Mieux comprendre et connaître son trouble psy, c’est de la psychoéducation !

Comment mieux vivre avec un trouble psychique ? Par où commencer, quand on cherche à comprendre ce qui se passe, à retrouver un peu de prise sur son quotidien ? Et qu’est-ce qui peut, doucement, aider à avancer ? La psychoéducation n’efface pas les troubles. Elle ne remplace ni les traitements, ni le suivi thérapeutique. Mais elle peut offrir un point d’appui. C’est un chemin qui aide à mieux comprendre son trouble, à repérer ce qui soutient ou ce qui fragilise, à retrouver des repères et des outils pour faire face. Pour mieux comprendre ce qu’est et ce que n’est pas la psychoéducation, Plein Espoir a rencontré Aude Caria. Épidémiologiste de formation, elle a travaillé pendant dix ans à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avant de fonder la première Maison des usagers en psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Depuis 2003, elle dirige le Psycom, un organisme public d’information sur la santé mentale. Elle y porte une vision du soin ancrée dans le réel, attentive aux besoins des personnes concernées, et aux inégalités qui traversent les parcours.



Plein Espoir : On parle de plus en plus de psychoéducation, mais de quoi s’agit-il vraiment ? Et depuis quand cette approche a-t-elle trouvé sa place en France ?

Aude Caria : On parle de psychoéducation, mais c’est en réalité la même chose que l’éducation thérapeutique du patient. Les deux termes sont employés comme synonymes. D’après la définition de l’Organisation mondiale de la santé, l’éducation thérapeutique a pour but d’aider les patients à acquérir ou à maintenir les compétences dont ils ont besoin pour mieux vivre avec une maladie chronique. En France, elle a été inscrite dans le code de la santé publique en 2009, avec un objectif clair : rendre les patients plus autonomes, faciliter leur adhésion aux traitements et améliorer leur qualité de vie.

En psychiatrie, cela signifie accompagner les personnes qui vivent avec un trouble psychique pour qu’elles puissent mieux comprendre ce qui leur arrive, renforcer leurs capacités d’adaptation et s’appuyer sur leur propre expérience. Tout cela à travers des programmes spécialisés, construits pour elles.

Plein Espoir : Et dans la vie quotidienne, très concrètement, qu’est-ce que ça implique ?

Aude Caria : La psychoéducation s’adresse aux personnes qui vivent avec un trouble psychique, mais aussi à celles et ceux qui les entourent. Au départ, elle a d’ailleurs été pensée pour eux : des parents, un conjoint, une sœur, qui cherchent à comprendre ce que vit leur proche. À trouver les bons gestes, à réagir face à l’inconnu, à tenir au quotidien. Aujourd’hui encore, certains programmes sont spécifiquement conçus pour l’entourage, mais la majorité s’adressent aux personnes concernées.

Dans tous les cas, ce sont des programmes très structurés de plusieurs mois, avec des étapes, une progression, et un accompagnement ajusté à chacun. L’objectif, c’est de mieux comprendre son trouble, de repérer ce qui aide ou ce qui complique les choses. On apprend à reconnaître les signes d’alerte, à gérer les traitements, les moments de crise, à identifier les soutiens, les ressources. C’est une manière d’en limiter l’impact, de prévenir les rechutes, et de retrouver, peu à peu, de son pouvoir d’agir.

Plein Espoir : Vous dites que ces parcours sont encadrés, construits sur plusieurs mois. Mais est-ce qu’on n’apprend pas aussi en dehors de ce cadre ? Parce que le trouble change, les situations bougent… et les besoins ne sont peut-être pas les mêmes tout au long de la vie ?

Aude Caria : Oui, c’est vrai. La psychoéducation, c’est d’abord un apprentissage. Un pas qu’on fait à un moment où l’on se sent prêt à avancer, à accepter aussi l’idée de vivre avec un trouble psychique. Le professionnel de santé qui encadre ce parcours, qu’il soit psychiatre, psychologue ou infirmier, a suivi une formation spécifique. Il n’est pas seulement là pour transmettre des savoirs, mais pour accompagner, pour aider à construire des repères, à développer des compétences que la personne pourra garder en elle et faire évoluer avec le temps.

On peut discuter du mot éducation, qui peut parfois paraître un peu rigide. Mais ce qui compte, c’est ce que cela permet : des outils concrets pour reprendre la main sur son quotidien. Et puis, c’est important de le dire, il n’existe pas un seul programme valable pour tous. Chaque parcours est adapté. Tout dépend du trouble, des traitements en cours, du chemin déjà parcouru, du soutien disponible autour de la personne. Est-ce qu’elle travaille ? Est-elle isolée ? A-t-elle déjà trouvé certains appuis ? Ce sont ces éléments-là qui permettent de fixer les objectifs.

Plein Espoir : Pour éviter les contresens et les ambiguïtés, qu’est-ce que la psychoéducation n’est pas ? Se renseigner seul sur son trouble, écouter des témoignages, échanger avec un pair aidant… est-ce que ça en fait partie ? Ou est-ce encore autre chose ?

Aude Caria : Comme je le disais plus tôt, la psychoéducation, au sens strict, désigne des programmes encadrés. Il y a une progression, un cadre, des étapes précises. Et c’est justement cette structure qui fait toute la différence. Mais dans le langage courant, le mot est parfois utilisé de façon plus large. On y range tout ce qui peut aider à mieux comprendre son trouble : lire un article, écouter un témoignage, échanger avec un pair aidant, chercher des ressources par soi-même. Ce sont des démarches complémentaires précieuses, utiles, mais plus libres, plus informelles. On parle alors plutôt d’auto-support. Nous avons d’ailleurs consacré une page ressource à ce sujet sur le site du Psycom.

Et puis la psychoéducation, ce n’est pas non plus un groupe de parole. Bien sûr, dans un programme, on échange aussi. Mais ce n’est pas le même cadre, ni le même but. Dans un groupe de parole, on partage une expérience, on crée du lien. C’est un autre espace, tout aussi important, mais différent.

Plein Espoir : Comment est structuré un programme de psychoéducation ?

Aude Caria : Il existe des trames-types, mais chaque programme commence toujours par une étape essentielle : le diagnostic éducatif. C’est un temps d’échange, un moment pour mieux comprendre la personne concernée, identifier ses ressources, explorer différents aspects de sa vie, ses questions, ses attentes, ce dont elle a besoin. On regarde aussi ce qu’elle sait déjà de son trouble, ce qu’elle a compris, ce qui l’a aidée ou, au contraire, freinée. C’est important de revenir sur ce qui a fait du bien, sur ce qui a permis de tenir, de traverser une épreuve. C’est à partir de là qu’on peut construire quelque chose de juste. Quand c’est possible, cette démarche peut aussi inclure les proches. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de soigner un symptôme, mais de prendre en compte la personne dans sa globalité, dans son histoire, dans ses liens.

À partir de ce premier échange, un programme est défini, avec des priorités d’apprentissage. Le parcours peut combiner des séances individuelles et collectives, réparties sur plusieurs semaines, parfois plusieurs mois. Entre deux séances, il peut y avoir des exercices à faire, des choses à observer, à expérimenter. Et à la fin, une évaluation permet de faire le point.

Mais je tiens à poser un point de vigilance. La plupart des programmes ont été conçus par des soignants, sans que les personnes directement concernées soient associées. Et ça, c’est une vraie limite. Pour qu’un programme soit vraiment utile, vraiment ajusté, il doit être pensé avec celles et ceux à qui il s’adresse. Sinon, on risque de partir de ce que les professionnels imaginent être bon pour les patients, sans entendre ce que les personnes expriment elles-mêmes comme priorités. Si l’objectif principal devient la réduction des symptômes, on risque de passer à côté de l’essentiel. Car ce n’est pas toujours ce qui compte le plus pour la personne concernée. Ce qui peut avoir le plus de valeur pour elle, c’est de pouvoir reprendre le travail, relire un livre, partir quelques jours. Des choses simples, concrètes, mais qui touchent directement à la qualité de vie.

Plein Espoir : Pour suivre un programme de psychoéducation, faut-il forcément passer par l’hôpital ?

Aude Caria : Les programmes d’éducation thérapeutique doivent être validés par les Agences Régionales de Santé. Concrètement, cela signifie qu’une équipe, au sein d’un service, conçoit un programme en s’appuyant sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé. Ce programme est ensuite soumis à l’ARS, qui autorise ou non sa mise en place.

Aujourd’hui, ces programmes sont proposés au sein des services de soins, à l’hôpital ou dans les centres médico-psychologiques (CMP). Il existe des initiatives pour les développer aussi en libéral, mais je n’ai pas de données précises sur l’ampleur de ces dispositifs. Ce qui pose question aujourd’hui, c’est l’accessibilité. Il y a une volonté de les rendre disponibles plus largement, mais dans les faits, ce n’est pas encore le cas partout.

Plein Espoir : Pouvez-vous nous en dire plus sur les programmes destinés aux proches ? 

Aude Caria : Oui, il existe plusieurs programmes destinés aux proches, comme ProFamille, Prospect, développé par l’Unafam (Union Nationale de Familles et Amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques), ou encore le programme Bref. ProFamille, par exemple, a été lancé à l’initiative de soignants, au départ pour soutenir les familles de personnes vivant avec une schizophrénie. C’est un cycle de plusieurs séances, pensé pour aider les proches à mieux comprendre ce que vit leur enfant, leur conjoint, leur frère ou sœur et à trouver des appuis concrets au quotidien.

On y parle de la maladie, bien sûr, des traitements, de la prise en charge. Mais surtout, on apprend à ajuster sa manière d’être en lien avec la personne concernée. À reconnaître ce qui peut blesser sans qu’on le veuille, à reformuler, à se faire comprendre sans brusquer. On aborde aussi les angoisses qu’on peut ressentir soi-même, les tensions, les malentendus avec les équipes soignantes. C’est un espace pour parler de ce qui inquiète, pour comprendre aussi ce qui se joue du côté des professionnels. Par exemple, pourquoi une visite à l’hôpital nous a été refusée, pourquoi on n’a pas toujours toutes les informations. Et puis il y a des outils concrets : des méthodes pour gérer le stress, désamorcer un conflit, trouver les bons mots. Il n’y a pas de solutions toutes faites, mais des clés pour garder le lien, sans s’épuiser.

Plein Espoir : Il y a un mot que vous n’avez pas encore prononcé, mais qu’on entend en filigrane depuis le début : celui de routine. En quoi le fait de structurer son quotidien, de mettre en place des routines, ça fait aussi partie de la psychoéducation ?

Aude Caria : C’est une clé importante, oui. Ce qu’on appelle aussi « hygiène de vie ». Concrètement, cela passe par la remise en place de petits repères dans le quotidien : retrouver un rythme, redonner une forme aux journées. Il n’y a pas de modèle unique, chacun avance comme il peut. Mais on sait que, bien souvent, des choses simples comme se lever à heure fixe, marcher un peu, prendre ses repas à heures régulières, permettent de rendre le temps plus lisible. Et quand les journées deviennent plus prévisibles, elles sont aussi un peu moins angoissantes.

C’est un peu ce que la psychoéducation nous apprend : à observer ce qui nous aide, comprendre pourquoi ça fonctionne, et transformer cette connaissance en actions concrètes. Ce n’est pas une injonction au mieux-faire, c’est une façon de reprendre la main. D’agir là où, parfois, on pensait ne plus pouvoir.

Être soignant(e) et vivre avec un trouble psychique


Infirmière en Pratiques Avancées (IPA) en psychiatrie et coordinatrice du comité des usagers, Cécile Glaser a consacré de nombreuses années à soigner et accompagner les personnes concernées par un trouble psychique. Mais un jour, elle a été confrontée à sa propre fragilité : un trouble bipolaire. Ce bouleversement n’a pas seulement modifié son parcours personnel, il a aussi transformé sa vision de la psychiatrie, l’incitant à repenser son rôle et ses engagements.

Dans ce témoignage accordé à Plein Espoir, elle parle de sa double identité : soignante et personne concernée. Elle explique comment cette transition a changé sa façon d’aborder le soin et comment elle parvient à vivre pleinement ces deux rôles. Son parcours, fait de remises en question, d’ajustements, de courage, lui a permis de construire une autre forme de résilience. Un chemin singulier, où l’écoute, le respect et l’accompagnement personnalisé ouvrent la voie du rétablissement. Un chemin où les fragilités ne sont plus des obstacles, mais des repères.

D’abord — et je crois que c’est important de commencer par là — j’ai choisi la psychiatrie un peu par hasard. Ce que je voulais, c’était travailler avec des adolescents. Le premier poste que j’ai trouvé, c’était à la Fondation Santé des Étudiants de France (FSEF – Adhérent de Santé mentale France). Une structure qui aide des jeunes en souffrance psychique à poursuivre leurs soins et leur scolarité. C’est cette dimension-là qui m’a attirée. Et c’est comme ça que j’ai découvert la psychiatrie… pour ne plus la quitter.

En travaillant avec des adolescents, j’ai compris une chose essentielle : l’importance du repérage précoce et de la prise en charge rapide. Cela m’a poussée à intégrer un réseau de santé. L’objectif ? Mieux repérer, mieux orienter, faciliter l’accès aux soins. À ce moment-là, j’étais encore loin du fonctionnement habituel de la psychiatrie publique, avec ses secteurs et son organisation. En 2010, j’ai rejoint la fonction publique hospitalière. J’y travaille toujours aujourd’hui.

Après — et c’est important de le dire — je n’ai pas exercé pleinement entre 2010 et 2020. J’ai basculé du rôle de soignante à celui de personne concernée. Mon trouble bipolaire de type 2 a été diagnostiqué tardivement. Jusqu’alors, mes épisodes dépressifs, bien que fréquents, semblaient isolés. Mais ils se sont intensifiés. Notamment après chacune de mes deux grossesses, en postpartum. Ma première grande crise est survenue à 40 ans.

« Être soignante a sans doute retardé mon propre diagnostic »


Avec du recul, je crois que j’avais des œillères. Travailler en psychiatrie n’a sans doute pas aidé. Je pense même que ça a retardé mon diagnostic. J’avais besoin de garder une distance. De ne pas trop m’identifier aux patients. Je ne me sentais pas légitime pour reconnaître ma propre souffrance, au regard de celle des personnes que j’accompagnais. Dans ma posture de soignante, il y avait cette idée — presque inconsciente — que je n’avais pas le droit de faillir. Je devais rester là, pour eux.

Quand, à mon tour, j’ai eu besoin d’aide, ça n’a pas été simple. Pour mes pairs, accompagner une collègue était délicat. Il y avait de la bienveillance, oui. Mais aussi une forme de gêne. Un tabou difficile à nommer : celui des frontières invisibles entre soignants et soignés. J’ai eu du mal à accepter ma condition de personne concernée. À chaque fin de crise, je croyais que c’était fini. Je faisais comme si rien ne s’était passé. Comme si ça n’avait jamais existé. Il a fallu une nouvelle rechute, plus sévère, qui a conduit à plusieurs mois d’hospitalisation sous contrainte, pour que j’accepte, d’avoir besoin de soins, sur la durée. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre ce que voulait dire, concrètement, le rétablissement.

À l’époque, le mot « rétablissement » n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui. Même dans le milieu professionnel. Au début des années 2010, c’était une notion encore très nouvelle. Ce que cela impliquait — accepter sa condition, comprendre qu’une rechute ne remet pas tout en cause, reconnaître qu’au-delà du diagnostic, il y a une vie à construire — restait flou. En psychiatrie, on regarde souvent les choses à travers le prisme d’un symptôme, d’un trouble. C’est ce regard-là que j’ai dû apprendre à faire bouger. Peu à peu.

« Je n’étais plus légitime à exercer en psychiatrie »

Ça a bien sûr eu un impact sur la façon dont je percevais mon travail. Au départ, j’ai pensé que je n’étais plus légitime à exercer en psychiatrie. Que le fait de souffrir moi-même d’un trouble m’enlevait la capacité d’accompagner d’autres personnes en difficulté. C’était une forme d’auto-stigmatisation, renforcée par le fait qu’à cette époque, la question de mon propre rétablissement me semblait encore très lointaine. Il a fallu attendre 2018, que mon état se stabilise, pour que je réalise qu’il existait mille manières d’être infirmière en psychiatrie. Et que, peut-être, je pouvais en inventer une qui me ressemble.

