« La psychoéducation nous a permis de mieux nous comprendre pour mieux vivre ensemble »

Quand une personne vit avec un trouble psychique, c’est tout son entourage qui est impacté. On se sent souvent seul, dépassé, sans clés pour comprendre ce qui se joue. La psychoéducation est l’apprentissage qui permet de mieux comprendre ces troubles pour mieux vivre avec au quotidien. Elle n’est pas réservée qu’aux personnes concernées, mais s’adresse aussi à tous et toutes : proches, amis, partenaires, qui cherchent à soutenir. En apprenant ensemble, on comprend mieux, on communique autrement et on sort de l’isolement.

Pour Plein Espoir, Anne 22 ans et Gilbert 23 ans, en couple, témoignent de cette transformation rendue possible grâce à un programme de psychoéducation.

Plein Espoir : Chez Plein Espoir nous mettons en avant des parcours de vie de personnes concernées par des troubles psychiques et leurs proches : pouvez-vous nous expliquer comment votre vie de couple vous a conduit à découvrir la psychoéducation ? 


Gilbert : C’est au cours d’un voyage en 2018 que j’ai rencontré Anne. Nous nous sommes mariés en 2023. Durant toute notre histoire, j’ai suivi son parcours psy sans jamais avoir vraiment d’aide en tant que proche, jusqu’à ce que je découvre ESPER PRO (une association de médiateurs fondée sur le principe de la pair-aidance et du rétablissement, ndlr). J’ai suivi une journée de formation, puis des séances en visio avec d’autres proches, ce qui m’a aussi permis d’accéder à des ressources pour découvrir ensuite le programme de psychoéducation de Connexion Familiales (Une association d’aide aux proches de personnes touchées par le trouble borderline, ndlr).

Anne : À l’origine, nous étions dans une relation à distance, lui à Orléans, moi à Marseille. C’était très compliqué, car j’avais déjà mon trouble mais je n’étais pas suivie, car ce n’était pas admis dans ma famille. Adolescente, lorsque je me scarifiais, mes parents me punissaient. Je me suis donc longtemps empêchée de parler de ma souffrance. À ma majorité, j’ai commencé un suivi, tout en poursuivant des études de psychologie que j’ai dû arrêter à cause de la dégradation de mon état de santé. Après plusieurs hospitalisations pour tentatives de suicide, on m’a présenté une structure, le CLIP à Marseille, qui proposait un suivi pour des patients sujets aux troubles psychotiques (on pensait alors que j’avais un trouble schizophrénique). Cela m’a donné un premier aperçu de la psychoéducation. J’ai également fréquenté des CMP où on me parlait de dépression, de troubles anxieux, de panique… mais sans jamais vraiment m’expliquer ce que j’avais. Après des années d’errance médicale, en 2023, je change de psychiatre et celle-ci me pose enfin un diagnostic clair : un trouble de la personnalité borderline. Ce fut un choc. Je me suis rendu compte que j’avais perdu du temps à souffrir sans bénéficier des thérapies adaptées. Lorsque j’ai identifié mon trouble, le CLIP m’a orientée vers Isabella Bourrachot, qui proposait un programme dédié avec ESPER PRO.

Plein Espoir : Comment se déroulait votre quotidien avant de découvrir la  psychoéducation ?

Gilbert : C’était très compliqué. Après le lycée, en pleine période de confinement, je m’oriente vers une prépa, mais je me sens isolé à cause du Covid et je dois arrêter ce cursus. Ma famille attribue cet échec à ma rencontre avec Anne. Cet environnement familial très contrôlant et violent, dont je me suis extrait avec difficulté, ne m’a jamais vraiment soutenu. Pour Anne, ma simple présence était déjà beaucoup ; je pense que c’était la meilleure chose que je pouvais faire. Comme elle ne pouvait pas s’exprimer dans sa propre famille, elle se retenait et extériorisait ses émotions avec moi.


Anne : Dans ma famille, je n’avais pas la sensation de pouvoir être moi-même et je me renfermais. Avec Gilbert, nous avions notre espace de parole et rien que le fait de pouvoir m’exprimer dans cette relation saine me faisait du bien. Même si nous n’étions que des ados qui n’y connaissions rien, il a été d’un grand soutien. Le quotidien peut être lourd pour nous. Mon trouble se manifeste par des crises explosives durant lesquelles je peux me faire du mal en surdosant mes médicaments et ou en fracassant des objets. Mais je peux aussi hurler contre l’autre et être violente verbalement. J’ai aussi une phase où je peux être envahie par une sensation de vide. Le gouffre en moi est alors tout ce que je peux ressentir. C’est une crise silencieuse où je m’isole, qui peut durer très longtemps.

Plein Espoir : Aviez-vous des attentes et appréhensions particulières avant d’entamer ce programme ?

Anne : J’espérais enfin être comprise, car jusqu’à présent, je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme moi, et je me sentais très isolée. J’avais aussi ce besoin de mieux vivre au quotidien, de trouver des solutions à partir de ce que je ressentais. Je voulais apprendre à mieux gérer mes crises, à les rendre moins lourdes pour Gilbert. Je sais que je peux être horrible sans le vouloir, que c’est plus fort que moi. Dans ces moments-là, je me sens très mal, incapable de contrôler quoi que ce soit. Je bascule dans un autre univers, je me dissocie complètement.

Gilbert : C’était un peu pareil pour moi. J’avais besoin de rencontrer des personnes qui vivaient la même chose, car ce trouble est très mal compris par l’entourage. Souvent, on me dit que je l’aide trop, que je devrais être plus ferme, lui « mettre un coup de pied aux fesses ». C’est violent à entendre. Alors, rencontrer des gens qui le vivent aussi, ça a été une avancée immense. Comprendre les mécanismes du trouble, pouvoir enfin les expliquer… c’est précieux, parce que c’est complexe, et personne ne nous apprend ça. On a besoin de repères pour savoir comment le proche va réagir, comment on peut l’aider, comment on peut exprimer ce qu’on ressent sans le faire souffrir davantage. Dans notre société, on rejette souvent les émotions fortes. On les invalide. Mais chez Anne, les émotions sont au cœur de sa vie. Et le reconnaître, ça a tout changé. Apprendre aussi à me protéger, à poser mes limites… ça, c’est devenu fondamental.

Plein Espoir : Vous avez une anecdote de moments qui étaient compliqués dans votre quotidien et qui sont mieux gérés grâce à la psychoéducation ?

Anne : Ce n’est pas un souvenir très précis, mais il arrivait souvent quand Gilbert sortait au restaurant ou en soirée avec des amis, qu’il me dise à quelle heure il pensait rentrer. Mais s’il ne respectait pas cet horaire ou ne donnait pas de nouvelles, ça devenait très difficile pour moi. Dans mon trouble, la peur de l’abandon est très forte. Pour lui, ce n’était pas grave d’avoir une heure de décalage. Mais pour moi, rester seule sans nouvelles, c’était insupportable. Grâce à la psychoéducation, on a appris à mieux communiquer sur ces situations. Maintenant, on se donne un créneau pour son retour, et s’il y a du changement, il me prévient. Et avant de sortir, il fait attention à moi, il peut m’aider à préparer un repas, me proposer un film à regarder. Ce sont des gestes qui montrent qu’il prend soin de moi, même en son absence.

Plein Espoir : Comment se déroulaient les séances de groupe ? Avez-vous vécu des prises de conscience et des moments marquants ?

​​Anne : C’était très enrichissant, mais aussi mentalement éprouvant. Les gens partageaient leur vécu, ce qui faisait souvent écho à notre propre histoire. Ça réveillait beaucoup de choses, parfois douloureuses mais chacun pouvait entendre ou parler de ce qu’il voulait. J’ai pris conscience de nombreuses réalités, notamment des violences en milieu psychiatrique. Mais ce qui m’a surtout marquée, c’est de comprendre que les violences que j’ai subies dans mon enfance sont au cœur de ma souffrance actuelle. On m’avait toujours dit : « Tu es comme ça, c’est ta personnalité », comme si c’était figé. Mais ce n’est pas vrai. Ma prédisposition génétique est minime, c’est surtout l’environnement qui a façonné mon fonctionnement. Cette prise de conscience m’a redonné du pouvoir sur moi-même. J’ai compris que je pouvais agir. On nous a aussi expliqué comment notre cerveau fonctionne différemment. Un schéma m’a marquée, il montrait la différence de traitement des émotions entre une personne « neurotypique » et une personne avec un trouble borderline. Par exemple, si quelqu’un entend un bruit inquiétant dans la rue, il a peur, se retourne, constate que ce n’était rien, et la peur redescend rapidement. Chez moi, l’émotion monte beaucoup plus haut… et met des heures, parfois des jours, à redescendre. Ce n’est pas un manque de volonté. C’est une réalité biologique. La psychoéducation, c’est un peu comme apprendre à hacker son cerveau. Dans une prise de décision, on apprend à analyser la situation, à observer les options… à freiner l’impulsion. Sauf que, chez les personnes borderline, ce mécanisme est altéré. On doit donc apprendre à reprogrammer notre manière de réagir, pour ne pas répondre systématiquement par l’impulsivité. C’est un long processus qui peut prendre des années.

Concrètement les séances se faisaient en groupe d’une vingtaine de personnes maximum. Le programme durait 16 séances : les 10 premières étaient axées sur la psychoéducation, les 6 suivantes sur des exercices pratiques, notamment sur la gestion des relations interpersonnelles. Ce qui faisait vraiment du bien, c’était de découvrir que le trouble borderline, malgré sa lourdeur, peut aussi être une force. Dans certaines situations, c’est un véritable atout.


Gilbert : Tout est parti d’une discussion dans leur groupe où l’idée a émergé de proposer quelque chose pour les proches. Il y a d’abord eu une journée de formation, qui a ensuite donné naissance à des visios en petit groupe, uniquement entre proches. Lors de ces rencontres, Isabella Bourrachot qui anime le programme, nous a aidé à mieux comprendre certains comportements qui, vus de l’extérieur, peuvent sembler contradictoires ou déroutants. Par exemple, dans le cadre de la peur de l’abandon, la personne concernée peut parfois tester les limites… Ce n’est pas évident à vivre, mais en en parlant, on commence à mieux saisir. Ce partage d’expériences a été important pour moi. Avant cela, je ressentais un grand sentiment d’impuissance, la sensation de subir, sans avoir aucun levier pour aider Anne. Grâce à cette première formation, j’ai compris que l’environnement avait un rôle clé, et qu’il y avait des choses à faire. Cela m’a motivé à suivre une seconde formation, plus théorique, avec l’association Connexions Familiales. Deux approches différentes, mais complémentaires. 


Cette deuxième formation s’inspire de la TCD (thérapie comportementale dialectique), qui vient des États-Unis et qui est aujourd’hui la méthode la plus recommandée pour les troubles borderline. Elle se déroule en 10 séances de 2 heures, avec beaucoup de mise en pratique. Chaque semaine, on revient sur les apprentissages, on approfondit. C’est très structuré avec des supports, outils et méthodes. Par exemple, un des grands principes que j’ai retenu, c’est la validation. Apprendre à reconnaître que les émotions d’Anne, même si elles sont beaucoup plus intenses que les miennes, sont légitimes. Elle a le droit de les ressentir, et tenter de les nier ou de les étouffer ne fait qu’aggraver la situation. Mais j’ai aussi appris à poser mes propres limites, pour me protéger. C’est difficile, mais indispensable. Comme dans un avion, il faut mettre son propre masque à oxygène avant d’aider l’autre. J’ai appris à dire quand ça va trop loin pour moi, à devenir un cadre plus solide, plus sécurisant pour elle. Poser des limites, ce n’est pas claquer la porte ou fuir. C’est apprendre à dire : « Là, j’ai besoin de prendre du recul, je préfère me mettre à l’écart un moment », plutôt que de réagir brusquement et nourrir, malgré moi, sa peur de l’abandon. Il y a aussi une vraie entraide entre proches. Ce sont des moments où on partage, on s’informe, on découvre des dispositifs qu’on ne connaît pas toujours. En tant que proche, on est souvent très seul, mal informé, et peu soutenu. Ces espaces d’écoute, de soutien et de conseils ont vraiment fait la différence.

Plein Espoir : Quels sont les aspects positifs du trouble dont vous vous êtes aperçus ?

Gilbert : Anne a une grande créativité et une intelligence émotionnelle élevée. Elle comprend très vite, apprend de façon totalement autodidacte… Je ne sais pas si c’est lié à son trouble ou simplement à sa personnalité, mais en tout cas, c’est remarquable.


Anne : Depuis toujours, j’ai travaillé mon empathie. La créativité, elle aussi, fait partie de moi, c’est devenu un moyen d’expression mais aussi un régulateur émotionnel. Travailler avec mes mains m’aide énormément à canaliser mes impulsions. Du coup, je touche à tout : broderie, couture, crochet… et je suis même en train de lancer une micro-entreprise de création de bijoux. Un autre aspect qui peut être à la fois positif, c’est l’intensité émotionnelle. Je ressens tout à 2000 %, ce qui est parfois épuisant… mais ça vaut aussi pour les émotions positives. Par exemple, voir un coucher de soleil magnifique, pour moi, ça peut être un moment magique. 

Plein Espoir : La psychoéducation vous a-t-elle permis d’accéder d’autres informations importantes dont vous n’aviez pas connaissance jusque-là ?

Anne : Oui, clairement. Je voulais faire un dossier MDPH pour pouvoir poursuivre mes études dans de meilleures conditions, car je n’avais que la bourse pour vivre. Mais mes soignants m’avaient dit que ça ne servait à rien et je les ai bêtement crus. C’est seulement grâce à la psychoéducation, et en particulier grâce à Isabella, que j’ai compris que c’était possible. Elle m’a raconté qu’elle avait été dans la même situation que moi et qu’elle avait réussi à obtenir une reconnaissance.

Plein Espoir : Chez Plein Espoir, on sait que le rétablissement est un processus.  Au-delà d’un mieux-être au quotidien ces formations vous ont-elles aidé à mieux le comprendre et à vous projeter dans l’avenir, malgré les difficultés ?

Gilbert : Oui, j’ai compris que le rétablissement n’est pas un chemin linéaire. Il y a des hauts, des bas… et parfois des très bas. Il faut apprendre à profiter de l’instant présent, tel qu’il est, et accepter que certaines choses évoluent et d’autres non. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de progression. Au contraire, on avance. À travers les témoignages d’autres personnes, j’ai pu entrevoir ce que cela signifie. C’est aussi mieux se connaître, s’entourer des bonnes personnes, construire un environnement plus bienveillant. Finalement, le rétablissement, c’est à la fois personnel et évolutif. Pour moi, c’est réussir à limiter l’intensité des crises les plus difficiles et à tirer parti des moments les plus stables.

Anne : De mon côté, c’est plus compliqué. J’ai encore du mal à voir les choses de manière aussi claire, parce que je suis en plein dedans. Pour l’instant, ce que je ressens, c’est que mes problèmes ne s’améliorent pas vraiment, même si je comprends la théorie du rétablissement. Je vois bien que certaines personnes réussissent à avancer, à stabiliser leur situation. On ne parle pas de guérison, mais plutôt d’apprendre à vivre avec. Je suis d’accord avec cette idée que ce n’est pas linéaire. On peut aller mieux, puis très mal, puis un peu mieux à nouveau… Mais moi, ce que je vis, c’est une souffrance continue, même dans les périodes qui semblent plus calmes. Rien ne me paraît vraiment durable. Alors oui, j’ai compris des choses, j’ai des outils. Mais concrètement, pour le moment, je ne ressens pas cette amélioration en moi.

Plein Espoir : Recommanderiez-vous aux lecteurs de Plein Espoir la psychoéducation, que ce soit des proches ou des personnes directement touchées par le trouble ?

Gilbert : Oui, sans hésiter. La psychoéducation m’a permis non seulement de mieux comprendre Anne, mais aussi d’avoir un impact positif autour de moi, notamment dans ma famille. Parfois, les gens agissent mal mais ce n’est pas de la malveillance, c’est juste de l’ignorance ou des schémas qu’on répète sans les questionner. Participer à ces formations, c’est aussi faire partie d’une chaîne de transmission. Notre témoignage peut servir à d’autres. On ne peut pas être uniquement dans la position de recevoir. Pouvoir aider à notre tour, c’est enrichissant, valorisant, et ça donne du sens à ce qu’on traverse.

