Accompagner et soigner autrement : articuler le médical et le social au plus près des lieux de vie

Le rétablissement est un chemin personnel, propre à chaque personne vivant avec des troubles psychiques. Ce n’est ni un protocole, ni une ligne droite. Mais il peut être soutenu quand plusieurs regards se rencontrent — celui du soin, du médico-social, du social — non pas pour tracer la route à sa place, mais pour l’éclairer à ses côtés, sans l’enfermer ni la diriger.

Pour comprendre comment ces mondes s’articulent sur le terrain, Plein Espoir a rencontré Bertrand Lièvre, psychiatre et responsable de l’EMSAD,  une équipe mobile de soins à domicile active à Saint-Maur-des-Fossés et Joinville-le-Pont et Olivier Lecesve, chef de service éducatif au SAMSAH du Parc, un service médico-social qui accompagne au quotidien des adultes vivant avec des troubles psychiques. Deux approches différentes, un même territoire, et souvent, des personnes accompagnées en commun. Ils racontent une coopération vivante, exigeante, faite d’ajustements, de relais, de liens à construire. Une manière de faire équipe autour de la personne, sans jamais la remplacer. Parce que ce qui soutient, parfois, ce n’est pas la réponse d’un seul, mais la présence de plusieurs, chacun à sa juste place.

Plein Espoir : Pour commencer, pouvez-vous nous dire qui vous êtes et quel est votre rôle ?

Olivier Lecesve : Je suis chef de service éducatif au SAMSAH du Parc, à Saint-Maur-des-Fossés (94). C’est un service médico-social dont l’association gestionnaire est l’Union pour la Défense de la Santé Mentale (UDSM). La création des SAMSAH (Service d’Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés) s’inscrit dans la dynamique portée par les lois de 2002 et 2005, qui ont renforcé les droits des usagers et encouragé l’accompagnement là où la vie quotidienne se passe, plutôt qu’à l’hôpital.

Nous accompagnons au quotidien des personnes vivant avec des troubles psychiques sur plusieurs communes du Val-de-Marne, dont celles de Saint-Maur-des-Fossés et Joinville-le-Pont, territoire d’intervention de l’équipe de l’EMSAD. Nous sommes donc amenés à rencontrer les professionnels de cette équipe dans le cadre de réunions portant sur des situations d’accompagnements communes.

Nous avons une autorisation pour accompagner 26 personnes, mais nous en suivons un peu plus grâce à une organisation souple. L’équipe est pluridisciplinaire : trois infirmiers, deux éducateurs spécialisés, une psychologue à mi-temps et une psychiatre présente une journée et demie par semaine. Toutes deux sont cliniciennes : elles interviennent directement dans les accompagnements, au plus près des personnes.

Plein Espoir : Quels sont les parcours, les réalités de vie des personnes que vous accompagnez ?

Olivier Lecesve : Les profils sont très variés, tant en âge qu’en genre. Nous pouvons suivre des personnes à partir de 18 ans. Pour celles de plus de 60 ans, il faut toutefois qu’un droit ait été ouvert auprès de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) avant leur soixantième anniversaire. Sans cette reconnaissance préalable, notre service ne peut pas intervenir.

Les situations de vie sont elles aussi diverses : certaines personnes vivent seules, d’autres en couple, avec ou sans enfants, parfois en structure spécialisée. La plupart ont un parcours en psychiatrie, et beaucoup sont encore suivies — que ce soit à l’hôpital ou par un psychiatre en libéral. Un suivi médical n’est pas une condition obligatoire, mais le dossier d’admission comporte une partie médicale. L’idéal, c’est qu’elle soit remplie par un psychiatre, mais un médecin généraliste peut aussi le faire. Ce qui compte surtout, c’est de maintenir un lien avec les soignants.

Plein Espoir : Quel type de soutien pouvez-vous apporter ?

Olivier Lecesve : Nos missions sont fixées par le Code de l’action sociale et des familles. Les accompagnements touchent à plusieurs aspects : l’insertion, les droits, l’autonomie, la vie sociale, la santé mentale et physique. Ils varient selon la situation et les besoins de chacun. Souvent, une équipe ou un proche aide à formuler une première demande. Mais pour nous, tout commence par la relation. On prend le temps de créer un lien de confiance avec la personne concernée. C’est ce lien qui permet ensuite de vérifier si les objectifs fixés tiennent la route, ou s’il faut les ajuster.

Plein Espoir : Concrètement, à quoi ressemblent ces accompagnements au quotidien ?

Olivier Lecesve : C’est assez hétérogène. Parfois, il s’agit de passer du temps au domicile pour réfléchir ensemble à un soutien pratique comme l’organisation des repas, l’entretien du logement, la gestion des papiers. Mais il arrive que la personne ait un besoin hors domicile. Dans ces cas-là, on peut l’aider à sortir de chez elle, marcher un peu, reprendre les transports en commun, renouer avec le monde. Puis, il y a aussi tout ce qui concerne les soins : reprendre contact avec un CMP (Centre Médico-Psychologique), consulter un médecin généraliste ou s’orienter vers un suivi plus spécialisé. Tout dépend des besoins, et de ce que la personne est prête à engager.

Plein Espoir : Avant d’aller plus loin, pouvez-vous vous présenter, Bertrand Lièvre ?

Bertrand Lièvre : Je suis responsable d’une équipe mobile de psychiatrie qui intervient à Saint-Maur-des-Fossés et Joinville-le-Pont dans le Val-de-Marne. Ce dispositif sanitaire est un dispositif des Hôpitaux Paris Est Val-de-Marne. Dans l’équipe, interviennent deux psychiatres, un cadre de santé, cinq infirmières, deux assistantes médico-administratives, bientôt un psychologue et nous espérons le recrutement d’un médiateur de santé pair, avec la possibilité également d’évaluations complémentaires, sociales, en psychomotricité … Notre mission, c’est parfois de faire des évaluations mais c’est surtout de soigner et d’accompagner à domicile des personnes vivant avec des troubles psychiques, à partir de 18 ans. On n’intervient jamais sans l’accord de la personne, hormis de rares situations de crise.

Concrètement, on propose des soins psychiatriques intensifs, comparables à ceux de l’hôpital, mais à domicile, et ça change tout. Comme je le dis souvent, on est en position d’invités, ce qui modifie d’emblée la posture. Cela permet souvent d’éviter une hospitalisation complète, ou d’en limiter la durée. Ce dispositif permet également de renforcer l’alliance thérapeutique, de proposer des soins orientés rétablissement au plus près des besoins, d’inclure l’entourage et de les soutenir et enfin, de contribuer à la réduction de la stigmatisation.

Plein Espoir : Est-ce que vous pouvez intervenir après une hospitalisation, pour maintenir un lien ?

