Troubles psychiques et parentalité : accompagner le rétablissement de son enfant à son rythme


Quand on devient parent, on imagine un chemin pour son enfant. On souhaite qu’il ne manque de rien, bien sûr, mais surtout qu’il apprenne à faire seul, à tracer sa voie dans un monde qu’on sait parfois difficile. Mais il arrive que les troubles psychiques viennent bouleverser l’équation. Tout semble aller bien, et soudain, sortir de sa chambre, se laver, prendre un bus deviennent des épreuves. Et face à cela, on s’inquiète, on s’épuise, on s’agace aussi. Il faut alors apprendre à voir les choses autrement. À ne plus regarder son enfant à travers ce qu’il devrait faire, mais à travers ce qu’il essaie, à son rythme. Valérie et Nadia ont accepté de nous raconter le chemin parcouru avec leurs filles, Audrey et Sarah. L’une vit avec un trouble anxieux généralisé, l’autre avec un trouble du spectre de l’autisme. Deux histoires pleines de doutes, d’ajustements et de petits pas qui finissent par compter.

Être parent, c’est souvent projeter un parcours fantasmé sur son enfant, sans même s’en rendre compte. On imagine nos enfants débrouillards, entourés, pleins d’envies. On croit, à tort, qu’un amour immense suffira à les mettre à l’abri, à les protéger de tout. Alors on trace dans sa tête une ligne droite, pavée d’étapes rassurantes : des copains, le bac, des trajets en autonomie, un premier job, peut-être. On se dit que ça viendra, naturellement. Que c’est comme ça que ça doit se passer. Mais parfois, le scénario déraille. Il faut alors apprendre à marcher à petits pas, rester liés, même quand il faut accepter de renoncer à certaines choses.

Quand les gestes les plus simples deviennent des sommets à gravir


Valérie se souvient de l’enfance d’Audrey comme d’un grand ciel bleu. Une petite fille vive, bavarde, le rire facile, le regard toujours tourné vers les autres. À l’école, tout se passe bien. Elle aime apprendre, elle est entourée. Adolescente, elle sort beaucoup, elle vit fort. Bien sûr, il y a déjà quelques ombres, mais c’est normal à cet âge-là. Audrey a toujours eu peur de la maladie. Par exemple, dès qu’un camarade vomit, elle s’enfuit. Pour elle, c’est la pire chose au monde, une panique incontrôlable. Et puis, elle n’aime pas trop le changement. Il suffit de changer de place un meuble dans sa chambre pour qu’elle perde le sommeil. Elle a besoin de cadres, d’être sûre que les gens l’aiment, qu’ils ne vont pas partir.

À dix-huit ans, elle tombe enceinte. Un oubli de pilule, comme si elle ne mesurait pas encore que son corps est devenu celui d’une femme. Pour Valérie, le choc est double. Une semaine plus tôt, elle a appris qu’elle avait un cancer du sein. C’est trop d’informations en même temps. Alors elle fait un choix qu’elle traîne encore avec elle : elle part quelques jours de la maison, laisse son mari s’occuper de sa fille. « J’étais vidée, lessivée… J’avais l’impression que tout s’effondrait en même temps, mon corps, ma fille, nos repères. J’ai fui. C’est dur à dire, mais c’est ce que j’ai fait. »

Après cet événement, tout semble reprendre sa place. Audrey poursuit ses études. Mais un an plus tard, le jour anniversaire de l’avortement, la jeune femme fait une crise de panique dans le métro. Elle est en sueur, son cœur s’emballe, elle a l’impression qu’elle va mourir. Par chance, une amie la ramène chez elle. À partir de ce jour-là, tout change. Dès qu’elle sort de son lit, ses mains tremblent. Son cœur cogne trop fort. Elle n’arrive pas à expliquer ce qui lui arrive, et Valérie, elle, ne sait plus comment l’aider. « Elle, qui était si libre, si pleine d’élan, ne savait même plus comment se lever. Je ne comprenais pas. C’est pourtant pas si difficile de se lever, je l’ai fait quand j’étais malade. Au début, je pensais que c’était une mauvaise passe. Mais ça ne passait pas. » Pour la mère de famille, c’est comme si un voile était tombé sur sa fille. Un voile dont elle ne connaissait ni la texture, ni les bords. Au bout de quelques mois, le psychiatre qui suit Audrey parle de trouble anxieux généralisé.

Une petite fille différente qui cumule les troubles

Pour Nadia, l’histoire est différente. Elle a longtemps pensé que sa fille était originale. Une petite fille pleine d’imagination, avec ses obsessions passagères et ses peurs minuscules. Un jour, c’était les papillons. Le lendemain, les fourmis. En famille, on en riait tendrement. « Sarah est fofolle », disait-on, comme une façon de ne pas s’inquiéter. Mais Nadia, elle, sentait bien qu’il y avait quelque chose. Sa fille était maladroite, certaines choses lui semblaient impossibles. Les lacets, les ciseaux, le coloriage. Elle découpait toujours de travers, dessinait comme elle pouvait. Elle avait du mal à situer son corps, à se repérer dans l’espace. Avec le temps, un mot a fini par mettre un nom sur ce flou : dyspraxie. Et puis un autre : dysgraphie.

À l’école, les jeux de balles étaient un cauchemar. Elle n’attrapait rien, n’envoyait rien. Écrire lui faisait mal. Sarah serrait son stylo trop fort. « Un jour, en CP, elle avait mal découpé un exercice. Je croyais qu’elle s’en fichait. Je lui ai demandé de recommencer. Mais elle n’y arrivait pas. Et moi, je croyais qu’elle faisait exprès. » Il y a aussi eu les devoirs, les cahiers. À cause de la dysgraphie, son écriture était tremblante, désordonnée. Nadia déchirait les feuilles, pensant que ce n’était pas assez soigné. « Je voulais l’aider à progresser… mais avec le recul, je vois que je l’épuisais. » Le collège est arrivé. Avec lui, l’anxiété. Sarah parlait très vite, trop vite. On ne la comprenait pas toujours. Alors Nadia l’a amené voir une orthophoniste qui leur a expliqué que ça pouvait être lié à la dysgraphie. Quelques mois après sa rentrée en sixième, une prof lui reproche d’avoir mal colorié une carte de géographie. Elle lui dit qu’elle n’a pas fait d’effort. Alors, les fois suivantes, l’adolescente demande à son petit frère de le faire à sa place. Sarah se sent nulle. Inadaptée.

Un jour, un exercice d’alerte attentat a tout fait basculer. Une simple simulation, mais pour elle, un vrai traumatisme. Coincée sous une table, compressée contre les autres, persuadée que c’était réel. Depuis, chaque bruit violent — marteau-piqueur, sirène, portière qui claque — ravive cette peur. Son corps se souvient, comme si l’alerte ne s’était jamais arrêtée. Nadia a cherché de l’aide. Psychologues, thérapies. Mais souvent, on cherchait à éteindre les feux un par un, sans jamais regarder l’ensemble. La maman, elle, voyait bien que quelque chose persistait. Sa fille parlait d’une « batterie sociale » qu’il fallait recharger, seule, après chaque interaction. À la fin du lycée, un nouveau mot vient enfin se poser sur ce que vit Sarah : trouble du spectre de l’autisme (TSA). Une explication, oui — mais aussi tout un monde à réapprendre.

Composer avec l’imprévu, les retours en arrière, avec cette lenteur qu’on n’avait pas choisie


Quand Audrey fait une crise d’angoisse, Valérie fait ce que font tant de mères. Elle prend sa fille dans ses bras, lui murmure que ça va passer, que ce n’est qu’une mauvaise période. Elle veut y croire. Mais au fond, une inquiétude grandit. Quand les jours passent, puis les semaines, sans amélioration, cette inquiétude devient vertige. Audrey a mis ses études entre parenthèses, incapable même de descendre seule au coin de la rue. « Je voulais l’aider, mais je ne savais plus comment. Elle avait peur de tout, tout le temps. Je me disais qu’elle avait besoin d’un cadre, d’un lieu où on saurait faire mieux que moi. Et c’est vrai que j’arrive plus vraiment à la regarder comme avant. Elle était si différente » Les crises d’angoisse d’Audrey sont quotidiennes. Les médicaments, prescrits à la va-vite, ne l’apaisent que brièvement. Valérie fait de son mieux, mais elle perd patience. Parfois, elle s’énerve. « Je me disais : ce n’est pas possible, elle va finir folle… Et je n’arrivais même pas à dire ce mot sans culpabilité. » Le lien entre elles devient fragile, tendu, tissé d’amour et d’impuissance.

Alors,Valérie décide de reprendre les choses en main. Pas de manière brutale, non. Mais avec une méthode, une stratégie maison, bricolée à l’intuition : fixer des objectifs, même minuscules. « Si tu vas jusque-là, il se passera ça. Tu auras droit à ça. » Une façon d’ancrer le progrès dans quelque chose de positif. « J’ai compris qu’elle avait besoin d’un cadre, mais surtout d’un horizon. Juste un petit plaisir au bout de l’effort. » Audrey joue le jeu. Elle avance à pas minuscules, parfois en arrière, parfois sur le côté. Et un jour, elle réussit. Trois stations de métro. Seule. Le cœur tambourine, les mains tremblent, mais elle tient.
Valérie retient ses larmes. « J’avais l’impression qu’elle venait de gravir l’Everest. Pour moi, c’était immense. » Ce petit exploit change la dynamique. Audrey retrouve un peu d’élan, un peu de confiance. L’idée de reprendre le chemin de l’école ne semble plus si lointaine. Elle n’est pas guérie, non. Mais elle n’est plus figée. Et ça, c’est déjà beaucoup.

Des stratégies pour avancer ensemble

Quand le diagnostic de trouble du spectre autistique est tombé, Nadia s’attendait à des larmes, peut-être même à de la colère. Mais au fond, sa fille savait. « Mettre un mot, c’est parfois arrêter de se sentir décalée sans raison. Quand on comprend enfin ce qui se passe, on peut chercher des solutions. » Et c’est ce qu’elles ont fait, toutes les deux. Trouver des systèmes, des astuces, des façons de rendre le quotidien plus facile.

Pour la douche, par exemple. Sarah pouvait y rester quarante minutes, sans s’en rendre compte. Elle se perdait dans ses pensées, dans la sensation de l’eau. Alors une idée a émergé : les chansons. Une chanson pour une douche rapide. Deux ou trois si elle doit se laver les cheveux. Elle met sa playlist, et le temps s’organise tout seul. « Avec la musique, elle sait où elle en est. Et nous aussi. »

Même en études supérieures, le stress des devoirs reste une zone sensible. Le lundi soir, surtout, quand tout s’accumule. Alors Nadia s’assoit encore parfois à côté d’elle. Ensemble, elles listent, hiérarchisent, découpent la semaine. « Une fois que tout était posé, elle respire mieux. Elle a besoin de savoir, de visualiser. C’est sa façon à elle de reprendre la main. » Rien n’est simple, mais rien n’est figé non plus. Chaque solution trouvée ressemble à une petite victoire. Mais ça ne fonctionne pas toujours. Les jours de fatigue, de surcharge ou d’anxiété diffuse, c’est comme si tout s’effondrait d’un coup. Comme un grand retour en arrière, imprévisible et décourageant. Pour Nadia, ces moments-là sont les plus durs. Elle a l’impression d’avoir tout mal fait, de ne pas savoir comment l’aider. « Je me dis que je m’y suis mal prise… que j’ai raté quelque chose. »

Comprendre que grandir, c’est parfois apprendre à faire moins, mais mieux

Aujourd’hui, Audrey a terminé ses études. Elle travaille dans le service communication d’une association. Elle a quitté la maison, doucement, par étapes. Elle vit à quelques rues seulement de chez ses parents. Comme un entre-deux rassurant. « Comme ça, si ça ne va pas bien, elle peut venir. Elle sait qu’on n’est jamais loin. »

Tout n’est pas parfait, bien sûr. Audrey a choisi un travail proche, pour éviter les transports. Elle ne sort jamais sans son médicament au fond du sac, comme un filet de sécurité. Elle ne prend pas l’avion, renonce parfois à certaines escapades, certains projets. Mais elle vit. Presque comme les autres filles de son âge. Et ça, Valérie le vit comme une victoire. Elles ont gardé un réflexe, toutes les deux : célébrer chaque petite avancée. Un repas, une attention, un mot doux. Parce que rien ne va de soi, et que tout progrès mérite d’être vu, nommé, partagé.

Valérie aurait voulu que sa fille ne perde pas de temps, qu’elle profite davantage de ses vingt ans. « Parfois, je suis triste qu’elle ait été obligée de passer par là, mais c’est une super femme et je suis très fière d’elle. » Ces épreuves, elles ne les ont pas seulement traversées. Elles les ont partagées. Et dans les creux, dans les silences, dans les tâtonnements, un lien s’est renforcé. Plus solide. Plus doux, aussi.

De son côté, Sarah est en deuxième année de licence. Elle aime ce qu’elle fait, elle s’y sent bien. Ses journées sont rythmées par des rituels qu’elle a elle-même construits. Dans l’autisme, ces routines ne sont pas des détails : elles organisent le monde, le rendent un peu plus prévisible. Sarah a ses propres repères, ses stratégies et Nadia les respecte.

Comme le diagnostic est arrivé tard, Nadia et son compagnon ont longtemps insisté pour que leur fille “fasse comme les autres”. Qu’elle tienne bon, qu’elle dépasse ses blocages. Même après que le mot ait été posé, ils n’ont pas relâché l’effort. « Quand elle est partie faire un stage à l’étranger, elle a failli rentrer au bout de quelques jours. Elle était en panique. Elle voulait tout arrêter. Je lui ai dit : si tu ne tiens pas ces trois mois, il faudra peut-être repenser tout ton projet professionnel. » Sarah a tenu. Il a fallu du temps, des ajustements, beaucoup de solitude. Mais elle est restée. Et elle est rentrée changée. Fière d’elle. « Ce n’était pas parfait, mais elle l’a fait. Et maintenant elle sait qu’elle en est capable. »

Aujourd’hui, Nadia regarde sa fille avancer autrement. Avec plus de conscience, plus d’autonomie. Elle a appris à lâcher prise. Certaines choses prendront du temps. D’autres ne viendront peut-être jamais. « Ce n’est pas grave. On fait avec. De toute façon, personne ne sait tout faire. »

Des stratégies pour avancer ensemble

Au début, Valérie et Nadia ont cherché des explications. Elles ont voulu comprendre, corriger, accélérer. Elles ont espéré que ce n’était qu’un détour, qu’un pli passager dans l’histoire de leurs filles. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Il a fallu du temps pour nommer les choses, et encore plus pour les accepter. Pour cesser de vouloir réparer. Pour apprendre à faire avec. Peu à peu, les deux mamans ont changé de posture. Elles ont compris qu’il ne s’agissait pas de tirer, mais d’ajuster. D’apprendre à accompagner autrement. Ça ne s’est pas fait en un jour. Il a fallu de la patience. Et des renoncements, aussi.