Anne : Je dirais que ce n’est pas une solution miracle. Il ne faut pas s’attendre à ce que tout change du jour au lendemain. Mais sur le long terme, oui, c’est bénéfique. Voir d’autres personnes concernées, se reconnaître dans leurs vécus, ça permet de sortir de l’isolement. On apprend à mieux se comprendre, à être plus indulgent avec soi-même. Ça nous a beaucoup aidé à mieux nous comprendre en tant que couple, à mieux vivre ensemble. On pourrait vraiment généraliser ces dispositifs. Et puis il y a une vraie entraide entre les participants. On se passe les bons contacts, les noms de soignants bienveillants, les bonnes adresses… Ça crée du lien, du soutien, c’est un réseau précieux.

Routine et troubles psychiques : pourquoi ça aide vraiment ?

Le mot routine est souvent mal perçu. Pourtant, dans les moments de fragilité, elle devient une alliée discrète mais précieuse : elle redonne du rythme, remet du mouvement dans le quotidien et aide à recréer des repères, même quand tout semble difficile. Se lever, manger, dormir à heure fixe… Ce sont des gestes qui peuvent sembler simples, presque anodins. Mais lorsqu’ils sont répétés chaque jour, ils font une vraie différence. Ils deviennent des appuis concrets pour retrouver un peu de stabilité, alléger la charge mentale, et avancer vers le rétablissement.

Pour comprendre toute son importance, Plein Espoir est allé à la rencontre de Virginie Vibulanandan, psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie, praticienne ICV-LI et en thérapie intégrative (TCC). À travers son travail, elle nous raconte comment les routines peuvent aider à reprendre pied, retrouver de l’autonomie… et parfois même, changer le regard que l’on porte sur soi.

Plein espoir : Les routines sont partout, on en voit dans les vidéos de développement personnel ou chez les sportifs de haut niveau. Mais pourquoi sont-elles si importantes pour les personnes qui vivent avec des troubles psychiques ?


Virginie Vibulanandan : Avant de parler de se dépasser ou de se réaliser grâce à la mise en place de routines, il faut souvent repartir de zéro. Quand une personne qui vit avec un trouble psychique vient me voir, ce n’est pas pour aller mieux tout de suite. C’est d’abord parce qu’elle n’arrive plus à gérer sa vie quotidienne. Elle est trop fatiguée, comme si le corps et l’esprit tournaient à vide. Dans ces moments-là, je commence à dire que ça serait bien de remettre un cadre et donc, une routine. Ce n’est pas un but à atteindre, mais c’est un fil auquel se raccrocher, un moyen de remettre un peu d’ordre là où tout peut sembler impossible.

L’objectif, très souvent, c’est d’aider la personne à sortir de l’isolement. De l’isolement social, bien sûr, mais aussi d’un isolement plus intérieur. Celui qui fait qu’on ne se reconnaît plus, qu’on ne sait plus comment avancer. Alors on commence par des choses toutes simples. Il ne faut pas tout changer d’un coup sinon ça ne marche pas. Les premières étapes, ce sont souvent : se lever, manger et se coucher à heure fixe. On essaie de s’y tenir, chaque jour, même si ça paraît inutile au début. À force de répéter, ça devient plus facile. Et ça soulage. 

Plein Espoir : Vous avez un exemple d’une personne que vous accompagnez pour qui la routine a été un vrai soutien ?

Virginie Vibulanandan : Je pense à une patiente qui vit avec un trouble du comportement alimentaire depuis l’adolescence, avec des traumatismes anciens. Elle a un peu plus de cinquante ans aujourd’hui, et depuis un an et demi, elle n’arrive plus à travailler. Dans ces troubles-là, les routines autour de l’alimentation prennent beaucoup de place. Ma patiente mangeait très peu, parfois pas du tout, et buvait de l’alcool pour tenir, pour compenser. Elle venait encore aux rendez-vous et faisait comme si tout allait bien, mais je voyais qu’à l’intérieur, elle s’effondrait.

Il y a un an, on a commencé à parler de son histoire, de ses blessures. Ça l’a fragilisée. Elle a commencé à avoir des troubles du sommeil, des idées noires et elle a encore réduit ce qu’elle mangeait. Parfois, elle ne mange qu’une barre protéinée de la journée. Parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement. Dans ces moments-là, le professionnel ne peut pas imposer un cadre. On doit tendre la main. Juste pour l’aider à tenir et lui dire que demain ça ira peut être mieux. Une nuit, elle a chuté et s’est ouvert le crâne. Après son hospitalisation, je lui ai proposé de noter, jour après jour, ce qu’elle faisait, de 8 h à 23 h. À quelle heure elle se levait, se lavait, mangeait, sortait… Au bout de quelques mois, certains créneaux restaient vides. Alors on s’est demandé : à la place de la télé, est-ce qu’elle ne pourrait pas, parfois, appeler une amie ? Glisser, petit à petit, des choses un peu plus positives dans son quotidien.

Plein Espoir : Est-ce que les effets positifs arrivent rapidement ?

Virginie Vibulanandan : Ce n’est pas immédiat, ce n’est pas magique. Mais oui, c’est souvent assez efficace. Beaucoup de patients me disent que le fait d’avoir un cadre les apaise. Ça leur donne un repère, quelque chose de stable dans la journée. Une action simple qu’ils savent pourront accomplir, même quand tout le reste semble compliqué. Et ça compte énormément.

Parce que, petit à petit, le cerveau intègre ces gestes. Ils deviennent automatiques, comme un mode « pilote automatique ». On n’a plus besoin d’y penser. Et ça, ça allège. Ça enlève une part de charge mentale. L’idée, ce n’est pas de tout changer d’un coup, mais de commencer avec ce qu’on peut faire. Même si c’est peu. Et à mesure qu’on avance, ça libère de l’espace dans la tête, dans la journée pour pouvoir ajouter autre chose.

Plein Espoir : Mais en tant que thérapeute, vous ne pouvez pas simplement décider à la place de la personne des routines à mettre en place. Ce n’est pas quelque chose qui doit venir d’elle, avant tout ?

Virginie Vibulanandan : Je dirais que c’est plutôt quelque chose qu’on construit ensemble. Je pars toujours de ce que la personne me raconte : ce qu’elle fait, ce qui lui coûte dans sa journée. Et aussi, de tous les imprévus auxquels elle doit faire face. Il suffit parfois d’une dispute, d’un appel un peu difficile, d’une mauvaise nouvelle… pour que tout ce qu’on avait mis en place disparaisse.

Il y a des hauts et des bas, des moments de découragement, des oublis, des jours sans motivation. Mais l’idée, c’est de stabiliser doucement ce qui peut l’être, sans jamais dramatiser les écarts. Et surtout, de la rassurer. De lui rappeler que ce que la personne fait, c’est déjà beaucoup, que chaque petit pas compte. L’encouragement, c’est aussi une forme de soin.

Plein Espoir : Finalement, ce que vous expliquez, c’est qu’avec les routines, les personnes reprennent peu à peu le contrôle sur leur quotidien. Est-ce qu’on peut dire que ça participe à l’empowerment ?

Virginie Vibulanandan : Oui, ça y participe. Après l’idée, ce n’est pas de tout valoriser à l’excès. Ce n’est pas de dire « bravo » à chaque petite action comme on féliciterait un enfant pour un dessin. Ce qui compte, c’est d’aider la personne à prendre conscience de ce qu’elle fait déjà, même si c’est peu. De reconnaître que ce n’est pas rien. Et surtout, de le faire sans masque, sans illusion : on sait que ce ne sera pas toujours simple, qu’il y aura des rechutes, des jours plus durs. Mais on avance. Ensemble.

Ce sentiment de ne pas être seule, c’est fondamental. Même quand je ne suis pas physiquement là, le fait de savoir que les rendez-vous existent, que quelqu’un suit, écoute, accueille ce qu’elle traverse, ça fait une vraie différence. Parfois, c’est juste ça qui tient : savoir que dans quelques jours, elle pourra dire ce qu’elle a sur le cœur, se déposer un peu. Et repartir.

Plein Espoir : Est-ce qu’on peut dire que la routine fait partie intégrante de la psychoéducation ? Que c’est un des outils qu’on utilise pour aider les personnes à mieux vivre avec leur trouble psychique ?

Virginie Vibulanandan : Oui, parce que la psychoéducation, c’est aussi prendre conscience de ce qu’on a appris et de ce qu’on a déjà construit, malgré les fragilités. Beaucoup de personnes ne se rendent pas compte qu’elles ont développé des ressources, qu’elles ont avancé. Le trouble psychique, avec les biais de pensée qu’il peut entraîner, vient souvent brouiller cette perception. Tout paraît plus négatif, plus flou. L’idée, c’est justement de les aider à voir les choses autrement, à recadrer certaines pensées, à retrouver confiance dans ce qu’elles savent déjà faire.

Dans ce travail, les routines ont toute leur place. Mais ce n’est pas juste “faire tous les jours la même chose”. C’est aussi garder une trace, un repère. Dans l’approche qu’on utilise, souvent issue des TCC (thérapies comportementales et cognitives), on propose des outils concrets : un agenda, un tableau, une sorte de journal de bord. Ça permet de prendre du recul, de se souvenir des choses positives, même quand le mental ne va pas bien. Quand il y a des moments de débordement, de confusion ou de dissociation, ces repères écrits deviennent des points d’appui. Et les séances permettent de relire tout ça ensemble et de remettre du sens.

Ce qui est parfois difficile, en tant que thérapeute, c’est qu’au moment où les choses commencent à aller mieux, certaines personnes pensent qu’elles n’ont plus besoin de rien. Elles arrêtent leur traitement, abandonnent les routines, comme si tout était derrière elles. Alors que, justement, si elles vont mieux, c’est parce que tout ce qu’on a mis en place tient. Ce sont ces repères, ce cadre, ce travail régulier qui leur a permis de retrouver un équilibre. Donc, elles arrêtent tout et on doit reprendre tout depuis le début. 

Plein Espoir : Si je comprends bien, les routines permettent de remettre un peu d’ordre, de mouvement, dans le quotidien. Mais d’après ce que vous nous dites, ce qui permet vraiment d’avancer vers le rétablissement, c’est d’abord l’acceptation du trouble.

Virginie Vibulanandan : Oui, c’est ça. Une fois que la personne accepte son trouble, on peut commencer à poser des choses durables, qui vont vraiment l’aider à aller mieux sur le long terme.

Je travaille dans un dispositif qui accompagne des jeunes après un premier épisode psychotique. Ils sont au tout début du trouble. Ce qu’on leur explique, notamment pendant les séances de psychoéducation, c’est que ce n’est pas une fatalité. Statistiquement, un tiers va se rétablir complètement, un tiers fera une rechute mais pourra rebondir, et un tiers connaîtra des rechutes répétées qui peuvent conduire à une forme de chronicisation. Le message, c’est qu’il y a bien des leviers qui existent. Si on met en place un cadre dès le début, un traitement bien suivi, une routine stable, des repères dans le quotidien, alors on peut éviter les rechutes. Certains n’ont même plus besoin de traitement au bout de deux ans. L’enjeu, c’est de leur montrer que c’est possible. Le trouble existe, mais il n’empêche pas de reprendre sa vie en main.

Plein Espoir : Est-ce que c’est un mot routine difficile à faire accepter ? Parce que dans notre société, il a souvent une image négative. Ça renvoie à quelque chose de répétitif, de contraint, qu’on subit plus qu’on ne choisit.

Virginie Vibulanandan : Oui, c’est vrai que le mot peut faire peur. Alors, souvent, je commence par rappeler quelque chose de très simple : dans une journée, on se lève, on mange, on dort. Rien que ça, déjà, c’est une routine. Et ce n’est pas négatif. C’est ce qui permet au corps et à l’esprit de tenir un minimum de rythme.

Il y a aussi d’autres habitudes qui sont parfois mal vues. Par exemple, les siestes. Beaucoup de patients me disent que ça ne sert à rien, ou que c’est pour les personnes âgées. Pourtant, pour quelqu’un qui souffre de troubles du sommeil ou qui est épuisé, une sieste peut vraiment faire la différence. Alors j’essaie de leur expliquer autrement. Je prends souvent l’image du téléphone. Je leur dis : « Votre cerveau, c’est comme une batterie. Si vous ne dormez pas assez la nuit, c’est comme si vous ne rechargiez pas votre téléphone. Le lendemain, il bugue, il ralentit, il s’éteint. Votre cerveau, c’est pareil. Il a besoin de pauses pour fonctionner. »

Quand les personnes comprennent que ces gestes très simples comme se lever à la même heure, faire une sieste, organiser un peu leur journée… les aident à faire des choses qu’elles pensaient impossibles, tout change. Elles reprennent confiance. Petit à petit, le mot “routine” perd son côté négatif. Il ne fait plus peur. Parce qu’elles voient que ça les aide vraiment à avancer, à se sentir mieux. Alors oui, la routine, c’est important pour tout le monde. Mais quand on vit avec un trouble psychique, ça devient un vrai point d’appui. Ce n’est pas une contrainte, c’est une aide. Un moyen de reprendre un peu de contrôle, sans se faire violence. Et d’avancer doucement, jour après jour.

Un jour, mille routines, pour mieux vivre avec un trouble psy

Dans une journée, chacun suit son rythme, souvent sans trop y penser. Mais quand on vit avec un trouble psychique, ce rythme ne va pas toujours de soi. Il faut s’apprivoiser, construire ses routines, parfois heure par heure. Car l’équilibre repose souvent sur des repères simples : un horaire de lever, un repas à heure fixe, une pause au bon moment. Des gestes qui semblent anodins, mais qui, pour certains, tiennent lieu de boussole.

Pour mieux comprendre comment une routine peut devenir un vrai soutien au quotidien, Plein Espoir a rencontré Clément Baissat, fondateur de Hope Stage. Cette structure, qui réunit une association et une entreprise à impact, accompagne les personnes bipolaires et leurs proches. Il nous a raconté comment, jour après jour, il organise ses journées avec soin. Un cadre qu’il a mis en place avec le temps, non pas comme une contrainte, mais comme un moyen de se sentir mieux et de progresser. 

8h, réveil. Une question : qu’est-ce que j’ai envie d’accomplir aujourd’hui ?

Tous les matins, c’est le même rituel. La semaine, le réveil sonne à 8h. Le week-end, mon corps suit cette habitude sans même y penser : neuf fois sur dix, je me réveille à la même heure. Cinq minutes de câlins avec ma copine, puis je me lève. Ensuite, je bois un grand verre d’eau et j’avale tout de suite mon médicament. Un geste simple, devenu réflexe, pour garder l’équilibre face à mon trouble bipolaire.

Depuis quelque temps, je remplis mon journal de cinq minutes, une sorte de guide de gratitude à compléter tous les matins. Je réponds à ce genre de questions : « Aujourd’hui sera une bonne journée parce que… » Les questions varient, parfois elles sont très personnelles, d’autres plus factuelles. J’y note aussi mon humeur, sous forme de diagramme. Ce n’est pas très académique, mais ça me permet de sentir où j’en suis dans les phases de mon trouble psychique. J’en profite pour faire le point sur ce qui m’attend dans la journée : quelles sont mes priorités ? Qu’est-ce que j’ai envie d’accomplir ? Poser les mots sur un carnet me permet d’ordonner un peu le flou et ça me rassure. 

Je pars de la maison à pied. J’aime ce moment-là. Marcher un peu avant d’arriver au coworking, ça me met en mouvement. Sur le chemin, je passe toujours commande pour le déjeuner. Je prends toujours une pomme et une banane. C’est simple, et ça m’enlève une charge. Je n’ai pas à y penser. Quand j’arrive, le repas m’attend déjà. Comme un petit repère dans la journée.

9h, bureau. Entre méthode Pomodoro et quête d’équilibre.

Plus il y a de routines, mieux c’est. C’est essentiel à mon équilibre. Avant même d’ouvrir mes mails, je commence par la première tâche de ma to-do list, celle que j’ai définie chez moi, au calme, avant de partir. Les mails, je les ouvre plus tard, entre 10h et 11h. Les mails, ce sont les urgences des autres, pas les miennes. Je protège beaucoup mes matinées. Pas de rendez-vous au téléphone avant 11h. C’est le temps que je m’accorde pour avancer sur ce qui compte vraiment. En ce moment, je me consacre beaucoup au recrutement et à la formation des bénévoles de Hope Stage, l’association que j’ai créée pour aider les personnes bipolaires et leurs proches.