Bertrand Lièvre : Oui bien-sûr, pour raccourcir la durée des hospitalisations en poursuivant au domicile les soins débutés à l’hôpital mais nous essayons surtout de proposer des soins intensifs en amont comme alternative à l’hospitalisation à l’hôpital. Il n’est pas question de dire que l’hôpital n’a plus sa place, parfois il est indispensable, mais les unités mobiles montrent qu’il existe d’autres façons de soigner. Les équipes mobiles sont devenues un maillon essentiel du parcours en santé mentale mais, selon les territoires, leur présence reste très inégale. Comme le disait Olivier, il s’agit d’aller vers et de proposer une vraie alternative à l’hospitalisation complète, chaque fois que c’est possible.

Plein Espoir : Quand vous dites que vous allez vers les personnes, comment sont-elles repérées ?

Bertrand Lièvre : Une partie des demandes vient directement de nos services, que ce soit le service d’hospitalisation, les CMP ou l’hôpital de jour. Les autres demandes viennent des hôpitaux de proximité, des médecins généralistes, des psychiatres libéraux parfois, des partenaires médico-sociaux mais aussi des services sociaux de notre territoire. Certaines demandes viennent des patients eux-mêmes, s’ils connaissent le secteur ou ont entendu parler de nous. Il arrive que ce soient les proches qui nous contactent, des bénévoles d’associations caritatives parfois, une concierge d’immeuble une fois et même un jardinier ! 

Plein Espoir : Et du côté du médico-social ?

Olivier Lecesve : Comme je le disais, pour être accompagné par le SAMSAH, il faut avoir un droit ouvert à la MDPH — c’est-à-dire avoir fait une demande et obtenu une reconnaissance du handicap. Mais ce n’est pas toujours évident, car elle peut être difficile à accepter pour certaines personnes. Et parfois, ce sont aussi les proches ou les aidants qui nous sollicitent directement. Ils entendent parler du SAMSAH, ils rencontrent un travailleur social… et ils viennent nous poser des questions : Qu’est-ce que vous faites ? Est-ce que vous pouvez intervenir pour mon frère, ma fille ?

Plein Espoir : Encore aujourd’hui, on a souvent cette opposition entre psychiatrie libérale et psychiatrie hospitalière. Comme s’il n’existait que deux états : la stabilisation d’un côté, la crise de l’autre. Et rien entre les deux. Mais finalement, ce que vous proposez, c’est une troisième voie.

Bertrand Lièvre : L’essentiel des moyens de la psychiatrie hospitalière sont dans la cité et participent très largement à la stabilisation des patients que l’on accompagne dans leur parcours de rétablissement. Si l’hôpital est le lieu de la prise en charge de la crise, l’ambulatoire doit être renforcé pour l’éviter ou la traiter autrement : les moyens des CMP, des hôpitaux de jour, mais aussi avec le déploiement des unités mobiles avec la possibilité de prodiguer des soins intensifs au domicile. La démarche d’aller vers soutient le rétablissement. C’est la personne qui décide si elle nous ouvre sa porte, choisit où on s’assoit … Il y a une position d’égalité immédiate comme je le dis souvent aux personnes et à leur entourage. On avance ensemble, chacun avec son rôle, son expérience.

Plein Espoir : Au fond, cela rejoint aussi l’esprit des directives anticipées : replacer la personne au cœur du soin, en tant que sujet pleinement acteur, et non comme simple objet de la prise en charge ?

Olivier Lecesve : Remettre la personne au centre de son parcours de soin, c’est une intention forte et juste. Mais comme toute intention, elle doit se confronter au réel. Chaque jour, je travaille avec des professionnels du sanitaire, du social et du médico-social qui cherchent à ne pas penser à la place de la personne, mais à partir de ce qu’elle vit.

Cela dit, ce n’est pas parce qu’on va vers quelqu’un qu’on est forcément dans la bonne posture. On peut croire qu’on écoute et passer à côté. Observer sans vraiment entendre. Aller vers, oui, c’est un pas important — mais ce n’est pas une fin en soi. Tout se joue dans la façon dont on s’approche, dans l’intention qu’on y met.

Plein Espoir : Au-delà du fait que vous interveniez sur le même territoire, dans quelle situation concrète avez-vous été amené à coopérer ?

Olivier Lecesve : Le premier lien entre le SAMSAH et l’équipe de Bertrand s’est noué autour de situations cliniques. Dans certains cas, les soins à domicile ne pouvaient plus continuer. L’admission au SAMSAH a alors été proposée comme alternative. Avec le temps, on a appris à mieux se connaître, à repérer ce que chacun pouvait apporter. C’est ce travail commun qui permet aujourd’hui de construire des accompagnements plus cohérents.

Le SAMSAH est né pour répondre à des besoins très concrets : soutenir les sorties d’hospitalisation, éviter les rechutes, accompagner les évolutions du secteur. Mais entre l’idée de départ et la réalité du terrain, il y a toujours un écart. Ce qu’on fait au quotidien, ce sont des ajustements, au fil des situations. La coordination fait partie intégrante de nos missions — c’est même inscrit dans notre cadre légal. On appartient à un réseau d’acteurs, et à ce titre, on a la responsabilité de se coordonner avec tous ceux qui accompagnent la personne.

Bertrand Lièvre : Les personnes concernées ne se disent pas : Ce matin, je suis dans le sanitaire, à midi dans le médico-social, et à 14h dans le social. Elles circulent entre les ressources, au moment où elles en ont besoin.  Notre système, lui, a été construit en silos, pour des raisons historiques, organisationnelles et budgétaires. Le partenariat permet de déconstruire ces frontières, de créer des ponts et même de rapprocher les berges. L’objectif est que chacun ait accès à un panier de ressources, dans tous les champs d’intervention, sanitaire, médico-social, social.

Aujourd’hui, je peux dire aux patients : Je suis à votre service. Il y a vingt ans, je n’aurais jamais imaginé dire cela. J’ai commencé à faire de l’aller-vers à la fin des années 1990. Presque trente ans plus tard, je mesure à quel point chaque parcours, chaque rencontre, déplace un peu plus les lignes.

Plein Espoir : Vous disiez que vous partez des besoins exprimés des personnes concernées et que c’est essentiel. Mais comment les personnes peuvent exprimer des besoins si elles ignorent que certaines aides, certains dispositifs existent ?

Bertrand Lièvre : En tant que professionnels, on se doit de connaître le maximum de ressources, qu’elles relèvent du sanitaire, du médico-social ou d’un autre champ, et être en mesure de les proposer quand le besoin s’exprime. Parce que pour que chacun puisse faire des choix, encore faut-il savoir ce qui existe.

Plein Espoir : Et vous, Olivier, est-ce que vous jouez aussi ce rôle de relais, de passeur vers d’autres ressources ?