Audrey et Sarah avancent à leur rythme. Avec des limites, des stratégies, des jours sans. Et malgré tout, une force tranquille. Valérie et Nadia, elles, ont appris à rester à leurs côtés. Présentes sans brusquer. À aimer sans conditions. Ce qu’elles ont gagné en chemin — la confiance, la complicité, ce lien tissé au fil des épreuves — vaut peut-être plus encore que ce qu’elles avaient imaginé.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Troubles psychiques et parentalité : éviter la surprotection, réapprendre la liberté


Protéger son enfant, c’est un réflexe. On veut qu’il aille bien, qu’il se sente aimé, entouré, stimulé. On s’inquiète quand quelque chose ne va pas, on essaie de tout faire pour l’aider. Mais quand les troubles psychiques viennent perturber l’équilibre, il devient facile d’en faire trop, sans même s’en rendre compte. On veut éviter qu’il se sente à part, qu’il souffre du regard des autres ou du manque de lien social. On cherche à le rassurer, à tout prix. Pour beaucoup de parents, c’est là que commence une sorte d’équilibre fragile : comment préserver son enfant sans le surprotéger ? Comment l’accompagner en lui laissant suffisamment d’espace pour qu’il réussisse à s’accomplir ? Pour mieux comprendre ce que vivent les familles au jour le jour, Plein Espoir a rencontré Frédéric, père d’une adolescente haut potentiel, touchée par un trouble borderline et des troubles alimentaires, et Carole, maman d’une jeune adulte qui vit avec un trouble schizophrénique

Marie a toujours été une enfant différente. À cinq ans, elle avait déjà sauté deux classes. Elle s’ennuyait en cours, apprenait vite, mais restait seule. Première de la classe, oui, mais mise à l’écart par les autres enfants. « Contrairement à ses sœurs, elle n’a jamais été invitée à un anniversaire », nous raconte Frédéric, son père. Alors, avec son ex-compagne, ils ont essayé de compenser. Ils étaient très présents, faisaient beaucoup d’activités avec elle, pendant que les deux autres filles jouaient avec leurs amis. À l’adolescence, elle est victime de harcèlement. « À la fin du collège, elle a commencé à être harcelée. Elle ne nous disait rien, mais un jour, ma femme a vu qu’elle se scarifiait les cuisses. Elle nous a montré les messages », nous confie-t-il. Frédéric l’emmène consulter plusieurs spécialistes. Mais face aux médecins, Marie masque tout. Elle sourit, minimise, joue le jeu. Les semaines passent, puis une nuit, la plus jeune de ses sœurs la retrouve inconsciente dans la salle de bain, les bras en sang. Marie est hospitalisée plusieurs mois dans un service psychiatrique pour enfants. « Au début, on ne pouvait pas la voir. Puis, après quelques semaines, on a eu le droit de passer juste quelques heures avec elle. »

Protéger à tout prix


Depuis sa chambre d’hôpital, l’adolescente commence à demander à ses parents d’apporter certains objets, de lui acheter des choses qui lui font plaisir. Aussi, elle devient très sélective sur ce qu’elle accepte de manger. Avant, elle goûtait à tout, sans vraiment faire d’histoire. Désormais, seuls quelques aliments trouvent grâce à ses yeux. « Quand ton enfant a frôlé la mort, même si tu ne sais pas vraiment si c’était un appel à l’aide ou une vraie volonté de partir, tout s’effondre et tu passes tous ses caprices, raconte Frédérique, la voix posée. Tu n’arrêtes pas de te demander ce que tu n’as pas vu, ce que tu aurais pu faire autrement. Tu te dis que c’est de ta faute. Et tout ce qui comptait avant – ton boulot, tes amis, ta vie de couple – passe au second plan. Il ne reste que ça : la peur qu’elle replonge. Et ce besoin de la voir tenir debout. » Quand Marie obtient l’autorisation de rentrer une journée en famille, la maison se transforme en zone sous haute surveillance. Frédéric cache tout ce qui pourrait blesser : les ciseaux, les couteaux, même les objets les plus anodins sont rangés hors de vue. Marie dit qu’elle étouffe un peu. Qu’elle aimerait avoir un peu d’air. Mais pour ses parents, détourner le regard, ne serait-ce qu’une seconde, est impossible.

Pour Carole, la situation est un peu différente. Sa fille a commencé à avoir des problèmes quand elle est partie du cocon familial pour faire ses études. « Léa a rapidement perdu le lien avec ses amis d’enfance, elle ne s’en est pas fait de nouveaux. Quand elle rentrait le week-end, je la trouvais changée. Elle avait pris du poids, ses cheveux n’étaient pas toujours propres, elle restait enfermée. Et puis… à vingt ans, normalement, on a envie de sortir, de faire la fête non ? », nous dit Carole, d’une voix douce. La mère de famille pense d’abord à une petite déprime passagère, comme tant d’autres à cet âge. Elle ne s’imagine pas qu’il puisse s’agir de quelque chose de plus profond. Jusqu’à ce jour, quelques mois plus tard, où tout bascule. Alors qu’elle est en vacances avec son mari, son téléphone sonne. Les gendarmes lui expliquent que sa fille, après une fête de famille, n’est pas rentrée chez elle. Elle a été retrouvée à errer dans un village sans savoir où elle se trouvait. Mais surtout, elle n’arrive plus à distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Carole et son compagnon font plus de 500 kilomètres pour la rejoindre. « Quand Léa a été conduite à l’hôpital, les médecins lui ont donné un anxiolytique. Elle s’est sentie un peu mieux, plus calme », raconte Carole. Sa fille lui a demandé de rentrer à la maison. De retour dans le foyer familial, Carole pousse sa fille à venir manger à table, à reprendre un rythme normal, à dormir la nuit comme avant. Elle essaie de recréer un cadre, de remettre un peu d’ordre, comme si cela pouvait suffire à ramener sa fille à elle. Elle ne sait pas encore qu’elle est dans une réalité qui lui échappe et qu’il faut lui laisser de l’espace. Très vite, son état se dégrade. Léa est envahie par des angoisses de mort difficiles à apaiser.

Quatre mois plus tard, alors qu’elle est suivie en hôpital de jour, le diagnostic de schizophrénie est posé. Par chance, Carole trouve la formation Profamille, un programme de psychoéducation destiné aux proches de personnes vivant avec des troubles psychiques. « Au début, je culpabilisais beaucoup. Je me disais que je n’avais pas vu les signes assez tôt. Et cette question me hantait : qu’est-ce qu’elle fera quand on ne sera plus là ? » La formation lui permet de trouver des outils concrets pour mieux comprendre, mieux réagir en cas de crise, maintenir le lien sans se perdre. « On m’a expliqué que ce n’était pas de ma faute. Que c’était une maladie du cerveau. Et ça, ça change tout. On m’a redonné une forme de pouvoir d’agir. J’ai compris qu’il fallait que j’arrête de vouloir tout le temps la prendre dans mes bras quand elle n’allait pas bien, que je lui laisse de l’espace. »

Faire confiance à nouveau, pas à pas

Quand Marie sort de l’hôpital, Frédéric et sa compagne ne sont pas d’accord sur la manière d’accompagner son retour. Lui pense qu’il faut réintroduire peu à peu des repères, des habitudes. Elle, de son côté, redoute que la moindre contrariété ne provoque une rechute. Alors, elle cède à tout, sans oser dire non. Mais dans cette maison où chacun marche sur des œufs, ce sont les petits gestes du quotidien qui vont doucement refaire surface. Frédéric commence par demander à sa fille de mettre la table. Ce n’est pas grand-chose, juste une assiette, une fourchette. Puis, elle doit sortir le chien. Le matin, il l’encourage à se lever à heure fixe, même si c’est plus tard que ses sœurs, juste pour redonner un rythme. Parfois, elle proteste. D’autres fois, elle s’exécute, en traînant un peu, mais sans s’effondrer.

« Ce n’était jamais dans la confrontation. C’était toujours par petites touches, pour qu’elle sente qu’elle était capable », explique Frédéric. Peu à peu, Marie reprend des choses qu’elle avait abandonnées : ranger sa chambre, préparer son petit-déjeuner seule, se laver sans qu’on le lui rappelle. Sa mère observe, d’abord inquiète. « Elle avait peur que la moindre contrariété la brise à nouveau. Mais elle a  vu que ces petites contraintes, en réalité, l’aidaientt à se reconstruire. Qu’elle avait besoin de ça pour redevenir elle-même », explique Frédéric. La mère lâche un peu. Elle recommence à poser des limites, à faire confiance aussi, là où il n’y avait que la peur. Marie, de son côté, comprend que ces règles ne sont pas des punitions, mais des ancrages. Et, un jour, elle évoque l’idée de reprendre ses études, à son rythme. La maison n’est plus verrouillée, mais elle n’est plus sans cadre non plus.

Avec le recul, Frédéric mesure à quel point poser un cadre a été déterminant. « Si on avait continué à tout faire pour elle, à la ménager sans arrêt, elle aurait eu du mal à progresser. Elle aurait gardé cette idée qu’elle ne peut pas. Qu’elle a besoin de nous pour chaque chose. » Le choix n’a pas été simple. Il a fallu accepter de prendre des risques, de laisser une part d’inconnu entrer dans leur quotidien. Mais c’est justement cette prise de distance qui a permis à Marie de se réapproprier sa vie, à son rythme. « Bien sûr qu’on a encore peur, qu’on se demande si on verra les signes à temps si quelque chose ne va pas. Mais on ne peut pas l’empêcher de faire ses propres expériences, d’apprendre de ses erreurs, de se confronter aux difficultés. Parce que c’est ça, la vie aussi », dit Frédéric. Il sait que la vigilance ne disparaîtra jamais tout à fait. Que leur regard restera plus attentif, plus inquiet parfois, que pour ses sœurs. « Être tout le temps derrière elle, ce n’est pas lui rendre service. Il faut qu’elle sente qu’on croit en elle. C’est ça qui fait tenir, au fond. Pas la peur, mais la confiance. » Le rétablissement, dans leur famille, a pris la forme d’un pas de côté. Savoir s’éloigner un peu, pour qu’elle puisse avancer seule.

De son côté, Carole apprend une forme de patience qu’elle ne soupçonnait pas. Une vigilance silencieuse, sans contrôle permanent, sans surinterprétation. Elle comprend qu’elle aussi qu’il faut parfois s’effacer un peu, laisser de l’espace, même quand l’angoisse incite à resserrer l’étreinte. Le plus complexe, parfois, c’est que sa fille est adulte. « Une fois, elle m’a dit : maman, je suis majeure et je sens que je suis allée trop loin. C’est là qu’on voit qu’il y a encore un fil, un lien de confiance. » Depuis, elle a trouvé un traitement qui lui convient. Peu à peu, son équilibre s’est stabilisé, et avec lui, une nouvelle forme d’autonomie a émergé. Elle fait les choses à son rythme, mais elle les fait. Cela fait sept mois que la jeune femme ne vit plus chez ses parents. Ce départ, ils l’ont préparé ensemble, pas à pas. Et il a fallu, aussi, que Carole soit prête à ce mouvement-là. « Elle n’est pas loin. Et elle gère très bien. Les papiers, le ménage, le quotidien. Quand quelque chose bloque, on lui montre, on l’accompagne. Mais c’est elle qui fait. » Pour Léa, ce changement est un tournant. Pour ses parents aussi. Cela donne une image positive, une forme de confiance réciproque. Et ça leur permet de retrouver, eux aussi, un peu d’espace dans leur couple, dans leur vie. Socialement, la jeune femme reste très isolée. Pas d’amis de son âge. Ses parents sont ses principaux repères. Cette place, Carole l’assume, mais elle sait qu’il faut veiller à ne pas tout faire à sa place. « Il y a des moments où je me surprends à vouloir la préserver de tout. Elle me demande quelque chose, je dis non, puis je finis par le faire quand même, parce que ça m’inquiète. » Mettre des limites reste un travail constant. Savoir dire : “ça, ce n’est pas pour tout de suite”. Résister à la tentation de compenser la maladie par des petits plaisirs immédiats. Carole et son mari savent qu’il peut y avoir d’autres crises, d’autres hospitalisations. Ils ont appris à vivre avec cette incertitude, à apprivoiser la vie telle qu’elle est, et non telle qu’ils l’avaient imaginée. Et surtout, à marcher à ses côtés, sans chercher à la guider tout le temps. Avec doigté. Avec amour. Avec cette part de flou qu’on ne maîtrise jamais vraiment.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

École et troubles psychiques : le regard d’une AESH et maman concernée

Comment aider un enfant à trouver sa place à l’école malgré ses difficultés ? Comment lui donner confiance en lui et favoriser son intégration sans qu’il se sente stigmatisé ? Derrière ces enjeux cruciaux, les AESH – Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap – ont pour mission d’aider les enfants à gagner en autonomie à l’école. Présents au quotidien, à l’écoute, ils jouent un rôle essentiel, bien qu’encore trop méconnu. Pour mieux comprendre leur quotidien et les défis qu’ils relèvent, Plein Espoir a rencontré Zakya, AESH et maman concernée, qui accompagne depuis plusieurs années des enfants concernés par les troubles psychiques. Forte de son expérience professionnelle et personnelle, elle nous partage son regard sur l’inclusion scolaire, l’importance de la bienveillance et les leviers qui permettraient d’améliorer l’accès à l’éducation au bénéfice de tous.

Plein Espoir : D’après votre expérience, quels sont les principaux défis auxquels font face les familles dont un enfant vit avec un trouble psychique dans son éducation ? Comment se construit votre lien avec les parents ?

Zakya : En tant qu’AESH, nous accompagnons des enfants aux parcours très différents : certains ont un handicap moteur qui limite leur autonomie, d’autres sont sur le spectre autistique ou vivent avec des troubles de l’attention. Lorsqu’on commence à suivre un élève, on sait qu’il va avoir des besoins spécifiques, mais les échanges avec les parents sont limités. Souvent, ils ne parlent pas de toutes les difficultés de leur enfant, alors on les découvre progressivement, en étant à leurs côtés au quotidien. Avec le temps, on comprend leurs défis, leurs angoisses, leurs petits combats de chaque jour.

Ça peut sembler étrange, mais malgré notre rôle central auprès des enfants, nous n’avons pas officiellement le droit de contacter les familles. Les informations nous parviennent uniquement par l’intermédiaire du chef d’établissement. Pourtant, avec le temps, des liens se tissent parfois. Les échanges restent majoritairement centrés sur le suivi médical ou paramédical de l’enfant qu’on accompagne : les rendez-vous chez le pédopsychiatre, les séances d’orthophonie ou de psychomotricité. Après, les parents sont assez fermés concernant tout ce qui se passe à la maison. Dans la plupart des structures, je trouve qu’il manque un vrai espace de collaboration entre parents et AESH, alors que l’on devrait pouvoir unir nos forces autour de l’enfant.