Pour le travail de fond, j’utilise la méthode Pomodoro. C’est une technique née dans les années 1980, pensée pour aider à mieux gérer son temps et sa concentration. Le principe est simple : on est investi sur une tâche pendant vingt-cinq minutes, puis on fait une courte pause, de trois minutes environ. Ce rythme me convient, ça me structure. Ça m’aide à rester dans ma tâche sans me disperser, sans m’épuiser non plus. À chaque pause, je prends soin de mon corps. Je m’étire, je marche un peu, je vais remplir ma bouteille d’eau. 

Je ne bois ni café, ni thé. Un jour, quelqu’un m’a expliqué que le café ne donne pas vraiment d’énergie. Les personnes qui en boivent tous les jours finissent par en avoir besoin pour retrouver leur niveau d’énergie normal. Sans café, elles se sentent fatiguées, moins efficaces parce que leur corps s’est habitué à cette stimulation. Le café ne leur donne pas un « plus », il les ramène juste à un état de base. Depuis, j’en bois plus. Je me dis que si je peux me sentir bien sans ça, autant ne pas en dépendre. Alors, je bois de l’eau et parfois des tisanes.

Je m’intéresse beaucoup aux routines et aux techniques d’amélioration de soi, ça m’aide à mieux vivre mon trouble bipolaire, c’est même essentiel à mon équilibre. Par exemple, j’ai été marqué par la lecture de Atomic Habits, en français, Un rien peut tout changer (éd Larousse, 2019), le livre de James Clear. L’auteur explique qu’il faut au moins trois semaines pour mettre en place une nouvelle habitude et qu’elle tienne dans le temps. Même avec de la motivation, changer ses habitudes, en créer de nouvelles ou se débarrasser des mauvaises, ça ne s’imprime pas du jour au lendemain. Ce sont les petits gestes répétés qui finissent par faire une vraie différence.

Je trouve que cette volonté d’amélioration continue colle bien avec le slogan de Hope Stage qui est : « Transforme ta bipolarité en opportunité. » L’idée, c’est que beaucoup de personnes qui vivent avec ce trouble psychique ne prennent pas le temps, ou ne se sentent pas capables de changer. Dans l’association, on essaie de ne pas aller contre notre bipolarité, mais de travailler avec elle.

15h. Marche active et suivi thérapeutique avec le pair-aidant


L’après-midi, je marche beaucoup, souvent pendant mes appels téléphoniques : deux à trois heures par jour, même sous la pluie. C’est quelque chose dont j’ai besoin pour remettre mes idées en ordre. Il y a quelque temps, j’ai découvert que le cerveau fonctionnait sur deux modes. Il y a le « focus », quand on est concentré sur une tâche, et puis le « relâcher », quand on ne fait rien de précis. Et c’est justement dans le second que le cerveau fait le tri. Pour passer une information de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme, il faut un temps de pause, une respiration. Il suffit de voir les chercheurs, les prix Nobel, ils font beaucoup de pauses, ils se promènent. C’est une autre façon de travailler, mais essentielle. Et peut-être plus encore pour les personnes bipolaires. 

Pour mon suivi thérapeutique, je vois un psychiatre environ toutes les cinq semaines et un psychologue à la même fréquence. Mais surtout, j’appelle mon pair-aidant  toutes les semaines pour faire le point sur la semaine passée. C’est moins structuré qu’avec les professionnels, mais pour moi, c’est tout aussi important. Il sait ce que je vis, il connaît mes hauts, mes bas, mes doutes. Il me comprend sans que j’aie besoin d’entrer dans les détails. Ça rend nos échanges plus directs, plus vrais. C’est un appui précieux. Il n’est pas là pour juger, ni pour soigner. Juste pour écouter, partager son expérience, m’aider à garder le cap. Bien sûr, mon suivi thérapeutique n’a pas toujours été aussi léger. Aujourd’hui, je suis en rétablissement, mais ça ne m’empêche pas de rester très vigilant.

18h. Bilan de la journée : se recentrer et surtout protéger le sommeil

Généralement, je fais des journées de huit à neuf heures. Et le soir, en rentrant chez moi, après le dîner, je travaille encore un peu. Mais ce n’est pas pour faire la même chose, c’est un temps dédié à l’écriture. Au cours de la journée, j’ai souvent beaucoup de pensées qui arrivent, sans avoir le temps de me poser pour vraiment y réfléchir. Après dîner, j’écris au moins pendant une bonne demi-heure, pour les poser quelque part. Ça me permet de faire le point : voilà ce que j’ai compris aujourd’hui, voilà ce que je peux mettre en place. Si je ne le fais pas, je n’arrête pas d’y penser. Parfois, je me réveille en pleine nuit, surtout quand je suis dans une phase « up » (maniaque ou hypomaniaque). Écrire m’aide à reformuler mes pensées, à les sortir de ma tête. C’est ma façon de les apaiser.

Même si je ne pense pas à mon trouble toute la journée, je reste particulièrement attentif à mon sommeil. C’est ce qui donne un cadre à mes journées. Et c’est aussi le premier signe qu’un déséquilibre s’installe, quand je commence à basculer dans une phase up ou de dépression. C’est un vrai point sensible. Généralement, je ne prends que mon médicament le matin, mais si j’ai mal dormi la veille ou si je sens que ça commence à dériver, il m’arrive d’en prendre un autre pour m’aider à dormir.

C’est un classique, mais je fais très attention aux écrans. À partir de 22 heures, mon téléphone passe en noir et blanc, ça donne moins envie de le regarder. À la place, j’écris à la main. Et si je me réveille dans la nuit, ce qui arrive souvent en phase maniaque, le plus efficace pour moi, c’est de me lever et d’écrire. Rester allongé à tourner en rond ne m’aide pas. Je prends un carnet et je note ce qui me passe par la tête. Ça peut être des idées dans tous les sens, ou juste quelques phrases. Ce n’est pas grave. Ce qui compte, c’est de les sortir. Souvent, une fois que c’est posé, l’agitation retombe et je peux me rendormir.

Oui, tous ces rituels peuvent sembler très stricts, presque rigides. D’autant que la plupart des gens de mon âge vivent sans trop y penser, sans avoir besoin de surveiller leur routine, de boire de l’eau régulièrement ou de se coucher à heure fixe. Mais quand on est bipolaire, si on veut avancer et tenir sur la durée, ce n’est pas une option. C’est essentiel. Il faut veiller au sommeil et plus globalement à son équilibre de vie. Moi, je ne vois pas ça comme une contrainte. Ça me structure, ça m’aide à tenir debout. Au fond, ça me permet d’aller toujours plus loin et surtout, d’avancer plus sereinement.

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Psychoéducation : Comprendre son trouble psy, un levier essentiel pour se rétablir


Qu’est-ce que la psychoéducation ? Derrière ce terme technique se cache une démarche simple mais puissante : apprendre à connaître son trouble psychique pour mieux le gérer au quotidien. Un processus qui peut prendre différentes formes — programmes structurés, recherches personnelles, écriture thérapeutique — mais qui poursuit toujours le même objectif : donner aux personnes concernées les clés pour devenir actrices de leur rétablissement. Chez Plein Espoir, nous avons recueilli les témoignages de trois personnes pour qui la psychoéducation a été un tournant dans leur parcours de soin. Leurs histoires, bien que différentes, révèlent toutes le pouvoir transformateur de la connaissance face aux troubles.

Mettre un nom sur ses maux pour se libérer de la culpabilité

Si développer des connaissances sur sa maladie présente de nombreux avantages pour les personnes concernées, le tout premier — et non des moindres — , est de pouvoir dissiper le sentiment de culpabilité qui accompagne souvent les troubles psychiques. Pour Carole, 30 ans, qui vit avec des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et un trouble anxieux généralisé, cette prise de conscience a été déterminante. Après une importante crise de panique, elle a consulté un psychologue spécialisé en thérapie comportementale et cognitive (TCC) qui lui a enfin posé un diagnostic clair, mettant des mots sur des symptômes qu’elle connaissait depuis l’enfance. « Ce qui a été le plus aidant, c’était de comprendre que ce n’était pas de ma faute », confie-t-elle. Une prise de conscience d’autant plus libératrice, que son entourage la rendait responsable de ses symptômes : « Au début, mes parents étaient beaucoup dans le reproche, ils me disaient tout le temps : “Tu t’écoutes trop, fais des efforts !”, alors que ça ne dépend pas de ma volonté. »

À l’inverse, pour Claire C., l’annonce du diagnostic de sa schizophrénie à 22 ans, a été une véritable « onde de choc ». « Le mot “schizophrène” fait peur à tout le monde, moi la première, quand bien même à l’époque je travaillais dans le milieu hospitalier », se souvient-elle. Ce n’est que dix ans après ce diagnostic, qu’elle a pu s’en libérer à travers l’écriture de son livre « Mi-ombre, mi-lumière », éd. du Panthéon, 2017. « J’ai fait énormément de recherches sur ma maladie, j’ai interrogé mes soignants, mon entourage et j’ai opéré une grande introspection : un travail qui m’a permis de poser moi-même mon diagnostic en quelque sorte, pour enfin l’accepter. » Un processus créatif qui l’a fait passer de « Je ne m’en sortirai jamais, c’est trop difficile » à « Je suis schizophrène et maintenant je vis avec. »

Une déculpabilisation qu’a également opérée Claire V., 46 ans, en empruntant une toute autre voie : celle du collectif. Si le diagnostic de son trouble bipolaire fut posé tôt, à l’âge de 16 ans, en partie grâce à un terrain familial favorable à sa détection, le chemin vers son appropriation fut, lui, assez long. C’est sa participation à des programmes structurés de psychoéducation qui lui a offert « du recul sur la maladie ». Une distance nécessaire pour ne plus se sentir définie uniquement par son trouble. « Pendant plusieurs semaines, on échange en groupe avec d’autres personnes concernées par la maladie autour d’un animateur. On parle du quotidien, de ce qui fonctionne pour nous… Ce partage d’expérience entre malades est très précieux », ajoute-t-elle, soulignant l’importance de se sentir comprise par ses pairs. Une approche collective qui complète ainsi les démarches individuelles de Carole et Claire C., montrant la diversité des chemins qui mènent à l’acceptation et à l’appropriation de son trouble psychique.

Développer des stratégies complètes pour gérer les symptômes


Au-delà de la compréhension théorique, la psychoéducation permet de mettre en place des outils pratiques pour faire face aux symptômes au quotidien. Comme Carole, qui s’est plongée dans la recherche d’informations après l’annonce de son diagnostic : « J’ai commencé à me renseigner sur ce que sont les TOC, les troubles anxieux. J’ai beaucoup lu sur le sujet. C’est là où j’ai aussi rencontré l’AFTOC (Association Française de personnes souffrant de Troubles Obsessionnels Compulsifs) dont je fais partie aujourd’hui. » Cette démarche lui a permis de développer un arsenal thérapeutique personnel : « J’ai développé beaucoup d’exercices de respiration. J’ai fait des recherches sur la cohérence cardiaque, la méditation, des exercices d’ancrage… C’est le cumul de tout ça qui m’aide à gérer mes symptômes, même dans les moments où ça devient un peu plus compliqué. » Une approche pragmatique, que l’on retrouve également chez Claire C., qui a développé ses propres stratégies d’adaptation après des années de vie avec la schizophrénie. « Je sais ce qui peut déclencher ou calmer mes symptômes. Par exemple, le manque de sommeil m’est fatal ! Quand je sors plus que d’habitude, ça me détraque tout et me déstabilise mentalement. Donc si je fais une soirée, je prévois un ou deux jours de repos derrière. » Une anticipation qui lui permet de prévenir les crises, illustrant comment la connaissance de soi devient un outil de prévention.

Claire V. de son côté, observe que sa récente participation à un programme de psychoéducation sur le trouble borderline a eu un effet inattendu sur sa propre stabilité : « Ça fait trois mois qu’on fait ce groupe et trois mois que je suis stable. » En effet, même si ce programme ne porte pas directement sur son trouble bipolaire, la compréhension des mécanismes psychiques en général semble avoir eu un impact positif sur sa santé mentale, si bien qu’elle envisage de devenir pair aidante pour mettre à profit ses nouvelles connaissances.

Améliorer la communication avec l’entourage

« Ma maman a enfin compris ce que je pouvais vivre », se souvient Claire C., à la publication de son livre. Grâce à ce travail d’écriture, la jeune femme a réussi à se reconnecter avec son histoire personnelle jusqu’alors fragmentée, et mieux faire comprendre sa maladie à ses proches. Une démarche psychoéducative qui a renforcé la compréhension mutuelle entre la mère et la fille et renforcé leur relation.

Tout comme Carole, pour qui l’information a aussi été vecteur de changement au sein de sa famille : « Par exemple à 8 ans, je ne supportais pas qu’on déplace des objets dans ma chambre parce que j’avais l’impression qu’il allait m’arriver un malheur… Un comportement superstitieux qui agaçait mes parents. Mais à partir du moment où ma mère s’est renseignée sur les TOC, elle a été plus indulgente avec moi et ça m’a beaucoup aidé dans mon rétablissement » Ce partage de connaissances a alors créé un terrain d’entente entre les membres de sa famille.

Cette amélioration des relations s’étend également au cercle social plus large, comme le montre l’expérience de Claire V.. Sa démarche de psychoéducation lui a ainsi permis d’améliorer ses interactions avec une nouvelle connaissance : « Je suis habituée à ce que les gens ne me décodent pas toujours mais bien sûr, moi aussi j’ai des lacunes. Il se trouve que je côtoyais une personne avec un trouble borderline et depuis que je suis ce programme de psychoéducation, j’arrive à mieux l’appréhender. Nos relations sont beaucoup plus apaisées. » Cette capacité à mieux comprendre les autres est un bénéfice collatéral précieux de la psychoéducation, qui enrichit ainsi la vie sociale dans son ensemble.

Ces expériences convergent vers un même constat : quand on comprend mieux sa propre condition, on devient aussi plus apte à l’expliquer aux autres. « Maintenant j’en parle beaucoup plus librement », confie Carole, « justement pour que la maladie soit mieux connue et moins stigmatisée. C’est assez marrant parce que parfois, le fait d’en parler a permis à trois-quatre personnes de mon entourage de me confier : “Moi aussi j’ai des TOC, ça me fait du bien de le dire parce que je n’en parle jamais”. » La parole libérée crée ainsi un cercle vertueux de compréhension mutuelle, qui peut s’étendre bien au-delà du premier cercle familial.

Reconnaître les signes avant-coureurs et prévenir les rechutes


L’un des aspects les plus pratiques de la psychoéducation est d’apprendre à repérer les signaux d’alerte. Pour Carole, dont les TOC ont ressurgi sous différentes formes au fil du temps, notamment des TOC d’hygiène pendant la période COVID, cette vigilance est devenue une seconde nature : « Aujourd’hui, je reconnais les signes. Parfois, quand je suis fatiguée, je me dis “OK, je suis en train de faire un TOC, mais ce n’est pas très grave c’est passager”. Et d’autres fois, je me dis “Attention, tu es en train de retomber dans un comportement qui peut s’installer”. » Cette conscience lui permet d’agir avant que la situation ne se détériore.

Cette vigilance peut aussi s’acquérir par l’expérience, parfois douloureuse, comme l’illustre le parcours de Claire C. Elle a appris à ses dépens l’importance de maintenir son traitement, après avoir tenté de l’arrêter : « Ça allait tellement bien que j’ai arrêté mes médicaments pendant trois-quatre mois. Je me suis dit à l’époque : “c’est fini, je suis guérie” ». Malheureusement, les symptômes sont revenus : « Je suis repartie dans mon monde, les hallucinations ont recommencé… Donc j’ai repris mes cachets et  je ne l’ai plus jamais arrêté. » Cette expérience, bien que difficile, fait désormais partie intégrante de sa connaissance de la maladie et de sa gestion.

Entre ces apprentissages par l’expérience personnelle et les connaissances plus théoriques, Claire V. apporte une nuance importante concernant le timing de la psychoéducation. Après avoir participé à deux programmes différents — l’un sur le trouble bipolaire et l’autre sur le trouble borderline — elle recommande aux futurs participants de bien choisir le moment : « Ça dépend du stade où on en est dans sa thérapie. Si c’est trop tôt, on peut ne pas être prêt. Vraiment, on plonge au cœur du sujet et ça peut faire peur au début. » Une observation qui souligne que la psychoéducation doit être adaptée à chaque parcours individuel et que le moment où l’on s’y engage peut être aussi important que son contenu.

Vers l’autonomie et l’empowerment

Ces trois témoignages, malgré leurs différences, convergent vers une même conclusion : la psychoéducation peut être un chemin vers l’autonomie. Pour Carole, cela se traduit concrètement dans sa vie professionnelle : « M’approprier ma maladie m’a permis de demander la RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé) à mon travail et de légitimer ma situation. » Elle a même réorienté sa carrière pour sensibiliser aux questions de santé mentale, transformant ainsi son expérience en expertise professionnelle.