Olivier Lecesve : Oui, le SAMSAH a justement cette mission de repérage et d’orientation : connaître les dispositifs, savoir vers qui orienter, transmettre l’information. Mais tout se joue dans la manière dont ça prend forme. On peut connaître le paysage institutionnel… mais  comme le disait Bertrand, il faut souvent aller plus loin. Parce que des besoins nouveaux apparaissent, parce qu’un accompagnement atteint ses limites, ou qu’une difficulté inattendue surgit.

Alors on réfléchit avec la personne : Qu’est-ce qui pourrait aider ? Qu’est-ce qui manque ? On cherche des solutions pratiques, on organise des échanges avec des partenaires. Et parfois, c’est une situation d’accompagnement précise qui nous fait découvrir un dispositif inconnu jusque-là. C’est là que notre travail prend tout son sens.

Bertrand Lièvre : Un des éléments qui donne une couleur particulière à nos pratiques partenariales, c’est l’existence, depuis 2007, sur nos deux communes, d’un Réseau de Santé Mentale, le RSM, qui associe des professionnels du sanitaire, du médico-social et du social. Ce réseau est une vraie force, car il rend les liens concrets, vivants, chaleureux et permet des pratiques partenariales. Il n’y a pas de partenariat sans pratiques partenariales qui se déclinent par des accueils conjoints, des accompagnements partagés, des temps de réflexion en commun … Les professionnels se connaissent bien, se parlent facilement sans crainte d’être jugé, se tutoient parfois. Ce sont les liens humains qui peuvent ouvrir de vraies passerelles.

Certes, nous n’avons pas pour le moment de CLSM, Conseil Local de Santé Mentale, espace de concertation où élus, professionnels, associations et usagers se retrouvent pour réfléchir ensemble aux besoins du territoire en matière de santé mentale, mais nous y travaillons avec les communes concernées.

Plein Espoir : On parle souvent du rôle du soin dans le rétablissement, mais est-ce qu’il ne faudrait pas regarder plus large ? Le médico-social, le social… ce sont aussi des soutiens importants dans la vie des personnes, non ?

Olivier Lecesve : On ne se revendique pas du courant du rétablissement, mais on y contribue d’une certaine manière. Avec chaque personne accompagnée, nous essayons de construire un chemin vers un mieux-être. En nous appuyant sur ce qu’elle accepte de nous confier : ses difficultés, ses limites, ses attentes. Notre façon d’accompagner, notre posture, s’inscrivent dans cette dynamique. Bien sûr, chaque champ a ses spécificités en termes de missions et de savoir-faire — le soin, le social, le médico-social — l’objectif étant d’installer des espaces de coordination entre ces différents acteurs de l’accompagnement afin de garantir une cohérence pour les personnes concernées.

Bertrand Lièvre : Il ne faut pas oublier que le rétablissement n’appartient pas aux professionnels, mais aux personnes concernées. Notre rôle, c’est de créer les conditions qui peuvent en favoriser le chemin. Les pratiques orientées rétablissement, c’est, au-delà de l’utilisation d’outils pertinents, avant tout une posture, une culture, une manière de penser la relation.

Olivier Lecesve : Pour conclure, je dirais que cette culture se construit ensemble. On se rencontre parce qu’on est confrontés à une réalité qui nous convoque à penser collectivement, mais cela ne peut s’installer ni se maintenir sans engagement. C’est de là que naît la coopération. Bien sûr, ça prend du temps. Parfois, ça coince. Mais j’ai vu combien il était précieux de pouvoir partager nos regards, nos questions, nos doutes aussi. Cette confrontation bienveillante, c’est une vraie richesse. Après, comme tout lien, il faut l’entretenir. Alors, on continue. Et tant qu’on reste attaché à ce qui nous rassemble — les personnes qu’on accompagne — ça garde tout son sens.

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Écouter autrement, soigner ensemble : ce que changent les directives anticipées en psychiatrie pour les personnes concernées, les professionnels et les structures


Et si l’on repensait le soin psychiatrique non plus seulement à partir des symptômes, mais à partir des personnes concernées ? C’est tout l’enjeu des Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP). Elles recouvrent des outils encore discrets, mais porteurs de transformations profondes. Rédigées à distance d’une éventuelle crise, elles permettent de poser des mots sur ce qui compte, ce qui aide, ce que l’on refuse ou redoute quand l’état de santé ne permet plus de s’exprimer clairement. Plus qu’un document, c’est un espace de réflexion partagée, qui invite à écouter autrement, à soigner ensemble, à construire un cadre de soin plus respectueux et ajusté. Les DAP sont ainsi un outil citoyen, que chacun peut remplir ! Pour mieux saisir ce que les DAP transforment, dans les pratiques comme dans les liens de soin, Plein Espoir a rencontré Ofelia Lopez, psychologue clinicienne au groupe hospitalier Fondation Vallée–Paul Guiraud, et Nathalie Debrie, pair-aidante professionnelle. Cette dernière a elle-même utilisé l’un des outils de DAP existant, en l’occurrence Mon GPS (Guide Prévention et Soins en santé mentale) comme ressource dans son parcours de rétablissement. À elles deux, elles racontent ce que cet outil permet : redonner une voix aux usagers, du sens aux soignants, et, peut-être, un nouveau souffle aux institutions.

Il y a trente ans, Ofelia Lopez faisait ses premiers pas en psychiatrie avec une idée toute simple : pour aider les personnes concernées, il fallait d’abord écouter. Écouter vraiment. « Dès ma formation, on nous parlait de prévention, d’éducation pour la santé », raconte la psychologue clinicienne. Pas seulement pour apprendre à repérer les signes de souffrance, mais pour aller plus loin : aider les personnes à comprendre leur trouble, à s’approprier leur parcours de soin, à redevenir actrices de leur vie. C’est cela, l’éducation thérapeutique du patient : partager les connaissances, expliquer les traitements, mettre des mots sur des ressentis. Pour que le soin ne soit pas une suite d’injonctions descendantes, mais un dialogue. Une coopération.

Une volonté de remettre le patient au centre du soin


La professionnelle de santé s’intéresse ensuite à la réhabilitation psychosociale. Une approche qui ne s’arrête pas à la stabilisation des symptômes, mais qui vise un retour à la vie sociale, affective, professionnelle. Un travail de fond pour restaurer l’estime de soi, retisser des liens, retrouver une place dans la société. « J’y ai reconnu ce que je portais déjà », souffle-t-elle. L’idée qu’un diagnostic ne dit pas tout. Qu’il y a, derrière, des envies, des talents, des projets à accompagner.