Chez mes collègues, c’était un peu pareil. Il y avait de la bienveillance, mais aussi une forme de crainte. Le fait que je travaille de nouveau dans ce secteur leur semblait risqué, surtout pour moi. Eh oui, ça se savait. Le monde de la psychiatrie, à Paris, est petit. Un jour, je croise un psychiatre que je connaissais, qui savait ce que j’avais traversé. Il m’a demandé si je voulais retravailler. Je lui ai répondu que j’en avais envie, mais que je ne savais pas encore comment. Ni sous quelle forme.

Il m’a expliqué qu’il était devenu chef de service, qu’il allait développer une équipe dédiée aux jeunes adultes, et m’a proposé de le rejoindre. Sur le moment, j’ai accepté, sans trop y croire. Il m’a proposé qu’on prenne le temps d’en reparler. Lors du rendez-vous, il est venu accompagné d’un autre professionnel de santé. Il ne m’a pas parlé de mon trouble, mais il a parlé de mes compétences, de mon expérience, de ce qu’il connaissait de mon travail. Ça m’a profondément touchée. Ça m’a rappelé que mes compétences étaient toujours là, intactes.

C’est comme si quelque chose s’était rallumé en moi. Comme si un chemin redevenait possible. J’ai repris le travail dans son service. Ce qui m’a rassurée, c’est que je n’avais pas besoin de tout expliquer : ma hiérarchie savait, et veillait discrètement à ma reprise. Quant aux collègues et aux patients, je ne me suis jamais cachée. J’avais déjà témoigné publiquement et même participé à un livre sur le rétablissement. Il suffisait de chercher mon nom pour savoir. Je n’en parlais pas spontanément, mais si la question venait, je répondais, simplement.

« Passer de soignant à personne concernée change la posture et l’attention portée aux personnes suivies »


On me pose souvent la question : qu’est-ce que cette expérience de personne concernée m’a apporté dans mon travail ?  Je n’aime pas tellement le mot « apporter », comme s’il s’agissait d’un supplément. Forcément, ça change des choses. La posture et l’attention qu’on porte aux personnes qu’on accompagne ne sont plus les mêmes. Deux sujets, en particulier, ont pris une autre dimension. D’abord la parentalité. Parce que moi aussi, je suis maman. Et c’est un sujet dont on parle très peu en psychiatrie : reconnaître que les personnes suivies peuvent aussi être des parents. Prendre en compte leur rôle, ne pas considérer qu’une maladie psychique annule leur vie de parent, ne pas tenir leurs enfants à distance ou faire comme s’ils n’existaient pas.

 Le deuxième sujet, pour moi, c’est la sortie d’hospitalisation. Parce que rentrer chez soi, c’est souvent retrouver son appartement comme on l’avait laissé, au plus fort de la crise. On n’y pense pas toujours : quand une personne sort de psychiatrie, on considère qu’elle va mieux, que les symptômes se sont apaisés, et qu’elle peut rentrer chez elle. Mais on ne regarde pas dans quelles conditions elle retourne vivre. Où elle va, dans quel état est son logement, si elle sera entourée. Sur ces questions, mon expérience m’a rendue particulièrement attentive. Et, bien sûr, sur la question des hospitalisations sans consentement, je suis devenue une fervente défenseuse des directives anticipées en psychiatrie. C’est aussi pour mieux intégrer l’entourage, mieux préparer la sortie, prévenir les risques de rechute. C’est essentiel.

Après, sur la question des hospitalisations sous contrainte, il y a des moments où on ne peut pas faire autrement. Mais l’important, c’est de savoir continuer avec. De ne pas rester enfermé dans le traumatisme de l’hospitalisation non consentie. Ce que je constate, et ce que j’essaie aussi de faire avancer dans le service où je travaille, c’est que la voix des usagers n’est pas encore assez entendue au moment de l’hospitalisation. Dans certains établissements, des comités d’usagers se mettent en place. C’est un pas important, mais il reste encore beaucoup à faire pour que cette parole soit pleinement reconnue.

Sur un blog, on avait créé une liste, un peu comme celle qu’on coche avant de partir en voyage. Mais cette fois, c’était la liste des choses essentielles à avoir en psychiatrie, et pourquoi elles comptaient pour nous. Parce que souvent, au moment de la crise, on oublie ce dont on a besoin. Je me souviens que, dans la mienne, j’avais noté : mon oreiller. C’est bête, mais ça change tout. Une amie, elle, avait écrit : un tote bag. Parce que dans beaucoup d’hôpitaux, la douche n’est pas dans la chambre, et il faut transporter ses affaires d’un bout à l’autre du service. Et puis il y avait aussi : penser à appeler cette personne, avoir sa musique préférée, emporter un livre qu’on aime, quelques crayons de couleur. Ce ne sont pas des caprices parce que ces petites choses peuvent vraiment faire la différence.

«  L’importance de trouver sa juste place »

Quand j’ai repris le travail, les médiateurs de santé pairs ont joué un rôle essentiel. Je me suis engagée pour qu’ils soient pleinement reconnus dans l’équipe de soins, pour qu’ils participent à part entière à tout ce qui pouvait être proposé aux patients.Travailler avec eux, c’était créer des ponts. Des ponts entre le vécu des patients et l’accompagnement soignant, des ponts aussi entre les différents professionnels.

Récemment, on a créé une association de patients, ainsi qu’un comité des usagers, dans lequel je me suis engagée. Les premières réunions ont été assez troublantes. On parlait beaucoup des droits des usagers, de leur place dans les soins, de la façon dont ils pourraient devenir plus acteurs de leur parcours. Sans le vouloir, ma voix devenait très engagée, comme si j’étais moi-même patiente du service. C’est là que j’ai pris conscience qu’il fallait être attentif à sa posture. Il faut pouvoir se protéger. Parce que, malgré tout, certaines situations peuvent réveiller des échos personnels. Il faut savoir les reconnaître, ne pas se laisser emporter.

Après, ce qui m’a beaucoup aidé, c’est ma formation d’infirmière en pratique avancée. Deux ans d’études supplémentaires, un master, pour élargir mes compétences cliniques, gagner en autonomie, notamment dans l’accompagnement et le suivi des traitements. Depuis l’obtention de mon master, je travaille dans une équipe où je parle ouvertement de mon trouble et de mon parcours. Mon histoire personnelle est connue, respectée, et même intégrée comme une richesse pour l’accompagnement des patients.

« Le travail et le sentiment d’utilité, moteurs de mon rétablissement »

Cela fait désormais cinq ans que je travaille sans arrêt. Rien que ça, c’est un vrai défi relevé pour moi. Au fil du temps, j’ai intégré de plus en plus mon trouble psychique dans mon parcours de vie, dans toutes ses dimensions — personnelle, familiale, professionnelle. Même si chacun a son propre chemin, et que tout le monde ne peut pas ou ne souhaite pas travailler, pour moi, être active a beaucoup compté. Le travail, le sentiment d’utilité que j’en retire, sont devenus des appuis essentiels à mon bien-être.

Cette expérience m’a aussi montré les points à améliorer. En psychiatrie, la notion de rétablissement reste encore à approfondir. Se rétablir, ce n’est pas seulement voir disparaître des symptômes. C’est bien plus vaste : c’est reconnaître toutes les dimensions de la personne, son histoire, ses aspirations, ses valeurs. Pour cela, il faut renoncer à plaquer sur l’autre un modèle tout fait. Être vraiment à l’écoute, rester fidèle à ce qui est important pour la personne elle-même. Aujourd’hui encore, cet aspect me semble souvent malmené.

Et puis, il me tient à cœur de rappeler que, même si la psychiatrie est encore souvent associée à la contrainte et à l’enfermement, nous sommes capables de faire autrement. Accueillir les personnes dans des lieux plus humains, plus ouverts, c’est possible. Mais pour cela, il ne suffit pas de mobiliser les équipes soignantes. Les pouvoirs publics ont aussi leur part de responsabilité. Quels moyens sont-ils prêts à mettre pour transformer l’hôpital ? À mes yeux, c’est fondamental. Car bien souvent, ce n’est pas seulement une question de volonté, c’est d’abord une question de moyens.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

La force des savoirs expérientiels : quand l’expertise du patient transforme la psychiatrie


Comment les savoirs issus de l’expérience des personnes vivant avec un trouble psychique ont bouleversé leurs parcours de soin en santé mentale ? Longtemps, le patient n’était qu’un simple récepteur des prescriptions, cantonné à un rôle passif dans sa propre histoire de guérison. Mais peu à peu, la reconnaissance du vécu, de l’expertise intime et du cheminement singulier a fait évoluer la psychiatrie. En co-construisant leur trajectoire, les personnes concernées rééquilibrent la relation soignant-soigné, bousculent la logique verticale de l’autorité médicale et ouvrent de nouvelles voies pour le rétablissement. Chez Plein Espoir, nous sommes convaincus que ces voix, quand elles sont enfin entendues, rendent la psychiatrie plus humaine, plus juste, plus ancrée dans la vie réelle. Sophie et Clémence par leurs expériences dessinent d’autres manières de penser et de vivre le soin.

« Hospitalisée,  j’avais l’impression d’être en prison. J’avais un contrat placardé au mur avec un certain poids à atteindre. En gros : tu ne sors pas tant que tu n’as pas atteint ce poids. Pas de visites, pas de sorties. Au début, je n’avais même pas droit aux livres », se souvient Sophie, 51 ans, dont le diagnostic d’anorexie mentale a été posé à l’âge de 13 ans. Son parcours de soins, jalonné de multiples hospitalisations, illustre une approche médicale qu’elle qualifie aujourd’hui de « drastique » voire « moyenâgeuse ». Malgré un suivi psychiatrique régulier durant des années, elle n’a jamais réussi à établir une véritable relation de confiance avec les médecins à l’hôpital, à l’exception du chef de service de l’hôpital de Saint-Étienne. Sa pire expérience étant celle vécue au sein d’une clinique spécialisée sur les troubles alimentaires, pourtant de bonne réputation : « Les deux psychiatres qui tenaient cette clinique avaient une approche presque militaire. Ils n’étaient pas du tout dans la compassion ou dans le fait d’essayer de comprendre pourquoi on est anorexique. Il fallait juste qu’on prenne des kilos. » Une approche qui, selon elle, traitait les symptômes sans s’attaquer aux causes profondes de son trouble qui étaient bien éloignées des clichés que l’on adresse souvent sur les personnes atteintes d’anorexie mentale. « Je ne souhaitais pas maigrir pour ressembler aux mannequins de l’époque comme on peut l’entendre parfois. Je ne voulais plus manger pour disparaître en quelque sorte. Un mal-être né d’un traumatisme. »

Une expérience qui fait écho à celle de Clémence, 37 ans, professeure documentaliste, diagnostiquée avec un trouble schizo-affectif après sa première hospitalisation sous contrainte à l’âge de 26 ans. « L’annonce du diagnostic a été violente pour moi, surtout que la psychiatre m’a juste dit que j’avais un trouble schizo-affectif, point barre. Sous le choc, je n’ai pas forcément demandé plus d’explications sur le coup. » Face à ce manque d’accompagnement, Clémence s’est alors tournée vers internet pour comprendre sa maladie, mais ce qu’elle y a trouvé l’a d’abord déstabilisée. « Ça présentait le malade sous une forme très négative. Je lisais que c’étaient des personnes qui avaient un manque de confiance en elles, qui étaient mal insérées dans la société… » Une description qui l’a conduite à rejeter son diagnostic pendant plusieurs années. S’il paraît logique de chercher des réponses sur Internet, beaucoup de fausses informations y circulent, ce qui, à l’instar de l’expérience de Clémence, peut nuire à la bonne compréhension de sa maladie. Pour éviter cet écueil, Plein Espoir recommande de consulter des sources d’informations fiables comme les sites Psycom et Schizo oui, et/ou de se mettre en relation avec des communautés de personnes vivant avec un trouble psychique, pour échanger et poser des questions en toute sécurité.

La quête d’informations : reprendre le pouvoir par la connaissance


Pour les deux femmes, comme pour beaucoup de personnes vivant avec un trouble psychique, la première étape vers l’autonomie a été la recherche d’informations. Non pas pour contester l’expertise médicale, mais bien pour la compléter, l’humaniser, se l’approprier. « J’ai découvert que dans le cadre de la schizophrénie et de la bipolarité, c’était la dopamine qui, dans le cerveau, avait un mauvais fonctionnement, explique Clémence. Ça m’a rassurée parce que je me suis dit : “Donc il y a vraiment un défaut chimique, une explication scientifique à mon état.” Ça voulait dire que ce n’était pas ma faute ni celle de ma famille si j’étais malade, ça a été un énorme soulagement. »

Cette compréhension “scientifique” de sa maladie a été un tournant décisif dans l’acceptation du diagnostic et de la nécessité de suivre son traitement. Pour Sophie, la prise de conscience a été plus progressive et s’est en grande partie construite à travers les échanges avec d’autres patientes atteintes de Troubles du Comportement Alimentaires (TCA) durant ses hospitalisations. « On parlait beaucoup entre nous, on s’appuyait énormément les unes sur les autres. Celles qui étaient les plus avancées dans leur rétablissement aidaient celles qui venaient d’être hospitalisées. Le fait d’échanger avec des gens qui nous comprennent parce qu’ils vivent la même chose, c’est salvateur. »

Mais pour l’une comme pour l’autre, le chemin vers l’acceptation a aussi comporté des errances, notamment avec une tentative d’arrêt des médicaments. « On a souvent besoin de passer par cette phase d’arrêt du traitement pour vérifier qu’il est vraiment nécessaire », reconnaît Clémence, qui, après plusieurs rechutes, a désormais pleinement acceptée sa maladie. Une expérience que certains médecins peinent parfois à comprendre, et qui pourtant fait partie intégrante du processus d’appropriation de la maladie par le patient.

La rencontre avec les pairs : une révélation

Pour Sophie et Clémence, vivre sereinement avec sa maladie ne se résume pas à suivre un traitement ou consulter un médecin. Il faut bien plus. Et bien souvent, c’est la rencontre avec d’autres personnes partageant la même expérience qui constitue le véritable déclic. « Quand on sort de l’hôpital psychiatrique et qu’on retourne chez soi, on ne comprend pas certaines choses, se souvient Clémence. Par exemple, moi, je n’avais pas l’impression d’être malade. En fait, il s’avère que j’étais en phase de manie, donc dans une excitation psychique, pas du tout triste. Je disais à tout le monde : “Je me sens bien, pourquoi vous me dites que je suis malade ?” Alors qu’en fait non, je pouvais m’énerver d’un coup ou partir dans une phase délirante. »

C’est après sa troisième crise que Clémence décide de se tourner vers des associations comme la Maison Perchée ou le ClubHouse. Des espaces non-médicalisés de personnes concernées en co-gestion ou en auto-gestion, où elle a pu rencontrer d’autres personnes vivant avec des troubles psychiques. Un psychiatre l’a aussi orienté vers un centre de remédiation cognitive, une structure attenante à l’hôpital pour échanger avec d’autres patients. « Discuter avec les pairs aidants m’a fait énormément de bien. J’ai reçu plein de conseils, de bonnes pratiques pour vivre avec ma pathologie… ça a tout changé. »

Pour Sophie, cette dimension collective s’est aussi révélée fondamentale. Aujourd’hui, elle intervient comme bénévole dans une association spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire, en particulier auprès des familles. « Je me sens très utile. À chaque fois, les échanges sont très chargés en émotion. Je vois dans leurs yeux qu’ils sont heureux que je sois là. Je pense que c’est important d’avoir face à eux quelqu’un qui leur donne de l’espoir et leur fait dire : “ma fille va peut-être s’en sortir, elle va arriver à avoir une vie, un travail, un conjoint”. Pour ces familles, je suis la preuve qu’on peut vivre “normalement” même avec un TCA. »

Des stratégies personnalisées pour vivre avec sa maladie


Au fil du temps, Clémence et Sophie ont développé leurs propres stratégies pour vivre avec leur maladie, au-delà du traitement médicamenteux et d’un suivi psy, qu’elles reconnaissent toutes deux comme nécessaires.