Une transformation de l’identité, que l’on retrouve chez Claire C., qui après avoir traversé des années difficiles, a non seulement retrouvé une certaine stabilité mais a aussi développé une nouvelle facette créative. Elle poursuit son chemin d’écriture avec d’autres livres, dont un recueil de poèmes commencé avec sa mère avant son décès et un livre pour enfants qui a été édité. Sa fierté est palpable : « Je suis fière de pouvoir aider les personnes atteintes de schizophrénie. Surtout les plus jeunes, pour qui, je le sais pour être passé par là, c’est si difficile d’accepter sa maladie au début.»

Claire V., quant à elle, illustre comment un projet d’avenir peut devenir un moteur de rétablissement. Elle a trouvé dans son ambition de devenir pair-aidante une nouvelle direction qui donne sens à son expérience : « Ce projet est devenu de plus en plus concret et m’aide personnellement. » Sa démarche, encore en devenir, nous rappelle que le rétablissement est un processus continu, qui se nourrit de projets et d’aspirations.

Ces trois témoignages illustrent bien comment la psychoéducation transforme profondément le rapport à la maladie, au-delà de la simple gestion des symptômes. Qu’elle prenne la forme de recherches personnelles, d’un processus créatif ou de programmes structurés, elle donne aux personnes les outils pour devenir expertes de leur condition. Chez Plein Espoir, nous voyons dans ces parcours la confirmation que la connaissance est une forme de pouvoir : comprendre sa maladie, c’est déjà commencer à guérir. Le rétablissement n’est pas l’absence totale de symptômes, mais la capacité retrouvée à vivre pleinement, malgré et avec la maladie.

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Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Mieux comprendre et connaître son trouble psy, c’est de la psychoéducation !

Comment mieux vivre avec un trouble psychique ? Par où commencer, quand on cherche à comprendre ce qui se passe, à retrouver un peu de prise sur son quotidien ? Et qu’est-ce qui peut, doucement, aider à avancer ? La psychoéducation n’efface pas les troubles. Elle ne remplace ni les traitements, ni le suivi thérapeutique. Mais elle peut offrir un point d’appui. C’est un chemin qui aide à mieux comprendre son trouble, à repérer ce qui soutient ou ce qui fragilise, à retrouver des repères et des outils pour faire face. Pour mieux comprendre ce qu’est et ce que n’est pas la psychoéducation, Plein Espoir a rencontré Aude Caria. Épidémiologiste de formation, elle a travaillé pendant dix ans à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avant de fonder la première Maison des usagers en psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Depuis 2003, elle dirige le Psycom, un organisme public d’information sur la santé mentale. Elle y porte une vision du soin ancrée dans le réel, attentive aux besoins des personnes concernées, et aux inégalités qui traversent les parcours.



Plein Espoir : On parle de plus en plus de psychoéducation, mais de quoi s’agit-il vraiment ? Et depuis quand cette approche a-t-elle trouvé sa place en France ?

Aude Caria : On parle de psychoéducation, mais c’est en réalité la même chose que l’éducation thérapeutique du patient. Les deux termes sont employés comme synonymes. D’après la définition de l’Organisation mondiale de la santé, l’éducation thérapeutique a pour but d’aider les patients à acquérir ou à maintenir les compétences dont ils ont besoin pour mieux vivre avec une maladie chronique. En France, elle a été inscrite dans le code de la santé publique en 2009, avec un objectif clair : rendre les patients plus autonomes, faciliter leur adhésion aux traitements et améliorer leur qualité de vie.

En psychiatrie, cela signifie accompagner les personnes qui vivent avec un trouble psychique pour qu’elles puissent mieux comprendre ce qui leur arrive, renforcer leurs capacités d’adaptation et s’appuyer sur leur propre expérience. Tout cela à travers des programmes spécialisés, construits pour elles.

Plein Espoir : Et dans la vie quotidienne, très concrètement, qu’est-ce que ça implique ?

Aude Caria : La psychoéducation s’adresse aux personnes qui vivent avec un trouble psychique, mais aussi à celles et ceux qui les entourent. Au départ, elle a d’ailleurs été pensée pour eux : des parents, un conjoint, une sœur, qui cherchent à comprendre ce que vit leur proche. À trouver les bons gestes, à réagir face à l’inconnu, à tenir au quotidien. Aujourd’hui encore, certains programmes sont spécifiquement conçus pour l’entourage, mais la majorité s’adressent aux personnes concernées.

Dans tous les cas, ce sont des programmes très structurés de plusieurs mois, avec des étapes, une progression, et un accompagnement ajusté à chacun. L’objectif, c’est de mieux comprendre son trouble, de repérer ce qui aide ou ce qui complique les choses. On apprend à reconnaître les signes d’alerte, à gérer les traitements, les moments de crise, à identifier les soutiens, les ressources. C’est une manière d’en limiter l’impact, de prévenir les rechutes, et de retrouver, peu à peu, de son pouvoir d’agir.

Plein Espoir : Vous dites que ces parcours sont encadrés, construits sur plusieurs mois. Mais est-ce qu’on n’apprend pas aussi en dehors de ce cadre ? Parce que le trouble change, les situations bougent… et les besoins ne sont peut-être pas les mêmes tout au long de la vie ?

Aude Caria : Oui, c’est vrai. La psychoéducation, c’est d’abord un apprentissage. Un pas qu’on fait à un moment où l’on se sent prêt à avancer, à accepter aussi l’idée de vivre avec un trouble psychique. Le professionnel de santé qui encadre ce parcours, qu’il soit psychiatre, psychologue ou infirmier, a suivi une formation spécifique. Il n’est pas seulement là pour transmettre des savoirs, mais pour accompagner, pour aider à construire des repères, à développer des compétences que la personne pourra garder en elle et faire évoluer avec le temps.

On peut discuter du mot éducation, qui peut parfois paraître un peu rigide. Mais ce qui compte, c’est ce que cela permet : des outils concrets pour reprendre la main sur son quotidien. Et puis, c’est important de le dire, il n’existe pas un seul programme valable pour tous. Chaque parcours est adapté. Tout dépend du trouble, des traitements en cours, du chemin déjà parcouru, du soutien disponible autour de la personne. Est-ce qu’elle travaille ? Est-elle isolée ? A-t-elle déjà trouvé certains appuis ? Ce sont ces éléments-là qui permettent de fixer les objectifs.

Plein Espoir : Pour éviter les contresens et les ambiguïtés, qu’est-ce que la psychoéducation n’est pas ? Se renseigner seul sur son trouble, écouter des témoignages, échanger avec un pair aidant… est-ce que ça en fait partie ? Ou est-ce encore autre chose ?

Aude Caria : Comme je le disais plus tôt, la psychoéducation, au sens strict, désigne des programmes encadrés. Il y a une progression, un cadre, des étapes précises. Et c’est justement cette structure qui fait toute la différence. Mais dans le langage courant, le mot est parfois utilisé de façon plus large. On y range tout ce qui peut aider à mieux comprendre son trouble : lire un article, écouter un témoignage, échanger avec un pair aidant, chercher des ressources par soi-même. Ce sont des démarches complémentaires précieuses, utiles, mais plus libres, plus informelles. On parle alors plutôt d’auto-support. Nous avons d’ailleurs consacré une page ressource à ce sujet sur le site du Psycom.

Et puis la psychoéducation, ce n’est pas non plus un groupe de parole. Bien sûr, dans un programme, on échange aussi. Mais ce n’est pas le même cadre, ni le même but. Dans un groupe de parole, on partage une expérience, on crée du lien. C’est un autre espace, tout aussi important, mais différent.

Plein Espoir : Comment est structuré un programme de psychoéducation ?

Aude Caria : Il existe des trames-types, mais chaque programme commence toujours par une étape essentielle : le diagnostic éducatif. C’est un temps d’échange, un moment pour mieux comprendre la personne concernée, identifier ses ressources, explorer différents aspects de sa vie, ses questions, ses attentes, ce dont elle a besoin. On regarde aussi ce qu’elle sait déjà de son trouble, ce qu’elle a compris, ce qui l’a aidée ou, au contraire, freinée. C’est important de revenir sur ce qui a fait du bien, sur ce qui a permis de tenir, de traverser une épreuve. C’est à partir de là qu’on peut construire quelque chose de juste. Quand c’est possible, cette démarche peut aussi inclure les proches. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de soigner un symptôme, mais de prendre en compte la personne dans sa globalité, dans son histoire, dans ses liens.

À partir de ce premier échange, un programme est défini, avec des priorités d’apprentissage. Le parcours peut combiner des séances individuelles et collectives, réparties sur plusieurs semaines, parfois plusieurs mois. Entre deux séances, il peut y avoir des exercices à faire, des choses à observer, à expérimenter. Et à la fin, une évaluation permet de faire le point.

Mais je tiens à poser un point de vigilance. La plupart des programmes ont été conçus par des soignants, sans que les personnes directement concernées soient associées. Et ça, c’est une vraie limite. Pour qu’un programme soit vraiment utile, vraiment ajusté, il doit être pensé avec celles et ceux à qui il s’adresse. Sinon, on risque de partir de ce que les professionnels imaginent être bon pour les patients, sans entendre ce que les personnes expriment elles-mêmes comme priorités. Si l’objectif principal devient la réduction des symptômes, on risque de passer à côté de l’essentiel. Car ce n’est pas toujours ce qui compte le plus pour la personne concernée. Ce qui peut avoir le plus de valeur pour elle, c’est de pouvoir reprendre le travail, relire un livre, partir quelques jours. Des choses simples, concrètes, mais qui touchent directement à la qualité de vie.

Plein Espoir : Pour suivre un programme de psychoéducation, faut-il forcément passer par l’hôpital ?

Aude Caria : Les programmes d’éducation thérapeutique doivent être validés par les Agences Régionales de Santé. Concrètement, cela signifie qu’une équipe, au sein d’un service, conçoit un programme en s’appuyant sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé. Ce programme est ensuite soumis à l’ARS, qui autorise ou non sa mise en place.

Aujourd’hui, ces programmes sont proposés au sein des services de soins, à l’hôpital ou dans les centres médico-psychologiques (CMP). Il existe des initiatives pour les développer aussi en libéral, mais je n’ai pas de données précises sur l’ampleur de ces dispositifs. Ce qui pose question aujourd’hui, c’est l’accessibilité. Il y a une volonté de les rendre disponibles plus largement, mais dans les faits, ce n’est pas encore le cas partout.

Plein Espoir : Pouvez-vous nous en dire plus sur les programmes destinés aux proches ? 

Aude Caria : Oui, il existe plusieurs programmes destinés aux proches, comme ProFamille, Prospect, développé par l’Unafam (Union Nationale de Familles et Amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques), ou encore le programme Bref. ProFamille, par exemple, a été lancé à l’initiative de soignants, au départ pour soutenir les familles de personnes vivant avec une schizophrénie. C’est un cycle de plusieurs séances, pensé pour aider les proches à mieux comprendre ce que vit leur enfant, leur conjoint, leur frère ou sœur et à trouver des appuis concrets au quotidien.

On y parle de la maladie, bien sûr, des traitements, de la prise en charge. Mais surtout, on apprend à ajuster sa manière d’être en lien avec la personne concernée. À reconnaître ce qui peut blesser sans qu’on le veuille, à reformuler, à se faire comprendre sans brusquer. On aborde aussi les angoisses qu’on peut ressentir soi-même, les tensions, les malentendus avec les équipes soignantes. C’est un espace pour parler de ce qui inquiète, pour comprendre aussi ce qui se joue du côté des professionnels. Par exemple, pourquoi une visite à l’hôpital nous a été refusée, pourquoi on n’a pas toujours toutes les informations. Et puis il y a des outils concrets : des méthodes pour gérer le stress, désamorcer un conflit, trouver les bons mots. Il n’y a pas de solutions toutes faites, mais des clés pour garder le lien, sans s’épuiser.

Plein Espoir : Il y a un mot que vous n’avez pas encore prononcé, mais qu’on entend en filigrane depuis le début : celui de routine. En quoi le fait de structurer son quotidien, de mettre en place des routines, ça fait aussi partie de la psychoéducation ?

Aude Caria : C’est une clé importante, oui. Ce qu’on appelle aussi « hygiène de vie ». Concrètement, cela passe par la remise en place de petits repères dans le quotidien : retrouver un rythme, redonner une forme aux journées. Il n’y a pas de modèle unique, chacun avance comme il peut. Mais on sait que, bien souvent, des choses simples comme se lever à heure fixe, marcher un peu, prendre ses repas à heures régulières, permettent de rendre le temps plus lisible. Et quand les journées deviennent plus prévisibles, elles sont aussi un peu moins angoissantes.

C’est un peu ce que la psychoéducation nous apprend : à observer ce qui nous aide, comprendre pourquoi ça fonctionne, et transformer cette connaissance en actions concrètes. Ce n’est pas une injonction au mieux-faire, c’est une façon de reprendre la main. D’agir là où, parfois, on pensait ne plus pouvoir.

Être soignant(e) et vivre avec un trouble psychique


Infirmière en Pratiques Avancées (IPA) en psychiatrie et coordinatrice du comité des usagers, Cécile Glaser a consacré de nombreuses années à soigner et accompagner les personnes concernées par un trouble psychique. Mais un jour, elle a été confrontée à sa propre fragilité : un trouble bipolaire. Ce bouleversement n’a pas seulement modifié son parcours personnel, il a aussi transformé sa vision de la psychiatrie, l’incitant à repenser son rôle et ses engagements.

Dans ce témoignage accordé à Plein Espoir, elle parle de sa double identité : soignante et personne concernée. Elle explique comment cette transition a changé sa façon d’aborder le soin et comment elle parvient à vivre pleinement ces deux rôles. Son parcours, fait de remises en question, d’ajustements, de courage, lui a permis de construire une autre forme de résilience. Un chemin singulier, où l’écoute, le respect et l’accompagnement personnalisé ouvrent la voie du rétablissement. Un chemin où les fragilités ne sont plus des obstacles, mais des repères.

D’abord — et je crois que c’est important de commencer par là — j’ai choisi la psychiatrie un peu par hasard. Ce que je voulais, c’était travailler avec des adolescents. Le premier poste que j’ai trouvé, c’était à la Fondation Santé des Étudiants de France (FSEF – Adhérent de Santé mentale France). Une structure qui aide des jeunes en souffrance psychique à poursuivre leurs soins et leur scolarité. C’est cette dimension-là qui m’a attirée. Et c’est comme ça que j’ai découvert la psychiatrie… pour ne plus la quitter.

En travaillant avec des adolescents, j’ai compris une chose essentielle : l’importance du repérage précoce et de la prise en charge rapide. Cela m’a poussée à intégrer un réseau de santé. L’objectif ? Mieux repérer, mieux orienter, faciliter l’accès aux soins. À ce moment-là, j’étais encore loin du fonctionnement habituel de la psychiatrie publique, avec ses secteurs et son organisation. En 2010, j’ai rejoint la fonction publique hospitalière. J’y travaille toujours aujourd’hui.

Après — et c’est important de le dire — je n’ai pas exercé pleinement entre 2010 et 2020. J’ai basculé du rôle de soignante à celui de personne concernée. Mon trouble bipolaire de type 2 a été diagnostiqué tardivement. Jusqu’alors, mes épisodes dépressifs, bien que fréquents, semblaient isolés. Mais ils se sont intensifiés. Notamment après chacune de mes deux grossesses, en postpartum. Ma première grande crise est survenue à 40 ans.

« Être soignante a sans doute retardé mon propre diagnostic »


Avec du recul, je crois que j’avais des œillères. Travailler en psychiatrie n’a sans doute pas aidé. Je pense même que ça a retardé mon diagnostic. J’avais besoin de garder une distance. De ne pas trop m’identifier aux patients. Je ne me sentais pas légitime pour reconnaître ma propre souffrance, au regard de celle des personnes que j’accompagnais. Dans ma posture de soignante, il y avait cette idée — presque inconsciente — que je n’avais pas le droit de faillir. Je devais rester là, pour eux.

