soulève quelques questions, car on considère l’enfant comme un aidant junior dont on valorise l’apport sans fixer de  limites. Dans le même temps, le plan stratégique du gouvernement sur les aidants, développe un volet jeunes aidants où ces derniers doivent prouver qu’ils sont aidant pour recevoir une aide. Sur un plan éthique et au regard de la CIDE (Convention internationale des droits de l’enfant), un enfant ne devrait pas avoir à prouver une contribution pour recevoir de l’aide. Aujourd’hui, on demande souvent une attestation MDPH de la personne aidée pour ouvrir des droits. C’est plutôt simple pour un parent en fauteuil roulant, mais beaucoup moins pour un parent qui refuse le terme « malade ». Avec le terme « jeunes proches », on inclut aussi ceux dont le parent ne se reconnaît pas malade.

Plein Espoir : La considération des enfants doit-elle être davantage prise en compte dans les soins psychiatriques ?


Hélène Davtian : Oui. On vit une époque où la santé est en crise. En 2016, le rapport La Fourcade relatif à la santé mentale, affirmait que le domicile devait devenir le centre de gravité des soins psychiatriques, l’hôpital n’étant plus qu’une exception. Au-delà de la dimension thérapeutique de l’ambulatoire, il y a une dimension économique à faire basculer la charge vers les familles. Mais dans ce rapport, il n’y a pas un mot sur qui est à domicile. Or, dans ces familles, il y a des enfants, des ados et des jeunes adultes dont on ne parle pas ou très peu dans l’organisation des soins. Quand on dit « familles », on pense encore et avant tout aux adultes sur qui repose ce système. En sortie d’hospitalisation psychiatrique, on ne se préoccupe pas de savoir si des enfants sont concernés. Or, il y a là une dimension traumatique qui est rarement retravaillée. Après une crise, l’enfant voit le parent partir en ambulance, puis revenir et personne ne lui parle de ce qui s’est passé.


Plein Espoir :  L’invisibilisation de ces enfants dont vous parlez, complique-t-elle le repérage et la prévention ?

Hélène Davtian : Oui totalement. En France, il n’existe pas de chiffres car la configuration familiale est une donnée médicale, et pas administrative. On s’appuie sur des chiffres étrangers et, en les croisant à l’échelle basse, on peut estimer qu’un tiers des personnes suivies en psychiatrie sont parents d’au moins un enfant mineur. Et pourtant, on en parle très peu. Sans oublier les frères et sœurs. Lorsque je dirigeais une maison des parents en Seine-Saint-Denis, j’ai pu constater un certain vide. Impossible de savoir, via le CMP, quels patients étaient aussi parents. Plus largement, les dispositifs de soutien à la parentalité existent, mais ils sont souvent mal à l’aise avec la question du handicap psychique. Les CLAP (centres de loisirs à parité), qui se déploient dans les régions, abordent la question, mais dans une approche « multi-handicap » qui n’intègre pas toujours la spécificité de la santé mentale. Il y a donc un vrai travail à mener. Notre communauté de pratique veut justement porter cette réflexion, dans une approche polyphonique et holistique.

Plein Espoir : Quelles solutions peuvent être mises en place après hospitalisations et lors du retour à domicile ?

Hélène Davtian : En Belgique, le Dr Frédérique Van Leuven a créé des espaces familles dans les hôpitaux psychiatriques. Nous préconisons la même logique : appliquer les droits de l’enfant en psychiatrie adulte, comme ailleurs. Quand un parent part en ambulance, l’enfant doit pouvoir être rassuré, savoir s’il va bien ou simplement recevoir un câlin s’il en a besoin. Or certains hôpitaux interdisent encore l’accès aux enfants de moins de 15 ans. C’est un vrai problème de démocratie sanitaire. L’enjeu n’est pas de surcharger des équipes déjà épuisées, mais d’organiser le système en formant les soignants en psychiatrie adulte (un patient reste aussi un parent) et soutenir les professionnels de la protection de l’enfance, qui accompagnent eux aussi de nombreux enfants dont les parents vivent avec des troubles psychiatriques.

Plein Espoir :  Pour terminer, pouvez-vous nous indiquer des dispositifs qui pourraient venir en aide aux familles ?

Hélène Davtian : Il y a les Funambules, aujourd’hui gérés par la Fondation Falret (acteur engagé auprès des familles et adhérent de la fédération Santé mentale France), qui propose un accompagnement pour les jeunes de moins de 30 ans dont un proche est en souffrance psychique, la Pause Brindille, qui développe une communauté de soutien de pairs de manière intergénérationnelle. Grâce à des dispositifs comme JEFpsy (Pour Jeune Enfant Fratrie, une plateforme de soutien pour les jeunes ayant un frère, une sœur ou un parent vivant avec des troubles psychiques), on arrive à mettre des mots sur les inquiétudes des enfants et à leur faire prendre conscience qu’elles sont partagées par d’autres jeunes. À l’UNAFAM, j’ai également créé une consultation d’accompagnement parental pour que les parents vivant avec des troubles puissent poser leurs questions, au moment où elles surgissent. Car être parent est de toute façon un apprentissage permanent, qu’on soit malade ou non. Et je crois qu’il faut replacer l’enfant dans son âge en aidant les parents à reprendre leur place. Il manque un maillon à la chaîne pour que le sujet soit considéré et financé dans l’organisation du système de santé.


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Santé mentale et réseaux sociaux : piège ou libération ?


Sur TikTok, Instagram ou X, les hashtags #dépression, #bipolaire ou #anxiété déclenchent des vagues de témoignages. Derrière l’écran, des millions d’internautes racontent leurs vécus, partagent un diagnostic, exposent leur parcours thérapeutique. Les réseaux sociaux ont inventé de nouveaux rituels du dévoilement : une vidéo tournée dans sa chambre, quelques mots confiés sous un filtre esthétique, un post publié au cœur d’une nuit d’insomnie.

Cette libération de la parole a une portée indéniable : elle brise des tabous, permet à chacun de se reconnaître dans les récits des autres, tisse des solidarités virtuelles. Mais elle soulève aussi des questions : à force de se dévoiler en ligne, ne risque-t-on pas de se réduire à une étiquette médicale ? De confondre sincérité et mise en scène ? De transformer la vulnérabilité en norme sociale, voire en argument marketing ?

Pour comprendre comment les codes numériques redéfinissent la manière dont les individus révèlent leurs troubles psychiques, Plein Espoir a interrogé Vanessa Lalo, psychologue clinicienne, spécialiste des pratiques numériques.

Plein Espoir : Les réseaux sociaux sont devenus des espaces de confidences sur la santé mentale. Que change ce dévoilement en ligne ?

Vanessa Lalo : Il bouleverse complètement les façons de parler de soi. Pendant longtemps, les troubles psychiques restaient cachés : on se confiait, au mieux, à un proche ou à un professionnel. Désormais, on peut s’adresser à des milliers de personnes en un clic. Ce dévoilement public peut être un immense soulagement : en voyant d’autres partager leur expérience, on se sent légitime à raconter la sienne. Cela permet de sortir de la honte et de l’isolement. Mais la logique des réseaux pousse à condenser, simplifier, mettre en scène. Or la santé mentale est complexe et n’entre pas toujours dans ces formats courts et esthétiques. 


Plein Espoir : Les hashtags jouent un rôle central dans ce processus. Comment fonctionnent-ils comme outils de dévoilement ?


Vanessa Lalo : Les hashtags sont des portes d’entrée vers une communauté. Publier avec #dépression ou #bipolaire, c’est à la fois revendiquer une identité et chercher un écho. Cela crée une appartenance immédiate : on n’est plus seul, on rejoint une conversation mondiale. Mais il y a un paradoxe : ces mots, qui renvoient à des diagnostics médicaux complexes, circulent de manière banalisée. Ils deviennent des raccourcis pour dire une humeur ou un état passager. Le dévoilement peut alors perdre de sa profondeur : au lieu d’expliquer son vécu singulier, on adopte une étiquette standardisée.



Plein Espoir : Quand on se reconnaît dans ces témoignages, le danger n’est-il pas de s’auto-diagnostiquer ?


Vanessa Lalo : Oui, c’est l’un des risques majeurs. Beaucoup de jeunes reconnaissent des morceaux de leur vécu dans une vidéo et concluent : « C’est moi, donc je suis bipolaire ou TDAH ». Or se retrouver dans un récit ne suffit pas à poser un diagnostic. Mais les réseaux renforcent ce mécanisme : plus on regarde un contenu lié à l’anxiété, plus l’algorithme propose des vidéos similaires. Cela pousse à s’enfermer dans une identité médicale au lieu de consulter un professionnel de santé. 



Plein Espoir : Les influenceurs et les célébrités participent aussi à ce mouvement. Quel est l’impact de leur prise de parole ?


Vanessa Lalo : Leur dévoilement est puissant, car il légitime celui des autres. Quand une célébrité raconte sa dépression ou son burn-out, cela brise un tabou : si quelqu’un d’admiré ose en parler, pourquoi pas moi ? Mais il y a un écart entre ces récits et la réalité du plus grand nombre. Les célébrités disposent de ressources (financières, médicales, sociales, NDLR) que tout le monde n’a pas. Leur manière de se dévoiler peut devenir un modèle, presque une injonction : « Moi j’ai traversé ça comme ça, donc toi aussi tu devrais y arriver ». Ce qui était libérateur peut alors se transformer en pression implicite.


Plein Espoir : Peut-on parler d’une nouvelle « culture de la confession » en ligne ??