Plein Espoir : Après plusieurs mois, voire plusieurs années d’accompagnement, un lien privilégié se crée avec l’enfant. Les familles en ont-elles conscience ? Le reconnaissent-elles et le valorisent-elles ? 

Zakya : Parfois, oui, certaines familles expriment leur reconnaissance, surtout après une année passée aux côtés de leur enfant. On reçoit des petits mots, des gestes d’attention. Mais souvent, il y a aussi des parents qui restent en retrait. Certains sont encore dans une forme de déni, d’autres ont du mal à mettre des mots sur les difficultés de leur enfant. Cela crée une distance, une réserve dans les échanges, comme si parler du trouble rendait les choses plus réelles. 

Plein Espoir : Quand vous accompagnez un enfant, cela dure combien de temps et sur combien d’heures par semaine ?

Zakya : Tout dépend de la notification de la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH), c’est elle qui détermine le nombre d’heures d’accompagnement accordées à l’enfant. Cela peut être 20 heures, 15 heures, 12 heures… Mais il est très rare que l’on puisse assurer l’intégralité des heures prévues. Par exemple, un enfant qui a une notification pour 15 heures sera accompagné 10 ou 12 heures, et c’est déjà une chance. Il y a une raison à cela : il y a une telle pénurie d’AESH que nous devons nous adapter avec les moyens disponibles. 

Ensuite, la MDPH indique si l’enfant bénéficie d’un AESH individuel ou d’un AESH mutualisé. Dans mon cas, j’interviens en mutualisé, ce qui signifie que j’accompagne plusieurs enfants à la fois. Mais oui, le suivi peut s’inscrire dans la durée. Par exemple, j’ai deux enfants que j’ai connus en grande section et que j’accompagne toujours aujourd’hui, en CM1. C’est précieux de pouvoir suivre les enfants dans le temps, parce que cela nous permet de tisser une vraie relation et de mieux comprendre leurs besoins au fil des années. 

Plein Espoir : Concrètement, comment un trouble psychique impacte-t-il la scolarité et le bien-être des enfants à l’école ?

Zakya : De multiples façons. J’ai eu l’occasion d’accompagner plusieurs enfants avec un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité, et en classe, c’est souvent un défi. Par rapport aux autres élèves, la différence est visible, surtout au niveau de la concentration. Ces enfants ont constamment besoin de bouger, de manipuler quelque chose avec leurs mains. Forcément, cela se répercute sur leurs apprentissages et leurs résultats scolaires.

Certains des enfants que j’accompagne suivent aussi un traitement médicamenteux. Et là, la différence est flagrante : lorsqu’ils arrivent le matin sans avoir pris leur médicament – parce que les parents ont oublié ou parce que l’enfant refuse – ça se ressent immédiatement. Ils sont plus agités, ils ont du mal à tenir en place, ils se lèvent sans cesse, ils peuvent être plus impulsifs. Bien sûr, je le remarque tout de suite et j’en informe l’enseignant. Il ne s’agit pas de stigmatiser l’enfant, mais d’adapter notre approche pour l’aider à traverser sa journée du mieux possible.

Plein Espoir : Quand un enfant devient soudainement très agité, comment faites-vous pour l’apaiser ?

Zakya : En classe, si l’enfant est vraiment trop agité, la meilleure solution est souvent de l’extraire quelques minutes de l’environnement bruyant. Sortir avec lui pour prendre l’air, marcher un peu, échanger quelques mots pour l’aider à retrouver son calme. Dans certaines écoles, il existe des salles dédiées, mais c’est encore assez rare. Quand on en a la possibilité, ces pauses peuvent vraiment faire la différence.

Plein Espoir : Au-delà de l’apaisement des moments d’agitation, comment accompagnez-vous concrètement les enfants dans leur apprentissage ? Travaillez-vous en binôme avec l’enseignant ?

Zakya : J’ai la chance de travailler dans un établissement où le bien-être de l’enfant est vraiment une priorité. Ici, il y a une vraie complémentarité avec les enseignants : on échange beaucoup, on forme une équipe soudée autour de l’enfant, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas ailleurs. Dans certains établissements, les AESH peuvent se sentir mis à l’écart, mais ici, je me sens pleinement intégrée dans une dynamique commune d’accompagnement et de soutien. Dans mon travail, il n’y a pas de méthode unique, parce qu’aucun enfant ne ressemble à un autre. Et puis, il faut dire qu’il n’existe pas vraiment d’accompagnement des enfants en situation de handicap psychique. On apprend donc sur le terrain, on s’adapte en permanence.

Pour moi, l’essentiel, c’est de veiller à ce que l’enfant garde une bonne estime de lui. Je fais tout pour qu’il ne se sente ni exclu, ni stigmatisé par rapport aux autres. En classe, j’adopte une posture très ouverte : je ne me contente pas d’accompagner l’enfant dont j’ai la charge. Si un autre élève me sollicite ponctuellement, je l’aide aussi. En grande section, par exemple, les enfants ne comprennent pas forcément pourquoi je suis là pour un camarade en particulier, alors en donnant un coup de main à tous quand c’est possible, je fais en sorte que mon élève ne se sente pas différent des autres. Au final, mon rôle va bien au-delà de l’accompagnement scolaire : c’est aussi une présence bienveillante, un repère pour que l’enfant puisse avancer avec plus de confiance.

Plein Espoir : Quand vous dites que vous essayez de donner confiance aux enfants, comment procédez-vous concrètement ? Et pour les parents qui n’ont pas encore la chance d’avoir quelqu’un pour les aider, quels conseils pourriez-vous leur donner ?

Zakya : Le plus important, c’est la communication. Beaucoup d’enfants en difficulté peuvent ressentir une certaine timidité, ou avoir l’impression que le regard des autres n’est pas bienveillant. Mon rôle, c’est justement de créer du lien, de veiller à ce qu’ils ne se referment pas sur eux-mêmes, qu’ils restent connectés aux autres.

Concrètement, j’essaie d’initier le dialogue avec leurs camarades, de favoriser les interactions pour qu’ils ne se sentent pas mis à l’écart. Mais c’est aussi beaucoup d’écoute et d’empathie : prendre le temps de parler avec l’enfant, comprendre ses craintes, détecter ses difficultés, mais aussi ses forces. Trop souvent, on se concentre sur ce qui ne va pas. Or, un enfant en difficulté n’a pas que des faiblesses, il a aussi des capacités, des talents. Mon travail, c’est de mettre en lumière ces forces pour qu’il se sente valorisé et qu’il trouve sa place. Après, il n’y a pas de recette miracle. Mais si j’avais un conseil à donner aux parents, ce serait de ne pas hésiter à échanger avec les enseignants, avec les autres parents, de ne pas rester seuls face aux difficultés. L’isolement est souvent le plus grand frein à la confiance en soi, autant pour les enfants que pour leurs familles. 

Plein Espoir : Quand les enfants grandissent, ils prennent conscience des différences entre eux. Est-ce que cela crée des situations d’exclusion pour ceux qui ont des troubles psychiques ?

Zakya : Non, pas nécessairement. Tout dépend du climat de la classe et de la manière dont l’inclusion est abordée. Dans certaines classes, on observe une vraie bienveillance de la part des élèves envers leur camarade en difficulté. Ils développent naturellement des gestes d’entraide et ça change beaucoup de choses pour l’enfant accompagné. Après, je sais que ce n’est pas le cas partout. Mais là où je travaille, nous avons la chance d’avoir des parents plutôt ouverts et coopérants. Certains acceptent même de venir en classe pour expliquer aux élèves les difficultés de leur enfant, ou autorisent l’enseignant à le faire. Cette transparence aide beaucoup : une fois que les autres enfants comprennent pourquoi leur camarade a parfois plus de mal, ils sont souvent plus enclins à l’aider, à être patients.

Plein Espoir : Selon vous, que pourrait-on améliorer pour éviter la stigmatisation et garantir un meilleur accès à l’éducation pour ces enfants ?

Zakya : La clé, c’est la formation. Aujourd’hui, il y a un véritable manque de formation, aussi bien pour les enseignants que pour les AESH. Beaucoup arrivent sur le terrain sans préparation, sans connaissances spécifiques sur les troubles psychiques ou les besoins particuliers de ces enfants.

Personnellement, mon parcours est un peu différent : je suis aussi maman d’un enfant autiste avec TDAH. Cela fait 13 ou 14 ans que je navigue dans cet univers, et j’ai eu la chance de suivre des formations, non pas dans un cadre professionnel, mais en tant que parent concerné. L’hôpital Robert-Debré, par exemple, propose des formations aux parents d’enfants autistes pour mieux les accompagner au quotidien. Ce que j’ai appris pour mon fils, je l’applique aussi dans mon travail. Mais tout le monde n’a pas cette opportunité. Et c’est là que l’Éducation nationale doit agir : si les enseignants et les AESH étaient mieux formés à la prise en charge de ces enfants, on éviterait tellement d’incompréhensions et de difficultés.

Il y a aussi un problème structurel : aujourd’hui, beaucoup d’enfants qui auraient besoin d’être dans des établissements spécialisés se retrouvent dans le cursus scolaire classique, non pas parce que c’est le mieux pour eux, mais faute de places ailleurs. Et en même temps, la loi est claire : chaque enfant a le droit d’être scolarisé. Il y a encore beaucoup à faire.

Plein Espoir : Quel est le progrès le plus marquant que vous ayez observé chez un enfant que vous avez accompagné ? Y a-t-il une histoire qui vous a particulièrement touchée ?

Zakya : Oui. C’est un garçon que j’accompagne depuis la grande section, et à l’époque, c’était un enfant extrêmement timide, renfermé, presque silencieux. Il n’osait pas parler, ni aux adultes, ni à ses camarades. Mais petit à petit, il a commencé à s’ouvrir, d’abord en chuchotant quelques mots, puis en échangeant davantage avec les autres. Et avec cette ouverture est venue la confiance. Il a compris qu’il pouvait lui aussi réussir, qu’il était capable, comme les autres. Sur le plan scolaire, il participe en classe, il lève la main, il ose répondre aux questions. Cela peut sembler anodin, mais pour lui, c’est une immense victoire. Parfois, il suffit d’un petit coup de pouce : un encouragement discret, un regard bienveillant, un simple « Tu connais la réponse, vas-y, ose ! » pour qu’un enfant prenne son envol. Aujourd’hui, il fait pleinement partie des têtes de la classe, et c’est une immense fierté, pour lui comme pour nous. Voir un enfant qui s’épanouit, qui prend sa place, qui croit en lui, c’est la plus belle des récompenses.

Fratrie et troubles psychiques : comment maintenir un équilibre entre les frères et sœurs ?


Comment garantir l’équité au sein d’une fratrie ? Une équation impossible qui se pose à tous les parents, mais qui est d’autant plus prégnante pour ceux dont l’un des enfants vit avec un trouble psychique. Parce que cet enfant demande plus de temps, plus d’attention, parfois au détriment des frères et sœurs, qui, eux aussi, sont touchés par la situation, même en silence. Parfois, cette dynamique crée des tensions, des frustrations, un sentiment d’injustice difficile à nommer. Parfois, elle soude aussi. Chez Plein Espoir, on est convaincu que ces liens tissés dans l’épreuve, malgré les déséquilibres, peuvent devenir une force pour toute la famille. Deux mamans et un grand frère dans ce schéma familial ont accepté de nous raconter leurs histoires.

« Du jour au lendemain, la vie de famille est devenue ingérable », soupire Virginie(1), dont la fille de 15 ans souffre d’une sévère dépression depuis maintenant dix-huit mois. Malgré un suivi psy régulier, sa santé mentale continue de se détériorer, et sa détresse se manifeste parfois de façon agressive. « Quand elle est en colère, elle m’insulte et a des gestes violents à mon égard… » Des scènes tragiques, qui se déroulent sous les yeux de sa petite sœur, qui, du haut de ses cinq ans, assiste impuissante aux crises de son aînée. Une situation lourde de culpabilité pour la maman, qui consacre l’essentiel de son temps et de son énergie à soutenir son adolescente en souffrance. « Je cours partout pour consulter des spécialistes, chercher des solutions de prise en charge, tout en jonglant avec mon boulot… Je sais que la petite en pâtit. » Alors, pour compenser, elle s’efforce de dégager des instants rien qu’à elles, des sorties, des activités, des bulles d’échange où, loin du chaos, les mots se libèrent. C’est au détour d’un de ces moments qu’elle a pris la mesure de ce que vivait sa cadette. « Elle m’a confié qu’elle s’inquiétait beaucoup pour sa grande sœur. C’est là que j’ai compris qu’elle avait, elle aussi, besoin d’un soutien, qu’il fallait l’aider à préserver sa propre santé mentale. »

Du temps de qualité en tête-à-tête, c’est aussi l’une des solutions mises en place par Paulina pour maintenir l’équilibre familial. Maman de deux enfants, elle tente de répondre au mieux aux besoins de son fils de sept ans, atteint d’un trouble du spectre autistique et sujet à l’anxiété, tout comme à ceux de sa plus jeune fille, âgée de quatre ans. « Les moments individuels sont essentiels, souligne-t-elle. Avec mon mari, nous veillons à passer du temps seul avec chacun de nos enfants. Par exemple, comme Coline partage ma passion pour l’équitation, nous avons des moments privilégiés ensemble autour des chevaux. » Née avec une malformation cardiaque, la petite battante a su « prendre sa place » dans la famille, jusqu’alors 100% concentrée autour de son frère. « Coup du sort, mon deuxième bébé avait aussi une problématique de santé. Paradoxalement, cette situation m’a presque fait relativiser les difficultés de Victor car au moins, sa vie n’était pas en danger. » Désormais rétablie, la petite fille a développé une relation particulière avec son grand frère. « Bien qu’elle soit la cadette, Coline se montre protectrice envers son frère. Elle ne comprend pas ses troubles, c’est simplement son grand frère. » Une dynamique unique, qui contribue à leur développement mutuel d’après les observations de leur maman.