Quand, à mon tour, j’ai eu besoin d’aide, ça n’a pas été simple. Pour mes pairs, accompagner une collègue était délicat. Il y avait de la bienveillance, oui. Mais aussi une forme de gêne. Un tabou difficile à nommer : celui des frontières invisibles entre soignants et soignés. J’ai eu du mal à accepter ma condition de personne concernée. À chaque fin de crise, je croyais que c’était fini. Je faisais comme si rien ne s’était passé. Comme si ça n’avait jamais existé. Il a fallu une nouvelle rechute, plus sévère, qui a conduit à plusieurs mois d’hospitalisation sous contrainte, pour que j’accepte, d’avoir besoin de soins, sur la durée. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre ce que voulait dire, concrètement, le rétablissement.

À l’époque, le mot « rétablissement » n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui. Même dans le milieu professionnel. Au début des années 2010, c’était une notion encore très nouvelle. Ce que cela impliquait — accepter sa condition, comprendre qu’une rechute ne remet pas tout en cause, reconnaître qu’au-delà du diagnostic, il y a une vie à construire — restait flou. En psychiatrie, on regarde souvent les choses à travers le prisme d’un symptôme, d’un trouble. C’est ce regard-là que j’ai dû apprendre à faire bouger. Peu à peu.

« Je n’étais plus légitime à exercer en psychiatrie »

Ça a bien sûr eu un impact sur la façon dont je percevais mon travail. Au départ, j’ai pensé que je n’étais plus légitime à exercer en psychiatrie. Que le fait de souffrir moi-même d’un trouble m’enlevait la capacité d’accompagner d’autres personnes en difficulté. C’était une forme d’auto-stigmatisation, renforcée par le fait qu’à cette époque, la question de mon propre rétablissement me semblait encore très lointaine. Il a fallu attendre 2018, que mon état se stabilise, pour que je réalise qu’il existait mille manières d’être infirmière en psychiatrie. Et que, peut-être, je pouvais en inventer une qui me ressemble.

Chez mes collègues, c’était un peu pareil. Il y avait de la bienveillance, mais aussi une forme de crainte. Le fait que je travaille de nouveau dans ce secteur leur semblait risqué, surtout pour moi. Eh oui, ça se savait. Le monde de la psychiatrie, à Paris, est petit. Un jour, je croise un psychiatre que je connaissais, qui savait ce que j’avais traversé. Il m’a demandé si je voulais retravailler. Je lui ai répondu que j’en avais envie, mais que je ne savais pas encore comment. Ni sous quelle forme.

Il m’a expliqué qu’il était devenu chef de service, qu’il allait développer une équipe dédiée aux jeunes adultes, et m’a proposé de le rejoindre. Sur le moment, j’ai accepté, sans trop y croire. Il m’a proposé qu’on prenne le temps d’en reparler. Lors du rendez-vous, il est venu accompagné d’un autre professionnel de santé. Il ne m’a pas parlé de mon trouble, mais il a parlé de mes compétences, de mon expérience, de ce qu’il connaissait de mon travail. Ça m’a profondément touchée. Ça m’a rappelé que mes compétences étaient toujours là, intactes.

C’est comme si quelque chose s’était rallumé en moi. Comme si un chemin redevenait possible. J’ai repris le travail dans son service. Ce qui m’a rassurée, c’est que je n’avais pas besoin de tout expliquer : ma hiérarchie savait, et veillait discrètement à ma reprise. Quant aux collègues et aux patients, je ne me suis jamais cachée. J’avais déjà témoigné publiquement et même participé à un livre sur le rétablissement. Il suffisait de chercher mon nom pour savoir. Je n’en parlais pas spontanément, mais si la question venait, je répondais, simplement.

« Passer de soignant à personne concernée change la posture et l’attention portée aux personnes suivies »


On me pose souvent la question : qu’est-ce que cette expérience de personne concernée m’a apporté dans mon travail ?  Je n’aime pas tellement le mot « apporter », comme s’il s’agissait d’un supplément. Forcément, ça change des choses. La posture et l’attention qu’on porte aux personnes qu’on accompagne ne sont plus les mêmes. Deux sujets, en particulier, ont pris une autre dimension. D’abord la parentalité. Parce que moi aussi, je suis maman. Et c’est un sujet dont on parle très peu en psychiatrie : reconnaître que les personnes suivies peuvent aussi être des parents. Prendre en compte leur rôle, ne pas considérer qu’une maladie psychique annule leur vie de parent, ne pas tenir leurs enfants à distance ou faire comme s’ils n’existaient pas.

 Le deuxième sujet, pour moi, c’est la sortie d’hospitalisation. Parce que rentrer chez soi, c’est souvent retrouver son appartement comme on l’avait laissé, au plus fort de la crise. On n’y pense pas toujours : quand une personne sort de psychiatrie, on considère qu’elle va mieux, que les symptômes se sont apaisés, et qu’elle peut rentrer chez elle. Mais on ne regarde pas dans quelles conditions elle retourne vivre. Où elle va, dans quel état est son logement, si elle sera entourée. Sur ces questions, mon expérience m’a rendue particulièrement attentive. Et, bien sûr, sur la question des hospitalisations sans consentement, je suis devenue une fervente défenseuse des directives anticipées en psychiatrie. C’est aussi pour mieux intégrer l’entourage, mieux préparer la sortie, prévenir les risques de rechute. C’est essentiel.

Après, sur la question des hospitalisations sous contrainte, il y a des moments où on ne peut pas faire autrement. Mais l’important, c’est de savoir continuer avec. De ne pas rester enfermé dans le traumatisme de l’hospitalisation non consentie. Ce que je constate, et ce que j’essaie aussi de faire avancer dans le service où je travaille, c’est que la voix des usagers n’est pas encore assez entendue au moment de l’hospitalisation. Dans certains établissements, des comités d’usagers se mettent en place. C’est un pas important, mais il reste encore beaucoup à faire pour que cette parole soit pleinement reconnue.

Sur un blog, on avait créé une liste, un peu comme celle qu’on coche avant de partir en voyage. Mais cette fois, c’était la liste des choses essentielles à avoir en psychiatrie, et pourquoi elles comptaient pour nous. Parce que souvent, au moment de la crise, on oublie ce dont on a besoin. Je me souviens que, dans la mienne, j’avais noté : mon oreiller. C’est bête, mais ça change tout. Une amie, elle, avait écrit : un tote bag. Parce que dans beaucoup d’hôpitaux, la douche n’est pas dans la chambre, et il faut transporter ses affaires d’un bout à l’autre du service. Et puis il y avait aussi : penser à appeler cette personne, avoir sa musique préférée, emporter un livre qu’on aime, quelques crayons de couleur. Ce ne sont pas des caprices parce que ces petites choses peuvent vraiment faire la différence.

«  L’importance de trouver sa juste place »

Quand j’ai repris le travail, les médiateurs de santé pairs ont joué un rôle essentiel. Je me suis engagée pour qu’ils soient pleinement reconnus dans l’équipe de soins, pour qu’ils participent à part entière à tout ce qui pouvait être proposé aux patients.Travailler avec eux, c’était créer des ponts. Des ponts entre le vécu des patients et l’accompagnement soignant, des ponts aussi entre les différents professionnels.

Récemment, on a créé une association de patients, ainsi qu’un comité des usagers, dans lequel je me suis engagée. Les premières réunions ont été assez troublantes. On parlait beaucoup des droits des usagers, de leur place dans les soins, de la façon dont ils pourraient devenir plus acteurs de leur parcours. Sans le vouloir, ma voix devenait très engagée, comme si j’étais moi-même patiente du service. C’est là que j’ai pris conscience qu’il fallait être attentif à sa posture. Il faut pouvoir se protéger. Parce que, malgré tout, certaines situations peuvent réveiller des échos personnels. Il faut savoir les reconnaître, ne pas se laisser emporter.

Après, ce qui m’a beaucoup aidé, c’est ma formation d’infirmière en pratique avancée. Deux ans d’études supplémentaires, un master, pour élargir mes compétences cliniques, gagner en autonomie, notamment dans l’accompagnement et le suivi des traitements. Depuis l’obtention de mon master, je travaille dans une équipe où je parle ouvertement de mon trouble et de mon parcours. Mon histoire personnelle est connue, respectée, et même intégrée comme une richesse pour l’accompagnement des patients.

« Le travail et le sentiment d’utilité, moteurs de mon rétablissement »

Cela fait désormais cinq ans que je travaille sans arrêt. Rien que ça, c’est un vrai défi relevé pour moi. Au fil du temps, j’ai intégré de plus en plus mon trouble psychique dans mon parcours de vie, dans toutes ses dimensions — personnelle, familiale, professionnelle. Même si chacun a son propre chemin, et que tout le monde ne peut pas ou ne souhaite pas travailler, pour moi, être active a beaucoup compté. Le travail, le sentiment d’utilité que j’en retire, sont devenus des appuis essentiels à mon bien-être.

Cette expérience m’a aussi montré les points à améliorer. En psychiatrie, la notion de rétablissement reste encore à approfondir. Se rétablir, ce n’est pas seulement voir disparaître des symptômes. C’est bien plus vaste : c’est reconnaître toutes les dimensions de la personne, son histoire, ses aspirations, ses valeurs. Pour cela, il faut renoncer à plaquer sur l’autre un modèle tout fait. Être vraiment à l’écoute, rester fidèle à ce qui est important pour la personne elle-même. Aujourd’hui encore, cet aspect me semble souvent malmené.

Et puis, il me tient à cœur de rappeler que, même si la psychiatrie est encore souvent associée à la contrainte et à l’enfermement, nous sommes capables de faire autrement. Accueillir les personnes dans des lieux plus humains, plus ouverts, c’est possible. Mais pour cela, il ne suffit pas de mobiliser les équipes soignantes. Les pouvoirs publics ont aussi leur part de responsabilité. Quels moyens sont-ils prêts à mettre pour transformer l’hôpital ? À mes yeux, c’est fondamental. Car bien souvent, ce n’est pas seulement une question de volonté, c’est d’abord une question de moyens.

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La force des savoirs expérientiels : quand l’expertise du patient transforme la psychiatrie


Comment les savoirs issus de l’expérience des personnes vivant avec un trouble psychique ont bouleversé leurs parcours de soin en santé mentale ? Longtemps, le patient n’était qu’un simple récepteur des prescriptions, cantonné à un rôle passif dans sa propre histoire de guérison. Mais peu à peu, la reconnaissance du vécu, de l’expertise intime et du cheminement singulier a fait évoluer la psychiatrie. En co-construisant leur trajectoire, les personnes concernées rééquilibrent la relation soignant-soigné, bousculent la logique verticale de l’autorité médicale et ouvrent de nouvelles voies pour le rétablissement. Chez Plein Espoir, nous sommes convaincus que ces voix, quand elles sont enfin entendues, rendent la psychiatrie plus humaine, plus juste, plus ancrée dans la vie réelle. Sophie et Clémence par leurs expériences dessinent d’autres manières de penser et de vivre le soin.

« Hospitalisée,  j’avais l’impression d’être en prison. J’avais un contrat placardé au mur avec un certain poids à atteindre. En gros : tu ne sors pas tant que tu n’as pas atteint ce poids. Pas de visites, pas de sorties. Au début, je n’avais même pas droit aux livres », se souvient Sophie, 51 ans, dont le diagnostic d’anorexie mentale a été posé à l’âge de 13 ans. Son parcours de soins, jalonné de multiples hospitalisations, illustre une approche médicale qu’elle qualifie aujourd’hui de « drastique » voire « moyenâgeuse ». Malgré un suivi psychiatrique régulier durant des années, elle n’a jamais réussi à établir une véritable relation de confiance avec les médecins à l’hôpital, à l’exception du chef de service de l’hôpital de Saint-Étienne. Sa pire expérience étant celle vécue au sein d’une clinique spécialisée sur les troubles alimentaires, pourtant de bonne réputation : « Les deux psychiatres qui tenaient cette clinique avaient une approche presque militaire. Ils n’étaient pas du tout dans la compassion ou dans le fait d’essayer de comprendre pourquoi on est anorexique. Il fallait juste qu’on prenne des kilos. » Une approche qui, selon elle, traitait les symptômes sans s’attaquer aux causes profondes de son trouble qui étaient bien éloignées des clichés que l’on adresse souvent sur les personnes atteintes d’anorexie mentale. « Je ne souhaitais pas maigrir pour ressembler aux mannequins de l’époque comme on peut l’entendre parfois. Je ne voulais plus manger pour disparaître en quelque sorte. Un mal-être né d’un traumatisme. »

Une expérience qui fait écho à celle de Clémence, 37 ans, professeure documentaliste, diagnostiquée avec un trouble schizo-affectif après sa première hospitalisation sous contrainte à l’âge de 26 ans. « L’annonce du diagnostic a été violente pour moi, surtout que la psychiatre m’a juste dit que j’avais un trouble schizo-affectif, point barre. Sous le choc, je n’ai pas forcément demandé plus d’explications sur le coup. » Face à ce manque d’accompagnement, Clémence s’est alors tournée vers internet pour comprendre sa maladie, mais ce qu’elle y a trouvé l’a d’abord déstabilisée. « Ça présentait le malade sous une forme très négative. Je lisais que c’étaient des personnes qui avaient un manque de confiance en elles, qui étaient mal insérées dans la société… » Une description qui l’a conduite à rejeter son diagnostic pendant plusieurs années. S’il paraît logique de chercher des réponses sur Internet, beaucoup de fausses informations y circulent, ce qui, à l’instar de l’expérience de Clémence, peut nuire à la bonne compréhension de sa maladie. Pour éviter cet écueil, Plein Espoir recommande de consulter des sources d’informations fiables comme les sites Psycom et Schizo oui, et/ou de se mettre en relation avec des communautés de personnes vivant avec un trouble psychique, pour échanger et poser des questions en toute sécurité.

La quête d’informations : reprendre le pouvoir par la connaissance


Pour les deux femmes, comme pour beaucoup de personnes vivant avec un trouble psychique, la première étape vers l’autonomie a été la recherche d’informations. Non pas pour contester l’expertise médicale, mais bien pour la compléter, l’humaniser, se l’approprier. « J’ai découvert que dans le cadre de la schizophrénie et de la bipolarité, c’était la dopamine qui, dans le cerveau, avait un mauvais fonctionnement, explique Clémence. Ça m’a rassurée parce que je me suis dit : “Donc il y a vraiment un défaut chimique, une explication scientifique à mon état.” Ça voulait dire que ce n’était pas ma faute ni celle de ma famille si j’étais malade, ça a été un énorme soulagement. »

Cette compréhension “scientifique” de sa maladie a été un tournant décisif dans l’acceptation du diagnostic et de la nécessité de suivre son traitement. Pour Sophie, la prise de conscience a été plus progressive et s’est en grande partie construite à travers les échanges avec d’autres patientes atteintes de Troubles du Comportement Alimentaires (TCA) durant ses hospitalisations. « On parlait beaucoup entre nous, on s’appuyait énormément les unes sur les autres. Celles qui étaient les plus avancées dans leur rétablissement aidaient celles qui venaient d’être hospitalisées. Le fait d’échanger avec des gens qui nous comprennent parce qu’ils vivent la même chose, c’est salvateur. »

Mais pour l’une comme pour l’autre, le chemin vers l’acceptation a aussi comporté des errances, notamment avec une tentative d’arrêt des médicaments. « On a souvent besoin de passer par cette phase d’arrêt du traitement pour vérifier qu’il est vraiment nécessaire », reconnaît Clémence, qui, après plusieurs rechutes, a désormais pleinement acceptée sa maladie. Une expérience que certains médecins peinent parfois à comprendre, et qui pourtant fait partie intégrante du processus d’appropriation de la maladie par le patient.