Vanessa Lalo : Oui, avec des codes très spécifiques. Le dévoilement se fait souvent sous forme de vidéos courtes, avec une musique évocatrice, des sous-titres, parfois des filtres esthétiques. Cela crée un rituel numérique : on se filme dans l’intimité de sa chambre, mais en suivant des formats très répandus. Raconter sa souffrance devient une manière d’exister sur les réseaux, d’être entendu, reconnu. Il y a une scénarisation, parfois même une compétition implicite qui se crée : qui souffre le plus, qui est le plus authentique, qui suscite le plus d’émotions ? Une dérive qui transforme la vulnérabilité en performance, et qui éloigne du témoignage sincère. 

Plein Espoir :  Le dévoilement peut aussi devenir un levier marketing. Comment cela se traduit-il ?


Vanessa Lalo : On observe en effet une récupération commerciale. Des influenceurs sont sponsorisés pour raconter leur burn-out, des marques associent leurs produits à des slogans sur la vulnérabilité ou l’acceptation de soi. Le témoignage personnel se transforme alors en argument publicitaire. Pour les internautes, c’est très difficile à démêler : est-ce une véritable confession ou une stratégie de contenu ? Cela brouille les repères et peut fragiliser encore plus ceux qui cherchent vraiment de l’aide.


Plein Espoir : Comment les professionnels de santé composent-ils avec cette influence numérique sur les patients ?

Vanessa Lalo : Nous devons l’intégrer, car elle fait désormais partie de la réalité des patients. Beaucoup de jeunes arrivent en consultation en faisant référence aux contenus des réseaux sociaux. Et ça peut être une porte d’entrée : on part de ce que la personne a vu en ligne, et on l’aide à distinguer ce qui relève du vécu personnel de ce qui est un format numérique. Certains collègues investissent eux-mêmes les réseaux sociaux pour expliquer, nuancer, apporter de la complexité aux sujets liés à la santé mentale. C’est une manière d’accompagner ces pratiques sans les laisser uniquement aux algorithmes, aux influenceurs… ou même à ChatGPT, qui devient lui aussi une source de réponses à laquelle les jeunes se réfèrent.

Plein Espoir : En un mot, le dévoilement numérique est-il une chance ou un piège pour les personnes vivant avec un trouble psychique ?

Vanessa Lalo : C’est une avancée énorme, car cela permet à des milliers de personnes de sortir du silence et de trouver du soutien. Mais il ne faut pas en rester à cette première étape. Le dévoilement, pour être réellement libérateur, doit être accueilli, entendu, accompagné. Sinon, il risque de produire de nouvelles normes, de nouvelles cases où l’on s’enferme. Les réseaux sociaux ne sont pas le problème en soi : ils amplifient les paroles. À nous de créer les conditions pour que ces révélations soient le début d’un chemin de soin, et non une simple étiquette affichée au vu et au su de tous.

Pour continuer de vous informer et d’échanger sur la santé mentale sur les réseaux, chez Plein Espoir on vous recommande de suivre des profils inspirants comme Voyageuse au naturel (@voyageuse_au_naturel), François Mallet (@francoismallet_), Mamari (@mamari.munezero), ou encore de vous abonner à la page de Psycom (@psycom_org), organisme public de référence. Une liste non exhaustive de comptes qui sont des sources d’informations qualitatives et bienveillantes, loin des raccourcis et de la désinformation.


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Parler de mon trouble psychique m’a ouvert une nouvelle voie professionnelle


Choisir de parler de son trouble psychique, c’est une décision intime. Mais parfois, ce choix échappe, lorsque la maladie se manifeste brutalement. C’est ce qui est arrivé à Yannick Vialle, après une décompensation sur son lieu de travail. Lui qui redoutait d’être jugé ou mis à l’écart a finalement découvert une autre réalité : en acceptant d’en parler, il a trouvé du soutien et de nouvelles ressources. Pour Plein Espoir, il raconte comment ce dévoilement imposé l’a conduit à repenser sa trajectoire professionnelle et à se réinventer.

En octobre 2016, quand je suis embauché comme consultant en informatique dans une entreprise de solutions digitales juste après mes études, je ne me pose pas du tout la question du dévoilement, parce que je ne sais pas encore que je suis bipolaire. Avec du recul, je me rends compte que j’ai déjà connu des phases, mais à ce moment-là, tout ça me paraît encore très loin.

Dès mon arrivée, ce n’est pas simple. On me dit qu’il faut que je travaille la semaine à Toulouse, alors que je vis à Paris. C’est la première fois de ma vie que je prends l’avion, c’est dire. Mais comme je suis en période d’essai, je garde tout pour moi. Je suis partagé entre l’excitation de cette nouvelle expérience et le sentiment d’être un peu perdu. L’équipe n’est pas vraiment bienveillante, et pour réussir à suivre le rythme, je me mets à mélanger café et Red Bull, ce qui me rend hyperactif. Heureusement, je croise un manager d’une autre équipe qui décide de me prendre sous son aile et me propose de rejoindre son projet. Quelques semaines plus tard, ma période d’essai est prolongée. C’est une nouvelle compliquée à encaisser pour l’estime de soi. Et puis, je dois en parler à mes parents, trouver les bons mots pour expliquer la situation. Je ne le sais pas encore, mais je commence à entrer dans une phase de dépression. Je sens que je ne vais pas bien, mais chaque matin je continue de me lever pour aller travailler, je n’ai pas vraiment le choix.

« Un manque de considération humaine au travail »

Mon manager me fait un retour positif sur mon travail et je suis gardé. On me bascule sur un autre projet, où je suis censé gérer la partie technique, mais dans les faits, personne ne m’écoute et mes propositions ne sont pas prises en compte. En parallèle, ma vie personnelle se complique : je me sépare de ma copine, avec qui j’étais depuis quatre ans. Et là, je change de comportement. Moi qui d’habitude gardais les choses pour moi, je me mets à dire tout ce que je pense, que ce soit au travail ou dans ma vie personnelle. Bien sûr, sans vraiment mettre les formes. Juste pour donner un exemple : la veille de mon départ en vacances, je vois qu’un stagiaire ne prend même pas de pause-déjeuner parce qu’il est débordé. Je vais aussitôt en parler au responsable des stagiaires, qui me conseille d’aller voir la RH, ce que je fais tout de suite.

Quand j’entre dans son bureau, je commence par lui parler du stagiaire, puis de mes propres frustrations. Et là, je ne m’arrête plus. Je me lance dans une logorrhée, tout est un peu confus, mais elle m’écoute sans me juger. Ça compte beaucoup pour moi. Je ne me souviens pas de tout ce que j’ai dit ce jour-là, mais je sais que je lui ai expliqué, par exemple, que j’avais du mal à rester assis devant mon ordinateur, que je travaillais la nuit jusqu’à trois heures du matin parce que je ne supportais plus la pression ni le manque de considération humaine. Le soir même, j’envoie un mail à tous les salariés qui travaillent sur le projet, en mettant en copie cachée les personnes influentes de l’entreprise. Dans ce message, j’explique comment, selon moi, on aurait dû faire les choses pour que ça marche mieux.

« Je me sens tout puissant  »

Je pars à Rome avec mon ex-compagne, parce que le séjour était déjà payé. Vu le contexte, ça ne se passe pas bien. Je dépense énormément d’argent, je me sens tout puissant, comme si rien ne pouvait m’arrêter. Quand on rentre, je vide mes affaires de son appartement en quelques heures. Je lance des cartons dans le couloir. C’est très compliqué de trier quatre ans de sa vie en si peu de temps. Après ça, je rejoins mes parents en Savoie, avec qui je dois participer à un concert. Dans le coffre, j’ai pris toutes mes affaires, mon piano et mon ordinateur. J’ai aussi loué un chalet à 2 000 euros la semaine, ce qui ne me ressemble pas. 

Le lendemain, j’appelle un ami pour lui parler de mon nouveau projet : Dream your life and your life will be a dream. L’idée, c’est de créer un réseau social qui permettrait aux personnes qui partagent le même rêve de se connecter et de s’entraider pour le réaliser. Puis je repense à une collègue avec qui je m’étais disputé, qui est à Reims, et je décide d’aller la voir pour qu’on s’explique. À quatre heures du matin, je prends la route. Je roule à plus de 170 km/h sur l’autoroute et je perds quatre points sur mon permis. En arrivant, comme je n’ai pas son adresse, je sonne à n’importe quel interphone. Les personnes âgées qui me répondent n’ont sans doute pas compris.

Je me repose une heure puis je repars en Savoie. Au chalet, on me reproche de faire trop de bruit, de déranger. À la répétition du concert, c’est la même chose. À ce moment-là, ma sœur m’appelle pour me dire que si je ne me soigne pas, elle ne va pas me lâcher. Cette phrase m’a beaucoup marqué. Et c’est là que me reviennent en tête les informations sur Sainte-Anne que ma collègue de Reims, qui est une ancienne infirmière en psychiatrie, m’avait donné quand on parlait de TDAH. J’appelle au standard et on me dit que si je le souhaite, je peux me rendre aux urgences. Mes parents m’accompagnent, mais je veux absolument conduire. C’est seulement quand un camion se met devant moi que je comprends qu’il faut que j’arrête de rouler à 170 km/h sur l’autoroute, ce qui soulage mes parents.