Pour Clémence, il s’agit d’une hygiène de vie stricte : « Avoir une alimentation saine, essayer de ne pas trop boire d’alcool, ne jamais consommer de cannabis, arrêter de fumer, faire un peu de sport… » Elle insiste également sur l’importance de prendre du temps pour soi et de cultiver des relations de qualité. Une autre initiative qu’elle a mise en place est le remplissage de Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP) : « C’est un document qu’on remplit seul ou avec son psychiatre ou avec un proche. On y consigne un certain nombre d’informations utiles aux autres en cas de crise. »

Pour Sophie, le tournant dans son rétablissement est venu grâce au travail. « J’ai été engagée comme pigiste dans la presse et petit à petit, ça a été la révélation. Le travail m’a donné l’impression, pour la première fois, que j’allais peut-être arriver à faire quelque chose de ma vie ! » Cette activité professionnelle lui a permis de renouer avec les autres et de retrouver sa place dans la société. « Je rentrais chez moi, j’étais fatiguée, mais c’était de la bonne fatigue. Moi qui avais tant de mal à m’ouvrir aux autres, je discutais avec plein de gens, je faisais des nouvelles rencontres tous les jours. Grâce à ce job, j’avais l’impression d’appartenir à une communauté. »

Vers un nouveau modèle de soins partagés



Ces témoignages illustrent une évolution profonde dans la relation entre patients et soignants. D’une approche traditionnelle verticale, où le médecin décide et le patient se conforme, on s’oriente progressivement vers un modèle plus horizontal, où l’expertise du vécu complète celle du diplôme. « C’est un processus qui est encore en cours, mais je ressens clairement que les lignes bougent, observe Sophie. J’ai mis des mots sur ce qui m’était arrivé, j’en ai parlé autour de moi, j’ai beaucoup lu… Je reste persuadée que le patient a beaucoup de choses à apprendre et à dire sur sa pathologie. Il faut juste qu’on l’écoute. »

Un espoir d’évolution partagé par Clémence : « Je pense qu’il y a une nouvelle génération de psychiatres qui sont vraiment dans l’écoute et dans le non-jugement. » Elle apprécie particulièrement ceux qui la considèrent comme actrice de son traitement : « Je suis tombée sur des médecins qui, quand j’ai voulu baisser mon traitement, m’ont aidé à le faire, et m’ont permis de faire des erreurs et c’est précieux : c’est comme ça qu’on nous rend acteur de notre rétablissement. »

Cette co-construction du parcours de soins ne signifie pas l’abandon de l’expertise médicale, mais son enrichissement par le savoir expérientiel. C’est ce que Clémence appelle « l’éducation thérapeutique », elle développe : « L’éducation thérapeutique, quelle que soit la manière dont elle est faite, même si c’est par soi-même ou par une association ou une structure attenante à l’hôpital, est indispensable pour faire face à la maladie. » Certains vont même jusqu’à formaliser leur savoir expérientiel grâce à l’obtention de diplômes spécifiques, de formations voire de métiers comme les Médiateurs Santé Pair.

Chez Plein Espoir, nous sommes convaincus que cette alliance entre savoirs professionnels et expérientiels représente l’avenir de la psychiatrie. Une psychiatrie où le rétablissement ne se mesure pas seulement à la disparition des symptômes, mais à la capacité de chacun à reprendre les rênes de sa vie, à retrouver du sens et à contribuer à la société, avec ou malgré la maladie. Une psychiatrie où, comme le dit si bien Sophie, on n’est pas forcément guéri, mais on peut être rétabli : « Je sais que la maladie est toujours en sommeil quelque part. Parfois elle me parle, de moins en moins souvent et de moins en moins fort, mais elle est là. Ce qui ne m’empêche pas de vivre pleinement. »

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Rétablissement : la psychiatrie ce n’est pas qu’à l’hôpital !


Le rétablissement est un chemin personnel, propre à chaque personne vivant avec des troubles psychiques. Ce n’est ni un protocole, ni une ligne droite. Mais il peut être soutenu quand le soin prend le temps de s’ajuster, d’écouter, d’accompagner sans enfermer. Quand il ne se limite pas à poser un diagnostic, mais s’inscrit dans une relation vivante, capable de respecter le rythme et les choix de chacun. Pour comprendre comment la psychiatrie libérale peut devenir un appui essentiel sur ce chemin, Plein Espoir a rencontré Elsa Maître, psychiatre installée en libéral à Paris, et Audrey, qui vit avec un trouble anxieux généralisé depuis plusieurs années. Ces deux femmes racontent, chacune à leur place, comment un lien de soin peut se construire dans le temps, fait d’écoute, d’ajustements, et d’accompagnements respectueux. Un chemin qui n’efface pas les fragilités, mais qui donne la force de continuer à avancer, autrement.

« Quand on parle de psychiatrie, c’est souvent l’image de l’hôpital ou de la crise qui vient en tête. Pourtant, ce n’est pas du tout ma réalité », confie Audrey, 32 ans, qui vit avec un trouble anxieux généralisé depuis plus de dix ans. En réalité, une grande partie des soins psychiatriques se déroule loin des hôpitaux. Selon les chiffres de la Drees, début 2022, la France comptait un peu plus de 15 500 psychiatres. Près de la moitié exerçaient à l’hôpital, mais un tiers travaillaient exclusivement en libéral. « La majorité des patients sont suivis en cabinet, par des psychiatres installés », souligne Elsa Maître, ancienne praticienne hospitalière à Sainte-Anne, aujourd’hui installée en libéral à Paris. Dans ce paysage souvent méconnu, la « psychiatrie de ville » a un rôle essentiel à jouer dans les parcours de rétablissement.

Tout l’enjeu, pour la psychiatre, c’est la manière dont le médecin choisit de se positionner face à la personne concernée. « Lorsqu’une personne consulte, elle cherche souvent une expertise, un diagnostic solide. C’est une approche assez classique, presque paternaliste, avec cette image du médecin-sachant, un peu tout-puissant, remarque Elsa Maître. Mais pour moi, tout se joue là : est-ce qu’on se limite à délivrer un diagnostic, un traitement, comme on remet une ordonnance ? Ou est-ce qu’on construit autre chose, quelque chose de vivant, à deux ? » Dans cette dynamique, le concept de rétablissement prend tout son sens : un espace d’échanges, de savoirs partagés, où l’on prend aussi le temps de comprendre ce qui compte vraiment pour le patient, ses priorités, ses projets de vie.

Accompagner sans enfermer, comprendre sans réduire la personne concernée


La première fois qu’Audrey a franchi la porte d’un cabinet de psychiatre, elle avait 20 ans. À l’époque, elle peinait à sortir de chez elle, terrassée par des crises d’angoisse dès qu’elle s’éloignait de son domicile. Alors, elle n’a pas vraiment eu le loisir de choisir son médecin avec soin. « On ne va pas se mentir, raconte-t-elle. J’ai pris le premier cabinet proche de chez moi avec un rendez-vous rapide. J’étais complètement bloquée : je n’arrivais plus à aller en cours, même acheter une baguette seule était devenu impossible sans l’aide de mes parents. Il y avait urgence. » Constatant sa détresse, le psychiatre lui prescrit alors de l’Anafranil, ainsi que de l’Alprazolam en cas de crise. Au bout de quelques semaines, le traitement commence à faire effet. Les crises deviennent plus rares, plus gérables. Rassurée par son amélioration, Audrey choisit de poursuivre son suivi avec son médecin généraliste. « En fait, je ne voyais pas vraiment l’intérêt de continuer avec ce psychiatre, explique-t-elle. Il ne me posait pas de questions pour essayer de comprendre d’où venaient mes crises. Il se concentrait uniquement sur la gestion du traitement et des effets secondaires. Je préférais en parler avec mon médecin de famille, avec qui je me sentais plus en confiance. »

La psychiatrie libérale est parfois critiquée : on lui reproche de se limiter à poser un diagnostic et à ajuster un traitement pour les personnes vivant avec un trouble psychique. Mais Elsa Maître, elle, voit les choses autrement. Lorsqu’elle reçoit un patient pour la première fois, elle prend le temps de poser beaucoup de questions, pour comprendre la nature du mal-être : s’agit-il d’un épisode isolé, qu’il s’agit de traiter avant de passer à autre chose ? Ou d’un moment de fragilité qui s’inscrit dans une trajectoire de vie plus large, nécessitant écoute et accompagnement ? « C’est là que le rôle du psychiatre devient passionnant, confie-t-elle. Accompagner sans enfermer, comprendre sans réduire. » Souvent, les personnes franchissent la porte d’un cabinet de psychiatre avec une vraie ouverture. « Beaucoup me demandent : est-ce que je dois prendre un traitement ? Est-ce que ce ne serait pas mieux d’aller voir un psychologue ? », raconte Elsa Maître. Pour elle, ce travail d’orientation fait pleinement partie du rôle du psychiatre, même s’il reste parfois invisible. Elle observe aussi que cette posture d’écoute est particulièrement marquée chez les jeunes, notamment ceux de moins de 25 ans. « Ils viennent sans idées préconçues, juste avec cette envie d’avancer, en quête d’un regard extérieur. » Et peu à peu, l’image figée du psychiatre qui « pose un diagnostic d’autorité » semble s’effacer dans cette génération.

L’importance de la pédagogie dans le travail du psychiatre libéral

Après plusieurs années de stabilisation aux côtés de son médecin généraliste, Audrey a fini par reprendre rendez-vous avec un psychiatre. « Pendant longtemps, j’ai fait comme si mon trouble anxieux n’existait pas, confie-t-elle. Il était là, tous les jours, mais c’était ma manière d’avancer, de l’accepter, de faire avec… Même si, parfois, il fallait trouver une excuse pour ne pas aller au travail, annuler un dîner avec des amis à la dernière minute. » Puis, il y a trois ans, après une rupture, tout a lâché. « Cette fois-là, je me suis retrouvée dans une impasse. Mais je n’ai pas foncé tête baissée : j’ai pris le temps de chercher quelqu’un dont l’approche thérapeutique me parlerait vraiment. » Très différent du praticien qu’elle avait vu des années plus tôt, en plus de l’adaptation de son traitement médical, ce jeune psychiatre lui pose beaucoup de questions sur ce qu’elle ressent. Il l’aide à repérer ce qui lui fait du bien, ce qui bloque, ce qu’elle arrive à faire, d’instinct, pour calmer une crise. Il lui propose même quelques exercices à faire chez elle : essayer de mettre des mots sur ce qu’elle traverse quand ça ne va pas. Ce n’est pas simple, une fois la crise passée, de décrire ce qui s’est joué. Mais Audrey essaie. Petit à petit, elle apprend à mieux comprendre ce qui se passe dans son corps, à voir à quel moment elle peut reprendre un peu le contrôle, et quand il vaut mieux juste observer ce qui se passe en elle.

Elsa Maître ne propose pas ce type d’exercices à ses patients, mais elle insiste, elle aussi, sur l’importance de la pédagogie dans sa pratique et dans le chemin du rétablissement. « Pour moi, le rétablissement passe vraiment par là : donner au patient la capacité de comprendre ce qui lui arrive. Mon rôle, c’est de partager ma vision de la situation. Dire par exemple : « Voilà ce qu’il serait intéressant de travailler dans votre parcours » ou prévenir : « Attention, ce n’est pas parce que vous avez mieux dormi que tout va rentrer dans l’ordre sans traitement. » Mon objectif, c’est de donner des outils pour que le patient puisse avancer par lui-même. » La pédagogie fonctionne aussi dans l’autre sens, ajoute-t-elle. Une fois les bases médicales posées, il faut être capable d’écouter ce que le patient transmet de son vécu, de son ressenti. « C’est unique à chaque personne, et ça m’aide à ajuster mon accompagnement. » Dans cette évaluation, il y a des points de vigilance. Dès les premières consultations, la psychiatre reste attentive au niveau de gravité de la situation : est-ce que quelques rendez-vous espacés suffiront, ou faudra-t-il un suivi plus rapproché ? « Si la situation est fragile, on passe dans une logique plus intensive : consultations fréquentes, appels téléphoniques si besoin, voire orientation vers des services d’urgence, parfois vers l’hôpital. » C’est tout l’équilibre du soin en libéral : parfois, un accompagnement ponctuel suffit ; d’autres fois, il faut reconnaître que ce ne sera pas assez pour sortir d’une situation critique.

Ne pas laisser une personne concernée seule face à une difficulté


Après six mois de suivi hebdomadaire, Audrey sent que les crises s’espacent, que peu à peu, elle reprend la main sur ses émotions. Elle a beaucoup maigri, mais l’appétit revient. C’est même son psychiatre qui, le premier, lui glisse qu’elle va mieux. « Moi aussi, je le sentais, confie-t-elle. Mais j’avais peur d’être encore trop fragile. Alors je n’osais pas mettre de mots sur cette amélioration. » Peu à peu pourtant, elle réalise qu’elle a de moins en moins de choses à lui dire. Naturellement, sa vie se remplit à nouveau, elle est moins disponible pour ces rendez-vous réguliers. Les consultations s’espacent sans même qu’elle y pense vraiment. « Bien sûr, dès que j’avais peur, je savais que je pouvais lui écrire un mail et qu’il me répondrait dans la journée, si c’était en semaine. Et j’avais toujours des petites solutions de secours si une angoisse montait d’un coup. Mais j’avais moins besoin d’y recourir. Tous les exercices m’avaient aidée à reprendre le fil de ma vie. » Les mois passent et, avec son médecin, Audrey décide de tenter une diminution de son traitement. « Ça faisait des années que je rêvais d’un jour où je n’aurais plus besoin de cette béquille chimique pour aller bien, raconte-t-elle. Où je serais assez forte, assez capable. » Mais très vite, les manifestations anxieuses reviennent, plus vives encore qu’avant. « Ça a été dur à accepter. On a décidé de faire marche arrière. Mais au moins, j’avais essayé. »

 « Pour moi, c’est essentiel d’expliquer clairement aux patients comment les choses peuvent se jouer », souligne Elsa Maître. À l’inverse, quand elle s’inquiète pour une personne, elle veille à être la plus claire possible sur ce qu’elle peut proposer. « Par exemple, avant un week-end, pour des patients dont je suis préoccupée, je précise les choses : je leur dis que l’on a posé un cadre, que je ne serai pas disponible par téléphone le samedi ou le dimanche, mais qu’ils peuvent m’envoyer un message avant le vendredi si besoin. Surtout, je rappelle systématiquement vers qui ils peuvent se tourner en cas d’urgence, avec les coordonnées de services que je connais. » L’idée est toujours la même : rendre le patient acteur de ce qui lui arrive, sans le laisser seul face à la difficulté. « Qu’il sache qu’il y a des relais, qu’il n’est pas isolé, que ça peut être moi, mais pas seulement. » D’ailleurs, à chaque consultation, la psychiatre prend le temps de faire le point : ce qui va mieux, ce qui évolue positivement grâce au traitement, mais aussi tout ce que le patient a mis en place par lui-même, avec l’aide d’une thérapie, par exemple. « Ce regard-là permet de réfléchir ensemble au moment opportun pour alléger un traitement. Le meilleur signe, souvent, c’est que le patient se sent prêt, exprime lui-même l’envie d’essayer. Mais il faut aussi tenir compte du contexte : éviter, par exemple, de baisser un traitement juste avant une période de stress, comme un nouveau travail ou des vacances. »

Le rétablissement, pour elle, c’est ça : intégrer le soin dans un parcours de vie, pas suivre mécaniquement des recommandations rigides. Elle évoque aussi les situations où il faut ajuster un traitement en urgence, même si la situation n’est pas complètement stabilisée : « Par exemple, certains patients prennent beaucoup de poids très vite avec un médicament. Même si le traitement fonctionne bien sur le plan psychique, cette prise de poids est parfois insupportable pour eux. » Dans ces cas-là, l’enjeu est d’en discuter franchement : peser ensemble les effets indésirables et leurs conséquences sur la qualité de vie. « Je prends le temps d’expliquer les différentes options possibles, et je vois les patients plus fréquemment pendant ces périodes de transition. »

Un chemin vers le rétablissement

Si Audrey a eu besoin de temps pour accepter l’idée qu’elle prendrait peut-être un traitement toute sa vie, le travail mené avec son psychiatre l’a aidée à franchir ce cap. « Même si c’est parfois frustrant, estime-t-elle, je considère, un an après avoir tenté d’arrêter mon traitement, que je suis dans une forme de rétablissement. Les crises sont toujours là, mais elles ne m’empêchent plus de travailler, d’avoir une vie sociale riche, ni même une vie sentimentale. » Elle le sait : ce chemin reste plus difficile pour d’autres. Mais elle reconnaît aussi que son trouble, dont elle se passerait volontiers, lui a appris certaines choses. « Je suis plus sensible, et cette sensibilité me donne beaucoup d’empathie. Dans mon métier d’illustratrice, j’ai l’impression que les sujets que je traite touchent les gens différemment. C’est ma manière à moi de donner du sens, de me battre avec ce que je suis. » Aujourd’hui, elle a aussi changé de posture face aux crises. « Avant, dès que je sentais les palpitations arriver, je me forçais à sortir, à faire comme si de rien n’était… et c’était pire. Maintenant, si je sens que ça monte, je préviens la personne que je dois rejoindre, je m’excuse. Je suis plus dans la pédagogie avec mes proches, j’en parle beaucoup plus facilement. » Elle sourit : « Je dirais qu’enfin, je n’ai plus honte de qui je suis. Et ça change tout. » Aujourd’hui, Audrey continue son suivi avec des consultations espacées. Et quand un moment plus fragile se présente, elle ajuste et rapproche les rendez-vous. Avancer, pour elle, c’est apprendre à s’adapter, surtout sans se juger.