En découvrant les directives anticipées en psychiatrie — déjà utilisées dans plusieurs pays mais encore inconnues en France — Ofelia Lopez a eu envie d’agir. « À ce moment-là, je travaillais dans un foyer de post-cure à Paris, un lieu entre l’hôpital et le retour à la vie quotidienne. Avec ma collègue Marie Condemine, on voulait trouver un moyen d’éviter les rechutes, les ruptures, et défendre les droits des personnes concernées. Comme il n’existait encore aucun outil en France, on a décidé d’en créer un », raconte-t-elle.

C’est ainsi qu’elle participe à la création des livrets Mon GPS — mon guide de prévention et de soins, [cet outil, mis en place par l’association Prism et le Psycom et soutenu par la fédération Santé mentale France existe en version  Ado/Jeune Adulte et  Parents]. Des supports à remplir seul, avec un proche ou un professionnel, pour mieux repérer ce qui peut aider en cas de crise, ce qui fait du bien, ce qu’il vaut mieux éviter. « Nous voulions créer quelque chose de souple, de maniable, qui puisse être saisi librement par les personnes concernées, mais aussi par leurs proches, et par les professionnels — qu’ils soient du sanitaire ou du médico-social », ajoute la psychologue. Une manière de replacer l’usager au centre du soin — et non à sa périphérie.

Un outil au service du rétablissement

Nathalie Debrie entend parler quant à elle des directives anticipées en psychiatrie en 2019, peu après une hospitalisation liée à une crise d’hypomanie. « J’ai téléchargé le livret sur le site du Psycom et j’ai répondu à toutes les questions », raconte-t-elle. Ça lui a pris du temps. Mais elle a tenu bon. « La crise venait juste de passer. J’avais encore tout en tête : ce que j’avais ressenti, ce qu’on avait décidé pour moi. Je voulais éviter que certaines choses se reproduisent. »

Remplir le livret Mon GPS, pour la pair-aidante, ce n’était pas juste cocher des cases. C’était mettre de l’ordre dans le tumulte. « Ça m’a aidée à clarifier mes idées, ça m’a soulagé parce que je sais que je serai mieux armée la prochaine fois. » Certaines questions, posées simplement, ont agi comme des déclencheurs. Comment suis-je quand je vais bien ? Comment suis-je quand je vais mal ? Répondre, c’était apprendre à se relire. À repérer les signaux faibles. À tracer, par petites touches, une cartographie intérieure.

« Quand je vais bien, je suis sereine, dit-elle. Je prends soin de moi, de mon image, j’écoute de la musique, je lis, je conduis… Et puis, je pense à des choses douces. » Le contraste avec les moments de moins bien est saisissant. « Quand, mon état se dégrade, l’angoisse revient. Je ne me déplace plus, ou alors à peine. C’est comme si sortir de chez moi devenait trop compliqué. Je n’ai plus envie de lire, je ne conduis plus, je ne parle plus à mes proches. Et je me dis que ma vie est finie. Quand j’en suis là, je sais qu’il faut être vigilant. »

Avec le temps, Nathalie Debrie a appris à reconnaître les bascules. Ce moment flou où tout peut vaciller. Mais grâce au livret Mon GPS, elle sait désormais où chercher quand la crise menace de revenir. « Pour moi, le premier geste à faire, quand ça ne va pas, c’est de relire Mon GPS. Ce n’est pas un outil réservé aux soignants. C’est aussi un outil pour soi. Quand la crise commence à monter, je m’y replonge. Je retrouve des phrases que j’ai écrites à un moment de clarté, des repères, des rappels : qu’est-ce qui m’a aidée la dernière fois ? » Désormais elle sait ce qui l’aide à revenir, doucement, vers un équilibre. « Me reposer. Promener ma chienne. Aller en forêt. »  À l’inverse, elle sait aussi ce qui la fragilise. « Quand je ne vais pas bien, ce qui ne m’aide pas, c’est d’avoir trop de contacts autour de moi. Ce qu’il me faut, c’est un endroit calme, où je peux me poser, respirer. »

Mon GPS, pour Nathalie Debrie, c’est un document ressource. Une ancre. Une mémoire en veille. Il permet de remettre un peu d’ordre dans la confusion. « Ça aide à se poser. À ne pas paniquer tout de suite, nous confie-t-elle. À se rappeler que je peux m’en sortir. Par exemple, j’ai noté que si vraiment ça devient trop compliqué, je peux appeler le 15. C’est bête, mais quand on panique, on oublie les choses les plus simples. Appeler le 15, ce n’est pas forcément pour faire venir le SAMU, c’est juste pour entendre une voix, avoir une piste, retrouver un point d’appui. » Elle le sait : dans ces moments-là, relire ce qu’on a écrit quand ça allait mieux, c’est déjà commencer à revenir.

Un outil qui redonne du sens aux pratiques

À mesure qu’elle le pratique, Ofelia Lopez voit en Mon GPS bien plus qu’un outil de prévention : c’est un terrain de médiation, un espace pour penser ensemble ce qui reste souvent enfoui. « C’est un support pour penser. Pour explorer son savoir expérientiel, mettre des mots sur ses crises, ses ressources, ses besoins. Pour certains, cela a permis d’aborder des zones restées jusqu’alors dans l’ombre. Et pour moi aussi, cela a ouvert des portes. Des questions que je n’aurais peut-être jamais osé poser aux personnes que j’accompagne », nous explique-t-elle.

Remplir Mon GPS, c’est aussi revenir sur ce qui s’est passé à l’hôpital. Les souvenirs remontent, les silences aussi. La contention. L’isolement. Les mots qui blessent. Les portes qu’on ferme. La violence d’un soin qui se voulait protecteur, mais qui a parfois laissé plus de traces que la maladie elle-même. « Il faut pouvoir le dire : l’hospitalisation peut être traumatique. Elle l’est souvent. Et certaines mesures coercitives ne sont pas toujours justifiées, explique la psychologue clinicienne. Parfois, elles sont mal comprises et elles peuvent être abusives. » C’est pour cela qu’elle estime que le partage du livret est essentiel. Avec un professionnel référent, un proche, quelqu’un de confiance. « On ne peut pas deviner ce que l’autre souhaite ou ce qu’il refuse s’il ne le dit pas. Et c’est dans cet échange que l’outil prend toute sa portée : il devient un support de communication, de négociation, de co-construction du soin. Il permet de réfléchir ensemble. De poser les mots. D’anticiper, sans imposer », ajoute-t-elle.

En ce sens, Mon GPS ne transforme pas seulement la place du patient. Il redonne aussi du sens au travail des soignants. Car il ne s’agit plus de décider pour, mais avec. De s’ajuster à une histoire, une sensibilité, une temporalité. De retrouver, dans la relation de soin, un espace de dialogue et de confiance. Beaucoup de professionnels en témoignent : ce type d’outil ravive le cœur du métier. Celui qui consiste à écouter, comprendre, accompagner. Pas seulement à prescrire.