La rencontre avec les pairs : une révélation

Pour Sophie et Clémence, vivre sereinement avec sa maladie ne se résume pas à suivre un traitement ou consulter un médecin. Il faut bien plus. Et bien souvent, c’est la rencontre avec d’autres personnes partageant la même expérience qui constitue le véritable déclic. « Quand on sort de l’hôpital psychiatrique et qu’on retourne chez soi, on ne comprend pas certaines choses, se souvient Clémence. Par exemple, moi, je n’avais pas l’impression d’être malade. En fait, il s’avère que j’étais en phase de manie, donc dans une excitation psychique, pas du tout triste. Je disais à tout le monde : “Je me sens bien, pourquoi vous me dites que je suis malade ?” Alors qu’en fait non, je pouvais m’énerver d’un coup ou partir dans une phase délirante. »

C’est après sa troisième crise que Clémence décide de se tourner vers des associations comme la Maison Perchée ou le ClubHouse. Des espaces non-médicalisés de personnes concernées en co-gestion ou en auto-gestion, où elle a pu rencontrer d’autres personnes vivant avec des troubles psychiques. Un psychiatre l’a aussi orienté vers un centre de remédiation cognitive, une structure attenante à l’hôpital pour échanger avec d’autres patients. « Discuter avec les pairs aidants m’a fait énormément de bien. J’ai reçu plein de conseils, de bonnes pratiques pour vivre avec ma pathologie… ça a tout changé. »

Pour Sophie, cette dimension collective s’est aussi révélée fondamentale. Aujourd’hui, elle intervient comme bénévole dans une association spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire, en particulier auprès des familles. « Je me sens très utile. À chaque fois, les échanges sont très chargés en émotion. Je vois dans leurs yeux qu’ils sont heureux que je sois là. Je pense que c’est important d’avoir face à eux quelqu’un qui leur donne de l’espoir et leur fait dire : “ma fille va peut-être s’en sortir, elle va arriver à avoir une vie, un travail, un conjoint”. Pour ces familles, je suis la preuve qu’on peut vivre “normalement” même avec un TCA. »

Des stratégies personnalisées pour vivre avec sa maladie


Au fil du temps, Clémence et Sophie ont développé leurs propres stratégies pour vivre avec leur maladie, au-delà du traitement médicamenteux et d’un suivi psy, qu’elles reconnaissent toutes deux comme nécessaires.

Pour Clémence, il s’agit d’une hygiène de vie stricte : « Avoir une alimentation saine, essayer de ne pas trop boire d’alcool, ne jamais consommer de cannabis, arrêter de fumer, faire un peu de sport… » Elle insiste également sur l’importance de prendre du temps pour soi et de cultiver des relations de qualité. Une autre initiative qu’elle a mise en place est le remplissage de Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP) : « C’est un document qu’on remplit seul ou avec son psychiatre ou avec un proche. On y consigne un certain nombre d’informations utiles aux autres en cas de crise. »

Pour Sophie, le tournant dans son rétablissement est venu grâce au travail. « J’ai été engagée comme pigiste dans la presse et petit à petit, ça a été la révélation. Le travail m’a donné l’impression, pour la première fois, que j’allais peut-être arriver à faire quelque chose de ma vie ! » Cette activité professionnelle lui a permis de renouer avec les autres et de retrouver sa place dans la société. « Je rentrais chez moi, j’étais fatiguée, mais c’était de la bonne fatigue. Moi qui avais tant de mal à m’ouvrir aux autres, je discutais avec plein de gens, je faisais des nouvelles rencontres tous les jours. Grâce à ce job, j’avais l’impression d’appartenir à une communauté. »

Vers un nouveau modèle de soins partagés



Ces témoignages illustrent une évolution profonde dans la relation entre patients et soignants. D’une approche traditionnelle verticale, où le médecin décide et le patient se conforme, on s’oriente progressivement vers un modèle plus horizontal, où l’expertise du vécu complète celle du diplôme. « C’est un processus qui est encore en cours, mais je ressens clairement que les lignes bougent, observe Sophie. J’ai mis des mots sur ce qui m’était arrivé, j’en ai parlé autour de moi, j’ai beaucoup lu… Je reste persuadée que le patient a beaucoup de choses à apprendre et à dire sur sa pathologie. Il faut juste qu’on l’écoute. »

Un espoir d’évolution partagé par Clémence : « Je pense qu’il y a une nouvelle génération de psychiatres qui sont vraiment dans l’écoute et dans le non-jugement. » Elle apprécie particulièrement ceux qui la considèrent comme actrice de son traitement : « Je suis tombée sur des médecins qui, quand j’ai voulu baisser mon traitement, m’ont aidé à le faire, et m’ont permis de faire des erreurs et c’est précieux : c’est comme ça qu’on nous rend acteur de notre rétablissement. »

Cette co-construction du parcours de soins ne signifie pas l’abandon de l’expertise médicale, mais son enrichissement par le savoir expérientiel. C’est ce que Clémence appelle « l’éducation thérapeutique », elle développe : « L’éducation thérapeutique, quelle que soit la manière dont elle est faite, même si c’est par soi-même ou par une association ou une structure attenante à l’hôpital, est indispensable pour faire face à la maladie. » Certains vont même jusqu’à formaliser leur savoir expérientiel grâce à l’obtention de diplômes spécifiques, de formations voire de métiers comme les Médiateurs Santé Pair.

Chez Plein Espoir, nous sommes convaincus que cette alliance entre savoirs professionnels et expérientiels représente l’avenir de la psychiatrie. Une psychiatrie où le rétablissement ne se mesure pas seulement à la disparition des symptômes, mais à la capacité de chacun à reprendre les rênes de sa vie, à retrouver du sens et à contribuer à la société, avec ou malgré la maladie. Une psychiatrie où, comme le dit si bien Sophie, on n’est pas forcément guéri, mais on peut être rétabli : « Je sais que la maladie est toujours en sommeil quelque part. Parfois elle me parle, de moins en moins souvent et de moins en moins fort, mais elle est là. Ce qui ne m’empêche pas de vivre pleinement. »

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Rétablissement : la psychiatrie ce n’est pas qu’à l’hôpital !


Le rétablissement est un chemin personnel, propre à chaque personne vivant avec des troubles psychiques. Ce n’est ni un protocole, ni une ligne droite. Mais il peut être soutenu quand le soin prend le temps de s’ajuster, d’écouter, d’accompagner sans enfermer. Quand il ne se limite pas à poser un diagnostic, mais s’inscrit dans une relation vivante, capable de respecter le rythme et les choix de chacun. Pour comprendre comment la psychiatrie libérale peut devenir un appui essentiel sur ce chemin, Plein Espoir a rencontré Elsa Maître, psychiatre installée en libéral à Paris, et Audrey, qui vit avec un trouble anxieux généralisé depuis plusieurs années. Ces deux femmes racontent, chacune à leur place, comment un lien de soin peut se construire dans le temps, fait d’écoute, d’ajustements, et d’accompagnements respectueux. Un chemin qui n’efface pas les fragilités, mais qui donne la force de continuer à avancer, autrement.

« Quand on parle de psychiatrie, c’est souvent l’image de l’hôpital ou de la crise qui vient en tête. Pourtant, ce n’est pas du tout ma réalité », confie Audrey, 32 ans, qui vit avec un trouble anxieux généralisé depuis plus de dix ans. En réalité, une grande partie des soins psychiatriques se déroule loin des hôpitaux. Selon les chiffres de la Drees, début 2022, la France comptait un peu plus de 15 500 psychiatres. Près de la moitié exerçaient à l’hôpital, mais un tiers travaillaient exclusivement en libéral. « La majorité des patients sont suivis en cabinet, par des psychiatres installés », souligne Elsa Maître, ancienne praticienne hospitalière à Sainte-Anne, aujourd’hui installée en libéral à Paris. Dans ce paysage souvent méconnu, la « psychiatrie de ville » a un rôle essentiel à jouer dans les parcours de rétablissement.

Tout l’enjeu, pour la psychiatre, c’est la manière dont le médecin choisit de se positionner face à la personne concernée. « Lorsqu’une personne consulte, elle cherche souvent une expertise, un diagnostic solide. C’est une approche assez classique, presque paternaliste, avec cette image du médecin-sachant, un peu tout-puissant, remarque Elsa Maître. Mais pour moi, tout se joue là : est-ce qu’on se limite à délivrer un diagnostic, un traitement, comme on remet une ordonnance ? Ou est-ce qu’on construit autre chose, quelque chose de vivant, à deux ? » Dans cette dynamique, le concept de rétablissement prend tout son sens : un espace d’échanges, de savoirs partagés, où l’on prend aussi le temps de comprendre ce qui compte vraiment pour le patient, ses priorités, ses projets de vie.

Accompagner sans enfermer, comprendre sans réduire la personne concernée


La première fois qu’Audrey a franchi la porte d’un cabinet de psychiatre, elle avait 20 ans. À l’époque, elle peinait à sortir de chez elle, terrassée par des crises d’angoisse dès qu’elle s’éloignait de son domicile. Alors, elle n’a pas vraiment eu le loisir de choisir son médecin avec soin. « On ne va pas se mentir, raconte-t-elle. J’ai pris le premier cabinet proche de chez moi avec un rendez-vous rapide. J’étais complètement bloquée : je n’arrivais plus à aller en cours, même acheter une baguette seule était devenu impossible sans l’aide de mes parents. Il y avait urgence. » Constatant sa détresse, le psychiatre lui prescrit alors de l’Anafranil, ainsi que de l’Alprazolam en cas de crise. Au bout de quelques semaines, le traitement commence à faire effet. Les crises deviennent plus rares, plus gérables. Rassurée par son amélioration, Audrey choisit de poursuivre son suivi avec son médecin généraliste. « En fait, je ne voyais pas vraiment l’intérêt de continuer avec ce psychiatre, explique-t-elle. Il ne me posait pas de questions pour essayer de comprendre d’où venaient mes crises. Il se concentrait uniquement sur la gestion du traitement et des effets secondaires. Je préférais en parler avec mon médecin de famille, avec qui je me sentais plus en confiance. »

La psychiatrie libérale est parfois critiquée : on lui reproche de se limiter à poser un diagnostic et à ajuster un traitement pour les personnes vivant avec un trouble psychique. Mais Elsa Maître, elle, voit les choses autrement. Lorsqu’elle reçoit un patient pour la première fois, elle prend le temps de poser beaucoup de questions, pour comprendre la nature du mal-être : s’agit-il d’un épisode isolé, qu’il s’agit de traiter avant de passer à autre chose ? Ou d’un moment de fragilité qui s’inscrit dans une trajectoire de vie plus large, nécessitant écoute et accompagnement ? « C’est là que le rôle du psychiatre devient passionnant, confie-t-elle. Accompagner sans enfermer, comprendre sans réduire. » Souvent, les personnes franchissent la porte d’un cabinet de psychiatre avec une vraie ouverture. « Beaucoup me demandent : est-ce que je dois prendre un traitement ? Est-ce que ce ne serait pas mieux d’aller voir un psychologue ? », raconte Elsa Maître. Pour elle, ce travail d’orientation fait pleinement partie du rôle du psychiatre, même s’il reste parfois invisible. Elle observe aussi que cette posture d’écoute est particulièrement marquée chez les jeunes, notamment ceux de moins de 25 ans. « Ils viennent sans idées préconçues, juste avec cette envie d’avancer, en quête d’un regard extérieur. » Et peu à peu, l’image figée du psychiatre qui « pose un diagnostic d’autorité » semble s’effacer dans cette génération.

L’importance de la pédagogie dans le travail du psychiatre libéral

Après plusieurs années de stabilisation aux côtés de son médecin généraliste, Audrey a fini par reprendre rendez-vous avec un psychiatre. « Pendant longtemps, j’ai fait comme si mon trouble anxieux n’existait pas, confie-t-elle. Il était là, tous les jours, mais c’était ma manière d’avancer, de l’accepter, de faire avec… Même si, parfois, il fallait trouver une excuse pour ne pas aller au travail, annuler un dîner avec des amis à la dernière minute. » Puis, il y a trois ans, après une rupture, tout a lâché. « Cette fois-là, je me suis retrouvée dans une impasse. Mais je n’ai pas foncé tête baissée : j’ai pris le temps de chercher quelqu’un dont l’approche thérapeutique me parlerait vraiment. » Très différent du praticien qu’elle avait vu des années plus tôt, en plus de l’adaptation de son traitement médical, ce jeune psychiatre lui pose beaucoup de questions sur ce qu’elle ressent. Il l’aide à repérer ce qui lui fait du bien, ce qui bloque, ce qu’elle arrive à faire, d’instinct, pour calmer une crise. Il lui propose même quelques exercices à faire chez elle : essayer de mettre des mots sur ce qu’elle traverse quand ça ne va pas. Ce n’est pas simple, une fois la crise passée, de décrire ce qui s’est joué. Mais Audrey essaie. Petit à petit, elle apprend à mieux comprendre ce qui se passe dans son corps, à voir à quel moment elle peut reprendre un peu le contrôle, et quand il vaut mieux juste observer ce qui se passe en elle.

Elsa Maître ne propose pas ce type d’exercices à ses patients, mais elle insiste, elle aussi, sur l’importance de la pédagogie dans sa pratique et dans le chemin du rétablissement. « Pour moi, le rétablissement passe vraiment par là : donner au patient la capacité de comprendre ce qui lui arrive. Mon rôle, c’est de partager ma vision de la situation. Dire par exemple : « Voilà ce qu’il serait intéressant de travailler dans votre parcours » ou prévenir : « Attention, ce n’est pas parce que vous avez mieux dormi que tout va rentrer dans l’ordre sans traitement. » Mon objectif, c’est de donner des outils pour que le patient puisse avancer par lui-même. » La pédagogie fonctionne aussi dans l’autre sens, ajoute-t-elle. Une fois les bases médicales posées, il faut être capable d’écouter ce que le patient transmet de son vécu, de son ressenti. « C’est unique à chaque personne, et ça m’aide à ajuster mon accompagnement. » Dans cette évaluation, il y a des points de vigilance. Dès les premières consultations, la psychiatre reste attentive au niveau de gravité de la situation : est-ce que quelques rendez-vous espacés suffiront, ou faudra-t-il un suivi plus rapproché ? « Si la situation est fragile, on passe dans une logique plus intensive : consultations fréquentes, appels téléphoniques si besoin, voire orientation vers des services d’urgence, parfois vers l’hôpital. » C’est tout l’équilibre du soin en libéral : parfois, un accompagnement ponctuel suffit ; d’autres fois, il faut reconnaître que ce ne sera pas assez pour sortir d’une situation critique.

Ne pas laisser une personne concernée seule face à une difficulté


Après six mois de suivi hebdomadaire, Audrey sent que les crises s’espacent, que peu à peu, elle reprend la main sur ses émotions. Elle a beaucoup maigri, mais l’appétit revient. C’est même son psychiatre qui, le premier, lui glisse qu’elle va mieux. « Moi aussi, je le sentais, confie-t-elle. Mais j’avais peur d’être encore trop fragile. Alors je n’osais pas mettre de mots sur cette amélioration. » Peu à peu pourtant, elle réalise qu’elle a de moins en moins de choses à lui dire. Naturellement, sa vie se remplit à nouveau, elle est moins disponible pour ces rendez-vous réguliers. Les consultations s’espacent sans même qu’elle y pense vraiment. « Bien sûr, dès que j’avais peur, je savais que je pouvais lui écrire un mail et qu’il me répondrait dans la journée, si c’était en semaine. Et j’avais toujours des petites solutions de secours si une angoisse montait d’un coup. Mais j’avais moins besoin d’y recourir. Tous les exercices m’avaient aidée à reprendre le fil de ma vie. » Les mois passent et, avec son médecin, Audrey décide de tenter une diminution de son traitement. « Ça faisait des années que je rêvais d’un jour où je n’aurais plus besoin de cette béquille chimique pour aller bien, raconte-t-elle. Où je serais assez forte, assez capable. » Mais très vite, les manifestations anxieuses reviennent, plus vives encore qu’avant. « Ça a été dur à accepter. On a décidé de faire marche arrière. Mais au moins, j’avais essayé. »

 « Pour moi, c’est essentiel d’expliquer clairement aux patients comment les choses peuvent se jouer », souligne Elsa Maître. À l’inverse, quand elle s’inquiète pour une personne, elle veille à être la plus claire possible sur ce qu’elle peut proposer. « Par exemple, avant un week-end, pour des patients dont je suis préoccupée, je précise les choses : je leur dis que l’on a posé un cadre, que je ne serai pas disponible par téléphone le samedi ou le dimanche, mais qu’ils peuvent m’envoyer un message avant le vendredi si besoin. Surtout, je rappelle systématiquement vers qui ils peuvent se tourner en cas d’urgence, avec les coordonnées de services que je connais. » L’idée est toujours la même : rendre le patient acteur de ce qui lui arrive, sans le laisser seul face à la difficulté. « Qu’il sache qu’il y a des relais, qu’il n’est pas isolé, que ça peut être moi, mais pas seulement. » D’ailleurs, à chaque consultation, la psychiatre prend le temps de faire le point : ce qui va mieux, ce qui évolue positivement grâce au traitement, mais aussi tout ce que le patient a mis en place par lui-même, avec l’aide d’une thérapie, par exemple. « Ce regard-là permet de réfléchir ensemble au moment opportun pour alléger un traitement. Le meilleur signe, souvent, c’est que le patient se sent prêt, exprime lui-même l’envie d’essayer. Mais il faut aussi tenir compte du contexte : éviter, par exemple, de baisser un traitement juste avant une période de stress, comme un nouveau travail ou des vacances. »

Le rétablissement, pour elle, c’est ça : intégrer le soin dans un parcours de vie, pas suivre mécaniquement des recommandations rigides. Elle évoque aussi les situations où il faut ajuster un traitement en urgence, même si la situation n’est pas complètement stabilisée : « Par exemple, certains patients prennent beaucoup de poids très vite avec un médicament. Même si le traitement fonctionne bien sur le plan psychique, cette prise de poids est parfois insupportable pour eux. » Dans ces cas-là, l’enjeu est d’en discuter franchement : peser ensemble les effets indésirables et leurs conséquences sur la qualité de vie. « Je prends le temps d’expliquer les différentes options possibles, et je vois les patients plus fréquemment pendant ces périodes de transition. »

Un chemin vers le rétablissement

Si Audrey a eu besoin de temps pour accepter l’idée qu’elle prendrait peut-être un traitement toute sa vie, le travail mené avec son psychiatre l’a aidée à franchir ce cap. « Même si c’est parfois frustrant, estime-t-elle, je considère, un an après avoir tenté d’arrêter mon traitement, que je suis dans une forme de rétablissement. Les crises sont toujours là, mais elles ne m’empêchent plus de travailler, d’avoir une vie sociale riche, ni même une vie sentimentale. » Elle le sait : ce chemin reste plus difficile pour d’autres. Mais elle reconnaît aussi que son trouble, dont elle se passerait volontiers, lui a appris certaines choses. « Je suis plus sensible, et cette sensibilité me donne beaucoup d’empathie. Dans mon métier d’illustratrice, j’ai l’impression que les sujets que je traite touchent les gens différemment. C’est ma manière à moi de donner du sens, de me battre avec ce que je suis. » Aujourd’hui, elle a aussi changé de posture face aux crises. « Avant, dès que je sentais les palpitations arriver, je me forçais à sortir, à faire comme si de rien n’était… et c’était pire. Maintenant, si je sens que ça monte, je préviens la personne que je dois rejoindre, je m’excuse. Je suis plus dans la pédagogie avec mes proches, j’en parle beaucoup plus facilement. » Elle sourit : « Je dirais qu’enfin, je n’ai plus honte de qui je suis. Et ça change tout. » Aujourd’hui, Audrey continue son suivi avec des consultations espacées. Et quand un moment plus fragile se présente, elle ajuste et rapproche les rendez-vous. Avancer, pour elle, c’est apprendre à s’adapter, surtout sans se juger.