Mais pour que ce soit possible partout, et éviter que l’attente ne rende les prises en charge plus lourdes, la question de la répartition des soins sur le territoire reste centrale. Si Elsa Maître exerce aujourd’hui à Paris, elle garde en tête ce que peut être le sentiment d’isolement pour un praticien installé loin d’une grande ville. « Aujourd’hui, je sais que je peux gérer des situations compliquées parce que j’ai des ressources autour de moi. Mais si j’étais seule, comment je ferais ? », interroge-t-elle. On parle beaucoup, en ce moment, de régulation, d’organisation des soins, mais Elsa Maître le reconnaît : elle a la chance de travailler dans une ville où, malgré les tensions, l’offre de soins reste relativement accessible. « Il faudrait pouvoir garantir cette proximité partout. C’est crucial, surtout dans une démarche de rétablissement. » Comme elle le disait plus tôt, le travail thérapeutique ne s’arrête pas à une ordonnance ou à une consultation : « C’est aussi pouvoir orienter vers une association, une mission locale, un dispositif de soutien… Et pour ça, il faut connaître ce qui existe autour de chez soi. C’est très différent de dire à un patient : « Renseignez-vous », depuis l’autre bout de la France, ou de pouvoir lui dire en cabinet : « Allez voir, c’est à deux rues d’ici. » »

La psychiatrie libérale, quand elle s’inscrit dans une approche attentive et ouverte, peut jouer un rôle déterminant dans les parcours de rétablissement. Loin de l’image d’un soin réduit à une ordonnance, elle offre un espace pour comprendre ce qui traverse la personne, pour l’aider à se réapproprier son histoire, ses priorités, son rythme propre. Le travail du psychiatre ne s’arrête pas à l’acte médical : il consiste aussi à écouter, à donner des repères, à accompagner les ajustements du quotidien. À poser, quand c’est nécessaire, un cadre rassurant sans enfermer. À reconnaître que chaque avancée, même minuscule, a du prix.

Ce lien exige de la disponibilité, de la clarté, une vraie pédagogie, mais aussi une connaissance fine du tissu local, pour pouvoir orienter sans laisser le patient seul face à l’immensité de ses démarches. Car le rétablissement n’est pas une ligne droite. C’est un chemin fait d’essais, de pauses, de reprises, parfois d’échecs, toujours d’élans. Pour que ce chemin soit possible pour tous, la question de la proximité des soins reste essentielle. Être accompagné, pouvoir trouver une aide accessible, concrète, humaine, là où l’on vit, peut faire toute la différence. Se rétablir, ce n’est pas effacer ses fragilités. C’est reconnaître qu’il y a des jours plus faciles que d’autres. C’est savoir qu’on peut avancer, retrouver du sens, renouer avec ses désirs, et habiter pleinement sa vie.

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Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Accompagner et soigner autrement : articuler le médical et le social au plus près des lieux de vie

Le rétablissement est un chemin personnel, propre à chaque personne vivant avec des troubles psychiques. Ce n’est ni un protocole, ni une ligne droite. Mais il peut être soutenu quand plusieurs regards se rencontrent — celui du soin, du médico-social, du social — non pas pour tracer la route à sa place, mais pour l’éclairer à ses côtés, sans l’enfermer ni la diriger.

Pour comprendre comment ces mondes s’articulent sur le terrain, Plein Espoir a rencontré Bertrand Lièvre, psychiatre et responsable de l’EMSAD,  une équipe mobile de soins à domicile active à Saint-Maur-des-Fossés et Joinville-le-Pont et Olivier Lecesve, chef de service éducatif au SAMSAH du Parc, un service médico-social qui accompagne au quotidien des adultes vivant avec des troubles psychiques. Deux approches différentes, un même territoire, et souvent, des personnes accompagnées en commun. Ils racontent une coopération vivante, exigeante, faite d’ajustements, de relais, de liens à construire. Une manière de faire équipe autour de la personne, sans jamais la remplacer. Parce que ce qui soutient, parfois, ce n’est pas la réponse d’un seul, mais la présence de plusieurs, chacun à sa juste place.

Plein Espoir : Pour commencer, pouvez-vous nous dire qui vous êtes et quel est votre rôle ?

Olivier Lecesve : Je suis chef de service éducatif au SAMSAH du Parc, à Saint-Maur-des-Fossés (94). C’est un service médico-social dont l’association gestionnaire est l’Union pour la Défense de la Santé Mentale (UDSM). La création des SAMSAH (Service d’Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés) s’inscrit dans la dynamique portée par les lois de 2002 et 2005, qui ont renforcé les droits des usagers et encouragé l’accompagnement là où la vie quotidienne se passe, plutôt qu’à l’hôpital.

Nous accompagnons au quotidien des personnes vivant avec des troubles psychiques sur plusieurs communes du Val-de-Marne, dont celles de Saint-Maur-des-Fossés et Joinville-le-Pont, territoire d’intervention de l’équipe de l’EMSAD. Nous sommes donc amenés à rencontrer les professionnels de cette équipe dans le cadre de réunions portant sur des situations d’accompagnements communes.

Nous avons une autorisation pour accompagner 26 personnes, mais nous en suivons un peu plus grâce à une organisation souple. L’équipe est pluridisciplinaire : trois infirmiers, deux éducateurs spécialisés, une psychologue à mi-temps et une psychiatre présente une journée et demie par semaine. Toutes deux sont cliniciennes : elles interviennent directement dans les accompagnements, au plus près des personnes.

Plein Espoir : Quels sont les parcours, les réalités de vie des personnes que vous accompagnez ?

Olivier Lecesve : Les profils sont très variés, tant en âge qu’en genre. Nous pouvons suivre des personnes à partir de 18 ans. Pour celles de plus de 60 ans, il faut toutefois qu’un droit ait été ouvert auprès de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) avant leur soixantième anniversaire. Sans cette reconnaissance préalable, notre service ne peut pas intervenir.

Les situations de vie sont elles aussi diverses : certaines personnes vivent seules, d’autres en couple, avec ou sans enfants, parfois en structure spécialisée. La plupart ont un parcours en psychiatrie, et beaucoup sont encore suivies — que ce soit à l’hôpital ou par un psychiatre en libéral. Un suivi médical n’est pas une condition obligatoire, mais le dossier d’admission comporte une partie médicale. L’idéal, c’est qu’elle soit remplie par un psychiatre, mais un médecin généraliste peut aussi le faire. Ce qui compte surtout, c’est de maintenir un lien avec les soignants.

Plein Espoir : Quel type de soutien pouvez-vous apporter ?

Olivier Lecesve : Nos missions sont fixées par le Code de l’action sociale et des familles. Les accompagnements touchent à plusieurs aspects : l’insertion, les droits, l’autonomie, la vie sociale, la santé mentale et physique. Ils varient selon la situation et les besoins de chacun. Souvent, une équipe ou un proche aide à formuler une première demande. Mais pour nous, tout commence par la relation. On prend le temps de créer un lien de confiance avec la personne concernée. C’est ce lien qui permet ensuite de vérifier si les objectifs fixés tiennent la route, ou s’il faut les ajuster.

Plein Espoir : Concrètement, à quoi ressemblent ces accompagnements au quotidien ?

Olivier Lecesve : C’est assez hétérogène. Parfois, il s’agit de passer du temps au domicile pour réfléchir ensemble à un soutien pratique comme l’organisation des repas, l’entretien du logement, la gestion des papiers. Mais il arrive que la personne ait un besoin hors domicile. Dans ces cas-là, on peut l’aider à sortir de chez elle, marcher un peu, reprendre les transports en commun, renouer avec le monde. Puis, il y a aussi tout ce qui concerne les soins : reprendre contact avec un CMP (Centre Médico-Psychologique), consulter un médecin généraliste ou s’orienter vers un suivi plus spécialisé. Tout dépend des besoins, et de ce que la personne est prête à engager.

Plein Espoir : Avant d’aller plus loin, pouvez-vous vous présenter, Bertrand Lièvre ?

Bertrand Lièvre : Je suis responsable d’une équipe mobile de psychiatrie qui intervient à Saint-Maur-des-Fossés et Joinville-le-Pont dans le Val-de-Marne. Ce dispositif sanitaire est un dispositif des Hôpitaux Paris Est Val-de-Marne. Dans l’équipe, interviennent deux psychiatres, un cadre de santé, cinq infirmières, deux assistantes médico-administratives, bientôt un psychologue et nous espérons le recrutement d’un médiateur de santé pair, avec la possibilité également d’évaluations complémentaires, sociales, en psychomotricité … Notre mission, c’est parfois de faire des évaluations mais c’est surtout de soigner et d’accompagner à domicile des personnes vivant avec des troubles psychiques, à partir de 18 ans. On n’intervient jamais sans l’accord de la personne, hormis de rares situations de crise.

Concrètement, on propose des soins psychiatriques intensifs, comparables à ceux de l’hôpital, mais à domicile, et ça change tout. Comme je le dis souvent, on est en position d’invités, ce qui modifie d’emblée la posture. Cela permet souvent d’éviter une hospitalisation complète, ou d’en limiter la durée. Ce dispositif permet également de renforcer l’alliance thérapeutique, de proposer des soins orientés rétablissement au plus près des besoins, d’inclure l’entourage et de les soutenir et enfin, de contribuer à la réduction de la stigmatisation.

Plein Espoir : Est-ce que vous pouvez intervenir après une hospitalisation, pour maintenir un lien ?

Bertrand Lièvre : Oui bien-sûr, pour raccourcir la durée des hospitalisations en poursuivant au domicile les soins débutés à l’hôpital mais nous essayons surtout de proposer des soins intensifs en amont comme alternative à l’hospitalisation à l’hôpital. Il n’est pas question de dire que l’hôpital n’a plus sa place, parfois il est indispensable, mais les unités mobiles montrent qu’il existe d’autres façons de soigner. Les équipes mobiles sont devenues un maillon essentiel du parcours en santé mentale mais, selon les territoires, leur présence reste très inégale. Comme le disait Olivier, il s’agit d’aller vers et de proposer une vraie alternative à l’hospitalisation complète, chaque fois que c’est possible.

Plein Espoir : Quand vous dites que vous allez vers les personnes, comment sont-elles repérées ?

Bertrand Lièvre : Une partie des demandes vient directement de nos services, que ce soit le service d’hospitalisation, les CMP ou l’hôpital de jour. Les autres demandes viennent des hôpitaux de proximité, des médecins généralistes, des psychiatres libéraux parfois, des partenaires médico-sociaux mais aussi des services sociaux de notre territoire. Certaines demandes viennent des patients eux-mêmes, s’ils connaissent le secteur ou ont entendu parler de nous. Il arrive que ce soient les proches qui nous contactent, des bénévoles d’associations caritatives parfois, une concierge d’immeuble une fois et même un jardinier ! 

Plein Espoir : Et du côté du médico-social ?

Olivier Lecesve : Comme je le disais, pour être accompagné par le SAMSAH, il faut avoir un droit ouvert à la MDPH — c’est-à-dire avoir fait une demande et obtenu une reconnaissance du handicap. Mais ce n’est pas toujours évident, car elle peut être difficile à accepter pour certaines personnes. Et parfois, ce sont aussi les proches ou les aidants qui nous sollicitent directement. Ils entendent parler du SAMSAH, ils rencontrent un travailleur social… et ils viennent nous poser des questions : Qu’est-ce que vous faites ? Est-ce que vous pouvez intervenir pour mon frère, ma fille ?

Plein Espoir : Encore aujourd’hui, on a souvent cette opposition entre psychiatrie libérale et psychiatrie hospitalière. Comme s’il n’existait que deux états : la stabilisation d’un côté, la crise de l’autre. Et rien entre les deux. Mais finalement, ce que vous proposez, c’est une troisième voie.

Bertrand Lièvre : L’essentiel des moyens de la psychiatrie hospitalière sont dans la cité et participent très largement à la stabilisation des patients que l’on accompagne dans leur parcours de rétablissement. Si l’hôpital est le lieu de la prise en charge de la crise, l’ambulatoire doit être renforcé pour l’éviter ou la traiter autrement : les moyens des CMP, des hôpitaux de jour, mais aussi avec le déploiement des unités mobiles avec la possibilité de prodiguer des soins intensifs au domicile. La démarche d’aller vers soutient le rétablissement. C’est la personne qui décide si elle nous ouvre sa porte, choisit où on s’assoit … Il y a une position d’égalité immédiate comme je le dis souvent aux personnes et à leur entourage. On avance ensemble, chacun avec son rôle, son expérience.

Plein Espoir : Au fond, cela rejoint aussi l’esprit des directives anticipées : replacer la personne au cœur du soin, en tant que sujet pleinement acteur, et non comme simple objet de la prise en charge ?

Olivier Lecesve : Remettre la personne au centre de son parcours de soin, c’est une intention forte et juste. Mais comme toute intention, elle doit se confronter au réel. Chaque jour, je travaille avec des professionnels du sanitaire, du social et du médico-social qui cherchent à ne pas penser à la place de la personne, mais à partir de ce qu’elle vit.

Cela dit, ce n’est pas parce qu’on va vers quelqu’un qu’on est forcément dans la bonne posture. On peut croire qu’on écoute et passer à côté. Observer sans vraiment entendre. Aller vers, oui, c’est un pas important — mais ce n’est pas une fin en soi. Tout se joue dans la façon dont on s’approche, dans l’intention qu’on y met.

Plein Espoir : Au-delà du fait que vous interveniez sur le même territoire, dans quelle situation concrète avez-vous été amené à coopérer ?

Olivier Lecesve : Le premier lien entre le SAMSAH et l’équipe de Bertrand s’est noué autour de situations cliniques. Dans certains cas, les soins à domicile ne pouvaient plus continuer. L’admission au SAMSAH a alors été proposée comme alternative. Avec le temps, on a appris à mieux se connaître, à repérer ce que chacun pouvait apporter. C’est ce travail commun qui permet aujourd’hui de construire des accompagnements plus cohérents.

Le SAMSAH est né pour répondre à des besoins très concrets : soutenir les sorties d’hospitalisation, éviter les rechutes, accompagner les évolutions du secteur. Mais entre l’idée de départ et la réalité du terrain, il y a toujours un écart. Ce qu’on fait au quotidien, ce sont des ajustements, au fil des situations. La coordination fait partie intégrante de nos missions — c’est même inscrit dans notre cadre légal. On appartient à un réseau d’acteurs, et à ce titre, on a la responsabilité de se coordonner avec tous ceux qui accompagnent la personne.