« Et on pourrait aller plus loin, estime Ofelia Lopez. Rien n’empêche aujourd’hui d’inscrire Mon GPS dans l’espace numérique de santé de la personne, accessible aux services d’urgence en cas de crise. Ce serait une avancée concrète : pousser la logique du droit jusqu’à son terme. Car ce sont bien les directives du patient — ce sont les siennes. Il en est le propriétaire. Il choisit à qui les confier. Et s’il décide de ne pas les partager, cela doit être respecté. C’est à nous, professionnels, de les lire. De les respecter. Et, le cas échéant, d’expliquer pourquoi nous ne l’avons pas fait. »

Par exemple : « Écoutez, vous m’aviez dit que vous ne vouliez pas de cette molécule. J’ai dû vous l’administrer, voilà pourquoi. Voilà dans quelles conditions. Voilà ce qui m’y a contraint. » Ce n’est plus un geste solitaire, vertical, venu de la tour d’ivoire médicale. C’est une décision partagée, documentée, confrontée au réel — mais éclairée par la volonté initiale de la personne concernée. En réalité, Mon GPS oblige chaque professionnel de la psychiatrie à se reposer une question essentielle : Pourquoi est-ce que je propose cela à ce patient ? Et surtout : Lui a-t-on demandé ce qu’il en pensait ? Il ne s’agit pas seulement de proposer un soin, mais de chercher ensemble la forme la plus juste, la plus acceptable. De travailler côte à côte. Non plus l’un à côté de l’autre.

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La pair-advocacy, ou comment permettre aux personnes concernées de mieux se faire entendre 

Et s’il existait une troisième voie, entre les institutions et les avocats ? Un autre moyen d’aider celles et ceux qu’on n’écoute pas à faire entendre leur voix ? C’est là qu’intervient l’advocacy. Ni soin, ni défense juridique, l’advocacy est un accompagnement à l’expression. Une manière de soutenir une personne en souffrance psychique pour qu’elle puisse faire valoir ses droits, formuler ses demandes, reprendre sa place dans les échanges. Être écoutée, pour de vrai.Pour mieux comprendre ce que recouvre l’advocacy, Plein Espoir a rencontré Martine Dutoit, pair advocate et chercheuse en sciences humaines. Elle intervient au sein d’Advocacy France, une association portée par des personnes concernées par la psychiatrie, aux côtés de proches et de quelques professionnels. Elle nous parle d’un engagement très concret : aider à écrire un courrier, accompagner à un rendez-vous, préparer une audience, expliquer une décision. Être là, simplement, quand c’est compliqué, quand on ne sait plus comment faire, ni vers qui se tourner. Parce que parfois, ce qui change tout, ce n’est pas de crier plus fort. C’est de ne plus être seul.



Plein Espoir :  Pour commencer, pouvez-vous expliquer ce que signifie le mot advocacy ? Expliquer l’initiative pour quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler ?

Martine Dutoit : Advocacy est un mot anglais, assez difficile à traduire en français. Disons qu’il désigne un type de soutien bien particulier : un accompagnement à la parole, quand une personne n’arrive plus à se faire entendre, ou qu’elle se sent mal comprise par les institutions. Concrètement, le rôle du pair advocate, c’est d’être là comme un tiers de confiance. Il ne remplace pas la personne, ne parle pas à sa place. Il ne se substitue pas non plus à un avocat, car son action ne relève pas du judiciaire. Il est là pour aider la personne à formuler ce qu’elle vit, ce qu’elle souhaite, et pour faire en sorte que cette parole soit vraiment entendue. C’est une forme de médiation sociale, surtout utile dans les moments où les droits, la dignité ou la liberté d’une personne sont mis à mal : à l’hôpital, face à une mesure de contrainte, ou dans des situations d’exclusion, par exemple au travail. Le pair advocate agit avec délicatesse, pour rétablir un équilibre dans la relation, pour que le dialogue puisse exister à nouveau — de façon juste et respectueuse.

Plein Espoir : Comment est née l’association Advocacy France, et quel est le cœur de son action ?

Martine Dutoit : C’est une histoire qui commence dans les années 1990. À ce moment-là, je travaillais comme assistante sociale à l’hôpital Sainte-Anne, au contact direct des personnes concernées, alors qu’on sortait doucement du modèle de l’asile. Avec quelques autres, on a voulu créer un espace où leur parole puisse enfin trouver sa place. Au départ, Advocacy France n’avait pas vraiment vocation à devenir une association. C’était plutôt un lieu d’échanges, où les savoirs et les expériences de chacun pouvaient se croiser.Et puis, très vite, on a vu ce que ça changeait, de pouvoir parler. Les usagers ont commencé à s’impliquer, à porter des actions, à se saisir de cette dynamique. Des proches les ont rejoints. C’est là que tout a commencé à prendre forme. Ce qu’on a vu naître, c’est ce que les Anglo-Saxons appellent empowerment — un mot qui parle de dignité retrouvée, de pouvoir d’agir, de citoyenneté active. On est partis d’une simple intuition : quand celles et ceux qu’on n’écoute jamais sont enfin entendus… quelque chose bouge.

On ne propose pas de soins, au sens médical du terme. Et pourtant, ce qu’on fait soulage souvent. Parce qu’on accueille les personnes dans ce qu’elles sont : leur parcours, leurs difficultés, leurs droits, leur dignité. On ne les résume pas à un diagnostic. Pour nous, soin et citoyenneté ne sont pas opposés. Ce sont deux logiques différentes, mais qui peuvent coexister, se nourrir. C’est dans cet espace-là qu’intervient la paire advocate. Une troisième voix, aux côtés des familles et des professionnels. Nous intervenons toujours à la demande de la personne concernée. Pour faire lien, pour soutenir, pour accompagner. Pas pour parler à sa place, mais pour l’aider à faire entendre ce qu’elle vit. C’est une autre manière d’agir en santé mentale. Une alternative, qui ne remplace pas les soins, mais qui vient offrir un autre regard, une autre présence.

Plein Espoir : Aujourd’hui, comment agissez-vous aux côtés des personnes concernées ?

Martine Dutoit : L’action de l’association s’appuie sur trois piliers :
– l’accompagnement individuel pour faciliter l’accès aux droits et aux recours,
– des espaces conviviaux citoyens, pour se retrouver, échanger, proposer,
– et une implication dans la vie associative et la représentation des usagers.

Chaque mois, nous recevons une trentaine de demandes venues de toute la France, avec une forte concentration en région parisienne. Derrière ces appels, il y a souvent la même expérience : celle d’être mis à l’écart, disqualifié, à cause d’un diagnostic en santé mentale ou d’un handicap psychique. Notre rôle, c’est d’accompagner ces personnes pour qu’elles puissent faire entendre leur voix. Ce qui compte pour nous, ce n’est pas seulement d’aboutir à une réponse juridique ou à une reconnaissance formelle, mais que la personne soit entendue, reconnue, dans ce qu’elle vit.