« Qu’il soit visible ou invisible, le handicap est trop stigmatisé »

À une heure du matin, j’arrive à Sainte-Anne avec l’étrange impression d’être attendu. On me fait remplir un petit formulaire, je vois une infirmière, puis une psychiatre. Je lui parle de mon idée de réseau social et je lui dis que je suis plus fort que Steve Jobs, parce que moi je n’ai pas besoin d’argent : ce qui me rend heureux, c’est de donner du bonheur aux autres. Elle m’écoute, puis à un moment elle me demande : « Est-ce que vous êtes prêt à vous faire soigner ? » J’accepte. On m’installe dans un box et mon père signe une demande de tiers. Le lendemain, j’apprends que je suis dans une unité fermée. J’y reste deux semaines. C’est la première fois qu’on me parle de bipolarité. Je ne me souviens pas très bien de comment je vis l’annonce ni de cette période. Tant que je ne comprends pas ce que ça veut dire, ça ne me fait pas grand-chose.

Quand je reviens au bureau après mon hospitalisation, je repense au mail que j’ai envoyé le jour de mon départ en vacances, et je suis persuadé que tout le monde est au courant. J’ai peur qu’on me regarde de travers, d’être mis de côté. Je vois la médecine du travail, et on me parle de la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Le mot handicapé ne me va pas. Pour moi, c’est de la stigmatisation. Ça renforce l’idée que c’est lié au handicap. Et en France, qu’il soit visible ou invisible, le handicap reste encore stigmatisé. D’ailleurs, puisqu’on parle de mots, moi je préfère l’ancien nom de mon trouble : la psychose maniaco-dépressive. Parce que quand je dis à quelqu’un que je suis bipolaire, souvent la réaction c’est : ah, donc un jour tu dis oui, un autre jour tu dis non. J’aime pas du tout l’effet que ça produit chez les gens.

Le soir de mon retour, quand je suis convoqué dans le bureau d’un manager, je me demande si c’est à cause de ça. Mais non : il veut juste que je rejoigne son équipe, ce que j’accepte. Pendant deux ans, je prends mes médicaments et je suis suivi par un psychiatre au CMP (centre médico-psychologique). À ce moment-là, j’estime que je suis aussi efficace que n’importe qui. Il n’est pas encore question de dévoilement, parce que je n’ai pas vraiment conscientisé ce qu’il se passe.

« Je me sens écouté et c’est un moment important »

Deux ans plus tard, en février 2020, je fais une décompensation chez un client. Pour la première fois de ma vie, je me dis que je ne suis pas capable de retourner au bureau le lendemain. Même pour récupérer mes affaires, c’est impossible. Dès le lendemain, je suis arrêté pendant deux mois. Quand je reviens, la RH, celle avec qui j’ai parlé en 2017, me propose un rendez-vous avec mon responsable et le chef d’équipe. Cette fois, c’est elle qui me parle de la RQTH. Elle me dit qu’elle est prête à m’aider et qu’elle veut que tout se passe bien pour moi dans l’entreprise. J’accepte la main tendue. Au fond, c’est mon premier pas dans le dévoilement. Je ne l’ai pas prévu, mais comme je me sens écouté, c’est un moment important dans mon parcours de rétablissement.

À partir de 2021, je commence à en parler à mes collègues, parce que je ne veux pas me mettre en danger au travail. Tout le monde n’est pas forcément prêt à entendre certaines choses, mais ça se passe mieux que je l’imagine. Un manager me dit même qu’il s’en fiche, que je suis comme je suis. Il ne porte ni jugement positif ni négatif, pour lui c’est juste une part de moi, comme une autre. Désormais, je suis ma priorité. Selon les projets et les collègues avec lesquels je travaille, je tâte un peu le terrain pour voir comment ça peut se passer, mais je n’ai plus peur d’en parler.

Je lance un projet de financement participatif avec la Maison Perchée, une association qui accompagne les jeunes adultes vivant avec un trouble psychique et leurs proches. Je les aide à créer des plaquettes pour leur site et pour les impressions. On a deux mois pour récolter la somme, mais en deux semaines c’est déjà bouclé. J’envoie le lien à mes collègues et je leur demande de relayer. Ça me permet de commencer la sensibilisation autour de moi. Après cette expérience, je fais un bilan de compétences et je me rends compte que l’informatique, ce n’est finalement pas fait pour moi (rires). Je me forme pour être formateur aux premiers secours en santé mentale (PSSM), puis pour devenir médiateur en entreprise. Je deviens aussi animateur de la fresque pour parler de la santé mentale au travail, le même principe que la fresque du climat, pour parler de ces sujets au travail.

« Mon dévoilement m’a aidé à me trouver professionnellement »

Aujourd’hui, je viens de quitter mon entreprise et de créer la mienne : Ympath’Q. Le nom a plusieurs sens. Il y a d’abord le mot impact, parce que je veux avoir un impact positif. Le Y c’est un clin-d’œil à mon prénom, mais aussi l’initiale de You (toi), pour montrer que tout le monde est concerné. Le path représente le chemin, qui peut être plus ou moins long. Et enfin, le Q, pour quotient, symbolise ce qu’on apprend et ce qu’on transmet. L’idée derrière ce nom, c’est qu’avec le savoir expérientiel, le chemin mène toujours vers l’acceptation. Et je continue à avancer. En ce moment, je suis une formation de facilitateur de l’intelligence collective à Lyon, pour apprendre à mieux valoriser l’humain dans l’entreprise.

Mon parcours en entreprise a beaucoup compté dans ma construction, mais j’en ai aussi vu les limites. Aujourd’hui, la question que je me pose est simple : comment vraiment inclure la personne dans toutes ses dimensions au travail ? Pour moi, il est essentiel que les organisations s’intéressent à l’intelligence émotionnelle, c’est-à-dire la capacité à reconnaître, comprendre et exprimer ce qu’on ressent, mais aussi à accueillir les émotions des autres. Je suis persuadé que si les personnes s’autorisent à parler de leurs émotions, ça peut éviter bien des choses : des décompensations, des burn-out, de l’anxiété et tous les autres maux qui rongent le monde du travail.

Je trouve qu’on n’écoute pas assez les autres. On ne demande pas vraiment comment vont les gens autour de nous. Souvent, on se contente d’un « oui » de politesse, tout en cachant ce qu’on ressent vraiment. Malheureusement, tout le monde en souffre. On a le droit de dire qu’on ne va pas bien. Dans mon parcours, j’ai eu la chance de pouvoir parler, d’être entendu sans être dévalorisé, et j’ai envie de porter cet espoir-là. Mais dans beaucoup d’endroits, cette possibilité n’existe pas, parce que la priorité reste la rentabilité, la performance, et tout ce qui va avec.

Finalement, mon dévoilement m’a ouvert une nouvelle voie, celle de mon avenir professionnel, ce que je n’aurais jamais imaginée. Le fait d’en parler m’a permis d’explorer un champ des possibles, de créer des opportunités, mais aussi de me protéger. J’ai pris conscience que l’expression des émotions dans le monde du travail est essentielle. C’est pourquoi, avec mon entreprise, je veux faciliter cette expression pour aider les organisations à devenir plus émotionnellement intelligentes.

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Santé mentale : le jour où ils ont choisi d’en parler


Se dévoiler, parler de sa maladie psychique, n’est jamais anodin. Derrière chaque confidence, il y a un moment charnière. Un mariage, une rencontre, une hospitalisation… Ce déclic peut prendre des formes bien différentes. Retrouvez dans Plein Espoir, ces récits de dévoilement qui montrent qu’au-delà de la peur ou du tabou, parler peut devenir une manière de vivre plus libre et de transformer son histoire.

« J’ai ressenti comme devoir éthique et moral de transparence », Roxane, 35 ans

Je suis pair-aidante depuis sept ans, et si le dévoilement fait partie de ma vie quotidienne, à l’époque où j’étais encore commerciale, ça n’était pas une évidence. Le déclic pour moi, a été le mariage. Quand la relation avec mon compagnon est devenue sérieuse et qu’il était question de construire une vie commune, j’ai ressenti comme un devoir éthique et moral de transparence. Pour que la personne qui allait partager ma vie sache vraiment qui j’étais, avec mes forces mais aussi mes fragilités. J’ai grandi dans une famille où il y avait un tabou sur les troubles psychiques. On a découvert assez tard, après ma première hospitalisation, que d’autres membres de ma famille étaient concernés. Moi-même j’ai traversé des problèmes de santé mentale et d’addiction et mon père est décédé par suicide. Tout ça fait partie de mon histoire et je trouvais essentiel de le dire. Alors il fallait que mon mari comprenne quand un médecin nous demanderait si nous avions des antécédents familiaux et des facteurs de risque pour nos futurs enfants, que c’était le cas. J’ai donc pris un temps spécifique avec lui, pour lui raconter mon parcours et lui laisser la liberté de prendre sa décision en toute connaissance de cause. On engage une autre personne dans le mariage, cette transparence m’a paru essentielle.

« C’était la première fois que je voyais quelqu’un assumer aussi clairement sa maladie », Alizée, 33 ans

Ce qui a changé ma trajectoire, c’est une rencontre au travail. Une collègue, un jour, s’est présentée ainsi : « Je suis borderline, voici ce dont j’ai besoin. » C’était la première fois que je voyais quelqu’un assumer aussi clairement sa maladie. À la fin de la journée, je me suis effondrée dans ses bras, soulagée de ne plus être seule. C’est elle qui m’a encouragée à consulter un psychiatre.