Bertrand Lièvre : Les personnes concernées ne se disent pas : Ce matin, je suis dans le sanitaire, à midi dans le médico-social, et à 14h dans le social. Elles circulent entre les ressources, au moment où elles en ont besoin.  Notre système, lui, a été construit en silos, pour des raisons historiques, organisationnelles et budgétaires. Le partenariat permet de déconstruire ces frontières, de créer des ponts et même de rapprocher les berges. L’objectif est que chacun ait accès à un panier de ressources, dans tous les champs d’intervention, sanitaire, médico-social, social.

Aujourd’hui, je peux dire aux patients : Je suis à votre service. Il y a vingt ans, je n’aurais jamais imaginé dire cela. J’ai commencé à faire de l’aller-vers à la fin des années 1990. Presque trente ans plus tard, je mesure à quel point chaque parcours, chaque rencontre, déplace un peu plus les lignes.

Plein Espoir : Vous disiez que vous partez des besoins exprimés des personnes concernées et que c’est essentiel. Mais comment les personnes peuvent exprimer des besoins si elles ignorent que certaines aides, certains dispositifs existent ?

Bertrand Lièvre : En tant que professionnels, on se doit de connaître le maximum de ressources, qu’elles relèvent du sanitaire, du médico-social ou d’un autre champ, et être en mesure de les proposer quand le besoin s’exprime. Parce que pour que chacun puisse faire des choix, encore faut-il savoir ce qui existe.

Plein Espoir : Et vous, Olivier, est-ce que vous jouez aussi ce rôle de relais, de passeur vers d’autres ressources ?

Olivier Lecesve : Oui, le SAMSAH a justement cette mission de repérage et d’orientation : connaître les dispositifs, savoir vers qui orienter, transmettre l’information. Mais tout se joue dans la manière dont ça prend forme. On peut connaître le paysage institutionnel… mais  comme le disait Bertrand, il faut souvent aller plus loin. Parce que des besoins nouveaux apparaissent, parce qu’un accompagnement atteint ses limites, ou qu’une difficulté inattendue surgit.

Alors on réfléchit avec la personne : Qu’est-ce qui pourrait aider ? Qu’est-ce qui manque ? On cherche des solutions pratiques, on organise des échanges avec des partenaires. Et parfois, c’est une situation d’accompagnement précise qui nous fait découvrir un dispositif inconnu jusque-là. C’est là que notre travail prend tout son sens.

Bertrand Lièvre : Un des éléments qui donne une couleur particulière à nos pratiques partenariales, c’est l’existence, depuis 2007, sur nos deux communes, d’un Réseau de Santé Mentale, le RSM, qui associe des professionnels du sanitaire, du médico-social et du social. Ce réseau est une vraie force, car il rend les liens concrets, vivants, chaleureux et permet des pratiques partenariales. Il n’y a pas de partenariat sans pratiques partenariales qui se déclinent par des accueils conjoints, des accompagnements partagés, des temps de réflexion en commun … Les professionnels se connaissent bien, se parlent facilement sans crainte d’être jugé, se tutoient parfois. Ce sont les liens humains qui peuvent ouvrir de vraies passerelles.

Certes, nous n’avons pas pour le moment de CLSM, Conseil Local de Santé Mentale, espace de concertation où élus, professionnels, associations et usagers se retrouvent pour réfléchir ensemble aux besoins du territoire en matière de santé mentale, mais nous y travaillons avec les communes concernées.

Plein Espoir : On parle souvent du rôle du soin dans le rétablissement, mais est-ce qu’il ne faudrait pas regarder plus large ? Le médico-social, le social… ce sont aussi des soutiens importants dans la vie des personnes, non ?

Olivier Lecesve : On ne se revendique pas du courant du rétablissement, mais on y contribue d’une certaine manière. Avec chaque personne accompagnée, nous essayons de construire un chemin vers un mieux-être. En nous appuyant sur ce qu’elle accepte de nous confier : ses difficultés, ses limites, ses attentes. Notre façon d’accompagner, notre posture, s’inscrivent dans cette dynamique. Bien sûr, chaque champ a ses spécificités en termes de missions et de savoir-faire — le soin, le social, le médico-social — l’objectif étant d’installer des espaces de coordination entre ces différents acteurs de l’accompagnement afin de garantir une cohérence pour les personnes concernées.

Bertrand Lièvre : Il ne faut pas oublier que le rétablissement n’appartient pas aux professionnels, mais aux personnes concernées. Notre rôle, c’est de créer les conditions qui peuvent en favoriser le chemin. Les pratiques orientées rétablissement, c’est, au-delà de l’utilisation d’outils pertinents, avant tout une posture, une culture, une manière de penser la relation.

Olivier Lecesve : Pour conclure, je dirais que cette culture se construit ensemble. On se rencontre parce qu’on est confrontés à une réalité qui nous convoque à penser collectivement, mais cela ne peut s’installer ni se maintenir sans engagement. C’est de là que naît la coopération. Bien sûr, ça prend du temps. Parfois, ça coince. Mais j’ai vu combien il était précieux de pouvoir partager nos regards, nos questions, nos doutes aussi. Cette confrontation bienveillante, c’est une vraie richesse. Après, comme tout lien, il faut l’entretenir. Alors, on continue. Et tant qu’on reste attaché à ce qui nous rassemble — les personnes qu’on accompagne — ça garde tout son sens.

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Écouter autrement, soigner ensemble : ce que changent les directives anticipées en psychiatrie pour les personnes concernées, les professionnels et les structures


Et si l’on repensait le soin psychiatrique non plus seulement à partir des symptômes, mais à partir des personnes concernées ? C’est tout l’enjeu des Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP). Elles recouvrent des outils encore discrets, mais porteurs de transformations profondes. Rédigées à distance d’une éventuelle crise, elles permettent de poser des mots sur ce qui compte, ce qui aide, ce que l’on refuse ou redoute quand l’état de santé ne permet plus de s’exprimer clairement. Plus qu’un document, c’est un espace de réflexion partagée, qui invite à écouter autrement, à soigner ensemble, à construire un cadre de soin plus respectueux et ajusté. Les DAP sont ainsi un outil citoyen, que chacun peut remplir ! Pour mieux saisir ce que les DAP transforment, dans les pratiques comme dans les liens de soin, Plein Espoir a rencontré Ofelia Lopez, psychologue clinicienne au groupe hospitalier Fondation Vallée–Paul Guiraud, et Nathalie Debrie, pair-aidante professionnelle. Cette dernière a elle-même utilisé l’un des outils de DAP existant, en l’occurrence Mon GPS (Guide Prévention et Soins en santé mentale) comme ressource dans son parcours de rétablissement. À elles deux, elles racontent ce que cet outil permet : redonner une voix aux usagers, du sens aux soignants, et, peut-être, un nouveau souffle aux institutions.

Il y a trente ans, Ofelia Lopez faisait ses premiers pas en psychiatrie avec une idée toute simple : pour aider les personnes concernées, il fallait d’abord écouter. Écouter vraiment. « Dès ma formation, on nous parlait de prévention, d’éducation pour la santé », raconte la psychologue clinicienne. Pas seulement pour apprendre à repérer les signes de souffrance, mais pour aller plus loin : aider les personnes à comprendre leur trouble, à s’approprier leur parcours de soin, à redevenir actrices de leur vie. C’est cela, l’éducation thérapeutique du patient : partager les connaissances, expliquer les traitements, mettre des mots sur des ressentis. Pour que le soin ne soit pas une suite d’injonctions descendantes, mais un dialogue. Une coopération.

Une volonté de remettre le patient au centre du soin


La professionnelle de santé s’intéresse ensuite à la réhabilitation psychosociale. Une approche qui ne s’arrête pas à la stabilisation des symptômes, mais qui vise un retour à la vie sociale, affective, professionnelle. Un travail de fond pour restaurer l’estime de soi, retisser des liens, retrouver une place dans la société. « J’y ai reconnu ce que je portais déjà », souffle-t-elle. L’idée qu’un diagnostic ne dit pas tout. Qu’il y a, derrière, des envies, des talents, des projets à accompagner.

En découvrant les directives anticipées en psychiatrie — déjà utilisées dans plusieurs pays mais encore inconnues en France — Ofelia Lopez a eu envie d’agir. « À ce moment-là, je travaillais dans un foyer de post-cure à Paris, un lieu entre l’hôpital et le retour à la vie quotidienne. Avec ma collègue Marie Condemine, on voulait trouver un moyen d’éviter les rechutes, les ruptures, et défendre les droits des personnes concernées. Comme il n’existait encore aucun outil en France, on a décidé d’en créer un », raconte-t-elle.

C’est ainsi qu’elle participe à la création des livrets Mon GPS — mon guide de prévention et de soins, [cet outil, mis en place par l’association Prism et le Psycom et soutenu par la fédération Santé mentale France existe en version  Ado/Jeune Adulte et  Parents]. Des supports à remplir seul, avec un proche ou un professionnel, pour mieux repérer ce qui peut aider en cas de crise, ce qui fait du bien, ce qu’il vaut mieux éviter. « Nous voulions créer quelque chose de souple, de maniable, qui puisse être saisi librement par les personnes concernées, mais aussi par leurs proches, et par les professionnels — qu’ils soient du sanitaire ou du médico-social », ajoute la psychologue. Une manière de replacer l’usager au centre du soin — et non à sa périphérie.

Un outil au service du rétablissement

Nathalie Debrie entend parler quant à elle des directives anticipées en psychiatrie en 2019, peu après une hospitalisation liée à une crise d’hypomanie. « J’ai téléchargé le livret sur le site du Psycom et j’ai répondu à toutes les questions », raconte-t-elle. Ça lui a pris du temps. Mais elle a tenu bon. « La crise venait juste de passer. J’avais encore tout en tête : ce que j’avais ressenti, ce qu’on avait décidé pour moi. Je voulais éviter que certaines choses se reproduisent. »

Remplir le livret Mon GPS, pour la pair-aidante, ce n’était pas juste cocher des cases. C’était mettre de l’ordre dans le tumulte. « Ça m’a aidée à clarifier mes idées, ça m’a soulagé parce que je sais que je serai mieux armée la prochaine fois. » Certaines questions, posées simplement, ont agi comme des déclencheurs. Comment suis-je quand je vais bien ? Comment suis-je quand je vais mal ? Répondre, c’était apprendre à se relire. À repérer les signaux faibles. À tracer, par petites touches, une cartographie intérieure.

« Quand je vais bien, je suis sereine, dit-elle. Je prends soin de moi, de mon image, j’écoute de la musique, je lis, je conduis… Et puis, je pense à des choses douces. » Le contraste avec les moments de moins bien est saisissant. « Quand, mon état se dégrade, l’angoisse revient. Je ne me déplace plus, ou alors à peine. C’est comme si sortir de chez moi devenait trop compliqué. Je n’ai plus envie de lire, je ne conduis plus, je ne parle plus à mes proches. Et je me dis que ma vie est finie. Quand j’en suis là, je sais qu’il faut être vigilant. »

Avec le temps, Nathalie Debrie a appris à reconnaître les bascules. Ce moment flou où tout peut vaciller. Mais grâce au livret Mon GPS, elle sait désormais où chercher quand la crise menace de revenir. « Pour moi, le premier geste à faire, quand ça ne va pas, c’est de relire Mon GPS. Ce n’est pas un outil réservé aux soignants. C’est aussi un outil pour soi. Quand la crise commence à monter, je m’y replonge. Je retrouve des phrases que j’ai écrites à un moment de clarté, des repères, des rappels : qu’est-ce qui m’a aidée la dernière fois ? » Désormais elle sait ce qui l’aide à revenir, doucement, vers un équilibre. « Me reposer. Promener ma chienne. Aller en forêt. »  À l’inverse, elle sait aussi ce qui la fragilise. « Quand je ne vais pas bien, ce qui ne m’aide pas, c’est d’avoir trop de contacts autour de moi. Ce qu’il me faut, c’est un endroit calme, où je peux me poser, respirer. »

Mon GPS, pour Nathalie Debrie, c’est un document ressource. Une ancre. Une mémoire en veille. Il permet de remettre un peu d’ordre dans la confusion. « Ça aide à se poser. À ne pas paniquer tout de suite, nous confie-t-elle. À se rappeler que je peux m’en sortir. Par exemple, j’ai noté que si vraiment ça devient trop compliqué, je peux appeler le 15. C’est bête, mais quand on panique, on oublie les choses les plus simples. Appeler le 15, ce n’est pas forcément pour faire venir le SAMU, c’est juste pour entendre une voix, avoir une piste, retrouver un point d’appui. » Elle le sait : dans ces moments-là, relire ce qu’on a écrit quand ça allait mieux, c’est déjà commencer à revenir.

Un outil qui redonne du sens aux pratiques

À mesure qu’elle le pratique, Ofelia Lopez voit en Mon GPS bien plus qu’un outil de prévention : c’est un terrain de médiation, un espace pour penser ensemble ce qui reste souvent enfoui. « C’est un support pour penser. Pour explorer son savoir expérientiel, mettre des mots sur ses crises, ses ressources, ses besoins. Pour certains, cela a permis d’aborder des zones restées jusqu’alors dans l’ombre. Et pour moi aussi, cela a ouvert des portes. Des questions que je n’aurais peut-être jamais osé poser aux personnes que j’accompagne », nous explique-t-elle.

Remplir Mon GPS, c’est aussi revenir sur ce qui s’est passé à l’hôpital. Les souvenirs remontent, les silences aussi. La contention. L’isolement. Les mots qui blessent. Les portes qu’on ferme. La violence d’un soin qui se voulait protecteur, mais qui a parfois laissé plus de traces que la maladie elle-même. « Il faut pouvoir le dire : l’hospitalisation peut être traumatique. Elle l’est souvent. Et certaines mesures coercitives ne sont pas toujours justifiées, explique la psychologue clinicienne. Parfois, elles sont mal comprises et elles peuvent être abusives. » C’est pour cela qu’elle estime que le partage du livret est essentiel. Avec un professionnel référent, un proche, quelqu’un de confiance. « On ne peut pas deviner ce que l’autre souhaite ou ce qu’il refuse s’il ne le dit pas. Et c’est dans cet échange que l’outil prend toute sa portée : il devient un support de communication, de négociation, de co-construction du soin. Il permet de réfléchir ensemble. De poser les mots. D’anticiper, sans imposer », ajoute-t-elle.

En ce sens, Mon GPS ne transforme pas seulement la place du patient. Il redonne aussi du sens au travail des soignants. Car il ne s’agit plus de décider pour, mais avec. De s’ajuster à une histoire, une sensibilité, une temporalité. De retrouver, dans la relation de soin, un espace de dialogue et de confiance. Beaucoup de professionnels en témoignent : ce type d’outil ravive le cœur du métier. Celui qui consiste à écouter, comprendre, accompagner. Pas seulement à prescrire.

« Et on pourrait aller plus loin, estime Ofelia Lopez. Rien n’empêche aujourd’hui d’inscrire Mon GPS dans l’espace numérique de santé de la personne, accessible aux services d’urgence en cas de crise. Ce serait une avancée concrète : pousser la logique du droit jusqu’à son terme. Car ce sont bien les directives du patient — ce sont les siennes. Il en est le propriétaire. Il choisit à qui les confier. Et s’il décide de ne pas les partager, cela doit être respecté. C’est à nous, professionnels, de les lire. De les respecter. Et, le cas échéant, d’expliquer pourquoi nous ne l’avons pas fait. »

Par exemple : « Écoutez, vous m’aviez dit que vous ne vouliez pas de cette molécule. J’ai dû vous l’administrer, voilà pourquoi. Voilà dans quelles conditions. Voilà ce qui m’y a contraint. » Ce n’est plus un geste solitaire, vertical, venu de la tour d’ivoire médicale. C’est une décision partagée, documentée, confrontée au réel — mais éclairée par la volonté initiale de la personne concernée. En réalité, Mon GPS oblige chaque professionnel de la psychiatrie à se reposer une question essentielle : Pourquoi est-ce que je propose cela à ce patient ? Et surtout : Lui a-t-on demandé ce qu’il en pensait ? Il ne s’agit pas seulement de proposer un soin, mais de chercher ensemble la forme la plus juste, la plus acceptable. De travailler côte à côte. Non plus l’un à côté de l’autre.