Il faut savoir que tout le monde ne se sent pas capable d’aller voir un avocat, de porter plainte, ou d’entamer des démarches longues et complexes. Alors nous sommes là aussi pour ça : pour soutenir et accompagner. Avec les bonnes informations et les bons repères, la personne peut ensuite avancer à son rythme. Quand c’est un proche qui nous contacte – une maman, par exemple – on l’écoute, on la rassure, on prend le temps de lui expliquer notre approche. Mais très vite, on cherche à entrer en lien direct avec la personne concernée. Parce que c’est là que tout se joue : faire avec, jamais à la place. On prend le temps. On écoute ce qui se dit, ce qui ne se dit pas, et on essaie de comprendre à qui appartient vraiment la demande. Pour nous, ce lien direct avec la personne concernée, c’est le point de départ de tout.

Plein Espoir : À quoi ça ressemble, une rencontre, un début de parcours avec vous ?

Martine Dutoit : Souvent, ce sont des personnes hospitalisées qui nous appellent, sans vraiment comprendre pourquoi elles sont là. Alors on prend le temps. On leur rappelle leurs droits, on parle des recours possibles, on essaie de comprendre ce qui s’est passé, ce qu’elles souhaitent, ce qu’on peut faire ensemble. Quand on est contactés assez tôt, on peut parfois agir vite : écrire un courrier, appuyer une demande. Il m’est arrivé d’aider une personne à sortir grâce à ça. On intervient aussi dans d’autres situations : du harcèlement au travail, des questions de tutelle… Là encore, on accompagne, on soutient, on aide à formuler une demande.

Parfois, on prépare aussi des rendez-vous avec un avocat, quand c’est trop intimidant. On explique comment ça se passe, ce qu’il faut apporter, comment poser sa demande. L’idée, c’est toujours que la personne garde la main. Ce qu’on fait, ce n’est pas juste du droit. C’est du droit dans la vie réelle. Parce que souvent, ce qui coince, ce n’est pas la loi, c’est le regard qu’on porte sur la personne. Et nous, on est là pour rouvrir un espace. Pour qu’elle puisse à nouveau avancer.

Plein Espoir : Pouvez-vous nous partager un moment, une situation, où votre accompagnement a fait une différence ?

Martine Dutoit : Je pense à ce monsieur, par exemple, qui refusait de faire sa carte d’identité. Il était persuadé que, s’il entrait dans un commissariat ou à la préfecture, on ne le laisserait pas ressortir. Il avait connu des hospitalisations sous contrainte, et pour lui, c’était comme remettre le doigt dans l’engrenage.

Alors on a imaginé quelque chose. On l’a accompagné, mais de façon discrète, à distance. Il est entré seul, mais on était dehors, avec le téléphone, prêt à intervenir, à le rassurer. On lui avait garanti que s’il ne ressortait pas, on viendrait le chercher. C’était un vrai pacte de confiance. Finalement, il est ressorti avec sa carte. Et ce simple papier a tout débloqué. Ça lui a rouvert plein d’autres démarches qu’il n’osait plus faire. Ce qui est dur, c’est de voir que ce type d’accompagnement, pourtant simple, n’est presque jamais proposé par les soignants.

Plein Espoir : Aujourd’hui, combien de pair-advocates interviennent concrètement sur le terrain, et combien de personnes accompagnez-vous chaque année ?

Martine Dutoit : On a formé une cinquantaine de personnes depuis le début, mais en pratique, on est une dizaine à être vraiment actives. Chaque année, on suit entre 90 et 100 dossiers. Il y a eu des périodes où c’était plus, mais avec la multiplication des structures qui délivrent de l’information, les demandes se sont un peu réparties. Je précise également que nous accueillons les personnes sur rendez-vous dans nos espaces citoyens, notamment à Paris, au 11 rue de la Folie-Méricourt, dans le 11e arrondissement. D’autres lieux d’accueil sont également ouverts à Pierrefitte, Martigues, Avignon, Ploërmel, Hérouville-Saint-Clair, ainsi que dans le Nord, à Fourmies et Ronchin.

Psychiatrie et rétablissement : faire vivre les droits des personnes concernées

Et si on voyait le droit non pas comme quelque chose de compliqué, mais comme une protection concrète, qui peut vraiment changer la vie de quelqu’un ? C’est ça, le droit des personnes concernées par les soins psychiatriques. Un droit encore trop peu connu, parfois mis de côté, alors qu’il est essentiel. Parce qu’il ne parle pas que de lois, il parle de respect et de dignité. Il dit qu’une personne hospitalisée sans son consentement garde des droits. Le droit d’être informé, de faire appel, de contester une décision. Le droit aussi de demander un autre médecin, ou d’être soignée ailleurs. Mais dans la réalité, ces droits sont souvent difficiles à faire valoir. Pour mieux comprendre ce que cela recouvre — dans la pratique et sur le terrain — Plein Espoir a rencontré maître Raphaël Mayet, bâtonnier du barreau de Versailles et spécialiste des soins sans consentement. Il nous raconte comment le droit a évolué, ce qu’il permet déjà, et surtout le chemin qu’il reste à parcourir pour qu’il soit pleinement respecté.

Plein Espoir : On parle souvent de soins ou de contraintes en psychiatrie, mais rarement des droits des patients. Où en est-on aujourd’hui ?

Raphaël Mayet : Les droits des patients ont beaucoup changé ces dernières années, aussi bien sur le fond des mesures que sur ce qui se joue concrètement dans leur application. On le voit particulièrement sur les mesures d’isolement et de contention. Aujourd’hui, la loi encadre ces pratiques. Une mesure d’isolement ne peut excéder douze heures, renouvelables dans les mêmes conditions, par tranches de douze heures, dans la limite de quarante-huit heures. Autrefois peu contrôlées, ces décisions font maintenant l’objet d’un encadrement beaucoup plus strict. Prenons un exemple concret : dans le département des Yvelines, la contention a quasiment disparu. Chaque année, sous l’impulsion des avocats, près de 27 % des mesures d’isolement ou de contention sont levées.

Cela fait partie d’un mouvement plus large : celui d’une ouverture progressive de la psychiatrie. On sort petit à petit de l’isolement dans lequel elle a longtemps été tenue. Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. Et pour être honnête, je ne suis pas sûr de voir un jour ce changement pleinement abouti. Mais la dynamique est là. Il faut se rappeler ce qu’était l’asile autrefois : un lieu souvent situé en dehors des villes. Des murs hauts, des grilles épaisses, pensés pour cacher, pour couper les personnes concernées de la vie en société. La psychiatrie échappait au regard… et donc, au droit. Après, il faut toujours aller plus loin et construire un vrai droit en psychiatrie, qui respecte à la fois le soin, la liberté et la place des personnes concernées. Un droit qui les reconnaisse comme des sujets à part entière, pas juste comme des cas à traiter.