Une relation fraternelle unique


Jonathan, 32 ans, se souviendra toujours du moment où on a diagnostiqué la schizophrénie de son demi-frère qui a aujourd’hui 20 ans. Après plusieurs épisodes critiques, dont une hospitalisation longue en psychiatrie, cette révélation permet à la famille de relire différemment les événements passés : « J’ai compris tout ce qu’il avait pu traverser. Je me suis dit “Ah mais c’est pour ça qu’il a eu telle réaction dans telle situation”, que parfois il disparaissait ou qu’il n’arrivait pas à se lever… » Bien qu’aimant profondément son petit frère, le jeune homme admet que ses frasques occupaient tout l’espace de la sphère familiale, au détriment des autres enfants. « Je n’avais pas de colère contre lui, mais j’en avais marre que toutes les conversations tournent autour de lui, mon père n’arrêtait pas de m’appeler pour en parler. Parfois, j’aurais aimé qu’on s’intéresse aussi à mes problèmes. »

Une fois le diagnostic posé, Jonathan s’est beaucoup renseigné sur le trouble de son frère, avec qui il entretient désormais une relation apaisée qu’il a à cœur de normaliser. « Aujourd’hui, il prend un traitement qui lui convient et il mène une vie stable. Je suis fier de lui et du chemin qu’il a parcouru. On a d’ailleurs retrouvé notre complicité. Et puis, il m’a ouvert les yeux sur la réalité de la schizophrénie, bien éloignée de la représentation clichée véhiculée dans les films. Cette connaissance est une richesse à mes yeux. » De là à statuer sur un parfait équilibre familial entre les quatre frères ? Pas complètement, tant les membres de la famille restent mobilisés. Ils maintiennent en effet une vigilance particulière à l’égard du jeune demi-frère, notamment sur la suite de son traitement : « Si on sent qu’il y a matière à s’inquiéter, on organise sur le champ “un conseil de guerre” avec mes frères et mon père. » Une solidarité familiale qui a deux vertus : celle de soutenir le proche qui vit avec un trouble psychique, mais aussi les autres membres de la famille, qui eux aussi ont besoin d’une attention particulière.

Les clés d’une harmonie parmi d’autres

En tant que parents, plutôt que de poursuivre un équilibre parfait, illusoire quel que soit le modèle familial, on préfère chercher une harmonie qui fasse sens pour chaque foyer. Chez Plein Espoir, on le sait, chaque enfant a des besoins différents, et prendre en compte ces différences pour accompagner au mieux tant celui qui vit avec un trouble psychique, que ses autres frères et sœurs qui grandissent à ses côtés, est bien souvent la clé. Être parent est un challenge quotidien. Entre les tâches ménagères, les devoirs, les soins, les obligations professionnelles… nous sommes tous embarqués dans un tourbillon qui peut parfois nous dépasser. Charge à nous d’être attentifs et d’aménager du temps dédié à la communication avec nos enfants, pour privilégier une écoute active, bienveillante, et rompre tout sentiment d’isolement qui pourrait survenir chez l’un des membres de la famille.

En plus de maintenir, quand ils le peuvent, des moments individuels avec chacun de leurs enfants et des activités séparées pour eux, certains parents tentent aussi de préserver du temps pour leur couple. Même si ce n’est pas toujours évident, s’accorder une escapade à deux, une soirée en tête-à-tête, peut aider à souffler un peu. Et puis, quand ils arrivent à jongler avec le reste, ils essaient de ne pas s’oublier totalement. Petit à petit, chacun se construit une boussole pour trouver un équilibre, même imparfait, mais qui leur ressemble. « Je fais du sport tous les jours et j’ai une attention particulière sur la qualité de mon sommeil. », détaille Paulina, autant en forme sur le plan physique que mental. Une recette qu’elle recommande d’appliquer à tous ceux qui le peuvent : « Si les parents prennent soin d’eux, ils sont plus aptes à prendre soin de leurs enfants, conclut-elle. C‘est un équilibre subtil, qui demande de l’organisation, mais qui permet à chaque membre de la famille de trouver sa place. »

(1)Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Parents : rester une équipe face aux troubles psychiques de son enfant


Comment rester soudés quand son enfant va mal ? Comment préserver son couple quand l’inquiétude prend toute la place ? Quand un enfant traverse des troubles psychiques, ses parents avancent entre espoir et épuisement. Chaque journée est rythmée par les rendez-vous médicaux, les doutes, les silences chargés de questions sans réponse. Parfois sans s’en rendre compte, l’amour s’efface un peu. La fatigue éloigne, l’impuissance crée des tensions. Mais il arrive aussi que ces épreuves rapprochent. Elles rappellent l’importance de rester ensemble, de se soutenir, même quand tout vacille. Pour mieux saisir ces moments de fragilité, Plein Espoir a rencontré Rachel et Josselin. À travers leurs témoignages, ils racontent comment ces épreuves ont bouleversé leur relation, mais aussi comment ils ont su rester unis et avancer ensemble.

Quand un enfant souffre, c’est tout l’équilibre de la famille qui est à réinventer. Et même un couple soudé, même un amour solide, peut se retrouver fragilisé face à cette épreuve. L’inquiétude prend toute la place, les pensées s’embrouillent, et les questions tournent en boucle : Pourquoi nous ? Qu’est-ce qu’on a mal fait ? Est-ce que c’est de notre faute ? Les moments légers deviennent rares, les conversations finissent toujours par revenir sur les mêmes sujets. Il faut dire que face à cette épreuve chacun réagit comme il peut, et que peu d’entre nous sont armés pour faire face à ces événements. Certains parents vont avoir besoin d’agir, de trouver des solutions. D’autres, vont instinctivement prendre du recul, comme pour garder la tête hors de l’eau. Et puis, il y a celles et ceux qui vont avoir du mal à affronter la réalité, épuisés, dépassés par la souffrance de leur enfant.

Dans ces moments-là, il est possible de se perdre un peu de vue. Pourtant, se rappeler qu’on forme une équipe reste essentiel, même si chacun réagit différemment, même si la relation s’effrite ou semble s’éloigner. Inutile d’attendre de grands gestes de son partenaire ou du co-parent. Mieux vaut s’accrocher aux petits : une main sur l’épaule, un on va y arriver soufflé à mi-voix, l’envie de progresser, pas à pas, ensemble. Parce qu’un enfant en difficulté a plus que jamais besoin de repères, il est précieux de maintenir, autant que possible, un discours commun et une dynamique de coopération, au sein du couple comme auprès des proches.

Deux parents, multiples réactions : surprotection, déni, rejet, culpabilisation


En 2015, Rachel, son mari et leurs trois enfants, s’installent à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Un nouveau départ. Les enfants s’adaptent vite, tout semble aller pour le mieux. Mais la veille de Noël, alors qu’elle est en voiture avec sa fille, l’adolescente de 17 ans lui annonce qu’elle veut mourir. Elle parle d’un vide immense, d’une douleur qu’elle ne supporte plus, convaincue que ce serait mieux comme ça. La maman est sous le choc. Après cette annonce, sa fille change de comportement, elle se scarifie et met du sang partout dans la maison. Deux jours plus tard, un psychiatre la reçoit et lui prescrit des médicaments pour faire passer la crise. Les jours passent, elle rentre à la maison. La crise semble s’éloigner. Puis vient le matin où elle doit retourner au lycée. La jeune femme avale une bouteille d’eau de javel. Dans leur environnement, les troubles psychiques sont encore très tabous, et les structures d’accompagnement manquent. Le couple fait le choix de rentrer en France.

« Quand quelque chose d’aussi dur arrive, le couple passe tout de suite en mode survie, explique Rachel. Avec mon mari, on ne prend pas le temps de parler, on agit. On enchaîne les rendez-vous, on répond aux urgences, on avance sans vraiment réaliser ce qui est en train de nous arriver. Et puis, dès qu’on respire un peu, la culpabilité nous rattrape. On se dit qu’on n’est pas assez présents pour nos autres enfants, qu’on devrait faire mieux, mais on est épuisés. »

Avant d’être hospitalisée dans un centre spécialisé en région parisienne, l’adolescente traverse de violentes crises de colère contre son père. Rachel est métisse, son mari noir, et sa fille, au teint très foncé, rejette cette part d’elle-même. Elle répète qu’elle déteste sa couleur de peau, que sa mère aurait dû choisir un homme blanc. Des mots durs, des attaques directes, comme si en rejetant son père, elle tentait d’effacer une partie de son identité.

« Comme il n’y avait pas de diagnostic à ce moment-là, son papa voyait ça comme un mauvais comportement de sa part et le ton montait très haut, c’était très difficile à vivre, se souvient Rachel. Mais au regard de sa faible appétence pour les sujets de santé mentale, je trouve que mon mari a plutôt bien réagi, il était d’ailleurs présent à tous les rendez-vous. Après, on va pas mentir, c’est une épreuve qui a mis une certaine distance entre ma fille et mon mari. »

Chez Josselin et sa femme, le quotidien s’organise autour de leur deuxième enfant. Une vie de famille en apparence ordinaire, où l’on jongle avec les caprices, les repas à moitié terminés et les histoires du coucher. Pourtant, derrière cette routine, quelque chose cloche. Rien de spectaculaire, pas de crises éclatantes, juste une somme de petits comportements qui, mis bout à bout, compliquent tout. La femme de Josselin l’a senti avant lui. Lui pensait encore à une simple question d’éducation, convaincu que leur fils, du haut de ses trois ans, finirait par s’adapter aux règles avec du temps et de la fermeté. Il était neuroatypique.

« On grandit avec des éducations différentes, et sans vraiment s’en rendre compte, on applique les schémas qu’on a connus, explique Josselin. Moi, j’ai toujours été très attaché au respect, aux règles, à la politesse. Alors, quand mon fils se comportait mal, qu’il répondait ou refusait d’obéir, j’avais le réflexe de serrer la vis, en pensant que ça finirait par rentrer. Et plus il résistait, plus je me braquais. » 

Avant que l’enfant bénéficie d’un accompagnement thérapeutique adapté, Josselin ne comprend pas pourquoi sa compagne est aussi indulgente avec leur fils. Pour lui, elle lui passe trop de choses, l’excuse trop facilement et le protège trop. À l’école, leur fils perturbe la classe, a du mal à se concentrer et reçoit souvent des remarques de la maîtresse. À la maison, il se dispute sans arrêt avec son frère et sa sœur, il peut même être violent, ce qui crée des tensions qui pèsent sur tout le monde. Alors forcément, le couple finit par s’opposer. Josselin et sa femme ne se disputent jamais, sauf quand il s’agit de leur fils. Sur ce sujet, chaque échange devient un terrain glissant, chaque mot peut enflammer l’incompréhension. Peu à peu, ils ont de plus en plus de mal à se rejoindre, comme si l’enfant qui les lie creusait aussi la distance entre eux. Chacun est convaincu d’agir pour le bien de l’enfant : l’un veut protéger, l’autre veut poser des limites.

Un suivi thérapeutique et un diagnostic qui apaisent enfin les tensions

Après plusieurs hospitalisations, le diagnostic finit par tomber : la fille de Rachel est bipolaire. Pour le couple, c’est un soulagement. Mettre enfin un mot sur ce qu’ils traversent depuis si longtemps leur permet de mieux comprendre et d’adapter leur accompagnement. Malgré les épreuves, Rachel et son mari ont réussi à rester soudés. Ils ont toujours tout affronté ensemble, partageant les rendez-vous médicaux, les décisions difficiles et les doutes silencieux. Mais surtout, ils ont su préserver un espace à eux, un lien que rien ne pouvait altérer. Lorsqu’ils ont besoin d’échanger sans que leurs enfants comprennent, ils se parlent dans un dialecte d’une région africaine, que leurs enfants ne maîtrisent pas. Comme un code secret, une bulle à part qui leur permet de se retrouver, même au cœur du tumulte.

Aujourd’hui, leur fille a intégré une école d’art au Havre. Grâce à son traitement, elle est stable, son quotidien est apaisé. Pour Rachel et son mari, après des années à vivre au rythme des souffrances de leur fille, des urgences, ils relâchent enfin la pression. Mais certaines blessures ne s’effacent pas si facilement. « Il a pris cher », nous confie Rachel en parlant de son mari. Bien sûr, le papa a compris que sa fille n’était pas elle-même au moment des crises, que ce n’était pas volontaire, mais une part de lui reste sur ses gardes. Il ne peut pas s’empêcher d’y penser : Et si ça recommençait ? Quand est-ce que ça va encore déraper ? La thérapie familiale leur a permis de mettre des mots sur ce qu’ils traversaient, de mieux comprendre la bipolarité et d’apprendre à ne pas tout prendre pour eux. Petit à petit, ils ont trouvé des repères, dénoué certaines tensions. Rachel, elle, a aussi entrepris un travail en solo avec un psy, pour ne pas se laisser happer entièrement par son rôle de mère, pour exister en dehors de cette responsabilité écrasante. Son mari, en revanche, n’a jamais franchi ce pas. « Je pense qu’il en aurait besoin, mais il ne veut pas », souffle-t-elle.

Pour Josselin, le retour de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées, ndlr), il y a quelques mois, a marqué un véritable tournant. Depuis un an et demi, avec sa femme, ils se battaient pour faire reconnaître que quelque chose n’allait pas avec leur fils, sans vraiment pouvoir mettre de mots dessus. C’était une situation frustrante et éprouvante : ils voyaient bien que leur enfant avait des difficultés, mais sans diagnostic clair, tout restait flou. « J’ai toujours été présent, même si j’étais plus suiveur. J’ai accompagné ma femme chez les médecins, assisté aux rendez-vous, pris l’initiative de consulter un pédopsychiatre. Mais le vrai déclic, c’est ce courrier, reconnaît Josselin. Noir sur blanc, il était écrit que notre fils avait un handicap évalué entre 50 et 70 %, qu’il était neuroatypique. Voir ces mots figés sur un document officiel, ça a tout changé. » Tout ce que sa compagne tente de lui faire comprendre depuis des mois devient une évidence. Leur fils n’est pas simplement ingérable, il n’est pas dans la provocation ou l’opposition volontaire. Le petit ne défie personne. Il fonctionne différemment. Et c’est à lui, en tant que papa, d’adapter sa posture, et non à son fils de rentrer dans un moule qui ne lui correspond pas.

« Quand on a reçu le courrier, on a pleuré. Pas de tristesse, mais de soulagement. C’est peut-être étrange de se réjouir d’un diagnostic qui officialise un handicap, mais pour nous, c’est une reconnaissance. Et ça change tout aussi dans notre couple. Je crois que ma femme a senti qu’à partir de ce moment-là, je devenais vraiment son copilote dans cette bataille, confie-t-il. Je ne suis plus là simplement pour suivre ce qu’elle me dit de faire, mais je comprends ce qu’elle veut et pourquoi. » Bien sûr, tout n’a pas été réglé d’un coup. Il reste des résistances, des réflexes à déconstruire, des réalités difficiles à accepter. Et puis, il y a le regard des autres. Celui qui juge sans comprendre, qui les a longtemps fait passer pour des parents dépassés, incapables de poser des limites. Ce poids-là, Josselin et sa femme l’ont porté en silence, jusqu’à ce qu’ils apprennent à s’en détacher.

Retrouver son partenaire et du temps pour soi


Rachel avoue que ce qu’ils ont traversé avec son mari aurait pu les éloigner, mais d’une certaine manière, cette épreuve a consolidé leur couple. « On n’avait pas d’autre choix, on devait tenir ensemble », explique-t-elle. Pourtant, elle le sait, être à deux ne suffit pas toujours. À certains moments, le couple a eu besoin de soutiens extérieurs, de pouvoir parler avec des amis, de la famille. Parce que porter ça seulement à deux, c’est trop lourd.