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La pair-advocacy, ou comment permettre aux personnes concernées de mieux se faire entendre 

Et s’il existait une troisième voie, entre les institutions et les avocats ? Un autre moyen d’aider celles et ceux qu’on n’écoute pas à faire entendre leur voix ? C’est là qu’intervient l’advocacy. Ni soin, ni défense juridique, l’advocacy est un accompagnement à l’expression. Une manière de soutenir une personne en souffrance psychique pour qu’elle puisse faire valoir ses droits, formuler ses demandes, reprendre sa place dans les échanges. Être écoutée, pour de vrai.Pour mieux comprendre ce que recouvre l’advocacy, Plein Espoir a rencontré Martine Dutoit, pair advocate et chercheuse en sciences humaines. Elle intervient au sein d’Advocacy France, une association portée par des personnes concernées par la psychiatrie, aux côtés de proches et de quelques professionnels. Elle nous parle d’un engagement très concret : aider à écrire un courrier, accompagner à un rendez-vous, préparer une audience, expliquer une décision. Être là, simplement, quand c’est compliqué, quand on ne sait plus comment faire, ni vers qui se tourner. Parce que parfois, ce qui change tout, ce n’est pas de crier plus fort. C’est de ne plus être seul.



Plein Espoir :  Pour commencer, pouvez-vous expliquer ce que signifie le mot advocacy ? Expliquer l’initiative pour quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler ?

Martine Dutoit : Advocacy est un mot anglais, assez difficile à traduire en français. Disons qu’il désigne un type de soutien bien particulier : un accompagnement à la parole, quand une personne n’arrive plus à se faire entendre, ou qu’elle se sent mal comprise par les institutions. Concrètement, le rôle du pair advocate, c’est d’être là comme un tiers de confiance. Il ne remplace pas la personne, ne parle pas à sa place. Il ne se substitue pas non plus à un avocat, car son action ne relève pas du judiciaire. Il est là pour aider la personne à formuler ce qu’elle vit, ce qu’elle souhaite, et pour faire en sorte que cette parole soit vraiment entendue. C’est une forme de médiation sociale, surtout utile dans les moments où les droits, la dignité ou la liberté d’une personne sont mis à mal : à l’hôpital, face à une mesure de contrainte, ou dans des situations d’exclusion, par exemple au travail. Le pair advocate agit avec délicatesse, pour rétablir un équilibre dans la relation, pour que le dialogue puisse exister à nouveau — de façon juste et respectueuse.

Plein Espoir : Comment est née l’association Advocacy France, et quel est le cœur de son action ?

Martine Dutoit : C’est une histoire qui commence dans les années 1990. À ce moment-là, je travaillais comme assistante sociale à l’hôpital Sainte-Anne, au contact direct des personnes concernées, alors qu’on sortait doucement du modèle de l’asile. Avec quelques autres, on a voulu créer un espace où leur parole puisse enfin trouver sa place. Au départ, Advocacy France n’avait pas vraiment vocation à devenir une association. C’était plutôt un lieu d’échanges, où les savoirs et les expériences de chacun pouvaient se croiser.Et puis, très vite, on a vu ce que ça changeait, de pouvoir parler. Les usagers ont commencé à s’impliquer, à porter des actions, à se saisir de cette dynamique. Des proches les ont rejoints. C’est là que tout a commencé à prendre forme. Ce qu’on a vu naître, c’est ce que les Anglo-Saxons appellent empowerment — un mot qui parle de dignité retrouvée, de pouvoir d’agir, de citoyenneté active. On est partis d’une simple intuition : quand celles et ceux qu’on n’écoute jamais sont enfin entendus… quelque chose bouge.

On ne propose pas de soins, au sens médical du terme. Et pourtant, ce qu’on fait soulage souvent. Parce qu’on accueille les personnes dans ce qu’elles sont : leur parcours, leurs difficultés, leurs droits, leur dignité. On ne les résume pas à un diagnostic. Pour nous, soin et citoyenneté ne sont pas opposés. Ce sont deux logiques différentes, mais qui peuvent coexister, se nourrir. C’est dans cet espace-là qu’intervient la paire advocate. Une troisième voix, aux côtés des familles et des professionnels. Nous intervenons toujours à la demande de la personne concernée. Pour faire lien, pour soutenir, pour accompagner. Pas pour parler à sa place, mais pour l’aider à faire entendre ce qu’elle vit. C’est une autre manière d’agir en santé mentale. Une alternative, qui ne remplace pas les soins, mais qui vient offrir un autre regard, une autre présence.

Plein Espoir : Aujourd’hui, comment agissez-vous aux côtés des personnes concernées ?

Martine Dutoit : L’action de l’association s’appuie sur trois piliers :
– l’accompagnement individuel pour faciliter l’accès aux droits et aux recours,
– des espaces conviviaux citoyens, pour se retrouver, échanger, proposer,
– et une implication dans la vie associative et la représentation des usagers.

Chaque mois, nous recevons une trentaine de demandes venues de toute la France, avec une forte concentration en région parisienne. Derrière ces appels, il y a souvent la même expérience : celle d’être mis à l’écart, disqualifié, à cause d’un diagnostic en santé mentale ou d’un handicap psychique. Notre rôle, c’est d’accompagner ces personnes pour qu’elles puissent faire entendre leur voix. Ce qui compte pour nous, ce n’est pas seulement d’aboutir à une réponse juridique ou à une reconnaissance formelle, mais que la personne soit entendue, reconnue, dans ce qu’elle vit.

Il faut savoir que tout le monde ne se sent pas capable d’aller voir un avocat, de porter plainte, ou d’entamer des démarches longues et complexes. Alors nous sommes là aussi pour ça : pour soutenir et accompagner. Avec les bonnes informations et les bons repères, la personne peut ensuite avancer à son rythme. Quand c’est un proche qui nous contacte – une maman, par exemple – on l’écoute, on la rassure, on prend le temps de lui expliquer notre approche. Mais très vite, on cherche à entrer en lien direct avec la personne concernée. Parce que c’est là que tout se joue : faire avec, jamais à la place. On prend le temps. On écoute ce qui se dit, ce qui ne se dit pas, et on essaie de comprendre à qui appartient vraiment la demande. Pour nous, ce lien direct avec la personne concernée, c’est le point de départ de tout.

Plein Espoir : À quoi ça ressemble, une rencontre, un début de parcours avec vous ?

Martine Dutoit : Souvent, ce sont des personnes hospitalisées qui nous appellent, sans vraiment comprendre pourquoi elles sont là. Alors on prend le temps. On leur rappelle leurs droits, on parle des recours possibles, on essaie de comprendre ce qui s’est passé, ce qu’elles souhaitent, ce qu’on peut faire ensemble. Quand on est contactés assez tôt, on peut parfois agir vite : écrire un courrier, appuyer une demande. Il m’est arrivé d’aider une personne à sortir grâce à ça. On intervient aussi dans d’autres situations : du harcèlement au travail, des questions de tutelle… Là encore, on accompagne, on soutient, on aide à formuler une demande.

Parfois, on prépare aussi des rendez-vous avec un avocat, quand c’est trop intimidant. On explique comment ça se passe, ce qu’il faut apporter, comment poser sa demande. L’idée, c’est toujours que la personne garde la main. Ce qu’on fait, ce n’est pas juste du droit. C’est du droit dans la vie réelle. Parce que souvent, ce qui coince, ce n’est pas la loi, c’est le regard qu’on porte sur la personne. Et nous, on est là pour rouvrir un espace. Pour qu’elle puisse à nouveau avancer.

Plein Espoir : Pouvez-vous nous partager un moment, une situation, où votre accompagnement a fait une différence ?

Martine Dutoit : Je pense à ce monsieur, par exemple, qui refusait de faire sa carte d’identité. Il était persuadé que, s’il entrait dans un commissariat ou à la préfecture, on ne le laisserait pas ressortir. Il avait connu des hospitalisations sous contrainte, et pour lui, c’était comme remettre le doigt dans l’engrenage.

Alors on a imaginé quelque chose. On l’a accompagné, mais de façon discrète, à distance. Il est entré seul, mais on était dehors, avec le téléphone, prêt à intervenir, à le rassurer. On lui avait garanti que s’il ne ressortait pas, on viendrait le chercher. C’était un vrai pacte de confiance. Finalement, il est ressorti avec sa carte. Et ce simple papier a tout débloqué. Ça lui a rouvert plein d’autres démarches qu’il n’osait plus faire. Ce qui est dur, c’est de voir que ce type d’accompagnement, pourtant simple, n’est presque jamais proposé par les soignants.

Plein Espoir : Aujourd’hui, combien de pair-advocates interviennent concrètement sur le terrain, et combien de personnes accompagnez-vous chaque année ?

Martine Dutoit : On a formé une cinquantaine de personnes depuis le début, mais en pratique, on est une dizaine à être vraiment actives. Chaque année, on suit entre 90 et 100 dossiers. Il y a eu des périodes où c’était plus, mais avec la multiplication des structures qui délivrent de l’information, les demandes se sont un peu réparties. Je précise également que nous accueillons les personnes sur rendez-vous dans nos espaces citoyens, notamment à Paris, au 11 rue de la Folie-Méricourt, dans le 11e arrondissement. D’autres lieux d’accueil sont également ouverts à Pierrefitte, Martigues, Avignon, Ploërmel, Hérouville-Saint-Clair, ainsi que dans le Nord, à Fourmies et Ronchin.

Psychiatrie et rétablissement : faire vivre les droits des personnes concernées

Et si on voyait le droit non pas comme quelque chose de compliqué, mais comme une protection concrète, qui peut vraiment changer la vie de quelqu’un ? C’est ça, le droit des personnes concernées par les soins psychiatriques. Un droit encore trop peu connu, parfois mis de côté, alors qu’il est essentiel. Parce qu’il ne parle pas que de lois, il parle de respect et de dignité. Il dit qu’une personne hospitalisée sans son consentement garde des droits. Le droit d’être informé, de faire appel, de contester une décision. Le droit aussi de demander un autre médecin, ou d’être soignée ailleurs. Mais dans la réalité, ces droits sont souvent difficiles à faire valoir. Pour mieux comprendre ce que cela recouvre — dans la pratique et sur le terrain — Plein Espoir a rencontré maître Raphaël Mayet, bâtonnier du barreau de Versailles et spécialiste des soins sans consentement. Il nous raconte comment le droit a évolué, ce qu’il permet déjà, et surtout le chemin qu’il reste à parcourir pour qu’il soit pleinement respecté.

Plein Espoir : On parle souvent de soins ou de contraintes en psychiatrie, mais rarement des droits des patients. Où en est-on aujourd’hui ?

Raphaël Mayet : Les droits des patients ont beaucoup changé ces dernières années, aussi bien sur le fond des mesures que sur ce qui se joue concrètement dans leur application. On le voit particulièrement sur les mesures d’isolement et de contention. Aujourd’hui, la loi encadre ces pratiques. Une mesure d’isolement ne peut excéder douze heures, renouvelables dans les mêmes conditions, par tranches de douze heures, dans la limite de quarante-huit heures. Autrefois peu contrôlées, ces décisions font maintenant l’objet d’un encadrement beaucoup plus strict. Prenons un exemple concret : dans le département des Yvelines, la contention a quasiment disparu. Chaque année, sous l’impulsion des avocats, près de 27 % des mesures d’isolement ou de contention sont levées.

Cela fait partie d’un mouvement plus large : celui d’une ouverture progressive de la psychiatrie. On sort petit à petit de l’isolement dans lequel elle a longtemps été tenue. Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. Et pour être honnête, je ne suis pas sûr de voir un jour ce changement pleinement abouti. Mais la dynamique est là. Il faut se rappeler ce qu’était l’asile autrefois : un lieu souvent situé en dehors des villes. Des murs hauts, des grilles épaisses, pensés pour cacher, pour couper les personnes concernées de la vie en société. La psychiatrie échappait au regard… et donc, au droit. Après, il faut toujours aller plus loin et construire un vrai droit en psychiatrie, qui respecte à la fois le soin, la liberté et la place des personnes concernées. Un droit qui les reconnaisse comme des sujets à part entière, pas juste comme des cas à traiter.

Plein Espoir : Dans votre pratique, quels sont les cas que vous voyez le plus souvent ?

Raphaël Mayet : Je suis sollicité pour plusieurs types de situations. Il y a des personnes actuellement hospitalisées sans leur consentement qui veulent faire lever cette mesure. Et puis il y a des dossiers plus anciens : des personnes qui ont été hospitalisées par le passé, qui demandent aujourd’hui à consulter leur dossier médical, et qui cherchent à comprendre ce qui s’est passé. Parfois pour faire reconnaître un abus ou simplement mettre des mots sur une période difficile. C’est souvent une démarche de vérité, ou de réparation.

Plein Espoir : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez aujourd’hui ?

Raphaël Mayet : Une des grandes limites, c’est le rôle du juge. Il a deux missions : vérifier si la mesure de soins sans consentement est justifiée, et contrôler ce qui se passe pendant cette hospitalisation, comme l’isolement ou la contention. Sur ces derniers points, ça fonctionne plutôt bien. Après, le juge ne peut pas contester l’avis des médecins. Autrement dit, si un médecin dit qu’une hospitalisation est nécessaire, le juge ne peut pas s’y opposer, même s’il a un doute. Du coup, une partie du contrôle lui échappe, et une partie des droits des patients aussi.

Autre difficulté : certains droits pourtant prévus par la loi ne sont presque jamais respectés. Par exemple, les commissions départementales des soins psychiatriques (CDSP) sont censées vérifier les hospitalisations sans consentement au bout de trois mois, notamment en cas de péril imminent — quand une personne est hospitalisée sans qu’un proche puisse l’accompagner, parce que son état est jugé trop grave. En réalité, ces contrôles sont très rares. D’autres droits sont aussi peu appliqués. Comme celui de consulter un médecin extérieur : prévu par les textes, mais rarement autorisé. Ou celui de se faire soigner dans un autre secteur que celui où l’on habite : possible en théorie, mais très difficile en pratique, car les conditions sont très strictes — il faut généralement prouver qu’une procédure est en cours contre l’hôpital où l’on est soigné.

Plein Espoir : Est-ce que ces limites alimentent une forme de méfiance envers les institutions ?

Raphaël Mayet : En France, on oppose encore trop souvent le droit à la santé aux droits du patient. Une logique contraire à celle défendue par l’OMS, qui promeut une amélioration des soins psychiatriques en renforçant les droits des personnes concernées. Le vrai problème, au fond, c’est l’adhésion. Plus on force, moins les patients s’impliquent. La contrainte peut sembler efficace sur le moment, mais sur le long terme, elle casse la confiance, abîme la relation de soin et éloigne les personnes du système de santé.

Il existe pourtant d’autres chemins, encore trop peu explorés. Des approches qui demandent de repenser en profondeur notre façon de voir la santé mentale. Non pas seulement à l’échelle locale, mais à l’échelle nationale, avec une vraie politique d’ensemble, qui place enfin la personne au centre — non plus comme un simple patient, mais comme un sujet de droits.

Plein Espoir : Vous évoquez d’autres chemins possibles, de quoi parlez-vous concrètement ?

Raphaël Mayet : D’abord, il faudrait harmoniser les pratiques sur le territoire. Car même si la loi est la même partout en France, son application peut être très différente d’un hôpital à l’autre. Dans un établissement, un patient sera hospitalisé sous contrainte pour un certain comportement ; dans un autre, ce même comportement ne donnera lieu à aucune mesure. Pourquoi ? Parce que les décisions dépendent beaucoup des habitudes locales, de la culture du service, de la façon dont les soignants et les juges interprètent le texte. La jurisprudence, c’est-à-dire les décisions rendues par les tribunaux, devrait permettre de clarifier les règles, de créer des repères. Mais aujourd’hui, elle reste floue. Du coup, ça renforce les différences entre les territoires.