Plein Espoir : Dans votre pratique, quels sont les cas que vous voyez le plus souvent ?

Raphaël Mayet : Je suis sollicité pour plusieurs types de situations. Il y a des personnes actuellement hospitalisées sans leur consentement qui veulent faire lever cette mesure. Et puis il y a des dossiers plus anciens : des personnes qui ont été hospitalisées par le passé, qui demandent aujourd’hui à consulter leur dossier médical, et qui cherchent à comprendre ce qui s’est passé. Parfois pour faire reconnaître un abus ou simplement mettre des mots sur une période difficile. C’est souvent une démarche de vérité, ou de réparation.

Plein Espoir : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez aujourd’hui ?

Raphaël Mayet : Une des grandes limites, c’est le rôle du juge. Il a deux missions : vérifier si la mesure de soins sans consentement est justifiée, et contrôler ce qui se passe pendant cette hospitalisation, comme l’isolement ou la contention. Sur ces derniers points, ça fonctionne plutôt bien. Après, le juge ne peut pas contester l’avis des médecins. Autrement dit, si un médecin dit qu’une hospitalisation est nécessaire, le juge ne peut pas s’y opposer, même s’il a un doute. Du coup, une partie du contrôle lui échappe, et une partie des droits des patients aussi.

Autre difficulté : certains droits pourtant prévus par la loi ne sont presque jamais respectés. Par exemple, les commissions départementales des soins psychiatriques (CDSP) sont censées vérifier les hospitalisations sans consentement au bout de trois mois, notamment en cas de péril imminent — quand une personne est hospitalisée sans qu’un proche puisse l’accompagner, parce que son état est jugé trop grave. En réalité, ces contrôles sont très rares. D’autres droits sont aussi peu appliqués. Comme celui de consulter un médecin extérieur : prévu par les textes, mais rarement autorisé. Ou celui de se faire soigner dans un autre secteur que celui où l’on habite : possible en théorie, mais très difficile en pratique, car les conditions sont très strictes — il faut généralement prouver qu’une procédure est en cours contre l’hôpital où l’on est soigné.

Plein Espoir : Est-ce que ces limites alimentent une forme de méfiance envers les institutions ?

Raphaël Mayet : En France, on oppose encore trop souvent le droit à la santé aux droits du patient. Une logique contraire à celle défendue par l’OMS, qui promeut une amélioration des soins psychiatriques en renforçant les droits des personnes concernées. Le vrai problème, au fond, c’est l’adhésion. Plus on force, moins les patients s’impliquent. La contrainte peut sembler efficace sur le moment, mais sur le long terme, elle casse la confiance, abîme la relation de soin et éloigne les personnes du système de santé.

Il existe pourtant d’autres chemins, encore trop peu explorés. Des approches qui demandent de repenser en profondeur notre façon de voir la santé mentale. Non pas seulement à l’échelle locale, mais à l’échelle nationale, avec une vraie politique d’ensemble, qui place enfin la personne au centre — non plus comme un simple patient, mais comme un sujet de droits.

Plein Espoir : Vous évoquez d’autres chemins possibles, de quoi parlez-vous concrètement ?

Raphaël Mayet : D’abord, il faudrait harmoniser les pratiques sur le territoire. Car même si la loi est la même partout en France, son application peut être très différente d’un hôpital à l’autre. Dans un établissement, un patient sera hospitalisé sous contrainte pour un certain comportement ; dans un autre, ce même comportement ne donnera lieu à aucune mesure. Pourquoi ? Parce que les décisions dépendent beaucoup des habitudes locales, de la culture du service, de la façon dont les soignants et les juges interprètent le texte. La jurisprudence, c’est-à-dire les décisions rendues par les tribunaux, devrait permettre de clarifier les règles, de créer des repères. Mais aujourd’hui, elle reste floue. Du coup, ça renforce les différences entre les territoires.

Ensuite, je pense à la pair-aidance, par exemple, ou à des formes alternatives d’accompagnement comme les habitats collectifs pour personnes en situation de handicap psychique. Ce sont des lieux de vie où l’on recrée du lien, de la stabilité, et où l’on évite bien souvent les hospitalisations sous contrainte. Prenez la Maison Perchée. L’un de ses animateurs racontait son parcours : avant, c’étaient des allers-retours incessants à l’hôpital. Depuis qu’il vit là-bas, il n’a plus jamais été hospitalisé. Ce témoignage n’est pas isolé. Et il montre ce que peuvent apporter, au quotidien, le soutien des pairs et des lieux ancrés dans la vie réelle, qui redonnent de l’autonomie aux personnes — et leur offrent une autre voie que celle de la contrainte.

Plein Espoir : Ces initiatives qui placent le patient au cœur du soin restent encore trop rares. Et puisqu’on parle des droits des patients, que pensez-vous des inégalités d’accès aux spécialistes selon les territoires ?

Raphaël Mayet : Aujourd’hui, beaucoup de personnes n’ont même plus de médecin traitant. L’hospitalisation sans consentement devient parfois une solution par défaut, simplement parce qu’aucune prise en charge n’a pu être mise en place en amont. Il y a trente ans, presque tout le monde avait un généraliste, un médecin de famille, un point d’ancrage. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Et la situation est encore plus difficile en psychiatrie. Dans certains départements, il n’y a plus un seul psychiatre en libéral. C’est une réalité, il y a une inégalité d’accès aux soins psychiatriques. Il faut dire que la psychiatrie attire de moins en moins les jeunes médecins. Spécialité mal reconnue, conditions de travail difficiles, manque de moyens : rien n’encourage à s’y engager. Résultat, ce sont des territoires entiers qui se retrouvent sans offre de soins, ou avec des délais d’attente interminables.

Pourtant, des solutions existent. Comme les directives anticipées en psychiatrie. C’est un document que l’on rédige quand on va bien, pour dire ce que l’on souhaite — ou refuse — si l’on va mal. On peut y noter les traitements que l’on accepte, les proches que l’on veut voir appelés, les gestes que l’on redoute, les signes annonciateurs d’une crise. Cela permet d’anticiper, de garder la main sur ce qui pourrait arriver. Les études ont montré qu’elles permettent de réduire d’un tiers les hospitalisations sans consentement. C’est considérable. Parce qu’un soin préparé est souvent un soin mieux accepté. Il est urgent de les généraliser. Pour que les soins ne soient plus subis mais pensés.

Plein Espoir : En France, les patients peuvent rédiger des directives anticipées en psychiatrie, mais les médecins ne sont pas obligés de les respecter. Est-ce qu’il faudrait aller plus loin ?