Mais pour que ce soit possible partout, et éviter que l’attente ne rende les prises en charge plus lourdes, la question de la répartition des soins sur le territoire reste centrale. Si Elsa Maître exerce aujourd’hui à Paris, elle garde en tête ce que peut être le sentiment d’isolement pour un praticien installé loin d’une grande ville. « Aujourd’hui, je sais que je peux gérer des situations compliquées parce que j’ai des ressources autour de moi. Mais si j’étais seule, comment je ferais ? », interroge-t-elle. On parle beaucoup, en ce moment, de régulation, d’organisation des soins, mais Elsa Maître le reconnaît : elle a la chance de travailler dans une ville où, malgré les tensions, l’offre de soins reste relativement accessible. « Il faudrait pouvoir garantir cette proximité partout. C’est crucial, surtout dans une démarche de rétablissement. » Comme elle le disait plus tôt, le travail thérapeutique ne s’arrête pas à une ordonnance ou à une consultation : « C’est aussi pouvoir orienter vers une association, une mission locale, un dispositif de soutien… Et pour ça, il faut connaître ce qui existe autour de chez soi. C’est très différent de dire à un patient : « Renseignez-vous », depuis l’autre bout de la France, ou de pouvoir lui dire en cabinet : « Allez voir, c’est à deux rues d’ici. » »

La psychiatrie libérale, quand elle s’inscrit dans une approche attentive et ouverte, peut jouer un rôle déterminant dans les parcours de rétablissement. Loin de l’image d’un soin réduit à une ordonnance, elle offre un espace pour comprendre ce qui traverse la personne, pour l’aider à se réapproprier son histoire, ses priorités, son rythme propre. Le travail du psychiatre ne s’arrête pas à l’acte médical : il consiste aussi à écouter, à donner des repères, à accompagner les ajustements du quotidien. À poser, quand c’est nécessaire, un cadre rassurant sans enfermer. À reconnaître que chaque avancée, même minuscule, a du prix.

Ce lien exige de la disponibilité, de la clarté, une vraie pédagogie, mais aussi une connaissance fine du tissu local, pour pouvoir orienter sans laisser le patient seul face à l’immensité de ses démarches. Car le rétablissement n’est pas une ligne droite. C’est un chemin fait d’essais, de pauses, de reprises, parfois d’échecs, toujours d’élans. Pour que ce chemin soit possible pour tous, la question de la proximité des soins reste essentielle. Être accompagné, pouvoir trouver une aide accessible, concrète, humaine, là où l’on vit, peut faire toute la différence. Se rétablir, ce n’est pas effacer ses fragilités. C’est reconnaître qu’il y a des jours plus faciles que d’autres. C’est savoir qu’on peut avancer, retrouver du sens, renouer avec ses désirs, et habiter pleinement sa vie.

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Accompagner et soigner autrement : articuler le médical et le social au plus près des lieux de vie

Le rétablissement est un chemin personnel, propre à chaque personne vivant avec des troubles psychiques. Ce n’est ni un protocole, ni une ligne droite. Mais il peut être soutenu quand plusieurs regards se rencontrent — celui du soin, du médico-social, du social — non pas pour tracer la route à sa place, mais pour l’éclairer à ses côtés, sans l’enfermer ni la diriger.

Pour comprendre comment ces mondes s’articulent sur le terrain, Plein Espoir a rencontré Bertrand Lièvre, psychiatre et responsable de l’EMSAD,  une équipe mobile de soins à domicile active à Saint-Maur-des-Fossés et Joinville-le-Pont et Olivier Lecesve, chef de service éducatif au SAMSAH du Parc, un service médico-social qui accompagne au quotidien des adultes vivant avec des troubles psychiques. Deux approches différentes, un même territoire, et souvent, des personnes accompagnées en commun. Ils racontent une coopération vivante, exigeante, faite d’ajustements, de relais, de liens à construire. Une manière de faire équipe autour de la personne, sans jamais la remplacer. Parce que ce qui soutient, parfois, ce n’est pas la réponse d’un seul, mais la présence de plusieurs, chacun à sa juste place.

Plein Espoir : Pour commencer, pouvez-vous nous dire qui vous êtes et quel est votre rôle ?

Olivier Lecesve : Je suis chef de service éducatif au SAMSAH du Parc, à Saint-Maur-des-Fossés (94). C’est un service médico-social dont l’association gestionnaire est l’Union pour la Défense de la Santé Mentale (UDSM). La création des SAMSAH (Service d’Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés) s’inscrit dans la dynamique portée par les lois de 2002 et 2005, qui ont renforcé les droits des usagers et encouragé l’accompagnement là où la vie quotidienne se passe, plutôt qu’à l’hôpital.

Nous accompagnons au quotidien des personnes vivant avec des troubles psychiques sur plusieurs communes du Val-de-Marne, dont celles de Saint-Maur-des-Fossés et Joinville-le-Pont, territoire d’intervention de l’équipe de l’EMSAD. Nous sommes donc amenés à rencontrer les professionnels de cette équipe dans le cadre de réunions portant sur des situations d’accompagnements communes.

Nous avons une autorisation pour accompagner 26 personnes, mais nous en suivons un peu plus grâce à une organisation souple. L’équipe est pluridisciplinaire : trois infirmiers, deux éducateurs spécialisés, une psychologue à mi-temps et une psychiatre présente une journée et demie par semaine. Toutes deux sont cliniciennes : elles interviennent directement dans les accompagnements, au plus près des personnes.

Plein Espoir : Quels sont les parcours, les réalités de vie des personnes que vous accompagnez ?

Olivier Lecesve : Les profils sont très variés, tant en âge qu’en genre. Nous pouvons suivre des personnes à partir de 18 ans. Pour celles de plus de 60 ans, il faut toutefois qu’un droit ait été ouvert auprès de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) avant leur soixantième anniversaire. Sans cette reconnaissance préalable, notre service ne peut pas intervenir.

Les situations de vie sont elles aussi diverses : certaines personnes vivent seules, d’autres en couple, avec ou sans enfants, parfois en structure spécialisée. La plupart ont un parcours en psychiatrie, et beaucoup sont encore suivies — que ce soit à l’hôpital ou par un psychiatre en libéral. Un suivi médical n’est pas une condition obligatoire, mais le dossier d’admission comporte une partie médicale. L’idéal, c’est qu’elle soit remplie par un psychiatre, mais un médecin généraliste peut aussi le faire. Ce qui compte surtout, c’est de maintenir un lien avec les soignants.

Plein Espoir : Quel type de soutien pouvez-vous apporter ?

Olivier Lecesve : Nos missions sont fixées par le Code de l’action sociale et des familles. Les accompagnements touchent à plusieurs aspects : l’insertion, les droits, l’autonomie, la vie sociale, la santé mentale et physique. Ils varient selon la situation et les besoins de chacun. Souvent, une équipe ou un proche aide à formuler une première demande. Mais pour nous, tout commence par la relation. On prend le temps de créer un lien de confiance avec la personne concernée. C’est ce lien qui permet ensuite de vérifier si les objectifs fixés tiennent la route, ou s’il faut les ajuster.

Plein Espoir : Concrètement, à quoi ressemblent ces accompagnements au quotidien ?

Olivier Lecesve : C’est assez hétérogène. Parfois, il s’agit de passer du temps au domicile pour réfléchir ensemble à un soutien pratique comme l’organisation des repas, l’entretien du logement, la gestion des papiers. Mais il arrive que la personne ait un besoin hors domicile. Dans ces cas-là, on peut l’aider à sortir de chez elle, marcher un peu, reprendre les transports en commun, renouer avec le monde. Puis, il y a aussi tout ce qui concerne les soins : reprendre contact avec un CMP (Centre Médico-Psychologique), consulter un médecin généraliste ou s’orienter vers un suivi plus spécialisé. Tout dépend des besoins, et de ce que la personne est prête à engager.

Plein Espoir : Avant d’aller plus loin, pouvez-vous vous présenter, Bertrand Lièvre ?

Bertrand Lièvre : Je suis responsable d’une équipe mobile de psychiatrie qui intervient à Saint-Maur-des-Fossés et Joinville-le-Pont dans le Val-de-Marne. Ce dispositif sanitaire est un dispositif des Hôpitaux Paris Est Val-de-Marne. Dans l’équipe, interviennent deux psychiatres, un cadre de santé, cinq infirmières, deux assistantes médico-administratives, bientôt un psychologue et nous espérons le recrutement d’un médiateur de santé pair, avec la possibilité également d’évaluations complémentaires, sociales, en psychomotricité … Notre mission, c’est parfois de faire des évaluations mais c’est surtout de soigner et d’accompagner à domicile des personnes vivant avec des troubles psychiques, à partir de 18 ans. On n’intervient jamais sans l’accord de la personne, hormis de rares situations de crise.

Concrètement, on propose des soins psychiatriques intensifs, comparables à ceux de l’hôpital, mais à domicile, et ça change tout. Comme je le dis souvent, on est en position d’invités, ce qui modifie d’emblée la posture. Cela permet souvent d’éviter une hospitalisation complète, ou d’en limiter la durée. Ce dispositif permet également de renforcer l’alliance thérapeutique, de proposer des soins orientés rétablissement au plus près des besoins, d’inclure l’entourage et de les soutenir et enfin, de contribuer à la réduction de la stigmatisation.

Plein Espoir : Est-ce que vous pouvez intervenir après une hospitalisation, pour maintenir un lien ?

Bertrand Lièvre : Oui bien-sûr, pour raccourcir la durée des hospitalisations en poursuivant au domicile les soins débutés à l’hôpital mais nous essayons surtout de proposer des soins intensifs en amont comme alternative à l’hospitalisation à l’hôpital. Il n’est pas question de dire que l’hôpital n’a plus sa place, parfois il est indispensable, mais les unités mobiles montrent qu’il existe d’autres façons de soigner. Les équipes mobiles sont devenues un maillon essentiel du parcours en santé mentale mais, selon les territoires, leur présence reste très inégale. Comme le disait Olivier, il s’agit d’aller vers et de proposer une vraie alternative à l’hospitalisation complète, chaque fois que c’est possible.

Plein Espoir : Quand vous dites que vous allez vers les personnes, comment sont-elles repérées ?

Bertrand Lièvre : Une partie des demandes vient directement de nos services, que ce soit le service d’hospitalisation, les CMP ou l’hôpital de jour. Les autres demandes viennent des hôpitaux de proximité, des médecins généralistes, des psychiatres libéraux parfois, des partenaires médico-sociaux mais aussi des services sociaux de notre territoire. Certaines demandes viennent des patients eux-mêmes, s’ils connaissent le secteur ou ont entendu parler de nous. Il arrive que ce soient les proches qui nous contactent, des bénévoles d’associations caritatives parfois, une concierge d’immeuble une fois et même un jardinier ! 

Plein Espoir : Et du côté du médico-social ?

Olivier Lecesve : Comme je le disais, pour être accompagné par le SAMSAH, il faut avoir un droit ouvert à la MDPH — c’est-à-dire avoir fait une demande et obtenu une reconnaissance du handicap. Mais ce n’est pas toujours évident, car elle peut être difficile à accepter pour certaines personnes. Et parfois, ce sont aussi les proches ou les aidants qui nous sollicitent directement. Ils entendent parler du SAMSAH, ils rencontrent un travailleur social… et ils viennent nous poser des questions : Qu’est-ce que vous faites ? Est-ce que vous pouvez intervenir pour mon frère, ma fille ?

Plein Espoir : Encore aujourd’hui, on a souvent cette opposition entre psychiatrie libérale et psychiatrie hospitalière. Comme s’il n’existait que deux états : la stabilisation d’un côté, la crise de l’autre. Et rien entre les deux. Mais finalement, ce que vous proposez, c’est une troisième voie.

Bertrand Lièvre : L’essentiel des moyens de la psychiatrie hospitalière sont dans la cité et participent très largement à la stabilisation des patients que l’on accompagne dans leur parcours de rétablissement. Si l’hôpital est le lieu de la prise en charge de la crise, l’ambulatoire doit être renforcé pour l’éviter ou la traiter autrement : les moyens des CMP, des hôpitaux de jour, mais aussi avec le déploiement des unités mobiles avec la possibilité de prodiguer des soins intensifs au domicile. La démarche d’aller vers soutient le rétablissement. C’est la personne qui décide si elle nous ouvre sa porte, choisit où on s’assoit … Il y a une position d’égalité immédiate comme je le dis souvent aux personnes et à leur entourage. On avance ensemble, chacun avec son rôle, son expérience.

Plein Espoir : Au fond, cela rejoint aussi l’esprit des directives anticipées : replacer la personne au cœur du soin, en tant que sujet pleinement acteur, et non comme simple objet de la prise en charge ?

Olivier Lecesve : Remettre la personne au centre de son parcours de soin, c’est une intention forte et juste. Mais comme toute intention, elle doit se confronter au réel. Chaque jour, je travaille avec des professionnels du sanitaire, du social et du médico-social qui cherchent à ne pas penser à la place de la personne, mais à partir de ce qu’elle vit.

Cela dit, ce n’est pas parce qu’on va vers quelqu’un qu’on est forcément dans la bonne posture. On peut croire qu’on écoute et passer à côté. Observer sans vraiment entendre. Aller vers, oui, c’est un pas important — mais ce n’est pas une fin en soi. Tout se joue dans la façon dont on s’approche, dans l’intention qu’on y met.

Plein Espoir : Au-delà du fait que vous interveniez sur le même territoire, dans quelle situation concrète avez-vous été amené à coopérer ?

Olivier Lecesve : Le premier lien entre le SAMSAH et l’équipe de Bertrand s’est noué autour de situations cliniques. Dans certains cas, les soins à domicile ne pouvaient plus continuer. L’admission au SAMSAH a alors été proposée comme alternative. Avec le temps, on a appris à mieux se connaître, à repérer ce que chacun pouvait apporter. C’est ce travail commun qui permet aujourd’hui de construire des accompagnements plus cohérents.