Ensuite, je pense à la pair-aidance, par exemple, ou à des formes alternatives d’accompagnement comme les habitats collectifs pour personnes en situation de handicap psychique. Ce sont des lieux de vie où l’on recrée du lien, de la stabilité, et où l’on évite bien souvent les hospitalisations sous contrainte. Prenez la Maison Perchée. L’un de ses animateurs racontait son parcours : avant, c’étaient des allers-retours incessants à l’hôpital. Depuis qu’il vit là-bas, il n’a plus jamais été hospitalisé. Ce témoignage n’est pas isolé. Et il montre ce que peuvent apporter, au quotidien, le soutien des pairs et des lieux ancrés dans la vie réelle, qui redonnent de l’autonomie aux personnes — et leur offrent une autre voie que celle de la contrainte.

Plein Espoir : Ces initiatives qui placent le patient au cœur du soin restent encore trop rares. Et puisqu’on parle des droits des patients, que pensez-vous des inégalités d’accès aux spécialistes selon les territoires ?

Raphaël Mayet : Aujourd’hui, beaucoup de personnes n’ont même plus de médecin traitant. L’hospitalisation sans consentement devient parfois une solution par défaut, simplement parce qu’aucune prise en charge n’a pu être mise en place en amont. Il y a trente ans, presque tout le monde avait un généraliste, un médecin de famille, un point d’ancrage. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Et la situation est encore plus difficile en psychiatrie. Dans certains départements, il n’y a plus un seul psychiatre en libéral. C’est une réalité, il y a une inégalité d’accès aux soins psychiatriques. Il faut dire que la psychiatrie attire de moins en moins les jeunes médecins. Spécialité mal reconnue, conditions de travail difficiles, manque de moyens : rien n’encourage à s’y engager. Résultat, ce sont des territoires entiers qui se retrouvent sans offre de soins, ou avec des délais d’attente interminables.

Pourtant, des solutions existent. Comme les directives anticipées en psychiatrie. C’est un document que l’on rédige quand on va bien, pour dire ce que l’on souhaite — ou refuse — si l’on va mal. On peut y noter les traitements que l’on accepte, les proches que l’on veut voir appelés, les gestes que l’on redoute, les signes annonciateurs d’une crise. Cela permet d’anticiper, de garder la main sur ce qui pourrait arriver. Les études ont montré qu’elles permettent de réduire d’un tiers les hospitalisations sans consentement. C’est considérable. Parce qu’un soin préparé est souvent un soin mieux accepté. Il est urgent de les généraliser. Pour que les soins ne soient plus subis mais pensés.

Plein Espoir : En France, les patients peuvent rédiger des directives anticipées en psychiatrie, mais les médecins ne sont pas obligés de les respecter. Est-ce qu’il faudrait aller plus loin ?

Raphaël Mayet : Oui ! Aujourd’hui, les directives anticipées en psychiatrie n’ont pas de réel cadre légal. Elles existent, mais rien n’oblige les médecins à les suivre. Résultat : elles peuvent être contournées, parfois même ignorées. Et tant qu’on restera dans ce flou juridique, elles auront peu de poids dans les pratiques. Ce que je défends, c’est une autre logique : les soins sans consentement ne devraient être envisagés qu’en dernier recours, une fois que les directives anticipées ont été essayées et qu’elles ont échoué. C’est tout le système qu’il faut inverser.

On pourrait s’inspirer d’un outil qui existe déjà : le mandat de protection future. Il permet à une personne, tant qu’elle est encore en pleine possession de ses moyens, de désigner quelqu’un de confiance pour la représenter si un jour elle n’est plus en état de décider. Ce mandat concerne la gestion de ses biens, sa vie quotidienne, et même ses soins. Pourquoi ne pas appliquer cette logique à la santé mentale ? Les directives anticipées pourraient devenir une forme de mandat spécifique : une personne, en période de stabilité, pourrait y inscrire ce qu’elle souhaite ou refuse. Elle pourrait préciser les traitements acceptés, ceux qu’elle rejette, et désigner une personne de confiance pour porter sa parole quand elle ne peut plus le faire elle-même. Ce serait une manière concrète de faire respecter sa volonté, d’organiser les soins à l’avance, plutôt que de les subir dans l’urgence.

Plein Espoir : Quand on voit qu’il manque déjà de soignants ou même simplement de temps pour écouter les patients, comment imaginer un changement de modèle ?

Raphaël Mayet : C’est évident qu’il y a un manque de moyens, après, on dit souvent que la psychiatrie va mal parce qu’on a fermé trop de lits. Mais parfois, fermer des lits, ça peut aussi être une bonne chose — à condition de réutiliser les moyens autrement. Un lit d’hôpital coûte très cher, jusqu’à 900 euros par jour. Si on utilisait cet argent pour créer des équipes mobiles, disponibles 24h/24, capables d’intervenir à domicile, on pourrait accompagner les personnes plus tôt, avant que la situation ne se dégrade.

Il ne faut pas attendre qu’une personne soit déjà affaiblie, isolée pour intervenir. Le soin devrait commencer bien avant. C’est pour ça qu’on ne peut plus opposer soin et droits des patients. Le droit à la santé, c’est d’abord le droit d’être aidé à temps, par des professionnels accessibles, à l’écoute. Soigner, c’est aussi prévenir, soutenir, être présent.

Plein Espoir : Est-ce que vous restez confiant pour la suite ? Vous voyez des raisons d’espérer, des signes de changement possibles ?

Raphaël Mayet : Comme je le disais, ces dernières années, on a vu une amélioration des droits des patients. Elle reste partielle, encore inégale, mais elle va dans le bon sens. Cela dit, je ne serai vraiment optimiste que si l’on repense en profondeur tout le cadre psychiatrique. Tant qu’on se contentera de réformes ponctuelles, sans vision d’ensemble, tant que des instances clés comme les commissions départementales des soins psychiatriques restent marginales, on ne fera que colmater.

Ce qui est difficile à accepter, c’est qu’on avait annoncé que 2025 serait l’année de la santé mentale. Un temps fort, une promesse politique portée par l’ancien Premier ministre, avec un engagement personnel, familial même. Il avait fixé une feuille de route. Mais il est parti avant la fin de l’année. Et depuis,  on ne sait plus très bien ce qu’il reste de cette ambition.

Directives anticipées en psychiatrie : outils pour faire connaître ses besoins, au service du rétablissement en santé mentale

Et si l’on prenait le temps, quand tout va bien, de définir nos souhaits pour les jours plus fragiles ? C’est tout le principe des Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP). Un outil encore trop peu connu, né d’un besoin simple et essentiel : pouvoir dire ce qui compte pour soi, avant que la crise n’emporte les mots. Ancrées dans la logique de rétablissement, les DAP permettent de poser des repères, de nommer ce qui apaise a priori, ce qui inquiète, ce qu’on aimerait éviter ou préserver quand on est pas en capacité de faire valoir ses droits seul. Elles se rédigent seul, avec un proche ou un professionnel, au fil de plusieurs rencontres. Ce n’est pas un simple formulaire : c’est une conversation, un espace pour rester pleinement acteur ou actrice de son parcours, en lien avec celles et ceux qui nous accompagnent. Pour mieux comprendre ce que permettent les DAP — dans la pratique et sur le terrain — Plein Espoir a rencontré Céline Loubières, coordinatrice du Projet Territorial de Santé Mentale (PTSM) en Loire-Atlantique et co-animatrice du Collectif DAP. Elle nous raconte comment cet outil ouvre, peu à peu, des chemins d’écoute, de respect et de confiance partagée.

Plein espoir : Comment expliquer ce que sont les DAP à quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler ?


Céline Loubières : Les DAP, pour « Directives Anticipées en Psychiatrie », c’est un nom un peu technique pour un outil simple et profondément humain : permettre à une personne vivant avec un trouble psychique d’exprimer à l’avance ses souhaits concernant ses soins, pour les moments où elle ne pourra plus le faire. Car dans la tourmente d’une crise, la perception du réel se brouille, les mots se coincent. Dans ces instants-là, il devient difficile de faire entendre sa voix, d’expliquer ce que l’on ressent, ce que l’on voudrait — ou ce que l’on redoute. Trop souvent, ce sont les autres qui décident à votre place.

Les DAP permettent de dire en amont : voilà ce que je souhaite si jamais je vais mal. Une manière de se réapproprier sa voix, même en pleine tempête. De rester partie prenante de ce qui nous concerne le plus intime : notre santé, nos soins, notre dignité. C’est d’autant plus précieux que, dans le champ de la psychiatrie, la parole de celles et ceux qui traversent des crises est souvent mise de côté, disqualifiée, comme si elle n’était plus légitime. Pourtant, même en pleine phase aiguë, un désir demeure : celui d’être écouté. Les études sont claires : les personnes qui rédigent des DAP sont hospitalisées sous contrainte 32 % de moins que les autres. Le risque de rechute diminue aussi. Ce n’est pas un miracle, c’est juste le fruit d’une évidence : quand on écoute vraiment les personnes concernées, les choses se passent mieux.

Plein Espoir : Comment et quand est-ce que les DAP ont commencé à être déployés ? 

Céline Loubières : Les Directives Anticipées en Psychiatrie ne sont pas tout à fait nouvelles. Elles se sont d’abord développées dans les pays anglo-saxons, avec des résultats probants, tant sur le plan médical qu’éthique. Les études médico-économiques l’ont montré : en plus d’une baisse d’hospitalisation, des crises mieux anticipées, une meilleure relation entre les soignants et les personnes concernées. Mais au-delà des chiffres, elles ont permis d’améliorer la question des droits, de la dignité de la personne concernée et rétablir une forme de confiance.

En France, plusieurs outils ont émergé, avec des formes et des noms différents. Il y a par exemple Mon GPS, un document accessible à tous, qu’on peut télécharger sur le site du Psycom [et dont la diffusion est soutenue par Santé mentale France] et remplir chez soi, avec un proche, un médecin ou un soignant. Au début, il pose des questions sur soi — qui je suis, ce qui me fait du bien, ce que je redoute — et ensuite, il invite à exprimer ses souhaits si jamais une hospitalisation devait survenir. C’est des gestes qui peuvent sembler simples et anodins et pourtant essentiels pour les personnes concernées : Pouvoir appeler mon frère. Avoir accès à mon téléphone. Éviter tel médicament, qui me fait trop d’effets secondaires

Il y a aussi le plan de crise conjoint, qui se construit avec l’équipe soignante, souvent en centre médico-psychologique (CMP). Plus centré sur la gestion des crises, il permet de réfléchir à froid à ce que l’on voudrait — ou pas — si la situation devenait plus compliquée. C’est une co-écriture : l’équipe propose, la personne ajuste, et ensemble, on trace une feuille de route. Enfin, un autre format se déploie dans certains hôpitaux : les DAIP, directives anticipées co-construites avec un médiateur de santé pair. À la différence des autres personnes dans les services de psychiatrie, ce sont des personnes qui ont elles-mêmes traversé la psychiatrie, qui se sont formées et qui accompagnent aujourd’hui d’autres personnes qui le vivent. Elles apportent une parole différente, plus horizontale, souvent plus libre. Ce sont elles qui mènent les entretiens, qui aident à poser des mots, à dérouler ce qui parfois reste emmêlé dans la tête.

L’enjeu est toujours le même : écrire quand ça va, pour ne pas être dépossédé quand ça ne va pas. Et parfois, ça donne lieu à des scènes très touchantes : une infirmière qui, sentant une personne glisser, lui rappelle doucement qu’elle avait noté qu’aller au cinéma l’aidait à respirer ; un médecin qui relit avec elle ce qu’elle avait écrit, un jour où elle allait bien, pour mieux entendre ce qu’elle n’arrive plus à dire…

Plein Espoir : Aujourd’hui, plusieurs déclinaisons de Mon GPS existent, pouvez-vous nous en dire plus ?

Céline Loubières : Le premier “Mon GPS” est né en 2019, juste avant la crise du Covid, sous l’impulsion de Psycom. Un document simple, accessible à tous, pour poser ses repères, dire qui l’on est au-delà du trouble, et anticiper ce qu’on souhaite si une crise survient.

Puis d’autres déclinaisons ont vu le jour, pour mieux coller à la diversité des parcours. En 2021, une version a été créée pour les adolescents et les jeunes adultes. Parce que l’entrée dans la vie avec un trouble psychique ne se vit pas de la même manière à 17 ans qu’à 40. Parce que les mots, les inquiétudes, les points d’appui ne sont pas les mêmes. Cette version invite les plus jeunes à se raconter, à poser ce qui leur fait du bien, ce qui les rassure, ce qu’ils ne veulent surtout pas dans les moments difficiles.

Plus récemment, une autre version, moins connue mais tout aussi essentielle, s’adresse aux parents vivant avec un trouble psychique. Né d’un partenariat avec l’Unafam — association engagée aux côtés des personnes vivant avec des troubles psychiques et de leurs proches — ce projet porte une idée forte : rappeler que derrière l’hospitalisation, il y a aussi, parfois, des mères, des pères. Trop souvent, cet aspect est relégué au second plan, comme si la parentalité s’éclipsait dès l’entrée en soins. Mon GPS Parent permet de ne pas oublier. Il invite à nommer les enfants, les liens, les habitudes du quotidien qu’il serait important de préserver. Il permet de dire : voilà ce que vous devez savoir sur mes enfants si je suis hospitalisé·e. Voilà ce qui les aide, ce qui les inquiète, ce qui peut les rassurer. C’est aussi une manière de soutenir la dynamique de rétablissement, en revalorisant le rôle de parent comme une force, un moteur, même dans la traversée des crises. Chaque version est pensée avec les personnes concernées, en collaboration. C’est ce qui fait la force de ces outils : ils ne sont pas plaqués d’en haut, ils sont tissés à hauteur d’humanité.

Plein Espoir : Les DAP sont-elles toujours respectées lorsque la personne concernée est hospitalisée ?

Céline Loubières : C’est peut-être là que les choses se compliquent. Car aujourd’hui, elles ne sont ni encadrées par la loi, ni juridiquement opposables. Ce qui signifie qu’à l’hôpital personne n’a l’obligation de les suivre, même si elles ont été rédigées avec soin. On ne peut pas, par exemple, refuser une mesure de contention en s’appuyant uniquement sur une DAP.

Alors, forcément, cela freine. Certains professionnels disent que ça ne sert à rien et côté usagers, la déception peut aussi être grande : pourquoi prendre la peine d’écrire ce qu’on souhaite, si personne ne s’engage à le respecter ?

Et pourtant. Quand on prend le temps d’écouter, vraiment, les demandes formulées sont loin d’être irréalistes. Les personnes concernées ne réclament ni la lune, ni la fin des soins, ni des passe-droits. Elles demandent, simplement, à être traitées avec un peu plus de considération. Par exemple, ça peut être : Si je dois être hospitalisé·e, je préférerais une chambre seule. Si ce n’est pas possible, alors avec quelqu’un de mon âge. Ou encore : Si je suis hospitalisée, je voudrais pouvoir prévenir rapidement ma diététicienne.”

Après, certaines demandes sont plus complexes. Comme cette femme traumatisée par une injection intramusculaire reçue lors d’une précédente hospitalisation. Dans sa DAP, elle écrivait : “Je refuse tout traitement administré de cette façon.” Une parole forte, qui oblige à réfléchir. Comment, en tant que soignant, éviter de revivre une telle situation ? Quels signaux repérer pour désamorcer la crise en amont ? Que mettre en place pour que l’hospitalisation, si elle devient inévitable, se fasse avec respect et dialogue ?

Ces documents permettent d’anticiper les difficultés. Mais pour cela, encore faut-il que les DAP suivent la personne dans son parcours. Or, bien souvent, elles se perdent entre les services. L’équipe ambulatoire qui connaît bien le patient n’est pas toujours la même que celle de l’hospitalisation. La DAP reste dans un tiroir ou un classeur, au lieu d’être visible dans le dossier médical. C’est là tout l’enjeu aujourd’hui : faire en sorte que ces documents soient intégrés, reconnus, partagés. Que leur contenu circule, de la consultation au service d’urgence, du centre médico-psychologique (CMP) au service fermé. Plusieurs équipes y travaillent activement, avec une ambition claire : faire entrer les DAP dans le parcours de soin comme une évidence.

Plein Espoir : Qu’est-ce que ça change pour les patients et les personnes concernées ? 