« Transformer mon expérience en message », Vivien, 26 ans

Quand tu disparais plusieurs semaines pour une hospitalisation, que tu perds ton travail, comment le cacher ? Tu te sens coupable de ne pas l’expliquer. Mais j’ai surtout commencé à me dévoiler à certaines personnes, pas pour me plaindre mais plutôt comme une forme de prévention. Par exemple, un collègue plus jeune que moi commençait à consommer. Je lui ai dit clairement que c’était dangereux, que ce n’était pas anodin. Parce que moi, je sais ce que ça implique : des pertes de mémoire, une fragilité qui ne disparaît pas et dans mon cas, ça a entraîné une schizophrénie. J’aime beaucoup Jungle Jack, un rappeur qui a écrit « Le flow ressort de Sainte-Anne sous picouse ». Je me reconnais dans ces mots. Ça me donne envie de transformer mon expérience en message. Aujourd’hui, j’ai arrêté de fumer, je prends mon traitement, et je vois que quand on est sérieux, on peut vraiment s’en sortir. Le dévoilement, pour moi, c’est ça. Prévenir, partager mon vécu pour éviter que d’autres tombent dans les mêmes pièges.

« Il y a toujours une tension entre le silence qui protège et le besoin vital d’être entendu », Léonard, 30 ans

Pendant longtemps, je n’ai parlé de ma dépression à personne. Aux amis, je voulais montrer le meilleur de moi-même. Aux partenaires, j’avais peur d’être vu comme faible. Et au travail, c’était impensable car trop tabou. Même avec les psychiatres, je me sentais incompris. Alors je gardais le silence. Le déclic, ça a été ma mère. Elle vivait avec une schizophrénie marquée par des crises violentes et moi, jeune adulte, je n’en pouvais plus. Un jour, je lui ai tout balancé, que j’étais en pleine dépression, que c’était lié à ce que j’avais vécu avec elle. Elle a d’abord rejeté, incapable d’accepter qu’il puisse y avoir une transmission, un impact sur ma santé mentale. Puis elle s’est mise à pleurer. Pour la première fois, on s’est pris dans les bras. Ce geste inédit a ouvert quelque chose entre nous. Rien n’était effacé, mais un lien réparateur s’était créé. Ce dévoilement m’a appris qu’il y a toujours une tension entre le silence qui protège à court terme, et le besoin vital d’être entendu. Ce jour-là, parler est devenu une tentative de survie.

« Écrire m’a permis de transformer ma souffrance en quelque chose d’utile », Cathy, 43 ans

Avec mes proches, le dévoilement de mon trouble bipolaire s’est fait par étapes, mais ce qui a vraiment marqué un tournant, c’est l’écriture. Un jour, j’ai osé raconter mon histoire dans un livre sur les conseils de mon psychiatre. Certains de mes proches l’ont découvert ainsi. Écrire m’a permis de transformer ma souffrance en quelque chose d’utile, de briser le silence qui m’avait enfermée. Aujourd’hui, je vais bien depuis deux ans. Dire ces choses à mes enfants, mes proches et à d’autres personnes à travers mon livre, m’a libérée. Je ne suis pas qu’un diagnostic, je suis une mère, une femme, une autrice. Et si mon histoire aide à déstigmatiser, alors elle prend tout son sens.

« J’ai choisi de le faire par téléphone », Adrien, 32 ans

J’ai mis près de dix ans avant de parler de mon addiction. Il m’a d’abord fallu un diagnostic, qui a enfin mis des mots sur ce que je vivais. Mes amis s’en doutaient déjà, mais devant mes proches, c’était impensable pour moi d’assumer. C’est après un épisode où je me suis retrouvé au plus bas que j’ai eu envie de me confier à mon ex-compagne, qui est psychologue. Elle a eu peur et a appelé ma mère. C’était le début d’un engrenage. J’ai dû par la suite, expliquer à mes parents ce que je traversais. J’ai choisi de le faire par téléphone, parce que c’était plus supportable pour moi. À partir de ce moment-là, tout s’est débloqué petit à petit. Une fois l’addiction avouée, le reste a suivi plus facilement : la dépression, puis le trouble de la personnalité. Dire les choses m’a soulagé, je n’étais plus seul avec ça. Aujourd’hui, je ne ressens plus cette peur de me dévoiler. Je sais que c’est parfois lourd à entendre pour les autres, mais le silence l’était encore plus pour moi.

« Lorsque j’ai enfin trouvé un traitement stabilisateur qui me convenait », Tonatiuh, 31 ans

Je suis suivi en psychiatrie depuis sept ans. Longtemps, mes parents n’ont rien su. Je voulais les protéger, surtout ma mère. À 25 ans, j’ai évoqué mes traitements. Mon père a réagi avec calme, mais ma mère a paniqué, pleine d’idées reçues. J’ai dû lui expliquer que ce n’était pas une condamnation. Le vrai moment clé pour moi est venu bien plus tard, il y a six mois, lorsque j’ai enfin trouvé un traitement stabilisateur qui me convenait et que je voyais ses effets positifs. Autour d’un verre, j’ai pu dire simplement à mes parents : « Ce traitement m’aide à mieux contrôler mes humeurs, à avoir une vie plus stable. » Ce dévoilement a tout changé. De la peur, on est passé à un vrai échange, basé sur la confiance.

«  J’ai osé en parler publiquement dans une vidéo sur Instagram », Élise, 23 ans

J’avais 20 ans quand, au cours d’une soirée étudiante, une grosse crise d’angoisse m’a littéralement clouée chez moi. Je n’osais plus sortir ou revoir mes amis. Pendant des semaines, je ne vivais plus, je dormais, je me réveillais angoissée. C’est là que j’ai compris que je ne pouvais plus continuer à cacher mon trouble anxieux généralisé. J’ai pris mon téléphone et envoyé un message à mes amis pour leur expliquer mon diagnostic, pourquoi je disparaissais parfois, et surtout que j’avais besoin d’eux. J’étais persuadée qu’ils me rejetteraient. Mais j’ai reçu de l’écoute et du soutien. Ça a été un vrai soulagement pour eux de pouvoir comprendre un peu mieux mes comportements. Plus tard, j’ai osé en parler publiquement dans une vidéo sur Instagram. Mes parents l’ont découverte en même temps que tout le monde et m’ont simplement dit : « On est fiers de toi. » Aujourd’hui, je sais qu’on ne devrait jamais avoir honte d’en parler. Ce n’est pas imposer un fardeau aux autres, mais au contraire, s’autoriser à être soutenu.

« Partager entre pairs m’a fait plus de bien que certaines thérapies », Fadma, 54 ans

Diagnostiquée en 2017, après une hospitalisation brutale, je n’osais pas prononcer les mots « handicap psychique ». J’avais honte. J’avais intégré les clichés que les schizophrènes seraient dangereux, les dépressifs fainéants, les bipolaires instables. Alors je disais simplement que j’étais malade. Le basculement est arrivé quand j’ai été coupée de mon suivi psychiatrique, en pleine période de covid. J’avais refusé le vaccin par peur, et l’hôpital a mis fin à mon hospitalisation. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée seule, avec mon traitement et mon angoisse. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré une médiatrice santé pair. Elle m’a orientée vers un collectif de personnes concernées. Au début, j’étais méfiante, puis j’ai découvert le rétablissement. J’ai vu que l’on pouvait vivre avec un trouble psychique, avoir une famille, un travail. Partager entre pairs m’a fait plus de bien que certaines séances de thérapie. Là, j’ai compris que parler, ce n’était pas une faiblesse mais une force. Depuis, je témoigne à l’IRTS (école des travailleurs sociaux, ndlr) pour sensibiliser et déstigmatiser. Je fais aussi des interventions auprès de collectivités, associations, employeurs. Je me suis dit, en fin de compte, la santé mentale, c’est l’affaire de tous.

« Pour ne pas me sentir seule et pour me protéger », Rachel, 26 ans

Le déclic pour dévoiler à mes parents ma bipolarité, c’était à la fois pour ne pas me sentir seule dans cette épreuve et pour me protéger, me mettre en sécurité. Si jamais il m’arrivait quelque chose demain, au moins il y aurait des gens au courant, capables d’identifier si je vais bien ou non, et de m’inciter à appeler ma psychiatre, à prendre mon traitement.

« Pas pour me définir par ma maladie, mais pour que les gens comprennent », Apolline, 28 ans

Dès le lycée, j’avais des TICs et des TOCs. Je n’en parlais pas comme d’un problème de santé mentale, alors mes camarades se moquaient, sans savoir. Ma famille, elle, avait conscience que j’avais des difficultés. Ce n’était donc pas une surprise quand, il y a deux ans, je leur ai annoncé que je venais d’être diagnostiquée d’un trouble de la personnalité borderline, après plusieurs années de suivi au CMP. Une de mes sœurs m’a répondu : « Je le savais. » et ma mère, elle, dans le déni, pense que ça passera, même si elle me dit qu’elle prie pour moi. Au travail, j’ai choisi d’en parler très tôt aussi, car mes traitements entraînent des effets secondaires visibles et parfois l’impossibilité de sortir de chez moi. Mes employeurs ont été compréhensifs et humains, même lorsque je me suis faite internée en clinique pendant plus d’un mois en arrêt maladie. Dans mes nouvelles rencontres, j’essaie d’amener le sujet assez vite, pas pour me définir par ma maladie, mais pour que les gens comprennent ce que je traverse.

Choisir de parler ou non de sa santé mentale appartient à chacun d’entre nous. Ces témoignages montrent que, lorsque le dévoilement est possible, il peut libérer des tabous et rompre l’isolement, pour créer des liens fondés sur la confiance et la compréhension. Et parfois, il devient une porte ouverte vers le rétablissement.