Elle reconnaît aussi que l’intimité a été mise à rude épreuve. À certains moments, la question ne se posait même plus. Ce n’était pas une priorité, ce n’était plus un sujet. Ils étaient trop épuisés, trop absorbés par l’urgence du quotidien. Mais avec le temps, en voyant leur fille se stabiliser, c’est revenu. Progressivement, naturellement, ils ont retrouvé un espace pour eux. Un apaisement s’est installé dans la maison, une respiration après des années sous tension. Aujourd’hui, ils peuvent enfin se projeter autrement. Tout ne tourne plus autour de leur fille. Ils prennent enfin du temps pour eux, mais aussi pour leurs deux fils, qui ont souvent dû passer au second plan. « On se dit qu’il faut qu’on s’occupe d’eux, qu’on leur porte plus d’attention », confie Rachel.

De son côté, Josselin prend conscience de la difficulté à préserver une place pour chacun lorsque les troubles psychiques accaparent toute l’attention. L’équilibre est fragile, parfois bancal. Mais leur couple a déjà surmonté d’autres épreuves. Avec le temps, ils ont appris à rester unis, à s’adapter, à puiser dans cette résilience qui, malgré tout, leur permet d’avancer ensemble. « Je pense que si c’était notre premier coup dur, notre couple aurait explosé en vol, reconnaît Josselin. Après, même si on nous dit souvent qu’on est incroyablement solides, et c’est vrai, on n’est jamais à l’abri de rien. »

Cette épreuve leur a une fois de plus rappelé, à lui et à sa compagne, l’importance de ne pas s’oublier. Être parents, oui, mais sans disparaître en tant que couple. « Si on ne fait que tenir le rôle de papa et de maman, on se perd, et c’est comme ça que les couples se séparent. » Alors quand ils le peuvent, ils s’accordent des pauses, comme ce voyage à deux, cinq jours sans les enfants il y a quelques semaines. Un moment pour souffler, se retrouver, rire sans se soucier de l’heure ou des responsabilités. « Si tu ne t’accordes jamais ces espaces, un jour, tu ne te reconnais plus dans les yeux de l’autre. Et nous, on n’a pas envie de ça. » Josselin et sa femme veulent être de bons parents, faire au mieux pour leurs enfants. Mais ils veulent aussi continuer d’exister individuellement, et surtout, rester un couple uni.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Psychoéducation familiale : comprendre et accompagner son enfant face aux troubles psychiques 


Comment parler à son enfant de son trouble psychique ? Quels mots choisir pour lui expliquer sa situation ? Comment répondre à ses questions et le rassurer sur l’avenir ? Pour aider les parents et les proches confrontés à ces défis, Plein Espoir a rencontré Dominique Willard, psychologue clinicienne au Centre Hospitalier Sainte-Anne et responsable du programme Profamille en Île-de-France. Ce programme de psychoéducation, destiné aux familles de personnes concernées par la schizophrénie ou des troubles apparentés, aide à mieux communiquer, à apaiser le quotidien et à favoriser l’empowerment*, le pouvoir d’agir le rétablissement de chacun. La spécialiste nous donne de précieux conseils pour instaurer un dialogue ouvert et bienveillant avec son enfant.  


Plein Espoir : Vous êtes responsable d’un programme de psychoéducation, mais qu’est-ce que c’est concrètement ? Et comment cette approche thérapeutique s’est-elle développée ?

Dominique Willard : Il existe deux formes de psychoéducation : celle destinée aux patients et celle dédiée aux proches. Pour les patients, cette approche les aide à mieux comprendre leur trouble psychique, à développer des compétences pour mieux le gérer et l’apprivoiser au quotidien. La psychoéducation familiale, elle, s’adresse aux proches. Elle leur permet de mieux accompagner leur proche tout en préservant un équilibre dans la relation. C’est donc bien plus qu’une simple information sur la pathologie et sa signification. Au-delà des connaissances, on développe aussi un savoir-faire et surtout un savoir-être. On apprend à mieux se comprendre, à ajuster sa posture, car pour aider l’autre, il faut d’abord aller bien et prendre soin de soi.


La psychoéducation familiale s’est développée tardivement en France, alors que le professeur Gérard E. Hogarty en démontrait déjà l’efficacité aux États-Unis dans les années 1980. Longtemps mises à l’écart par la psychanalyse, les familles sont désormais reconnues comme un soutien essentiel dans l’accompagnement d’une personne vivant avec un trouble psychique. Présentes au quotidien, elles jouent un rôle clé aux côtés des professionnels.


Plein Espoir : À qui s’adressent les programmes de psychoéducation familiale ?


D.W. : La psychoéducation familiale s’adresse à tous les proches : parents, frères et sœurs, conjoints, grands-parents, mais aussi amis, parfois plus présents qu’un membre de la famille. L’objectif n’est pas de changer l’autre, ce n’est pas possible, on ne peut que se changer soi-même et ajuster sa posture et sa communication pour mieux l’accompagner.


En France, Profamille est l’un des premiers programmes de psychoéducation familiale évalués. Il a prouvé son efficacité, apportant des bénéfices autant aux familles qu’aux patients, même en leur absence durant les séances.



Plein Espoir : Dans ce programme, vous commencez toujours par expliquer le trouble en détail à la famille ?


D.W. : C’est important, oui. Quand on a un enfant atteint de troubles psychiques comme la schizophrénie, le quotidien est souvent difficile. La première étape consiste donc à comprendre le trouble, et il y a beaucoup d’idées reçues à déconstruire. Il ne faut pas oublier que la perception de la psychiatrie est encore largement influencée par des films comme Vol au-dessus d’un nid de coucou ou des clichés de double personnalité, loin de la réalité. Les articles scientifiques peinent encore à changer ces idées reçues. Pendant longtemps, on a cru que la schizophrénie était causée par des parents trop envahissants ou trop distants, ce qui a fait peser une grande culpabilité sur les familles. Or, on sait aujourd’hui que ces troubles viennent d’un dysfonctionnement cérébral, et non d’un problème d’éducation. Et tout ça il faut pouvoir le dire. 



Plein Espoir : Vous expliquez que la psychoéducation vise le bien-être des familles. Chaque trouble est unique, mais existe-t-il des émotions communes que ressentent les parents dont l’enfant souffre de troubles psychiques ?


D.W : L’anxiété et la culpabilité sont les émotions les plus travaillées en psychoéducation. L’anxiété peut freiner le parent : s’il a constamment peur pour son enfant, il risque de le surprotéger et de limiter son autonomie. La culpabilité, elle aussi, pèse lourd, avec des effets physiques et émotionnels. Les personnes qui vivent avec un trouble psychique perçoivent fortement les émotions des autres, même sans toujours les comprendre. Si un parent est envahi par l’angoisse ou la culpabilité, il risque de transmettre un climat pesant à son enfant, sans le vouloir. D’ailleurs, des études montrent que, dans le cas de la schizophrénie, les parents peuvent souffrir d’un niveau de dépression plus élevé que la moyenne. Ce n’est pas juste une baisse de moral : la dépression peut affecter la mémoire, la concentration et même la santé cardiovasculaire. Elle peut aussi entraîner des absences au travail, compliquant encore plus le soutien à son enfant.



Plein Espoir : Dans le programme Profamille, vous parlez de renforcement positif. En quoi cela consiste-t-il ?


D.W. : Lorsqu’une personne souffre de schizophrénie ou d’un autre trouble psychique, elle peut perdre certaines capacités qu’elle avait auparavant. Naturellement, les parents ont tendance à pointer ce qui ne va pas, mais cela peut fragiliser encore plus leur enfant et entamer sa confiance en lui. Le programme Profamille enseigne la technique des 4P, qui encourage à être Prompt à Positiver de Petits Progrès Précis. L’idée est de changer de regard : au lieu de relever ce qui ne fonctionne pas, on met l’accent sur ce que l’enfant parvient à accomplir, même si cela semble minime. Ce changement renforce son estime de soi et lui redonne l’envie d’avancer, sans pour autant modifier la situation de fond. Cet état d’esprit profite à tous : on peut l’appliquer avec son enfant malade, mais aussi avec ses autres enfants, son conjoint, ses collègues, ou même un voisin.



Plein Espoir : Vous insistez aussi sur l’importance de certaines techniques de communication. Pouvez-vous expliquer en quoi elles consistent ?


D.W. : Dès les premières séances, on apprend que certaines zones du cerveau, comme les amygdales, peuvent dysfonctionner et perturber la gestion des émotions. Une personne atteinte de schizophrénie peut ainsi éprouver des difficultés à exprimer ce qu’elle ressent, mais aussi à reconnaître les émotions des autres. Dans la communication, il est donc essentiel de prendre en compte cette difficulté et d’accompagner la compréhension en mettant des mots sur ses propres émotions. Dire « Là, je suis en colère » est bien plus clair pour quelqu’un qui aurait autrement du mal à l’identifier, plutôt que de se laisser emporter dans un éclat de voix. Ce type d’adaptation change tout : en reconnaissant l’autre comme une personne à part entière, et non comme un malade, on transforme l’atmosphère à la maison et on facilite les échanges au quotidien.



Plein Espoir : En tant que parent, comment aborder la question du trouble psychique avec mon enfant ?

D.W. : Lors d’une rencontre, des parents me disaient hésiter à interroger leur enfant sur ses propos délirants, de peur de renforcer ces idées. Mais en évitant le dialogue, ils restent dans l’ignorance. Aborder le sujet dépend de ce que l’enfant est prêt à reconnaître, et souvent, il est plus simple de parler des symptômes et de poser des questions ouvertes pour comprendre son ressenti. Par exemple, face à un proche qui délire, nous entraînons les parents à utiliser des techniques de communication qui permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans l’esprit de l’autre. Cela aide le proche à ne plus avoir peur d’être jugé, à sentir qu’il est soutenu et compris. Ce n’est pas le nom du trouble en lui-même qui compte, mais les symptômes observés – ceux qui l’empêchent de suivre une routine, d’aller en cours ou d’interagir avec les autres.



Plein Espoir : Vous parlez aussi de retrouver de l’autonomie. Comment y parvenir progressivement ?


D.W. : Pendant les séances, on aborde la question des limites, essentielles pour vivre ensemble, que ce soit dans la société, au travail ou en famille. Souvent, il est difficile de fixer ces limites, car on accepte beaucoup au nom du trouble. Par exemple, une personne atteinte de schizophrénie peut entendre des voix, et écouter de la musique forte peut l’aider à les chasser. Certaines familles l’acceptent parce que cela semble efficace, mais elles ont du mal à poser des limites. Imaginez qu’une personne fasse cela en pleine nuit : cela empêche tout le monde de dormir, y compris les voisins, qui risquent de se plaindre. Une solution simple serait d’utiliser un casque ou de baisser le volume. Ce n’est pas parce que l’on est malade que les règles de la société ne s’appliquent plus. L’autonomie, c’est apprendre à tenir compte des autres le plus tôt possible. Dans le programme, nous utilisons de nombreux jeux de rôle pour aider les familles dans un cadre sécurisé. Ces exercices et partages d’expérience sont l’occasion pour les parents d’apprendre les uns des autres et de progresser par la répétition.



Plein Espoir : Une grande partie de la psychoéducation repose sur le bien-être des parents. Pourquoi ?


D.W. : Je donne souvent l’exemple de l’avion : l’hôtesse explique que, lors des turbulences, il faut d’abord mettre son propre masque à oxygène avant d’aider un enfant ou une personne en difficulté à côté. Naturellement, on voudrait aider son enfant en premier, mais si on perd connaissance en essayant, on ne pourra plus aider personne. En prenant soin de soi, on est en mesure d’aider ses enfants.



Plein Espoir : Comment la psychoéducation s’articule-t-elle dans le sens du rétablissement ? 


D.W. : Le rétablissement, c’est le processus qui permet d’avancer pour avoir une vie meilleure et plus satisfaisante. En tant que parents, nous avons souvent des projets pour l’avenir de nos enfants, mais avec un enfant atteint de troubles psychiques, ces projets peuvent sembler irréalistes. Pourtant, ils restent essentiels, car ils donnent une direction. Malgré les difficultés, il est important d’apprendre à formuler des ambitions réalistes et de progresser par étapes. Par exemple, si mon enfant a abandonné ses études et est isolé depuis trois ans, on ne va pas s’attendre à ce qu’il entre à Polytechnique l’année suivante. Mais en fixant des étapes intermédiaires, comme passer le bac d’abord, on crée des repères. C’est comme vouloir gravir le Mont-Blanc sans préparation : on doit avancer par petits pas. Le rétablissement se construit ainsi, avec des attentes réalistes sur ce qui est possible de réaliser dans six mois ou dans un an.



Plein Espoir : Vous parliez plus tôt d’évaluation d’efficacité des programmes de psychoéducation. Quels sont les résultats concrets de ces programmes ?


D.W. : Actuellement, on a des évaluations sur plus de 6 000 participants pour Profamille. On a montré que l’efficacité du programme permet d’améliorer de 30 à 50% la dépression des familles, ce qui équivaut à l’effet d’un traitement médicamenteux. On a aussi montré que le recours à Profamille diminuait le nombre de jours d’arrêt de travail. Lorsque l’un des parents participe au programme, cela réduit de moitié le nombre de jours d’hospitalisation pour le patient et divise par deux le taux de tentatives de suicide. À ce jour, c’est le seul programme de psychoéducation familiale à avoir montré de tels résultats.



Plein Espoir : Ces programmes de psychoéducation sont aussi l’occasion pour les parents  de rencontrer d’autres parents concernés et de former des réseaux d’entraide ? 


D.W. : Nous travaillons en groupes de 12 participants sur plusieurs années, ce qui crée une forte cohésion de groupe et favorise l’entraide. C’est ainsi qu’est née l’association PromesseS (découvrir notre podcast avec Claire Calmejane), conçue pour prolonger l’initiative Profamille, car une maladie chronique nécessite un soutien au long court. PromesseS propose des ateliers de révision pour ceux ayant suivi un programme de psychoéducation et des programmes pour les jeunes frères et sœurs, contribuant ainsi à déstigmatiser les troubles psychiques. 



Plein Espoir : La psychoéducation c’est pour tout le monde et tout le temps en fait ? 


D.W. : On recommande d’introduire l’approche de la psychoéducation familiale le plus tôt et le plus largement possible. En France, seulement 7 à 8 % des familles concernées ont suivi un programme. Cela montre qu’il y a une grande marge de progression. Il a été démontré qu’en moyenne, il y a un délai de dix ans entre l’apparition des premiers symptômes et l’accès à des informations sur ces programmes.



Plein Espoir : Connaissez-vous des programmes de psychoéducation qui pourraient aider des familles concernées par d’autres troubles psychiques ? 