Céline Loubières : Tout ce qui permet de fluidifier la communication est une avancée. Et les DAP, c’est exactement cela : un espace pour dire, poser les choses, quand souvent, on ne s’en sent pas le droit. Car dans les faits, beaucoup de personnes n’osent pas s’exprimer sur ce qu’elles vivent. Et trop souvent, les professionnels parlent à leur place, en pensant bien faire.

Avec les DAP, on change de posture. On co-construit. La personne concernée, un soignant, parfois un proche : on s’assied ensemble, on prend le temps. Ce n’est pas un document qu’on remplit à la va-vite en une consultation. Il faut deux, trois, parfois quatre rendez-vous. Car ce n’est pas un formulaire : c’est un cheminement. Une manière d’ancrer les choses, d’y revenir, de faire mémoire aussi. Car ce qu’on n’écrit pas, souvent, s’efface.

Pour les soignants, c’est une autre manière de travailler : en s’appuyant sur le savoir de la personne. Cela oblige à se fédérer, à créer un langage commun. On sort du schéma vertical. On construit une relation de soin où chacun apporte quelque chose. Alors bien sûr, les DAP, ce n’est pas un remède miracle. Mais elles s’inscrivent dans une philosophie plus large : celle du rétablissement. Une approche qui, il y a quinze ans encore, ne concernait qu’un petit noyau convaincu. En 2009, 2010, en France, c’était marginal. Aujourd’hui, c’est mieux diffusé, mieux reconnu. Mais ce n’est toujours pas généralisé. Tout le monde n’y adhère pas, même si les résultats sont là.

Aujourd’hui, je pense que ce genre de dispositifs devraient concerner tout le monde. Bien au-delà de la psychiatrie. Récemment, une amie, atteinte de la maladie de Parkinson, s’en est saisie. Car les enjeux sont les mêmes : comment anticiper, comment exprimer ses besoins quand on sent qu’on perd la main ? Pour Alzheimer aussi. Pour toutes les situations où la parole peut vaciller. Où les soins s’imposent sans toujours s’ajuster à la personne. Dans l’idéal, chacun devrait avoir sa forme de directive anticipée en cas d’hospitalisation. Une trace, un repère, une voix qu’on laisse à disposition pour les jours plus compliqués. Ce n’est pas une contrainte, c’est une main tendue entre les étapes du soin. Un filet de sécurité. Une mémoire partagée.

Jusqu’où s’impliquer dans l’accompagnement et les soins de son enfant ? 

Être parent d’un enfant concerné par un trouble psychique, c’est souvent devenir, presque malgré soi, un maillon du soin. On remarque les premiers signes, on s’inquiète, on cherche un nom à la souffrance. On prend les rendez-vous, on accompagne, on raconte ce qu’on a vu, entendu, deviné. Et après ? Jusqu’où faut-il – ou peut-on – s’impliquer ? Quel espace laisser à l’enfant ou au jeune adulte dans les choix thérapeutiques qui le concernent ? Et comment ne pas s’effacer soi-même dans ce rôle ? Pour mieux comprendre ce que cette place implique, Plein Espoir a rencontré Lucile, mère de trois enfants vivant avec des troubles psychiques, et Elisabetta Scanferla, psychologue clinicienne,  docteure en psychologie au GHU Paris psychiatrie & neurosciences. L’une témoigne de ce que signifie accompagner au quotidien, l’autre apporte des éléments de compréhension du rôle parental dans le soin. Ensemble, elles tracent les contours d’un équilibre fragile mais possible.

La première fois que Lucile a poussé la porte d’un cabinet, c’était pour Marie, sa cadette. À l’école, les lettres se confondaient, les lignes sautaient, l’écriture s’éparpillait. Les devoirs tournaient court, la petite fille fondait en larmes. « On a découvert qu’elle avait une dyslexie, puis une dysorthographie et une dysgraphie », se souvient la maman. L’orthophonie ne suffisait pas. Alors Lucile a cherché ailleurs. Une psychomotricienne. Puis une ergothérapeute. « L’écriture restait un frein. On avait l’impression de ne pas avancer. Et elle perdait confiance en ses capacités. » Peu après, c’est Julie, la petite dernière, qui a reçu un diagnostic de trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Camille, l’aînée, a été la dernière à mettre des mots sur ses difficultés. Le diagnostic est arrivé tard : un trouble du spectre de l’autisme.. Pourtant, à force de tout compenser, de faire comme si de rien n’était, Camille a fini par s’épuiser. Et les troubles psychiques sont apparus, en silence, par-dessus le reste. « Elle a toujours su compenser, mais à force de tenir, elle a fini par s’effondrer », explique Lucile.

Trois enfants, trois parcours et cette même mécanique qui se met en marche : anticiper, chercher, relancer, coordonner. Trouver les bons professionnels, recroiser les diagnostics, transmettre les bilans, expliquer, encore. À force, Lucile est devenue l’architecte silencieuse de l’accompagnement de ses filles. Une présence discrète, mais permanente. « Ensuite, j’ai proposé à mon conjoint qu’on fasse un bilan neuropsy à Marie, ma deuxième, pour mettre en lumière ses forces, pas seulement ses manques. Juste pour qu’elle voie qu’elle est capable. » Parce qu’à force de passer d’un cabinet à l’autre, on finit par ne plus voir que ce qui cloche. Lucile le sait, elle n’est pas soignante, mais elle tient les rênes. Par nécessité. Face à des équipes parfois dépassées, ou peu formées aux troubles du développement, la maman a appris à décoder les signes, à poser les bonnes questions, à traduire pour ses filles ce qu’on n’explique pas toujours bien. « Et franchement, je regrette qu’à l’époque on n’ait pas insisté davantage, nous dit-elle. On était déjà tellement épuisés à creuser, à chercher partout… Mais, j’aurais aimé savoir ça plus tôt. »

Ce que Lucile décrit, beaucoup de parents le vivent : ce sentiment de devoir porter le soin à bout de bras, de devoir à la fois comprendre, choisir, accompagner… sans trop savoir jusqu’où aller. Alors, quelle est la juste place du parent dans un parcours de soin ? Comment accompagner sans empiéter sur l’espace de leur enfant ? Et à quel moment doivent-ils, aussi, penser à se préserver ?

Ne pas oublier de prendre du temps pour soi


Elisabetta Scanferla, psychologue clinicienne au GHU Paris psychiatrie & neurosciences, connaît bien cette mécanique dans le contexte des troubles psychiques : des parents qui s’investissent sans compter, parce qu’il faut que ça avance, parce que personne d’autre ne le fera à leur place. « Ils deviennent les relais du soin, les interprètes du quotidien. Ils contribuent à  la cohérence du parcours de soins. Mais cela a souvent un impact sur leur propre équilibre. »Elisabetta Scanferla, psychologue clinicienne au GHU Paris psychiatrie & neurosciences, connaît bien cette mécanique dans le contexte des troubles psychiques : des parents qui s’investissent sans compter, parce qu’il faut que ça avance, parce que personne d’autre ne le fera à leur place. « Ils deviennent les relais du soin, les interprètes du quotidien. Ils contribuent à  la cohérence du parcours de soins. Mais cela a souvent un impact sur leur propre équilibre. »

Elle parle d’un repli progressif, presque imperceptible au début. On annule un rendez-vous pour caser une séance d’orthophonie. On travaille tard le soir pour rattraper une journée passée dans les salles d’attente. Et puis on oublie de prendre soin de soi. « Sur le moment, on pense que c’est temporaire, que c’est normal. Mais la temporalité du soin, quand il s’installe dans la durée, peut finir par empiéter sur le reste. » Et cette invisibilité-là, elle peut coûter cher. « Certains parents développent des troubles anxieux ou dépressifs. Des épuisements sévères, qui s’installent en silence. » Parce que tout leur être est absorbé par les besoins de leur enfant, et qu’ils n’ont plus de lieu à eux, plus de respiration.

Pourtant, insiste-t-elle, prendre du temps pour soi n’est pas un luxe, c’est une condition de l’accompagnement. « Pour pouvoir être là dans la durée, pleinement présent, il faut pouvoir se reposer, respirer, exister, aussi en dehors du soin. Ce n’est pas tourner négliger son enfant, c’est rester capable de l’accompagner autrement — plus solidement, plus durablement. » Et surtout, ne pas culpabiliser. « C’est souvent ce que j’entends : « Si je m’arrête, si je pense à moi, je les laisse tomber. » Mais c’est l’inverse. Un parent qui tient, c’est un socle. Et ça, c’est ce dont l’enfant a le plus besoin. »

Avec les années, Lucile a appris à ne plus tout porter, tout le temps. « Aujourd’hui, on jongle entre ce qui est vraiment important, ce qu’on ne peut pas lâcher, et ce sur quoi elles ont une certaine marge de manœuvre. » Mais aussi, avec son compagnon, ils ont posé des repères, des garde-fous. Des espaces rien qu’à eux, à préserver coûte que coûte. « Par exemple, dans quinze jours, on partira tous les deux, rien que nous deux. On a tout organisé pour que les enfants soient chez des amis. C’est une règle absolue pour nous : chaque année, on se réserve une semaine et un week-end en amoureux. C’est non négociable. » Un rituel fragile mais nécessaire. Une façon de dire que tout ne repose pas uniquement sur leurs épaules, que la vie de couple, elle aussi, mérite d’être protégée. Pour tenir. Et pour continuer à accompagner leurs filles, main dans la main.

Respecter la parole de l’enfant, faire confiance aux soignants

Après, Lucile le reconnaît : lâcher prise, ce n’est pas simple. Surtout quand on a dû, pendant des années, insister pour être prise au sérieux. Quand chaque avancée a demandé de convaincre, de justifier, de chercher seule. Dans ces conditions, la méfiance finit par s’installer. Alors on reste en alerte. On veut tout suivre, tout comprendre, s’assurer que rien ne nous échappe. « Il y a eu des moments où je posais trop de questions, admet-elle. C’était pas contre elles, c’était par peur de passer à côté. »

Mais à mesure que ses filles grandissent, Lucile apprend à se tenir un peu en retrait. À respecter ce qu’elles choisissent — ou non — de partager avec elle. « Parfois, elles ne me disent rien. Je prends sur moi. Je leur dis juste que je suis là, si un jour elles veulent en parler. » Sur les décisions importantes, en revanche, tout se discute en famille. « Oui, il y a des choses qui ne sont pas négociables, des choix où, vraiment, leur bien-être prime. Mais la plupart du temps, les décisions sont prises ensemble, de façon collégiale. Après tout, c’est leur vie, et il est important qu’elles aient leur mot à dire. »

Elle repense à sa deuxième fille, qui s’est effondrée il y a quelques mois. « La psychiatre a recommandé une hospitalisation. On a refusé. On a accepté les antidépresseurs, mais on a préféré la garder à la maison, jour et nuit. Et même si on suit généralement les recommandations des professionnels, cette fois-ci, je crois qu’on a bien fait. Elle s’est relevée comme ça. » Elle marque une pause : « Chaque décision est une réflexion. Rien n’est évident. »

Le cap des 18 ans, une rupture brutale pour les parents


Elisabetta Scanferla accompagne des adultes — parfois juste majeurs. Même si les enfants ne sont pas au cœur de sa pratique, elle le constate régulièrement : le passage à l’âge adulte constitue un moment difficile pour les familles. Jusqu’à 18 ans, les parents peuvent assister aux entretiens médicaux, poser des questions, suivre les soins au plus près. Et puis, cela s’arrête soudainement. À partir de sa majorité, le secret médical s’applique à un jeune adulte. Le professionnel de santé ne peut communiquer d’informations médicales à un tiers, y compris aux parents, que si la personne majeure donne son consentement explicite. Le secret médical s’applique à la famille si leur proche n’autorise pas la présence de ses parents lors d’un entretien médical. Les proches-aidants se retrouvent tenus à l’écart. Une bascule souvent incomprise et vécue comme brutale. « Ils ont été présents dans les soins jusque-là, leur enfant vit encore sous le même toit, et soudain, ils se sentent écartés », explique-t-elle.

Son rôle consiste alors à poser un cadre. Expliquer que cette coupure n’est pas une décision médicale arbitraire, mais une obligation légale. Et que certains échanges restent possibles, avec l’accord du patient, notamment sous forme d’entretiens familiaux. Elle prend aussi le temps de répondre aux questions très concrètes : les soins, les symptômes, les modalités d’une hospitalisation. Ce travail d’explication est essentiel pour contenir l’angoisse, éviter que les familles se sentent reléguées au second plan. « Quand on leur dit ce qui peut être partagé, ce qui ne peut pas l’être, tout en respectant la loi, ça change leur posture. Ils repartent un peu plus apaisés, un peu mieux outillés pour continuer à soutenir leur proche dans la durée. »

Le savoir expérientiel : quand l’expérience du parent éclaire le soin

Ce que vivent les parents d’enfants atteints de troubles psychiques ne se trouve dans aucun manuel. Et pourtant, leur expérience constitue un savoir à part entière. Un savoir invisible, mais précieux. C’est ce qu’on appelle le savoir expérientiel — celui de celles et ceux qui vivent avec la maladie ou aux côtés de la personne concernée. « Il existe d’un côté le savoir académique des soignants, et de l’autre, celui du quotidien : ce que les proches observent, traversent, ajustent jour après jour, précise Elisabetta Scanferla. Ce savoir-là est essentiel, dans les phases de transition, au début d’un nouveau traitement et tout au long du parcours de soin et de rétablissement de la personne. »

Pour ne pas perdre cette mémoire familiale en chemin, certains établissements proposent des entretiens familiaux d’accueil. Des temps encadrés, en présence du patient, où les proches peuvent partager leur connaissance du trouble, transmettre des éléments clés, poser leurs questions. Une manière d’articuler les expertises, sans confisquer la parole de la personne concernée. Mais pour Elisabetta, il ne s’agit pas simplement « d’inclure les proches » dans le soin. « C’est un mot qui me gêne un peu, je préfère dire qu’il s’agit de reconnaître leur rôle et de les accompagner dans ce qu’ils vivent. Ce soutien-là, quand il est bien pensé, est essentiel pour tout le monde : pour la personne en souffrance, mais aussi pour ses proches. »

Parents et soignants : avancer ensemble, sans s’oublier

Travailler main dans la main avec les soignants, sans s’oublier. Faire confiance, peu à peu. Et apprendre à lâcher. Lucile le sait bien : quand on a un enfant qui vit avec un trouble, on devient vite le relais, le traducteur. On accompagne, on anticipe, on soutient. Et puis un jour, on comprend. Qu’on ne pourra pas tout suivre, tout retenir, tout contrôler. Qu’il faudra, parfois, laisser faire.

Les enfants grandissent. Ils trouvent leurs propres mots, leurs propres silences. Il y a des décisions qu’ils veulent prendre seuls, des choses qu’ils ne veulent plus partager. Alors, il faut parfois se contenter de dire : je suis là, si tu veux. On n’est plus au centre, mais pas tout à fait en dehors. Juste à côté. « Je me suis longtemps dit que c’était à moi de tout porter, confie Lucile. Et puis j’ai compris qu’on ne tient pas comme ça. Qu’on ne peut pas les aider si on s’oublie complètement. » De toute façon, on ne peut pas être partout. On ne peut pas, tout le temps, tout porter. Et ce n’est pas un échec. C’est simplement le signe que le soin s’inscrit dans la durée. Qu’il faut tenir. Et pour tenir, il faut des alliés. Des soignants qui écoutent, qui reconnaissent le savoir discret de ceux qui vivent à côté, au plus près. Des professionnels qui savent aussi poser des repères, protéger les espaces de chacun, préserver les places.

Dans les troubles du développement et psychiques, il y a des allers-retours, des doutes, des choix difficiles. On fait au mieux, avec ce qu’on sait, ce qu’on ressent. On pèse les bénéfices et les risques, on se trompe peut-être, on avance quand même. Parce qu’il faut bien décider. Parce qu’aimer, c’est aussi avancer dans l’incertitude.  Et c’est sans doute là que réside l’essentiel : dans ce lien fragile, mouvant, imparfait, mais profondément humain. Dans cette façon d’accompagner, jour après jour, sans avoir toutes les réponses. Juste la présence, la constance, et ce mélange de force et de doute qu’on appelle parfois, être parent.

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