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Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

« Folie, maladie, schizo… » : quels mots pour parler santé mentale ?


Dire « je suis malade », « je vis avec un trouble », « je suis schizophrène »… Les mots que l’on choisit pour parler de sa santé mentale pèsent lourd. Ils influencent non seulement la manière dont l’entourage réagit, mais aussi la façon dont on s’approprie son propre vécu. Entre peur de stigmatiser, volonté de nommer les choses clairement et besoin de trouver ses propres mots, le dévoilement est un art sémantiquement délicat.

« Je suis malade mental ». C’est avec ces mots, que l’on imagine choisis avec soin, que Nicolas Demorand, journaliste et co-animateur de la matinale de France Inter, a dévoilé son trouble bipolaire, à la radio le 26 mars 2025. Une prise de parole courageuse et directe, saluée par l’opinion dans son ensemble, mais qui soulève plusieurs questions sémantiques importantes. Pour Anne Leroy, la cofondatrice de Positive Minders, une association qui vise à sensibiliser et déstigmatiser les maladies psychiques. « Tous les médias ont repris cette expression en boucle, c’est un peu dommage. Évidemment, chacun choisit les mots qui lui conviennent pour se dévoiler, mais dans ce cas précis, je trouve qu’utiliser les termes de « trouble psychique » ou de « maladie psychiatrique » aurait été plus juste. Car la « maladie mentale » c’est large, ça recouvre aussi les troubles du neurodéveloppement par exemple. »

Si Anne Leroy tatillonne sur ce point, c’est qu’elle connaît les enjeux complexes du vocabulaire en santé mentale. D’un côté, l’expression « malade mental » peut avoir une connotation péjorative et stigmatisante. De l’autre, elle reste plus parlante pour le grand public que des termes comme « troubles psychiques », moins connus mais plus précis médicalement. Un dilemme entre impact médiatique et justesse terminologique.

Cette question de la précision des mots, Anne Leroy l’a vécue dans sa chair lorsqu’elle a accompagné son fils vers un diagnostic. Contrairement à la franchise de Nicolas Demorand, elle se rappelle très bien de la discussion avec le médecin de son fils, qui au moment de poser le diagnostic, avait pris mille détours. Face à cet évitement, elle fut contrainte de prononcer elle-même les mots précis : « mon fils a un trouble schizophrénique, c’est ça ? », ce que le professionnel confirma. Cette réticence du médecin s’explique peut-être en partie par la lourde charge sociale qui pèse sur le mot « schizophrénie ».

Quand les mots effraient

Dans le champ lexical de la psychiatrie, certains termes font plus peur que d’autres, notamment à cause de mauvaises représentations médiatiques. « “Le tueur violent et schizophrène” en est typiquement l’exemple. On l’a vu dans beaucoup de films mais aussi dans le traitement des faits divers par la presse. Des représentations nocives qui pèsent dans l’inconscient collectif et stigmatisent énormément les personnes concernées, elles-mêmes effrayées par ces termes », analyse Anne Leroy. 

Des mots parfois utilisés à tort et à travers qui finissent par se vider de leur sens comme les expressions « je suis schizo » ou « je suis bipole », qui circulent dans les cours de récré pour évoquer le moindre changement d’humeur. Poussée à l’extrême, la connotation négative de certains termes conduit parfois à leur bannissement. C’est le cas d’« asile » ou d’« aliéné », qui évoquent les pratiques psychiatriques du passé, aujourd’hui largement décriées. Quand d’autres mots encore utilisés, mériteraient pourtant d’être questionnés selon Anne Leroy. « J’entends encore trop souvent l’expression “il ou elle est interné”. Alors que non, la personne est hospitalisée, avec un cadre, avec des règles, mais elle n’est pas “internée”. » Une réaction justifiée par la charge négative qui pèse sur la notion d’internement.

Le mot « fou » traîne également un lourd passé stigmatisant. Par exemple, l’expression « le fou du bus », beaucoup employée par les jeunes, désigne cette personne au comportement étrange ou perturbant que chacun évite dans les transports en commun, renforçant les préjugés et la peur autour des troubles psychiques. Ce cliché contribue à marginaliser davantage les personnes en souffrance mentale, réduites à des caricatures inquiétantes. La « folie » peut en revanche être douce, joyeuse… portant aussi une dimension positive. « Ne dit-on pas « avoir un grain de folie » ? » rappelle la cofondatrice de Positive Minders. Dans ces mêmes cours de récré, on qualifie d’ailleurs de « fou » tout ce qui relève de l’extraordinaire, réhabilitant, dans le bon sens, cette expression. Cette ambivalence du terme illustre parfaitement la complexité du langage autour de la santé mentale : les mêmes mots peuvent à la fois blesser et célébrer, selon le contexte et l’intention.

Un enjeu sociétal et politique

Au-delà des histoires individuelles, le choix des mots autour de la santé mentale revêt une dimension sociétale et politique majeure. « Le vocabulaire que nous utilisons collectivement façonne notre rapport à ces questions », souligne Anne Leroy. Quand les médias privilégient systématiquement certains termes, quand les politiques publiques adoptent tel ou tel champ lexical, cela influence directement les représentations sociales et, in fine, l’inclusion des personnes concernées. L’évolution du vocabulaire officiel passé des « malades mentaux » aux « personnes en situation de handicap psychique », témoigne de cette transformation progressive des mentalités. Pour autant, la cofondatrice de Positive Minders constate que « tout édulcorer, ne rend pas forcément service ». Un paradoxe qui révèle la complexité de ces enjeux : entre volonté de déstigmatiser et nécessité de nommer clairement les réalités, la société peine encore à trouver le juste équilibre sémantique.

L’appropriation des mots par les personnes concernées

Faut-il dire « je suis schizophrène » ou « je vis avec un trouble schizophrénique » ? Emré, 31 ans, diagnostiqué récemment, raconte la difficulté de s’approprier ces mots. « Moi je ne dis pas, “je suis”, parce que la maladie ne me définit pas », insiste-t-il. Lui a opté pour un dévoilement radical : une vidéo de neuf minutes diffusée sur ses réseaux sociaux, pour expliquer son diagnostic et son quotidien. Une prise de parole qui a suscité des soutiens inattendus : des amis, d’anciens camarades de classe, des proches de personnes concernées… « Cela m’a montré que je n’étais pas seul », confie-t-il.

Mais chacun avance à son rythme. Pour certains, dire « je suis schizophrène » est une manière assumée de se réapproprier un terme trop longtemps utilisé contre eux. Pour d’autres, il reste préférable d’utiliser des formulations plus neutres. « Seule la personne concernée peut choisir les mots avec lesquels elle se sent à l’aise », rappelle Anne Leroy.

Trouver la bonne oreille

Mais ce n’est jamais simple. « Face à un employeur, à un amoureux, à des proches, on n’a aucune idée de la réaction que cela va susciter », analyse la cofondatrice de Positive Minders. Une chose est sûre : le silence peut blesser encore davantage que la parole. L’association a ainsi accompagné une famille où une sœur et sa mère se déchiraient sur cette question. La première souffrait d’entendre son frère atteint d’un trouble psychique se faire dénigrer par les autres membres de leur famille qui ne comprenaient plus son comportement, tandis que la seconde refusait de révéler quoi que ce soit sur l’état de santé mental de son fils. « Quand ce dernier a pu enfin trouver les mots pour partager son diagnostic avec son entourage, la relation mère-fille s’est apaisée », raconte-t-elle.

Ainsi, se dévoiler ne dépend pas seulement des mots employés, mais aussi de la qualité de l’écoute. Dans la famille, dans le couple, au travail, l’essentiel est de créer un espace sûr où les peurs, les doutes et les besoins peuvent être partagés. « La manière compte autant que le contenu », résume Anne Leroy. Aux proches, elle recommande d’accueillir l’annonce avec bienveillance, sans la minimiser ni la dramatiser. Surtout, de se renseigner sur ce que vit réellement la personne. Aux employeurs, cette ancienne RH devenue cofondatrice d’association, conseille de savoir tendre une « perche » pour aider à libérer la parole des salariés et des candidats à l’emploi. En sachant que tout est affaire de contexte et d’équilibre : nommer clairement les choses, mais avec tact, en choisissant un vocabulaire qui respecte l’expérience sans alimenter les clichés.

En matière de dévoilement, une chose est sûre : il n’existe pas de « bons » ou de « mauvais » mots. L’essentiel est que chacun puisse choisir les siens, dans un cadre où ils seront entendus sans jugement. Chez Plein Espoir on sait combien pour les personnes concernées, réussir à mettre des mots sur son trouble psychique, est un pas de géant pour avancer sur le chemin du rétablissement.

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Trouble psychique : Hop, un programme pour accompagner le dévoilement


Faut-il en parler, ou pas ? Derrière cette question se cache un vrai dilemme pour beaucoup de personnes qui vivent avec un trouble psychique. Si pour certains, se confier ne pose pas de problème ; pour d’autres, c’est une décision lourde qui touche à l’intime. Pour les accompagner dans ce choix, un programme existe : Honnête, Ouvert, Prêt (HOP). En quelques séances, il invite chacun à réfléchir au dévoilement, et surtout à la manière de le faire.

Pour mieux saisir les enjeux de ce programme, Plein Espoir a rencontré Jérôme Favrod, infirmier spécialiste clinique suisse et ancien professeur à l’Institut et Haute École de la Santé La Source à Lausanne, qui  a contribué à son adaptation et à sa diffusion dans le monde francophone.