Le SAMSAH est né pour répondre à des besoins très concrets : soutenir les sorties d’hospitalisation, éviter les rechutes, accompagner les évolutions du secteur. Mais entre l’idée de départ et la réalité du terrain, il y a toujours un écart. Ce qu’on fait au quotidien, ce sont des ajustements, au fil des situations. La coordination fait partie intégrante de nos missions — c’est même inscrit dans notre cadre légal. On appartient à un réseau d’acteurs, et à ce titre, on a la responsabilité de se coordonner avec tous ceux qui accompagnent la personne.

Bertrand Lièvre : Les personnes concernées ne se disent pas : Ce matin, je suis dans le sanitaire, à midi dans le médico-social, et à 14h dans le social. Elles circulent entre les ressources, au moment où elles en ont besoin.  Notre système, lui, a été construit en silos, pour des raisons historiques, organisationnelles et budgétaires. Le partenariat permet de déconstruire ces frontières, de créer des ponts et même de rapprocher les berges. L’objectif est que chacun ait accès à un panier de ressources, dans tous les champs d’intervention, sanitaire, médico-social, social.

Aujourd’hui, je peux dire aux patients : Je suis à votre service. Il y a vingt ans, je n’aurais jamais imaginé dire cela. J’ai commencé à faire de l’aller-vers à la fin des années 1990. Presque trente ans plus tard, je mesure à quel point chaque parcours, chaque rencontre, déplace un peu plus les lignes.

Plein Espoir : Vous disiez que vous partez des besoins exprimés des personnes concernées et que c’est essentiel. Mais comment les personnes peuvent exprimer des besoins si elles ignorent que certaines aides, certains dispositifs existent ?

Bertrand Lièvre : En tant que professionnels, on se doit de connaître le maximum de ressources, qu’elles relèvent du sanitaire, du médico-social ou d’un autre champ, et être en mesure de les proposer quand le besoin s’exprime. Parce que pour que chacun puisse faire des choix, encore faut-il savoir ce qui existe.

Plein Espoir : Et vous, Olivier, est-ce que vous jouez aussi ce rôle de relais, de passeur vers d’autres ressources ?

Olivier Lecesve : Oui, le SAMSAH a justement cette mission de repérage et d’orientation : connaître les dispositifs, savoir vers qui orienter, transmettre l’information. Mais tout se joue dans la manière dont ça prend forme. On peut connaître le paysage institutionnel… mais  comme le disait Bertrand, il faut souvent aller plus loin. Parce que des besoins nouveaux apparaissent, parce qu’un accompagnement atteint ses limites, ou qu’une difficulté inattendue surgit.

Alors on réfléchit avec la personne : Qu’est-ce qui pourrait aider ? Qu’est-ce qui manque ? On cherche des solutions pratiques, on organise des échanges avec des partenaires. Et parfois, c’est une situation d’accompagnement précise qui nous fait découvrir un dispositif inconnu jusque-là. C’est là que notre travail prend tout son sens.

Bertrand Lièvre : Un des éléments qui donne une couleur particulière à nos pratiques partenariales, c’est l’existence, depuis 2007, sur nos deux communes, d’un Réseau de Santé Mentale, le RSM, qui associe des professionnels du sanitaire, du médico-social et du social. Ce réseau est une vraie force, car il rend les liens concrets, vivants, chaleureux et permet des pratiques partenariales. Il n’y a pas de partenariat sans pratiques partenariales qui se déclinent par des accueils conjoints, des accompagnements partagés, des temps de réflexion en commun … Les professionnels se connaissent bien, se parlent facilement sans crainte d’être jugé, se tutoient parfois. Ce sont les liens humains qui peuvent ouvrir de vraies passerelles.

Certes, nous n’avons pas pour le moment de CLSM, Conseil Local de Santé Mentale, espace de concertation où élus, professionnels, associations et usagers se retrouvent pour réfléchir ensemble aux besoins du territoire en matière de santé mentale, mais nous y travaillons avec les communes concernées.

Plein Espoir : On parle souvent du rôle du soin dans le rétablissement, mais est-ce qu’il ne faudrait pas regarder plus large ? Le médico-social, le social… ce sont aussi des soutiens importants dans la vie des personnes, non ?

Olivier Lecesve : On ne se revendique pas du courant du rétablissement, mais on y contribue d’une certaine manière. Avec chaque personne accompagnée, nous essayons de construire un chemin vers un mieux-être. En nous appuyant sur ce qu’elle accepte de nous confier : ses difficultés, ses limites, ses attentes. Notre façon d’accompagner, notre posture, s’inscrivent dans cette dynamique. Bien sûr, chaque champ a ses spécificités en termes de missions et de savoir-faire — le soin, le social, le médico-social — l’objectif étant d’installer des espaces de coordination entre ces différents acteurs de l’accompagnement afin de garantir une cohérence pour les personnes concernées.

Bertrand Lièvre : Il ne faut pas oublier que le rétablissement n’appartient pas aux professionnels, mais aux personnes concernées. Notre rôle, c’est de créer les conditions qui peuvent en favoriser le chemin. Les pratiques orientées rétablissement, c’est, au-delà de l’utilisation d’outils pertinents, avant tout une posture, une culture, une manière de penser la relation.

Olivier Lecesve : Pour conclure, je dirais que cette culture se construit ensemble. On se rencontre parce qu’on est confrontés à une réalité qui nous convoque à penser collectivement, mais cela ne peut s’installer ni se maintenir sans engagement. C’est de là que naît la coopération. Bien sûr, ça prend du temps. Parfois, ça coince. Mais j’ai vu combien il était précieux de pouvoir partager nos regards, nos questions, nos doutes aussi. Cette confrontation bienveillante, c’est une vraie richesse. Après, comme tout lien, il faut l’entretenir. Alors, on continue. Et tant qu’on reste attaché à ce qui nous rassemble — les personnes qu’on accompagne — ça garde tout son sens.

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Écouter autrement, soigner ensemble : ce que changent les directives anticipées en psychiatrie pour les personnes concernées, les professionnels et les structures


Et si l’on repensait le soin psychiatrique non plus seulement à partir des symptômes, mais à partir des personnes concernées ? C’est tout l’enjeu des Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP). Elles recouvrent des outils encore discrets, mais porteurs de transformations profondes. Rédigées à distance d’une éventuelle crise, elles permettent de poser des mots sur ce qui compte, ce qui aide, ce que l’on refuse ou redoute quand l’état de santé ne permet plus de s’exprimer clairement. Plus qu’un document, c’est un espace de réflexion partagée, qui invite à écouter autrement, à soigner ensemble, à construire un cadre de soin plus respectueux et ajusté. Les DAP sont ainsi un outil citoyen, que chacun peut remplir ! Pour mieux saisir ce que les DAP transforment, dans les pratiques comme dans les liens de soin, Plein Espoir a rencontré Ofelia Lopez, psychologue clinicienne au groupe hospitalier Fondation Vallée–Paul Guiraud, et Nathalie Debrie, pair-aidante professionnelle. Cette dernière a elle-même utilisé l’un des outils de DAP existant, en l’occurrence Mon GPS (Guide Prévention et Soins en santé mentale) comme ressource dans son parcours de rétablissement. À elles deux, elles racontent ce que cet outil permet : redonner une voix aux usagers, du sens aux soignants, et, peut-être, un nouveau souffle aux institutions.

Il y a trente ans, Ofelia Lopez faisait ses premiers pas en psychiatrie avec une idée toute simple : pour aider les personnes concernées, il fallait d’abord écouter. Écouter vraiment. « Dès ma formation, on nous parlait de prévention, d’éducation pour la santé », raconte la psychologue clinicienne. Pas seulement pour apprendre à repérer les signes de souffrance, mais pour aller plus loin : aider les personnes à comprendre leur trouble, à s’approprier leur parcours de soin, à redevenir actrices de leur vie. C’est cela, l’éducation thérapeutique du patient : partager les connaissances, expliquer les traitements, mettre des mots sur des ressentis. Pour que le soin ne soit pas une suite d’injonctions descendantes, mais un dialogue. Une coopération.

Une volonté de remettre le patient au centre du soin


La professionnelle de santé s’intéresse ensuite à la réhabilitation psychosociale. Une approche qui ne s’arrête pas à la stabilisation des symptômes, mais qui vise un retour à la vie sociale, affective, professionnelle. Un travail de fond pour restaurer l’estime de soi, retisser des liens, retrouver une place dans la société. « J’y ai reconnu ce que je portais déjà », souffle-t-elle. L’idée qu’un diagnostic ne dit pas tout. Qu’il y a, derrière, des envies, des talents, des projets à accompagner.

En découvrant les directives anticipées en psychiatrie — déjà utilisées dans plusieurs pays mais encore inconnues en France — Ofelia Lopez a eu envie d’agir. « À ce moment-là, je travaillais dans un foyer de post-cure à Paris, un lieu entre l’hôpital et le retour à la vie quotidienne. Avec ma collègue Marie Condemine, on voulait trouver un moyen d’éviter les rechutes, les ruptures, et défendre les droits des personnes concernées. Comme il n’existait encore aucun outil en France, on a décidé d’en créer un », raconte-t-elle.

C’est ainsi qu’elle participe à la création des livrets Mon GPS — mon guide de prévention et de soins, [cet outil, mis en place par l’association Prism et le Psycom et soutenu par la fédération Santé mentale France existe en version  Ado/Jeune Adulte et  Parents]. Des supports à remplir seul, avec un proche ou un professionnel, pour mieux repérer ce qui peut aider en cas de crise, ce qui fait du bien, ce qu’il vaut mieux éviter. « Nous voulions créer quelque chose de souple, de maniable, qui puisse être saisi librement par les personnes concernées, mais aussi par leurs proches, et par les professionnels — qu’ils soient du sanitaire ou du médico-social », ajoute la psychologue. Une manière de replacer l’usager au centre du soin — et non à sa périphérie.

Un outil au service du rétablissement

Nathalie Debrie entend parler quant à elle des directives anticipées en psychiatrie en 2019, peu après une hospitalisation liée à une crise d’hypomanie. « J’ai téléchargé le livret sur le site du Psycom et j’ai répondu à toutes les questions », raconte-t-elle. Ça lui a pris du temps. Mais elle a tenu bon. « La crise venait juste de passer. J’avais encore tout en tête : ce que j’avais ressenti, ce qu’on avait décidé pour moi. Je voulais éviter que certaines choses se reproduisent. »

Remplir le livret Mon GPS, pour la pair-aidante, ce n’était pas juste cocher des cases. C’était mettre de l’ordre dans le tumulte. « Ça m’a aidée à clarifier mes idées, ça m’a soulagé parce que je sais que je serai mieux armée la prochaine fois. » Certaines questions, posées simplement, ont agi comme des déclencheurs. Comment suis-je quand je vais bien ? Comment suis-je quand je vais mal ? Répondre, c’était apprendre à se relire. À repérer les signaux faibles. À tracer, par petites touches, une cartographie intérieure.

« Quand je vais bien, je suis sereine, dit-elle. Je prends soin de moi, de mon image, j’écoute de la musique, je lis, je conduis… Et puis, je pense à des choses douces. » Le contraste avec les moments de moins bien est saisissant. « Quand, mon état se dégrade, l’angoisse revient. Je ne me déplace plus, ou alors à peine. C’est comme si sortir de chez moi devenait trop compliqué. Je n’ai plus envie de lire, je ne conduis plus, je ne parle plus à mes proches. Et je me dis que ma vie est finie. Quand j’en suis là, je sais qu’il faut être vigilant. »

Avec le temps, Nathalie Debrie a appris à reconnaître les bascules. Ce moment flou où tout peut vaciller. Mais grâce au livret Mon GPS, elle sait désormais où chercher quand la crise menace de revenir. « Pour moi, le premier geste à faire, quand ça ne va pas, c’est de relire Mon GPS. Ce n’est pas un outil réservé aux soignants. C’est aussi un outil pour soi. Quand la crise commence à monter, je m’y replonge. Je retrouve des phrases que j’ai écrites à un moment de clarté, des repères, des rappels : qu’est-ce qui m’a aidée la dernière fois ? » Désormais elle sait ce qui l’aide à revenir, doucement, vers un équilibre. « Me reposer. Promener ma chienne. Aller en forêt. »  À l’inverse, elle sait aussi ce qui la fragilise. « Quand je ne vais pas bien, ce qui ne m’aide pas, c’est d’avoir trop de contacts autour de moi. Ce qu’il me faut, c’est un endroit calme, où je peux me poser, respirer. »

Mon GPS, pour Nathalie Debrie, c’est un document ressource. Une ancre. Une mémoire en veille. Il permet de remettre un peu d’ordre dans la confusion. « Ça aide à se poser. À ne pas paniquer tout de suite, nous confie-t-elle. À se rappeler que je peux m’en sortir. Par exemple, j’ai noté que si vraiment ça devient trop compliqué, je peux appeler le 15. C’est bête, mais quand on panique, on oublie les choses les plus simples. Appeler le 15, ce n’est pas forcément pour faire venir le SAMU, c’est juste pour entendre une voix, avoir une piste, retrouver un point d’appui. » Elle le sait : dans ces moments-là, relire ce qu’on a écrit quand ça allait mieux, c’est déjà commencer à revenir.

Un outil qui redonne du sens aux pratiques

À mesure qu’elle le pratique, Ofelia Lopez voit en Mon GPS bien plus qu’un outil de prévention : c’est un terrain de médiation, un espace pour penser ensemble ce qui reste souvent enfoui. « C’est un support pour penser. Pour explorer son savoir expérientiel, mettre des mots sur ses crises, ses ressources, ses besoins. Pour certains, cela a permis d’aborder des zones restées jusqu’alors dans l’ombre. Et pour moi aussi, cela a ouvert des portes. Des questions que je n’aurais peut-être jamais osé poser aux personnes que j’accompagne », nous explique-t-elle.

Remplir Mon GPS, c’est aussi revenir sur ce qui s’est passé à l’hôpital. Les souvenirs remontent, les silences aussi. La contention. L’isolement. Les mots qui blessent. Les portes qu’on ferme. La violence d’un soin qui se voulait protecteur, mais qui a parfois laissé plus de traces que la maladie elle-même. « Il faut pouvoir le dire : l’hospitalisation peut être traumatique. Elle l’est souvent. Et certaines mesures coercitives ne sont pas toujours justifiées, explique la psychologue clinicienne. Parfois, elles sont mal comprises et elles peuvent être abusives. » C’est pour cela qu’elle estime que le partage du livret est essentiel. Avec un professionnel référent, un proche, quelqu’un de confiance. « On ne peut pas deviner ce que l’autre souhaite ou ce qu’il refuse s’il ne le dit pas. Et c’est dans cet échange que l’outil prend toute sa portée : il devient un support de communication, de négociation, de co-construction du soin. Il permet de réfléchir ensemble. De poser les mots. D’anticiper, sans imposer », ajoute-t-elle.

En ce sens, Mon GPS ne transforme pas seulement la place du patient. Il redonne aussi du sens au travail des soignants. Car il ne s’agit plus de décider pour, mais avec. De s’ajuster à une histoire, une sensibilité, une temporalité. De retrouver, dans la relation de soin, un espace de dialogue et de confiance. Beaucoup de professionnels en témoignent : ce type d’outil ravive le cœur du métier. Celui qui consiste à écouter, comprendre, accompagner. Pas seulement à prescrire.

« Et on pourrait aller plus loin, estime Ofelia Lopez. Rien n’empêche aujourd’hui d’inscrire Mon GPS dans l’espace numérique de santé de la personne, accessible aux services d’urgence en cas de crise. Ce serait une avancée concrète : pousser la logique du droit jusqu’à son terme. Car ce sont bien les directives du patient — ce sont les siennes. Il en est le propriétaire. Il choisit à qui les confier. Et s’il décide de ne pas les partager, cela doit être respecté. C’est à nous, professionnels, de les lire. De les respecter. Et, le cas échéant, d’expliquer pourquoi nous ne l’avons pas fait. »

Par exemple : « Écoutez, vous m’aviez dit que vous ne vouliez pas de cette molécule. J’ai dû vous l’administrer, voilà pourquoi. Voilà dans quelles conditions. Voilà ce qui m’y a contraint. » Ce n’est plus un geste solitaire, vertical, venu de la tour d’ivoire médicale. C’est une décision partagée, documentée, confrontée au réel — mais éclairée par la volonté initiale de la personne concernée. En réalité, Mon GPS oblige chaque professionnel de la psychiatrie à se reposer une question essentielle : Pourquoi est-ce que je propose cela à ce patient ? Et surtout : Lui a-t-on demandé ce qu’il en pensait ? Il ne s’agit pas seulement de proposer un soin, mais de chercher ensemble la forme la plus juste, la plus acceptable. De travailler côte à côte. Non plus l’un à côté de l’autre.

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