D.W. : Le programme I Care You Care se concentre sur les premiers épisodes psychotiques, en mettant l’accent sur l’importance d’une intervention précoce, facilitée par un meilleur repérage des troubles psychiques, en lien avec le réseau Transition. Le programme ETAAP (éducation thérapeutique pour les personnes avec trouble du spectre de l’autisme et leur famille), récemment lancé, se penche sur l’autisme. Beaucoup de ces initiatives ont vu le jour grâce à l’influence de Profamille.


Connexions Familiales, qui aborde le trouble borderline, est actuellement en phase d’évaluation, tandis que le programme Léo, encore en développement, couvre divers diagnostics. Nous avons encore besoin de recul, mais les programmes de psychoéducation familiale évaluent et prouvent de plus en plus leur efficacité. 


* autonomisation

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Mon enfant a un trouble psychique… mais pas de diagnostic


Entre des délais interminables pour accéder à un spécialiste, le manque de moyens dans les écoles et la peur d’étiqueter trop tôt un trouble encore en évolution, de nombreuses familles restent dans l’impasse. Pour mieux comprendre le quotidien d’un parent en quête de réponses, Plein Espoir a rencontré Aurore, maman de trois enfants, dont Aaron, 5 ans. Un petit garçon vif et curieux, mais qui peine à trouver sa place en groupe. À l’école, il s’agite, crie, se lève sans prévenir, frappe parce qu’il ne parvient pas à canaliser ses émotions. Malgré des signes qui semblent évidents de troubles du comportement, le diagnostic se fait attendre. Trop jeune pour certains, pas assez en difficulté scolaire pour d’autres, le petit garçon bénéficie d’un accompagnement limité faute de ressources. L’histoire d’Aaron et de sa maman met en lumière une réalité qui touche de plus en plus de familles : l’errance diagnostique, qui retarde la prise en charge et laisse parents et enfants livrés à eux-mêmes.

Je suis maman de trois jeunes enfants, les deux derniers ont moins de deux ans d’écart. Avec mon mari, on n’a pas tout de suite remarqué qu’Aaron, notre deuxième, était un peu différent. Pendant ma troisième grossesse, c’est son papa qui s’en est beaucoup occupé. Et à cause des confinements, il a passé plus de temps à la maison que les autres. 


C’est à son entrée à l’école que les difficultés sont arrivées. Très vite, la maîtresse et les parents d’autres élèves sont venus me voir à la sortie. Aaron avait des comportements violents. Je me suis dit qu’il découvrait la vie en groupe, qu’il avait peut-être besoin de plus d’attention que les autres, que ça allait passer. Il mordait souvent, il se faisait du mal, il jetait par terre tout ce qu’il avait sous la main. Bien sûr, j’ai essayé de lui faire comprendre que ce n’était pas bien, mais c’était plus fort que lui. À ce moment-là, j’ai rencontré des parents d’enfants neuro-atypiques (TDAH, HPI, etc.). Les profils étaient différents, mais les comportements qu’ils décrivaient correspondaient à ceux de mon fils. Mon cœur de maman a fini par me dire : mon fils a un problème. 

« On a voulu me faire croire que j’étais responsable du trouble de mon enfant »


Je me suis renseignée, j’ai suivi des comptes Instagram dédiés, j’ai passé du temps sur des forums, j’ai posé beaucoup de questions. Et puis, je me suis dit qu’il fallait qu’il bénéficie d’une prise en charge auprès d’un CMPE (Centre Médico-Psychologique Enfant & Adolescent), mais les démarches sont longues, fastidieuses. Il m’a fallu plus d’un an pour décrocher un rendez-vous. Aaron a vu une psychologue, puis un pédopsychiatre. Le problème est toujours le même : quand on est seul avec lui, ce petit garçon est adorable, intelligent, vif. Difficile de dire qu’il a un trouble du comportement. À aucun moment, les médecins m’ont parlé de neuro-atypie ni de TDAH, mais me disaient qu’il y a sûrement eu des traumatismes dans la petite enfance et qu’il fallait creuser ces éléments. On m’a demandé de raconter ma grossesse – qui a été très difficile -, mon accouchement, comme si j’étais responsable, coupable. Et puis, on m’a dit que les choses allaient finir par s’arranger d’elles-mêmes. 


Pendant plusieurs mois, Aaron a vu la psychiatre une fois toutes les deux semaines, mais rien ne changeait. J’avais beau dire aux médecins que c’était peut-être autre chose, que j’avais lu des études… On ne m’écoutait pas et à l’école, c’était de plus en plus difficile. Quand j’ai appris que des parents avaient porté plainte contre lui, je me suis effondrée. Je sais qu’il ne contrôle pas tout ça. Ce n’est pas à lui de s’adapter. C’est à nous de comprendre, d’anticiper, d’agir différemment pour l’aider. Et en face, il y a aussi les maîtresses qui sont dépassées. 


Mon fils, c’est aussi un enfant qui ne tient pas en place, qui ne supporte pas de rester en groupe. Dès qu’il est entouré, il crie, se lève, tape le copain d’à côté parce qu’il s’ennuie. Il grimpe sur les meubles, il extériorise, il insulte. J’imagine combien ça doit être difficile en classe. Et en même temps, c’est dur d’entendre qu’on ne peut pas répondre aux besoins de mon enfant, qu’on ne peut pas s’adapter à lui. Comme la prise en charge avec la psy ne menait à rien, c’est mon mari qui a pris le relais. Un jour, il va la voir et lui dit clairement : “Ma femme ne veut plus venir, parce que vous ne l’écoutez pas.” Et là, tout s’est débloqué.


On nous a dit : “Très bien, on va vous accompagner.” La psy a lancé une demande auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) pour que son handicap soit officiellement reconnu. On nous a parlé d’un accompagnement, d’une aide humaine, d’un soutien financier pour d’éventuels soins en psychomotricité. Un rendez-vous est fixé avec une psychomotricienne pour évaluer ses besoins. Ensuite, on nous oriente vers l’unité UETDTCA de l’hôpital de Versailles (Unité d’évaluation des troubles du développement affectif et cognitif de l’enfant et de l’adolescent), spécialisée dans l’accompagnement des enfants neuro-atypiques et les diagnostics. On a fait le rendez-vous, mais pour l’instant, ils refusent de poser un diagnostic. Trop petit. Il n’a que cinq ans. Il faut attendre l’acquisition de la lecture. Le médecin me dit que les choses peuvent encore bouger. Que le cerveau va mûrir, qu’avec plus d’autonomie, un cadre différent, il pourrait mieux s’adapter. Peut-être que la maternelle ne lui convient tout simplement pas. Mais en attendant, rien ne change. 

« Pour regagner sa confiance, j’ai appris à l’écouter sans le juger ni le gronder »

C’est compliqué à l’école, mais aussi à la maison. Son comportement pèse sur toute la famille. Il est bien que quand il est seul. Il se dispute tout le temps avec son frère et soeur. Et avec son père, c’est pire. Parfois, il le rejette complètement, avec des mots d’une grande violence : “Je préfère que tu sois mort. Quitte la maison. Je ne veux plus te voir.” Imagines ce que ça fait d’entendre ça quand tu es père !  C’est insoutenable. Il me l’a dit à moi aussi, il y a un an. Mais depuis, j’ai l’impression d’avoir beaucoup avancé avec lui. J’ai découvert la méthode Barkley et entamé une guidance parentale. C’est une approche venue des États-Unis, structurée en un programme avec des outils concrets pour gérer les situations compliquées du quotidien. La clé, c’est l’écoute. Pas la punition immédiate, pas la réaction à chaud. Quand il est en colère, quand il n’entend rien, ça ne sert à rien de s’opposer frontalement. Cette méthode est très proche de la pédagogie positive.


Par exemple, s’il frappe son frère ou sa sœur, je ne vais pas tout de suite me focaliser sur lui. D’abord, je vais rassurer l’enfant qui a reçu le coup. Une fois que tout est apaisé, j’aborde la situation avec lui. Je mets des mots sur ce qu’il s’est passé, je l’aide à comprendre comment il aurait pu réagir autrement. Je me suis rendu compte que le simple fait de l’écouter, sans jugement, de lui laisser l’espace pour venir vers moi, a changé beaucoup de choses. Maintenant, quand quelque chose ne va pas à l’école, je n’ai plus besoin de creuser. Il vient me le dire lui-même : “Aujourd’hui, ça ne s’est pas bien passé, j’ai fait ça.” Cette année, il a une nouvelle maîtresse, plus sensibilisée à ces problématiques. Elle valorise le positif, met en avant ses réussites. C’est un élément clé de cette approche : souligner les bons comportements pour qu’ils prennent naturellement le dessus sur les mauvais. Après, si la théorie est géniale, au quotidien, ça reste un défi. Je suis maman de trois enfants, avec un quotidien chargé, un travail, de la fatigue, je n’ai pas toujours la patience nécessaire.

« Poser un diagnostic pour qu’on change de regard sur mon enfant »


Pourquoi est-ce si important de poser un diagnostic sur le trouble de mon enfant ? Parce que ça changerait le regard des autres sur Aaron. Aujourd’hui, il est vu comme un enfant perturbateur, malpoli, mal élevé. Et nous, ses parents, nous sommes soi-disant “incapables” de l’éduquer correctement. Pourtant, on a trois enfants, on leur donne la même éducation, et avec les deux autres, tout se passe bien. Ce n’est pas un problème d’éducation. Aaron ne fonctionne juste pas de la même façon. En fait, j’ai l’impression qu’on lui colle une étiquette qui n’est pas la bonne. Bien sûr, un diagnostic, c’est aussi une étiquette. Mais une étiquette qui doit ouvrir des portes : avec un meilleur accompagnement scolaire, une reconnaissance auprès de l’équipe pédagogique, plus d’outils pour l’aider. 

Les pédopsychiatres disent qu’un diagnostic trop précoce pourrait lui faire prendre conscience de sa différence, qu’il pourrait s’auto-exclure, se désocialiser. Mais c’est déjà le cas. Mon fils est en troisième année de maternelle et il n’a jamais été invité à un seul anniversaire. À l’école, quand les enfants le voient, j’entends leurs réflexions : “Ah, c’est Aaron !” Quand il y a un problème dans la cour, un enfant qui fait une bêtise, tout le monde pointe du doigt Aaron même quand ce n’est pas lui. Parce que c’est plus simple comme ça. Alors oui, je comprends leur raisonnement, mais la réalité, c’est qu’on est déjà en train d’essayer de réparer les dégâts. Il n’a que cinq ans et on doit déjà déconstruire l’image qu’il traîne derrière lui. D’ailleurs, il en a conscience, parfois il me dit : “Maman, je n’arrive pas à me contrôler.” Ce matin encore, il a frappé sa sœur avec une violence qui m’a bouleversée, parce qu’il voulait dire quelque chose et qu’elle était en train de parler. Ce n’est pas un enfant qui cherche à faire du mal. Il subit ce qui lui arrive autant que nous.


Si on ne parvient pas à modifier son comportement maintenant, qu’est-ce que ce sera à l’adolescence ? C’est aussi ça l’enjeu : éviter que les choses s’aggravent. Mais je ne sais pas si le TDAH s’aggrave avec le temps. Tous les parents avec qui j’en ai parlé ont fini par obtenir un diagnostic, et beaucoup ont opté pour un traitement médicamenteux. Chez certains, ça a radicalement changé le comportement de leur enfant. Ce qui est sûr, c’est qu’on doit avancer sur plusieurs fronts. D’abord, à la maison, faire en sorte que la guidance parentale porte ses fruits. Puis, faut qu’on arrive à faire comprendre à sa grande sœur de neuf ans ce qui se passe avec son petit frère. Et puis enfin, il y a la sphère médicale. Dans un an, ça serait bien de poser officiellement le diagnostic. Si un traitement s’avère nécessaire, on le mettra en place. Pour le reste, on verra plus tard. 

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Pensées délirantes : ce que cette expérience m’a appris


À l’aube de ses 30 ans, Anna (1) perd sa grand-mère, celle qui l’a élevée. Sur le plateau d’un film où elle travaille alors comme assistante, un jour, tout dérape : des pensées qui s’emballent, une énergie qu’elle ne maîtrise plus, des mots qu’elle lance sans filtre. Pour Plein Espoir, elle raconte ce moment de bascule progressive où elle s’est peu à peu sentie invincible mais aussi étrangère à elle-même, loin de la jeune femme douce et discrète qu’elle avait toujours été. Cet épisode de délire a changé quelque chose en elle. Elle s’est découverte plus audacieuse, plus affirmée, plus intense. Et si cette expérience reste l’une des plus difficiles qu’elle ait traversées, elle fait aujourd’hui partie d’elle. Comme si cette expérience l’avait rendue plus forte, et surtout plus connectée aux multiples facettes de son identité.

À cette époque, je travaillais dans le cinéma. C’était mon premier poste dans le domaine que je rêvais d’intégrer, et je m’y donnais à fond. Malgré quelques épisodes compliqués dans mon enfance et mon adolescence, ma vie semblait, à ce moment-là, relativement stable. J’avais un travail qui m’intéressait, des amis, des proches, de quoi avancer sans trop me poser de questions. Pourtant, un mal-être subsistait. C’est pourquoi j’ai décidé d’entamer une psychanalyse, pour creuser des sujets enfouis. Au même moment, l’état de santé de ma grand-mère s’est rapidement détérioré. Lorsqu’elle est partie, ce fut un choc, j’étais comme figée et je me suis réfugiée dans le travail en même temps que j’ai augmenté ma consommation de cannabis. Les premières semaines, j’ai tenu bon, mais avec la fatigue et la douleur refoulée, quelque chose a fini par lâcher. Au bureau et sur les tournages, je me donnais en spectacle, je parlais trop fort, j’étais convaincue que les scénarios qu’on me faisait lire racontaient mon histoire personnelle. Peu à peu, la frontière entre fiction et réalité s’est effacée. 


Ma psychanalyste a perçu avant tout le monde ce moment de bascule. Je me souviens qu’avant mon départ pour un tournage dans le sud, ce fameux tournage où j’ai vraiment déconnectée, elle m’avait dit : « Vous pouvez m’appeler jour et nuit. » Un jour sur ce tournage, après une soirée un peu trop arrosée et plusieurs nuits sans sommeil, mon patron m’a dit : « Ne viens pas travailler. Repose-toi aujourd’hui. » Au lieu de souffler, j’ai mis la musique à fond, fumé des joints, dansé sur le balcon, devant l’équipe avec qui on partageait la maison. J’étais dans mon monde. J’ai même cru qu’il se passait quelque chose entre mon patron et moi, alors qu’il essayait juste de prendre soin de moi. 