Plein Espoir : Le programme HOP a été créé aux États-Unis en 2012. Pourquoi vous y êtes vous intéressé au point de l’adapter pour le mettre en place dans le monde francophone ?

Jérôme Favrod : Dans le cadre de mon travail d’infirmier en psychiatrie, je m’intéresse depuis longtemps à la question de la stigmatisation et l’auto-stigmatisation des personnes qui vivent avec des troubles psychiques. En 1986, alors que j’étais à Los Angeles, j’ai eu la chance de rencontrer Patrick W. Corrigan, professeur émérite de psychologie à l’Illinois Institute of Technology, auteur et défenseur des personnes atteintes de maladie mentale, dont j’ai toujours suivi le travail.  À l’origine, ce programme thérapeutique court n’était qu’un chapitre d’un livre qu’il avait coécrit avec Robert Lundin, un usager de psychiatrie. Ensemble, ils ont ensuite choisi de transformer ce texte pour inviter les personnes qui le souhaitaient à échanger sur la question du dévoilement et y travailler avec un accompagnement adapté à chacun.

Ce qui est intéressant, c’est que Patrick Corrigan était lui-même concerné par le trouble anxieux. Dans ses écrits, il raconte à quel point ça lui pesait, comment il se sentait freiné dans ses activités et incapable d’en parler. Jusqu’au jour où il a choisi de faire son “coming out”. Pour lui cette prise de parole a eu un effet libérateur : elle a été bien accueillie et ça ne l’a pas empêché d’être considéré comme un grand chercheur dans sa discipline. 


Plein Espoir : D’après votre expérience, l’auto-stigmatisation est-elle fréquente ?


Jérôme Favrod : C’est très courant ! Généralement, les personnes qui vivent avec un trouble psychique finissent par intérioriser les stéréotypes qui circulent à leur sujet. Elles peuvent se dire : À quoi bon chercher un appartement ? De toute façon, les propriétaires ou les bailleurs ne voudront jamais louer un bien à quelqu’un qui est suivi en psychiatrie. Ou encore : Comment, lors d’un repas de famille, expliquer à mon oncle ou à ma tante, que je n’arrive pas à travailler comme les autres ? Beaucoup finissent par se mettre des barrières, en pensant qu’ils ne trouveront jamais d’emploi ni de partenaire amoureux. Ce mécanisme fragilise profondément l’estime de soi, limite le recours aux soins et la participation aux dispositifs d’accompagnement, en particulier chez les personnes qui vivent avec une schizophrénie. Ses effets se répercutent lourdement, tant sur leur qualité de vie que sur celle de leurs proches.

J’ai beaucoup travaillé sur ces questions avec mes patients, mais je n’ai jamais oublié que dans certains contextes, il valait mieux éviter de se dévoiler. En Suisse, par exemple, la dernière chose à faire est de dire à un employeur qu’on a un trouble psychique, parce que cela risque d’avoir un impact négatif sur la relation de travail. Bien sûr, certains employeurs sont plus ouverts que d’autres. Mais d’après ce que m’ont raconté les personnes que j’accompagne, c’est surtout le cas des entreprises dotées d’un label de qualité sociale, de celles qui ont déjà vécu une expérience positive avec une personne concernée, ou encore dont le dirigeant a lui-même un proche vivant avec un trouble psychique.



Plein Espoir : Pouvez-vous expliquer concrètement comment se déroule le programme HOP, pour celles et ceux qui seraient intéressés ?


Jérôme Favrod : Le principe de Honnête, Ouvert, Prêt (HOP), c’est un programme court : avec trois séances d’une heure, suivies d’une session de rappel un mois plus tard. Les groupes réunissent de trois à huit participants et sont animés par un binôme avec un  médiateur de santé pair et un professionnel de santé.

La première séance invite chacun à peser les avantages et les inconvénients du dévoilement de son trouble psychique. Chacun établit sa propre liste, mise ensuite en perspective selon les contextes — professionnel, familial, amical — et selon leurs effets à court ou long terme. La deuxième session présente différentes façons de se dévoiler et amène les participants à identifier les personnes auprès desquelles cette démarche pourrait être pertinente. On les aide aussi à anticiper les réactions possibles, émotionnelles comme comportementales.

La troisième séance est centrée sur le récit personnel. Les participants apprennent à raconter leur histoire de façon accessible et non stigmatisante. Ceux qui se sont déjà dévoilés partagent leur expérience, repèrent ce qui a fonctionné ou non, et ajustent leur récit. La séance se termine par un récapitulatif et une réflexion sur l’avenir.

Un mois plus tard, une session de rappel permet de revenir sur les intentions de chacun et, pour ceux qui ont choisi de se dévoiler, d’évaluer cette expérience.



Plein Espoir : Pourquoi le dévoilement est-il un moment qui nécessite réflexion, un temps d’arrêt et parfois même un programme d’accompagnement ?


Jérôme Favrod : Tout le monde n’a pas besoin de suivre un programme pour apprendre à parler de son trouble psychique. Mais, pour certaines personnes, il peut être difficile de mesurer les conséquences d’un dévoilement ou avoir du mal à mettre les formes. On peut l’avoir fait une fois, que cela se soit mal passé, et avoir envie de faire autrement. C’est pour cela qu’un accompagnement peut être utile. On peut commencer par un détail, une expérience partagée, comme lorsque la personne en face de nous, nous confie avoir traversé des périodes difficiles. Cela peut ouvrir une porte, puis d’autres, jusqu’à parler plus frontalement de son trouble. Dans notre étude pilote, les résultats se sont révélés très positifs pour les participants. Le programme a donc été traduit et mis à disposition de l’ensemble du public francophone.


Plein Espoir : Est-ce que vous diriez que le dévoilement peut participer au chemin vers le rétablissement ?


Jérôme Favrod : Oui, dans une certaine mesure. Le fait de s’approprier son histoire, d’en parler librement, d’accepter qui l’on est et de la partager avec les autres peut être une façon de reprendre du pouvoir sur sa vie. Les recherches montrent que dévoiler sa maladie psychique peut être une stratégie pour renforcer l’estime de soi et lutter contre les stéréotypes. Après, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de moments difficiles : comme pour tout le monde, il y a toujours des hauts et des bas. 

Récemment, j’ai participé à une conférence où, pour la première fois de ma vie, j’ai raconté l’épisode psychotique que j’avais traversé à 17 ans devant un public. Certains proches le savaient déjà, mais là, c’était devant des centaines de personnes. C’était émouvant, parce qu’on touche à quelque chose de très personnel, et cela réactive aussi des souvenirs douloureux. J’ai vu les réactions dans la salle : certaines personnes étaient choquées, d’autres interpellées. Ce n’est jamais anodin de prendre la parole sur ces sujets, et cela peut changer la manière dont les autres vous perçoivent.

C’est pourquoi il est important d’accompagner ce choix, mais sans jamais en faire une règle. On ne peut pas dire aux gens : “Vous devez passer par l’étape du dévoilement pour vous rétablir.” Chacun a son propre chemin. Je connais d’ailleurs des personnes qui ne se sont jamais dévoilées, qui n’ont même jamais accepté leur trouble psychique, et qui pourtant se sont rétablies. Ce que je souhaite, c’est qu’il existe un maximum d’outils, à la disposition de chacun, libre ensuite de s’en saisir ou non. Et de jamais oublier qu’il n’y a pas une seule voie vers le rétablissement.


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« Comment j’ai dévoilé ma maladie à mes proches »


Vivre avec un trouble psychique ne se résume pas aux symptômes ou aux traitements. Lorsqu’un diagnostic est posé et intégré, l’une des étapes les plus décisives et parfois les plus délicates, c’est le moment où l’on choisit d’en parler à ses proches, de se dévoiler. Comment trouver les mots justes ? Comment affronter les peurs, les tabous, les idées reçues ? Entre désir d’être compris, besoin d’alléger le poids du secret et crainte du rejet, le dévoilement devient un tournant intime et fondateur. Plein Espoir a donné la parole à Tonatiuh, Elise, Cathy et Sophie, pour nous raconter comment le dévoilement peut devenir une force, un chemin vers plus de confiance et de liens.

« Se dévoiler, c’était enfin accepter »

Je m’appelle Elise, j’ai 33 ans et je suis pair-aidante professionnelle depuis quatre ans. C’est un métier encore jeune, nous faisons partie des équipes de soins, avec notre expérience vécue. Avant d’en arriver là, il m’a fallu un long chemin, fait de silence, de peur et de dévoilements parfois maladroits. J’ai grandi dans une famille d’artistes, aimante mais où l’on ne parlait jamais de santé mentale, sinon de manière très stigmatisante. Dès l’enfance, j’ai souffert d’angoisses, de TOCs, d’un trouble anxieux qui s’est aggravé à l’adolescence. Je vivais des moments de déconnexion du réel, terrifiants, mais que je taisais. Dans ma famille, mes souffrances étaient minimisées, on me traitait de « drama », on se moquait. Cela m’a enfermée dans l’idée que je n’étais pas légitime à souffrir.

C’est au lycée que les premières grandes dépressions sont apparues. Mes parents voyaient bien que je n’allais pas en cours, que je passais d’états très bas à une exaltation extrême. Mais dans leur univers, avoir un « grain de folie » semblait presque valorisé. Le diagnostic n’est arrivé que plus tard, après des années d’errance. Le dévoilement à ma famille a été beaucoup plus compliqué. Quand le mot « bipolaire » a été posé, mes proches ont réagi avec déni ou peur. Certains m’ont dit d’arrêter les médicaments et de ne pas me fier au psychiatre. Ma mère, surtout, n’a pas su accueillir ma parole. Je m’attendais à du soutien, j’ai rencontré du déni. Mon père, scientifique, a mis plus de temps, mais il a fini par s’informer, comprendre et dialoguer avec moi. Aujourd’hui, il me demande comment je vais, il s’intéresse à ma fille, il a trouvé ses propres repères pour accepter.

Avec le temps, j’ai appris que le dévoilement n’est pas un acte anodin. J’ai beaucoup travaillé sur la façon de le faire, pour moi et pour les personnes que j’accompagne. Évaluer à qui l’on parle, choisir le moment, adapter les mots, inviter à la discussion. Le faire quand on en ressent le besoin, et seulement à ce moment-là. Parce que se dévoiler, ce n’est pas une obligation : c’est un choix. Avec mes enfants, par exemple, j’ai expliqué simplement, avec des livres ou des images, que mes médicaments « nourrissaient mon cerveau » pour qu’il fonctionne mieux. Au travail aussi, j’ai fini par dire la vérité, plutôt que de m’enliser dans des excuses. J’ai découvert que, même si certaines réactions peuvent blesser, la sincérité soulage toujours. Aujourd’hui, je ne cherche plus la validation de mes parents, ni de quiconque. Je sais que ma souffrance est réelle, que mon parcours est légitime. Et je vois, dans mon rôle de pair-aidante, à quel point l’incompréhension familiale peut être un facteur de rechute. C’est pourquoi j’insiste, réussir son dévoilement, c’est déjà poser une pierre sur le chemin du rétablissement.

« Briser le tabou »

Je m’appelle Cathy, j’ai grandi dans une famille où la psychiatrie était présente, mais entourée de silence. Mon père était maniaco-dépressif, comme on disait alors, mais à la maison on ne prononçait jamais ces mots. On parlait vaguement de « soucis de santé », et ma grand-mère ne voulait surtout pas que cela se sache. J’ai grandi dans ce climat de non-dit et de tabou.

Adulte, ce fut mon tour. J’ai traversé ce que l’on appellerait aujourd’hui un burn-out, suivi de longues années de dépressions. On me soignait avec des antidépresseurs, sans penser à la bipolarité. Jusqu’au jour où une phase maniaque est arrivée. Mon conjoint, déstabilisé, a eu la présence d’esprit de me filmer. Les images ont parlé d’elles-mêmes : mon psychiatre a enfin posé le diagnostic. Au début, je n’y ai pas cru. Moi, bipolaire ? J’ai traversé le déni, cherché d’autres explications, refusé l’évidence. Même ma mère ne voulait pas que l’histoire se répète. Mais peu à peu, j’ai compris qu’un diagnostic était une chance qui signifiait d’être soignée avec les bons médicaments. Et surtout, de pouvoir sortir du flou.

Avec mes proches, le dévoilement s’est fait assez tôt, parce qu’il fallait comprendre ce qui m’arrivait. Mais ce n’était pas simple, chacun avait ses peurs, ses résistances. Ce qui m’a aidée à franchir une étape, c’est l’écriture. Mon psychiatre m’en parlait depuis longtemps, et un jour j’ai osé. Mettre ma vie sur le papier, sans fard. J’ai publié ce livre (La petite fille au sourire figé), pour moi mais aussi pour les autres. Certains proches ont découvert mon histoire en le lisant. C’était une façon de dire les choses sans avoir à répéter, et surtout de transformer ma souffrance en quelque chose d’utile. Ce livre m’a donné la mission de contribuer à libérer la parole, briser le tabou qui a enfermé mon père, et montrer qu’il n’y a pas de honte à vivre avec un trouble psychique. J’ai reçu de nombreux retours de lecteurs, certains y ont trouvé des repères, d’autres de l’apaisement. Moi, j’y ai trouvé du sens. Cela fait deux ans que je vais bien. Les médicaments m’aident, mais avoir une vie qui donne envie, une parole assumée, ça change tout.

Avec mes enfants, j’ai aussi choisi la vérité, adaptée à leur âge. Petits, on parlait d’une « maison pour se reposer » à la place de l’hôpital. Aujourd’hui, adolescents, ils lisent certains passages du livre avec moi. C’est parfois dur, mais au moins les choses sont dites. Je préfère ça au silence que j’ai connu enfant, où l’absence de mots me laissait imaginer le pire. Dire les choses m’a soulagée. Je ne suis pas qu’une maladie, ni qu’un diagnostic. Je suis une femme, une mère, une autrice, une personne qui avance. Et si mon histoire peut aider à déstigmatiser, alors c’est là ma manière de transformer une épreuve en force.

« Les bons mots pour en parler »

Je m’appelle Tonatiuh, j’ai 31 ans, et cela fait sept ans que je suis suivi en psychiatrie. Au départ, les médecins pensaient que j’étais simplement quelqu’un de très déprimé. J’ai été traité aux antidépresseurs, sans vraiment questionner davantage. Mais avec le temps, le diagnostic a évolué. Ce n’était pas une surprise totale, ma grand-mère était bipolaire, et je savais que ce facteur génétique pouvait jouer.

Au travail, j’ai toujours été très transparent sur ma pathologie, pour éviter les malentendus. Je préfère que mes collègues comprennent que mes réactions sont liées à ma maladie, plutôt que d’imaginer que je suis instable ou capricieux. Avec mes parents, en revanche, ça a longtemps été plus compliqué. Sans doute parce que j’avais envie de les protéger, surtout ma mère, et parce que leur regard comptait différemment. C’est au moment de mes premiers traitements que j’ai décidé d’en parler à mes parents. Mon père n’a pas été bouleversé, il connaissait déjà de près la maladie. Ma mère, en revanche, a réagi par la peur : « Il faut que tu arrêtes tout de suite ! » Elle avait en tête beaucoup d’idées reçues, elle ne savait pas exactement ce que ça signifiait. J’ai dû faire un travail de pédagogie auprès d’elle, lui expliquer que non, ce n’était pas une condamnation, mais simplement la nécessité d’avoir un traitement adapté.

J’avais 25 ans à ce moment-là. Mais le vrai dévoilement, celui où j’ai nommé la bipolarité, est venu beaucoup plus tard, il y a seulement six mois. J’ai attendu le bon moment, le bon mot, la bonne façon de le dire. Quand j’ai trouvé un traitement stabilisateur qui me convenait enfin, et que j’ai constaté ses effets positifs dans ma vie, j’ai senti que je pouvais en parler plus sereinement. J’ai commencé par mon père, puis, ensemble, nous avons préparé le terrain avec ma mère. Nous avons eu une vraie discussion, autour d’un verre, où j’ai expliqué simplement : « Ce traitement, il me fait du bien. Il m’aide à mieux contrôler mes humeurs, à avoir une vie plus stable, plus heureuse. » Leurs réactions ont changé. D’abord de la curiosité, des questions dans tous les sens, puis une écoute bienveillante. Ce moment a marqué une bascule, au lieu de cacher, j’ai pu partager. Depuis, il y a plus de confiance entre nous. Mes parents me posent parfois des questions concrètes sur mon suivi, mon psychiatre, mon ressenti. Ça ne se limite plus à un vague « Comment ça va ? », mais à un vrai échange.

Aujourd’hui, je vois le dévoilement comme un acte de confiance. Quand j’en parle, c’est avec des personnes en qui j’ai foi, ou parce que je veux construire cette confiance avec elles. C’est une vulnérabilité assumée. Et je crois que c’est ça qui a changé. Je n’ai plus besoin de prendre mille précautions, d’hésiter pendant des mois avant d’aborder le sujet. Je peux enfin être spontané, et c’est un soulagement.

« En couple, je savais qu’il faudrait le dire »

Je m’appelle Sophie, j’ai 26 ans et mes troubles ont commencé au lycée, puis se sont aggravés après une relation violente. Quand j’ai enfin quitté cet homme, j’ai sombré dans une dépression sévère, ponctuée de plusieurs hospitalisations. On parlait de stress post-traumatique, de mal-être ancien, mais rien n’était encore clairement nommé.

En 2023, lors d’un épisode hypomaniaque, le diagnostic est tombé : trouble bipolaire. Ce n’était pas un choc total, car un psychiatre m’avait déjà prévenu que c’était possible, vu mes réactions aux antidépresseurs. Mais le jour où ma psychiatre a posé les mots, j’ai pleuré dans la rue. J’ai mis du temps avant de rentrer chez moi. Puis je suis allée voir mes parents et je leur ai dit. Ils s’en doutaient. Ils m’avaient vue passer par toutes ces phases, ils savaient. Ma mère a pleuré, mon père a été pragmatique. Ils m’ont dit que ce n’était pas grave, que c’était une maladie comme une autre, un déséquilibre dans le cerveau. Avec les antécédents familiaux, ce n’était pas une surprise. Pour moi, les prévenir, c’était aussi une manière de me protéger, qu’ils sachent, au cas où je dérape, qu’ils puissent réagir et m’encourager à appeler ma psychiatre. J’ai ensuite choisi de le dire à ma sœur, puis à deux amis très proches. Mais il m’a fallu un an avant de franchir le pas. J’avais peur d’être jugée, peur qu’on me considère comme instable. En réalité, mes amis ont été bienveillants. Ça m’a rappelé que la plupart des préjugés viennent de l’extérieur, dans les films, les journaux, qui associent la bipolarité à la violence ou à la dangerosité.