« Si tu racontes tout, on va t’enfermer pour toujours »


À la fin du tournage, j’ai voulu revenir au bureau, comme si de rien n’était. Comme si je n’avais pas montré publiquement mes faiblesses et ma déconnexion sur mon lieu de travail. Je me sentais invincible, comme si j’avais un rôle à jouer, une mission à accomplir. Plus les jours passaient, plus je prenais la parole dans l’open-space sans qu’on me la donne, je critiquais le milieu du cinéma. Je voyais bien que je mettais mes collègues mal à l’aise. Mon patron a fini par me dire : « Là, faut vraiment que tu t’arrêtes. Il faut que tu prennes le temps de faire ton deuil, tu ne vas pas bien »  Je me suis enfermée chez moi, à fumer des joints, à lire et à écrire. Le délire m’habitait de plus en plus et j’oscillais entre moments de grande lucidité, de beau et d’angoisse extrême. C’est difficile à décrire aujourd’hui, mais pour résumer, je dirais que j’avais l’impression de comprendre de nouvelles choses sur moi, sur ma vie, sur l’état du monde. Par exemple, je me souviens avoir appelé ma sœur pour lui dire qu’on appartenait à une sorte de groupe « à part », que les enfants endeuillées détenaient un secret que les autres n’avaient pas. Tout faisait sens, tout prenait sens. Jour et nuit, mes doigts tapaient frénétiquement sur le clavier. J’étais persuadée d’avoir des réflexions brillantes, d’être une future auteure à succès. Je voyais encore ma psy deux fois par semaine. C’était une bouée, même si je ne l’identifiais pas comme telle. Ma sœur, dont je suis très proche, s’inquiétait énormément de mon isolement et de mes innombrables logorrhées. Je suis finalement partie vivre chez elle. Je ne sais plus si c’est elle ou moi qui l’a décidé, mais je savais que c’était la bonne décision, je n’y arrivais plus. C’est important pour moi de le dire : même dans la situation la plus difficile, j’ai toujours eu un réflexe de survie. Une petite voix en moi répétait : « Tu es en train de devenir folle, il faut que tu luttes pour ne pas passer entièrement de l’autre côté. » 


À ma sœur, à mes proches, je me retenais de dire ce que je vivais à l’intérieur de moi parce que je pensais que si je racontais tout, les flics allaient débarquer et que j’allais être internée. Dans ma tête, je vivais plusieurs « rôles » : la femme amoureuse, la femme littéraires, mais aussi une femme surveillée par les services secrets. J’étais persuadée que la police m’écoutait, que mes proches étaient à la fois avec et contre moi. Le compagnon de ma sœur m’a demandé si j’avais fait quelque chose de grave. Moi, je disais : « Je sais que j’ai fait quelque chose, mais je ne me souviens pas. » À ce moment, je faisais beaucoup de crises d’angoisse, jusqu’à finir un soir aux urgences. À l’hôpital, j’ai réussi à cacher ce qui se passait dans ma tête. J’avais trop peur qu’en le verbalisant, je reste coincée dans cet état, que ça devienne trop réel et qu’on m’enferme pour toujours. Finalement, les médecins m’ont donné de quoi apaiser mes angoisses, et je suis retournée chez ma sœur.


Le temps a dû paraître long, très long, pour elle et mon beau-frère. Qui a envie de vivre avec une trentenaire qui pense réellement que la télé lui parle ?  Qui pense qu’elle est à la fois une dangereuse criminelle et potentiellement l’élue devant remplir une mission divine ? J’avais parfois des pensées suicidaires parce que tout était trop intense. Un jour, mon beau-frère m’a motivé à sortir et c’est là que j’ai entendu la foule me parler. Mon identité juive s’est mêlée à mon délire : j’entendais des voix dans la rue qui me traitaient de collabo… Mais comment pourrais-je l’être, moi, descendante de déportés ? Dans ma tête, tout semblait connecté, mais c’était trop lourd, oppressant. Je me répétais : « Je suis un monstre, pourquoi est-ce que je dois endurer tout ça ? »

Rendre les armes et se reconstruire

Dans les jours qui ont suivi, j’ai pris la décision de me rendre à Saint-Anne, d’abord pour protéger mes proches, et puis pour me protéger moi. Je ne pouvais plus supporter tout ce qui m’arrivait et je voulais que les voix dans ma tête s’arrêtent. Parce que j’avais terriblement peur qu’on m’enferme à jamais, j’ai pris la décision de ne pas tout révéler quant à ce qui me traversait, de rester sur mon identité “normale”. J’étais une patiente qui souffrait et j’acceptais l’hospitalisation. À Saint-Anne, on ne m’a pas gardée, on m’a orienté vers une structure plus adaptée à Bastille. Lorsqu’on m’a demandé si je voulais être transférée en ambulance ou y aller à pied, j’ai insisté pour l’ambulance. Je voulais que ce départ soit cinématographique, marquant. Dans ma tête, j’étais escortée par Tom Cruise…


Je me souviens de mon arrivée à Bastille : une attente interminable. L’endroit ressemblait à une prison. Assise, j’attendais, persuadée d’avoir perturbé l’organisation du lieu. Il y avait ce soignant, avec son gros trousseau de clés, qui allait et venait nerveusement. Le bruit des clés me hantait. Quand j’ai enfin vu un psychiatre, accompagné d’une infirmière – « procédure obligatoire » m’a-t-on dit – j’ai tout de suite imaginé qu’ils me trouvaient trop dangereuse. Ce psychiatre, jeune et sympa, m’a semblé différent. Je l’ai perçu comme un allié et je me suis un peu ouverte. J’ai même osé lui demander s’il faisait partie de la police. Une trace de cet échange figure sur mon compte-rendu d’hospitalisation. Ils m’ont attribué une chambre, très sommaire, sans fenêtre, avec une lumière artificielle. Rien de contraint pourtant : c’est moi qui avais choisi d’être là. Mais je pensais qu’on me filmait, que j’étais dans une grande télé-réalité. Ceux qui m’entouraient ? Pour moi, ils jouaient aux fous, mais ils ne l’étaient pas vraiment. Je trouvais leurs comportements trop caricaturaux. 


Je me disais : « Non mais attends, ton rôle, là, c’est trop grossier. Tu joues mal le fou. » Il y avait celui qui pleurait après une rupture, l’autre qui tapait sur la table sans raison… C’était trop. Dans ma tête, il y avait cette dualité, ces identités et réalités multiples : est-ce que j’étais une patiente en psychiatrie qui devait avaler ses médicaments ou juste une femme coincée dans un scénario où tout le monde jouait un rôle comme dans “The Truman show” ? Une chose, une seule, restait claire pour moi : je voulais revenir à moi. En finir avec mon délire. On m’a accordé des permissions pour sortir, aller jusqu’aux quais à Bastille ou à la librairie, puis revenir. Mais ça ne me réussissait pas du tout. Dès que je sortais, j’entendais la foule parler de moi. J’étais à présent persuadée d’être victime d’une attaque cyber, que tout le monde avait vu des photos intimes de moi… Le lendemain, je devenais la descendante de Simone Veil. C’était insupportable. MAIS QUI ÉTAIS-JE VRAIMENT ? LE BIEN OU LE MAL ? Et d’abord, selon quel espace temps ?


Quand je suis rentrée chez moi au bout de deux semaines, ça n’allait pas forcément mieux. C’est moi qui ai insisté pour sortir, l’hospitalisation était trop éprouvante, j’avais du mal à rester à ma place. J’ai été suivie quelque temps par une psychiatre en CMP (centre médico-psychologique, ndlr) que j’ai rencontrée après mon hospitalisation. Le traitement médicamenteux commençait à vraiment faire son effet, je sortais peu à peu du délire, mais je n’allais vraiment pas bien. Grâce à ma psychiatre et à mon ancienne psychanalyste, qui ont mobilisé leur réseau, j’ai pu intégrer une clinique privée, où je suis restée deux mois et demi. C’est là que le travail de reconstruction a vraiment commencé. 

Retour à soi et réflexions

À la clinique, il y avait un vrai cadre thérapeutique avec des activités de groupe, du sport, des ateliers d’expression…  Au début, je trouvais ça ridicule. Puis, j’ai fini par m’y intéresser. Je me suis fait “des amis”. Contrairement à l’hôpital où je voyais les autres comme des caricatures, ici, les gens me paraissaient normaux, sensibles, brillants. Ce collectif m’a portée, dans un moment où j’avais l’impression de ne plus exister. Il m’a permis de me reconnecter à la jeune femme que j’étais, dans le monde “normal” et m’a permis de reprendre confiance en moi.


La clinique a aussi été le lieu où, à force de suivi et de traitements, le délire a fini par se dissiper entièrement, laissant place, hélas, à une profonde dépression. C’était violent de revenir à la réalité. J’avais vécu des choses extraordinaires, effrayantes, mais aussi sublimes, des moments d’éveil, de connexion au monde. Et puis, d’un coup, tout s’est effondré. Revenir à la réalité a été progressif, grâce aux médicaments ajustés sans cesse et au cadre thérapeutique. Quand le délire est parti pour de bon, il a laissé un vide immense. Aujourd’hui, je peux dire que c’est l’expérience la plus dure que j’ai vécue dans ma vie, mais elle m’a aussi beaucoup construite. Elle m’a montré que j’étais beaucoup plus forte que je le pensais. J’ai survécu à ça. Je suis revenue de là où on ne revient pas.


Aujourd’hui, j’ai commencé à écrire sur cette période pour comprendre mon histoire et me la réapproprier. Concernant mon trouble psychique, on ne m’a jamais donné de diagnostic clair. On m’a parlé d’un possible trouble bipolaire et d’ailleurs, chaque jour, je prends des régulateurs d’humeur. Ce qui reste du délire, c’est cette force que j’ai découverte en moi. Parce que cet épisode, aussi violent qu’il ait été, fait partie de moi. Il m’a permis de m’exprimer et de côtoyer plusieurs personnages et personnalités. Longtemps, j’ai été cette petite voix qui doutait, qui s’excusait d’exister. Aujourd’hui, je suis une femme qui s’excuse moins, qui doute toujours autant, mais qui aime être de ceux qui doutent. J’ai enduré des expériences que je croyais insurmontables et je suis parvenu, avec l’aide de soignants, à revenir à moi et à me rétablir. Lors de mon voyage – je l’appelle ainsi – j’ai exploré plusieurs facettes de mon identité et je me suis rapprochée des mes ancêtres. On sous-estime la place de la transmission dans notre identité, on sous-estime tout ce que l’on pourrait être ou ce que l’on est déjà. Je ne sais pas si ce parcours, avec ses ombres et ses éclats, m’a rendue plus lucide sur la personne que j’étais. Mais une chose est sûre : il m’a rendue plus fière de mes valeurs et plus ancrée, face à l’immensité. À défaut de savoir qui je suis, je sais que j’évolue, je sais que je suis en vie et en-celà une réussite pour moi. 

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Troubles psychiques : l’écriture comme outil pour se réapproprier son histoire


Comment reprendre le contrôle de son histoire quand on vit avec des troubles psychiques ? Depuis plus de vingt ans, Nathalie Aoustin, Vice-Présidente de la Fédération Santé mentale France, anime des ateliers d’écriture au sein de différentes structures où elle ne se place pas du côté du soin, au sens médical du terme, mais de l’art et de l’expression. Pour Plein Espoir, elle nous explique que l’écriture n’est ni un traitement ni une analyse, mais avant tout un espace de création et de jeu, une manière de retrouver sa propre voix. Hors du cadre médical, c’est une autre façon d’exister pour les personnes concernées, sans être définies uniquement par un diagnostic. En mettant des mots sur son vécu, on peut parfois se remémorer des fragments du passé, reconnecter des souvenirs enfouis, mais aussi prendre de la distance avec son trouble. L’écriture ouvre alors une autre perspective sur soi. Une première étape pour se réapproprier son récit et, peut-être, amorcer un chemin vers le rétablissement.

Plein Espoir : Depuis plus de vingt ans, vous animez des ateliers d’écriture créatifs pour des personnes touchées par des troubles psychiques. Comment ce projet est-il né ?


Nathalie Aoustin : J’ai grandi dans une famille où l’art et la lecture avaient une place très importante. Mes parents étaient enseignants, et ils m’ont transmis cette sensibilité. J’ai fait des études d’arts plastiques à Toulouse, puis de Lettres modernes à la Sorbonne, à Paris. Tout allait bien, jusqu’à la préparation de l’agrégation où j’ai connu ma première hospitalisation en psychiatrie. Ça a tout remis en question. J’ai dû quitter Paris et revenir à Toulouse, où une psychiatre-psychanalyste m’a diagnostiqué une psychose maniaco-dépressive. C’est elle qui m’a orientée, en 1997, vers l’association Bon Pied Bon Œil, un lieu d’échange entre usagers, qui est ensuite devenu un groupe d’entraide mutuelle (GEM).


J’y ai animé mon tout premier atelier d’écriture, sans me douter à l’époque que ce serait un tournant décisif. C’est là que j’ai compris que l’écriture pouvait être bien plus qu’un simple exercice : un espace de liberté, un moyen d’exister autrement. Depuis, j’interviens dans différents lieux de soins et au sein des GEM. Ce qui caractérise mon approche, c’est que je me tiens en décalé du cadre médical. Je ne suis pas dans le soin à proprement parler, mais du côté de l’art, du littéraire. L’écriture n’est pas prescrite comme un traitement, elle n’est pas contrainte par un cadre thérapeutique. Elle est un terrain d’exploration, un espace où chacun peut déposer ses mots à sa manière, sans obligation de raconter sa maladie, sans crainte d’être jugé. Pour beaucoup, c’est une autre façon d’aborder ce qu’ils traversent. Ils se découvrent autrement, réapprennent à raconter leur histoire sous un angle nouveau. Et cette ouverture, parfois, permet d’amorcer un chemin vers le rétablissement.

Plein Espoir : En quoi l’écriture peut-elle être un outil précieux pour les personnes vivant avec des troubles psychiques ?


Nathalie Aoustin : L’écriture permet d’exprimer son vécu sans être enfermé dans le cadre du soin. Elle aide à raconter son histoire autrement, à la reprendre en main. Mais elle joue aussi un rôle essentiel dans la mémoire. Quand on vit avec des troubles psychiques, certaines périodes de notre vie peuvent nous échapper, devenir floues, difficiles à reconstituer. Écrire, c’est parfois retrouver des morceaux oubliés, remettre du lien entre les événements.


C’est un processus qui peut être douloureux, car faire émerger ces souvenirs, les poser sur le papier, oblige à les regarder en face. Mais dans un cadre bienveillant, comme celui d’un atelier d’écriture, cela devient une première étape. Une façon de renouer avec son parcours avant, si besoin, d’en parler plus en profondeur avec un thérapeute. L’écriture ne soigne pas, mais elle prend soin, elle ouvre une porte, elle permet de mettre en mouvement ce qui était figé.

Plein Espoir : Comment expliquer que certains souvenirs refont surface à travers l’écriture ?