Dans ma vie amoureuse, j’ai choisi la transparence. Quand je me suis mise en couple après le diagnostic, je savais qu’il faudrait le dire. On allait habiter ensemble, il me verrait prendre mes médicaments. Je ne pouvais pas garder ça secret. Mais je voulais bien choisir mes mots. Je me suis dit : un diabétique n’a pas besoin de “faire son coming out”. C’est juste une maladie, il prend son insuline, c’est normal. J’ai voulu considérer ma bipolarité de la même façon. Alors, au détour d’une conversation, je lui ai dit “je suis bipolaire”. Il m’a demandé ce que ça voulait dire. Je lui ai expliqué, et ça s’est bien passé, il a été là pour moi.

Au travail, je n’en parle pas. Dans l’Éducation nationale, ce n’est pas un milieu que je trouve sécurisant et plutôt performatif. J’ai peur que mes collègues me voient autrement, ou que les parents d’élèves l’apprennent. Alors je garde le silence. Le plus difficile reste ma famille à La Réunion. Certains pensent que mes troubles sont liés à la sorcellerie. J’ai même été exorcisée dans une église évangélique. Un jour, lors d’un repas, j’ai fait une crise de panique. Mes oncles, pourtant enseignants, ont dit que j’étais « possédée ». Ces moments sont douloureux et absurdes à la fois. Ils rappellent que se dévoiler n’est pas toujours entendu comme on l’espérait. Mais dans l’ensemble, j’ai eu de la chance car mes proches les plus importants ont accueilli ma parole. Et c’est l’essentiel. Parce que dire, ce n’est pas seulement informer, c’est aussi se protéger, sortir du secret, et trouver un appui.

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Art et pop culture : changer le regard sur les troubles psychiques


Comment représenter les troubles psychiques sans tomber dans le cliché ? Parler des schizophrénies sans effrayer ou exposer la dépression sans la réduire à un simple « manque de volonté » ? Plein Espoir vous fait découvrir Pop et Psy et l’association Arts Convergences, deux initiatives qui démontrent que cinéma et création artistique peuvent devenir des leviers puissants contre la stigmatisation. À travers des œuvres emblématiques et la création, l’art peut participer à une meilleure compréhension des troubles psychiques.

La création comme réponse à la stigmatisation

L’association Arts Convergences, fondée par Laurence Dupin est un acteur essentiel de cette reconfiguration des regards. Pour Plein Espoir, elle livre l’objectif de cette initiative : permettre aux personnes vivant avec des troubles psychiques de développer leurs talents artistiques en dehors des structures de soin, et de retrouver ainsi confiance, visibilité et insertion sociale. « On proposait en général aux personnes vivant avec une maladie psychique, au mieux, des activités créatives dans des hôpitaux de jour ou en CATTP (centre d’aide thérapeutique à temps partiel)… Mais il manquait un véritable espace de création et de valorisation pour certains talents. »

Depuis 2014, l’association organise des ateliers d’arts menés comme de véritables projets professionnels, avec le soutien d’artistes confirmés et de structures culturelles partenaires comme les Beaux-Arts. Chaque projet débouche sur une exposition publique, comme celle organisée lors des Journées du Patrimoine ou à Versailles.

Pour Laurence Dupin, il ne s’agit pas de « soigner par l’art », mais bien de reconnaître des artistes, avec une démarche et une œuvre, indépendamment de leur diagnostic. « Lors des expositions, on ne parle pas frontalement de maladie psychique. Sur les cartels, on présente une œuvre, pas un trouble. Ce sont les artistes eux-mêmes qui choisissent s’ils veulent en parler ou non. » C’est notamment le cas de Pierre, participant de la première exposition de l’association, qui a présenté une vidéo intitulée Voilà quoi. Il y évoque la difficulté du regard social, la solitude liée aux épisodes de crise, et l’ambivalence du diagnostic : « Ses proches pensaient qu’il avait simplement eu des soucis d’alcool. Ce flou est fréquent car on entre souvent dans la maladie psychique par l’addiction. »

Réinterpréter la folie : quand l’art interroge les représentations

Laurence Dupin revendique également le droit d’utiliser le mot « folie », trop souvent mis au ban, pour mieux en interroger les représentations sociales et historiques. En témoigne l’exposition Attributs et Représentations de la folie autour de Jérôme Bosch, menée avec la ville de Saint-Germain-en-Laye.

Partant du célèbre tableau L’Escamoteur, les artistes en ateliers ont été invités à reproduire et réinterpréter les figures médiévales du tableau, en particulier celles incarnant la marginalité ou la différence. Le résultat, de gigantesques personnages en papier mâché, à la fois spectaculaires et inquiétants, exposés dans plusieurs lieux culturels. « Ce tableau, exposé récemment au Louvre, montre comment on représentait la différence au Moyen Âge. Et on voit que certaines caricatures perdurent. L’idée, c’était de se réapproprier ce mot, cette histoire, et d’en faire quelque chose. » Cette démarche s’est poursuivie avec le concours Les Mots de la Folie, lancé par l’association en 2022 et déjà à sa troisième édition. Un projet participatif et artistique, qui invite chacun à jouer avec le langage pour réinterroger avec humour, poésie ou décalage notre rapport aux mots liés à la santé mentale, et ainsi contribuer à décloisonner l’univers de la maladie psychique.

Le cinéma : une représentation des maladies psychiques impactante 

Autre acteur important, qui a choisi l’art et plus particulièrement le cinéma pour parler de troubles psychiques, Jean-Victor Blanc, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, a lancé le concept de Culture Pop et Psy (qui a donné lieu à la parution d’un livre et à un festival annuel, dont la Fondation Falret, adhérent de Santé mentale France est un partenaire majeur).

Son livre éponyme (Pop & Psy, Plon, 2022), ainsi que son festival, ses conférences et podcasts, décryptent les représentations médiatiques des troubles mentaux. Croisant représentations cinématographiques des troubles psy avec les critères cliniques/médicaux, son expérience de terrain et les enjeux du soin psychiatrique, il déconstruit les idées reçues. 

Watchlist : quand la pop culture éclaire notre regard sur les troubles psychiques

La puissance d’un film ne réside pas seulement dans sa narration, elle agit aussi comme un miroir, voire une source d’information (ou de désinformation) sur les troubles psychiques. Via l’analyse d’œuvres bien connues, Jean-Victor Blanc propose une lecture transversale et éclairante. Avec un groupe de psychoéducation de patients, il utilise même le visionnage comme support de réflexion pour briser le tabou autour de la maladie mentale. Dans son livre que Plein Espoir s’est procuré, il dissèque de nombreux exemples en une sorte de watchlist (liste de films) pour mieux comprendre les différents troubles (liste non exhaustive) :

Certains films, à l’image de Happiness Therapy, où Bradley Cooper incarne un homme en rémission d’un trouble bipolaire, sont pertinents et assez réalistes en termes de mise à l’écran de la maladie, selon le psychiatre. Black Swan offre une représentation juste et nuancée des troubles schizophréniques, loin des clichés sensationnalistes. Mélancholia montre bien « l’indifférence au monde, les pensées morbides et l’état stuporeux », caractéristique de la dépression. Ces œuvres populaires, touchantes, parfois dérangeantes, montrent que la souffrance mentale ne résume jamais une personne. Qu’il s’agisse de TOC, d’addiction, en passant par les troubles borderline ou du comportement alimentaire, de nombreux films révèlent ainsi la complexité de maladies souvent invisibles ou méconnues, tout en soulignant l’importance du regard de l’entourage, de la société, et parfois même des soins. Ces récits peuvent, par leur réalisme et leur humanité, contribuer à briser les tabous autour de la santé mentale. 

Quand le cinéma véhicule des clichés

Cependant ces œuvres véhiculent aussi leur lot d’idées reçues ou de clichés à la vie dure. Outre ceux sur les maladies psychiques souvent caricaturés à l’écran, c’est aussi toute une partie de la psychiatrie qui est malmenée . Des traitements efficaces sont par exemple détournés en instruments de torture qui lobotomisent. Vol au-dessus d’un nid de coucou et Shutter Island  traitent ainsi de l’électroconvulsivothérapie (ECT). Pourtant, comme le rappelle Jean-Victor Blanc, c’est aujourd’hui « le traitement le plus efficace contre la dépression sévère ». L’auteur cite encore, les critiques du film Mommy (2014) de Xavier Dolan, qui se sont toutes fendues d’un diagnostic différent sur le personnage principal. « Les Inrocks le voient « un peu psychotique », Libération le qualifie de « demi-givré », le Figaro d’« ado bipolaire » quand d’autres évoquent un TDAH. Pour l’auteur, cela illustre bien le degré d’incompréhension de ces troubles psychiques dans la société : des maladies interchangeables auxquelles sont accolées des fausses étiquettes. Il invite toutefois à une prise de recul : « Le problème n’est pas tant que Vol au-dessus d’un nid de coucou, renvoie une image négative de l’hospitalisation en psychiatrie, mais que, plus de quarante ans plus tard, ce film puisse encore être pris pour une réalité lorsque des soins se révèlent nécessaires. »

Dans une visée éducative, certaines œuvres peuvent ainsi être des leviers de compréhension, qui intégrées dans des programmes de psychoéducation, pour les personnes concernées et leurs proches, aident à lutter contre la stigmatisation et l’auto-stigmatisation, tout en jouant aussi un rôle auprès du grand public.

L’art comme la pop culture peuvent contribuer à faire évoluer les mentalités sur les sujets de santé mentale. L’initiative Pop & Psy, tout comme les projets portés par Arts Convergences, montrent que la fiction et l’expression artistiques peuvent informer, sensibiliser et surtout, humaniser.

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