Nathalie Aoustin : L’écriture agit parfois comme un déclencheur, mais ce n’est pas systématique. Chez certains, poser des mots sur le papier fait ressurgir des images, des sensations, des bribes du passé. Ce qui compte, c’est de laisser venir les choses sans forcer, en respectant le rythme de chacun.


J’ai remarqué que lorsqu’un événement douloureux est enfoui, il peut ressurgir autrement, sous une autre forme. C’est souvent le cas, par exemple, pour certains troubles alimentaires qui peuvent être liés à des traumatismes vécus dans l’enfance ou la préadolescence. Mais il faut aussi garder en tête que certaines personnes préfèrent ne pas se souvenir. Parfois, l’oubli est une protection. Pourtant, à mon sens, la mémoire joue un rôle essentiel dans le processus de cicatrisation. Dans ce contexte, l’écriture offre un espace où ces souvenirs peuvent émerger et se déposer, sans pression. Ce n’est pas une finalité en soi, mais souvent une première étape, un moyen d’amorcer un apaisement avec son histoire personnelle.


Plein Espoir : Lorsqu’on reçoit un diagnostic, y a-t-il un risque de s’y enfermer, de ne plus voir le reste ? Comment l’écriture peut-elle aider à dépasser cette étiquette ?


Nathalie Aoustin : Oui, ça arrive. Pour certains, poser un diagnostic est un soulagement, car cela met enfin des mots sur ce qu’ils traversent. Mais parfois, cela devient une limite, une étiquette qui prend toute la place. On en vient à ne plus se voir autrement qu’à travers son trouble. Et on oublie qu’un rétablissement est possible.


L’écriture permet justement de redonner de la place à tout ce qui existe au-delà du trouble. Sur une feuille, on peut poser ses pensées sans pression, on peut inventer, jouer, imaginer, sans devoir formuler les choses comme dans un entretien avec un soignant. Beaucoup de personnes me disent qu’écrire est plus facile que parler. Dans un atelier, la page devient un espace intime et libre, sans jugement. Chacun peut choisir de partager ou non ce qu’il a écrit. Parfois, il arrive qu’une personne préfère garder son texte pour elle, et qu’elle finisse par le lire à quelqu’un de son choix, dans l’institution.


Pour moi, l’important, c’est d’ouvrir des chemins d’écriture, de proposer des points de départ : ça peut être un mot, une image, une phrase d’auteur. Chacun doit pouvoir explorer à son rythme, sans rester bloqué face à une page blanche. Et souvent, cela aide à redonner confiance, à se reconnecter à soi autrement que par le prisme du diagnostic.


Plein Espoir : Quel regard portez-vous sur le pouvoir thérapeutique de l’écriture ?


Nathalie Aoustin : Encore une fois, et c’est important pour moi de le rappeler, je me place du côté de l’artistique. Maintenant, il est vrai que l’écriture a un effet thérapeutique de surcroît. Ce n’est pas mon objectif premier, mais c’est quelque chose qui vient naturellement avec la pratique. Grâce aux mots, aux images, aux références littéraires ou artistiques que l’on choisit, on ouvre des espaces intérieurs, on se reconnecte à soi. Et dans les moments difficiles, écrire permet de se rassembler, de mettre du sens sur ce que l’on traverse. L’écriture, c’est aussi un processus. Ce que l’on pose sur le papier un jour, on peut le reprendre plus tard, le retravailler, en faire quelque chose de beau, ou simplement y revenir avec un regard neuf. Il est arrivé que certaines personnes soient publiées. 


Dans les ateliers que j’anime, j’ai vu des personnes hospitalisées pour des troubles alimentaires ou suite à des crises d’angoisse trouver, à travers l’écriture, des clés essentielles. Parfois, en écrivant, des souvenirs remontent, des éléments du passé prennent une autre signification. Une jeune fille souffrant d’anorexie a ainsi retrouvé, dans ses textes, l’importance de sa grand-mère dans sa vie, ce qui lui a ouvert une nouvelle réflexion sur son parcours. Une autre personne, qui souffrait de crises d’angoisse sévères, a découvert en écrivant que leur origine remontait au départ brutal de son psy, une peur de l’abandon qu’elle n’avait pas encore identifiée. L’écriture ne remplace pas la thérapie, mais elle permet d’amorcer un travail. C’est une porte d’entrée vers soi, une façon de mieux comprendre ce qui nous habite.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Trouble psychique et identité : se réapproprier qui l’on est


Qui suis-je ? C’est une question difficile pour tout le monde, mais peut-être encore plus quand on vit avec un trouble psychique. Longtemps, Fabienne Germond – connue pour son engagement en faveur de la santé mentale, notamment dans le milieu professionnel – a longtemps avancé sans mettre de mots sur son trouble anxieux et dépressif, naviguant entre phases de mieux-être et rechutes, entre traitements et silences. Jusqu’au jour où tout a basculé. Pour Plein Espoir, elle revient sur son parcours, son cheminement vers le rétablissement et la manière dont elle a appris à vivre avec son trouble sans le laisser définir qui elle est. Trouver un équilibre, accepter sa réalité, ne plus lutter contre soi-même : autant d’étapes qui lui ont permis, peu à peu, de s’apaiser et de se réapproprier son identité.

Plein Espoir : Comment le trouble psy est-il entré dans votre vie ?


Fabienne Germond : Mon trouble anxieux – anxieux et dépressif, en fait – s’est manifesté dès l’adolescence. J’avais seize ans quand j’ai poussé la porte d’un psychiatre pour la première fois. J’ai aussi pris des traitements, par périodes. Mais la vie continuait. J’ai fait de longues études supérieures, je suis entrée dans le monde du travail. Avec, toujours en arrière-plan, des moments où il fallait un suivi, d’autres où je pouvais m’en passer. Parfois des médicaments, parfois rien. C’était là, en filigrane, sans que je mette un nom ou une étiquette dessus. Une espèce de présence diffuse, ni tout à fait admise, ni totalement ignorée. On me demande souvent pourquoi je n’y ai pas plus fait attention plus tôt, mais je crois que je culpabilisais de ne pas réussir à avancer comme les autres, pas comme j’aurais dû. Et puis en 2008, ma fragilité, qui jusque-là restait un peu en sous-marin, est ressortie d’un coup. Plus moyen de faire comme si de rien n’était.

Plein Espoir : Que s’est-il passé à ce moment-là ? 


F. G. : À ce moment de ma carrière, j’avais un poste très axé client, satisfaction, résultats… Un univers ultra-industriel, avec une pression énorme. Au début, ça allait. Et puis, ça s’est dégradé. Une collègue s’est lancée dans une compétition avec moi et en parallèle, mon volume horaire a explosé. Je m’écroulais de sommeil et après deux heures, j’étais réveillée. Mon cerveau était en boucle sur ce que j’avais fait la veille, ce que je devais faire, ce qu’il fallait rattraper. J’étais complètement obsédée par le boulot, les objectifs à atteindre, j’ai perdu l’appétit et à un moment ça a craqué. Un week-end, j’ai fait une grosse crise de larmes et j’étais incapable de bouger. J’ai fini par appeler un psychiatre et j’ai été en clinique de repos pendant plusieurs mois. 

Quand je suis sortie, la bataille était loin d’être terminée. J’ai sombré dans une profonde dépression, trois ans d’épuisement, de doutes, d’incapacité à me relever. J’ai dû me résoudre à un arrêt de longue durée. Heureusement, mon entreprise m’a permis d’intégrer un parcours de maintien en emploi. C’est dans ce cadre que j’ai découvert l’association Clubhouse, un espace où l’on sort de l’isolement, où l’on réapprend à exister autrement, où la santé mentale n’est plus un tabou mais une réalité qu’on apprivoise. Ce fut un tournant. J’ai compris, enfin, que mon trouble psychique faisait partie de moi. Qu’il n’était ni un fardeau à cacher, ni une fatalité à subir. Je pouvais choisir la place qu’il occuperait dans ma vie. Paradoxalement, c’est dans la chute que j’ai commencé à trouver mes réponses. 


Plein Espoir : Vous dites que le Clubhouse a joué un rôle clé dans votre recherche d’identité. Était-ce parce que, pour la première fois, vous pouviez échanger avec des personnes qui traversaient les mêmes épreuves ? Parce que vous vous sentiez enfin comprise ?


F. G. : J’ai peu à peu investi le champ de la santé mentale, découvert ses acteurs, compris les dynamiques qui le traversaient. Il y avait le monde associatif, le secteur médical, les travailleurs sociaux. Mais surtout, il y avait celles et ceux qui vivaient avec un trouble psychique, comme moi. Ce réseau, cette communauté, ont joué un rôle essentiel. Rencontrer d’autres personnes concernées m’a permis de respirer. J’ai pu poser ma souffrance, la sortir du silence, la mettre en mots. Et cette parole, je l’ai travaillée, affinée. Au Clubhouse, nous avons mené un long travail sur le témoignage : raconter son parcours, poser noir sur blanc ce que l’on avait vécu, mettre en récit les étapes, les chutes, les moments de bascule. Il ne s’agissait pas seulement d’écrire, mais de réfléchir ensemble à ce que ces trajectoires disaient de nous, de nos fragilités, de nos résiliences. Ce travail d’introspection a été fondamental. Il m’a permis, petit à petit, de prendre de la distance avec cette souffrance. Elle est toujours là, bien sûr. Elle fait partie de moi, de mon histoire, de mon identité. Et à partir du moment où j’ai pu la nommer, l’identifier, l’accepter, elle a cessé d’être un poids.


Et puis, au fil des rencontres, j’ai vu d’autres personnes traverser les mêmes épreuves. Certaines avaient des parcours plus lourds que le mien. Ce n’est pas une question de hiérarchie dans la douleur – on ne cherche pas à savoir qui souffre le plus. Mais il y a quelque chose de profondément apaisant à se sentir appartenir à un collectif. À savoir que l’on partage une expérience commune, que l’on peut se reconnaître dans le vécu de l’autre. Cela m’a appris à relativiser, à changer de regard. On passe de je ne peux pas à je peux, malgré tout. Peu à peu, on se décentre. On ne se regarde plus seulement soi-même : on voit les autres, on comprend qu’ils existent, qu’ils avancent, eux aussi. Et cette prise de conscience fait toute la différence.


Plein Espoir : À travers ce travail, considérez-vous que le trouble occupe une place essentielle dans votre identité ?


F. G. :  C’est une question que je me suis souvent posée. Au Clubhouse, on travaillait sur la manière de parler de sa maladie, sur le langage à employer, sur la façon dont on se définit. Certains insistaient : on ne dit pas « je suis bipolaire », on dit « j’ai un trouble bipolaire ». Une nuance importante pour beaucoup. Mais ce débat m’a toujours dépassée. Dire j’ai un trouble anxieux ou je suis anxieuse, pour moi, ça revient au même. Je ne m’attarde pas sur les mots. Ce qui compte, c’est ce que cela représente dans ma vie. Et pour moi, ce trouble fait partie de mon identité. Il n’est pas toute mon identité, mais il n’est pas négligeable non plus.

Je vis avec. Je l’accepte. De toute façon, je n’ai pas vraiment le choix. Mais l’accepter, ce n’est pas le subir. C’est négocier avec lui, jour après jour. Trouver un équilibre. Alors non, je ne passe pas mon temps à y penser, je n’en parle pas tout le temps. Mais c’est là, en toile de fond. Il faut rester vigilante, ajuster en permanence. Apprendre à se protéger de soi-même, de ses émotions. Apprendre aussi à se protéger des autres. C’est un travail de tous les jours. Pas toujours visible, pas toujours conscient. Mais il est là. Une sorte d’apprentissage permanent, qui continue encore, qui continuera toujours.


Plein Espoir : Quand on vous demande de parler de vous, est-ce que vous évoquez facilement votre trouble psychique ?


F. G. : Oui, assez facilement. Mais ça dépend toujours du contexte. Je ne vais pas en parler à n’importe qui, n’importe quand. J’essaie de sentir si c’est le bon moment, si l’environnement s’y prête. Est-ce que la discussion est propice ? Est-ce que mon interlocuteur est réceptif ? Est-ce pertinent d’en parler ici et maintenant ? Dans mon cadre professionnel, par exemple, je suis à temps partiel et je fais beaucoup de télétravail. De fait, je suis un peu en marge du fonctionnement quotidien de mes collègues. Mon rythme est lié à des problématiques de santé, et là-dessus, je n’ai aucun mal à me livrer.

Récemment, j’ai partagé mon histoire dans un livre de Claire Le Roy Hatala sur les troubles psychiques et le travail. J’ai montré l’ouvrage à mon supérieur et on en a discuté. Par ailleurs, j’interviens parfois pour des sensibilisations en entreprise. Ces engagements nécessitent de m’absenter, mais dans le cadre du mécénat de compétences, ce qui suppose d’en parler à mes responsables. Là encore, j’aborde le sujet sans difficulté.


Plein Espoir : Pour vous, le rétablissement passe-t-il forcément par une forme de paix avec soi-même ?


F. G. :  Oui. Après, ce n’est pas tous les jours facile, ni même possible. Il y a des moments où l’on refuse d’admettre, où l’on s’accroche à l’illusion que tout va bien. D’autres où l’on s’effondre, où l’on se laisse submerger par la tristesse. Et bizarrement, ça fait du bien. Se décourager, s’accorder un instant de répit dans la lutte, c’est parfois nécessaire. Mais ce que j’ai appris, c’est qu’il ne faut pas rester dans la plainte ou dans l’immobilisme trop longtemps parce que ça ne mène nulle part. À un moment, il faut réussir à reprendre pied, à retrouver un équilibre.


Moi, quand je suis au plus bas, je m’agace, je bouillonne intérieurement. Mais avec le temps, j’ai compris que ces moments faisaient partie du processus. Ils ne sont pas des échecs, juste des passages inévitables sur un chemin plus long. Le plus difficile, c’est qu’on aspire toujours à retrouver un état d’avant. Comme si le but était de redevenir exactement la personne que l’on était. Mais il faut accepter que cette version-là de soi n’existe plus tout à fait. Le seul moyen d’avancer, ce n’est pas d’effacer ce qui a changé, mais de l’intégrer.


L’acceptation, c’est essentiel. Pas au sens de la résignation ni du renoncement. Ce n’est pas se dire c’est comme ça, je n’y peux rien, ni réduire toute son identité à son trouble. C’est plutôt comprendre qu’il fait partie du paysage, qu’il faut trouver comment composer avec. Et c’est aussi apprendre à être indulgent avec soi. À reconnaître qu’il y aura toujours des jours plus compliqués que d’autres. À comprendre que parfois, ces ralentissements que notre corps nous impose ne sont pas des obstacles, mais des signaux. Peut-être qu’ils sont là pour rappeler qu’on a trop tiré sur la corde, qu’on a besoin d’un pas de côté. Peut-être qu’au fond, le rétablissement, ce n’est pas chercher à redevenir comme avant, mais apprendre à exister autrement.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.