Raphaël Mayet : Oui ! Aujourd’hui, les directives anticipées en psychiatrie n’ont pas de réel cadre légal. Elles existent, mais rien n’oblige les médecins à les suivre. Résultat : elles peuvent être contournées, parfois même ignorées. Et tant qu’on restera dans ce flou juridique, elles auront peu de poids dans les pratiques. Ce que je défends, c’est une autre logique : les soins sans consentement ne devraient être envisagés qu’en dernier recours, une fois que les directives anticipées ont été essayées et qu’elles ont échoué. C’est tout le système qu’il faut inverser.

On pourrait s’inspirer d’un outil qui existe déjà : le mandat de protection future. Il permet à une personne, tant qu’elle est encore en pleine possession de ses moyens, de désigner quelqu’un de confiance pour la représenter si un jour elle n’est plus en état de décider. Ce mandat concerne la gestion de ses biens, sa vie quotidienne, et même ses soins. Pourquoi ne pas appliquer cette logique à la santé mentale ? Les directives anticipées pourraient devenir une forme de mandat spécifique : une personne, en période de stabilité, pourrait y inscrire ce qu’elle souhaite ou refuse. Elle pourrait préciser les traitements acceptés, ceux qu’elle rejette, et désigner une personne de confiance pour porter sa parole quand elle ne peut plus le faire elle-même. Ce serait une manière concrète de faire respecter sa volonté, d’organiser les soins à l’avance, plutôt que de les subir dans l’urgence.

Plein Espoir : Quand on voit qu’il manque déjà de soignants ou même simplement de temps pour écouter les patients, comment imaginer un changement de modèle ?

Raphaël Mayet : C’est évident qu’il y a un manque de moyens, après, on dit souvent que la psychiatrie va mal parce qu’on a fermé trop de lits. Mais parfois, fermer des lits, ça peut aussi être une bonne chose — à condition de réutiliser les moyens autrement. Un lit d’hôpital coûte très cher, jusqu’à 900 euros par jour. Si on utilisait cet argent pour créer des équipes mobiles, disponibles 24h/24, capables d’intervenir à domicile, on pourrait accompagner les personnes plus tôt, avant que la situation ne se dégrade.

Il ne faut pas attendre qu’une personne soit déjà affaiblie, isolée pour intervenir. Le soin devrait commencer bien avant. C’est pour ça qu’on ne peut plus opposer soin et droits des patients. Le droit à la santé, c’est d’abord le droit d’être aidé à temps, par des professionnels accessibles, à l’écoute. Soigner, c’est aussi prévenir, soutenir, être présent.

Plein Espoir : Est-ce que vous restez confiant pour la suite ? Vous voyez des raisons d’espérer, des signes de changement possibles ?

Raphaël Mayet : Comme je le disais, ces dernières années, on a vu une amélioration des droits des patients. Elle reste partielle, encore inégale, mais elle va dans le bon sens. Cela dit, je ne serai vraiment optimiste que si l’on repense en profondeur tout le cadre psychiatrique. Tant qu’on se contentera de réformes ponctuelles, sans vision d’ensemble, tant que des instances clés comme les commissions départementales des soins psychiatriques restent marginales, on ne fera que colmater.

Ce qui est difficile à accepter, c’est qu’on avait annoncé que 2025 serait l’année de la santé mentale. Un temps fort, une promesse politique portée par l’ancien Premier ministre, avec un engagement personnel, familial même. Il avait fixé une feuille de route. Mais il est parti avant la fin de l’année. Et depuis,  on ne sait plus très bien ce qu’il reste de cette ambition.

Directives anticipées en psychiatrie : outils pour faire connaître ses besoins, au service du rétablissement en santé mentale

Et si l’on prenait le temps, quand tout va bien, de définir nos souhaits pour les jours plus fragiles ? C’est tout le principe des Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP). Un outil encore trop peu connu, né d’un besoin simple et essentiel : pouvoir dire ce qui compte pour soi, avant que la crise n’emporte les mots. Ancrées dans la logique de rétablissement, les DAP permettent de poser des repères, de nommer ce qui apaise a priori, ce qui inquiète, ce qu’on aimerait éviter ou préserver quand on est pas en capacité de faire valoir ses droits seul. Elles se rédigent seul, avec un proche ou un professionnel, au fil de plusieurs rencontres. Ce n’est pas un simple formulaire : c’est une conversation, un espace pour rester pleinement acteur ou actrice de son parcours, en lien avec celles et ceux qui nous accompagnent. Pour mieux comprendre ce que permettent les DAP — dans la pratique et sur le terrain — Plein Espoir a rencontré Céline Loubières, coordinatrice du Projet Territorial de Santé Mentale (PTSM) en Loire-Atlantique et co-animatrice du Collectif DAP. Elle nous raconte comment cet outil ouvre, peu à peu, des chemins d’écoute, de respect et de confiance partagée.

Plein espoir : Comment expliquer ce que sont les DAP à quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler ?


Céline Loubières : Les DAP, pour « Directives Anticipées en Psychiatrie », c’est un nom un peu technique pour un outil simple et profondément humain : permettre à une personne vivant avec un trouble psychique d’exprimer à l’avance ses souhaits concernant ses soins, pour les moments où elle ne pourra plus le faire. Car dans la tourmente d’une crise, la perception du réel se brouille, les mots se coincent. Dans ces instants-là, il devient difficile de faire entendre sa voix, d’expliquer ce que l’on ressent, ce que l’on voudrait — ou ce que l’on redoute. Trop souvent, ce sont les autres qui décident à votre place.

Les DAP permettent de dire en amont : voilà ce que je souhaite si jamais je vais mal. Une manière de se réapproprier sa voix, même en pleine tempête. De rester partie prenante de ce qui nous concerne le plus intime : notre santé, nos soins, notre dignité. C’est d’autant plus précieux que, dans le champ de la psychiatrie, la parole de celles et ceux qui traversent des crises est souvent mise de côté, disqualifiée, comme si elle n’était plus légitime. Pourtant, même en pleine phase aiguë, un désir demeure : celui d’être écouté. Les études sont claires : les personnes qui rédigent des DAP sont hospitalisées sous contrainte 32 % de moins que les autres. Le risque de rechute diminue aussi. Ce n’est pas un miracle, c’est juste le fruit d’une évidence : quand on écoute vraiment les personnes concernées, les choses se passent mieux.

Plein Espoir : Comment et quand est-ce que les DAP ont commencé à être déployés ? 

Céline Loubières : Les Directives Anticipées en Psychiatrie ne sont pas tout à fait nouvelles. Elles se sont d’abord développées dans les pays anglo-saxons, avec des résultats probants, tant sur le plan médical qu’éthique. Les études médico-économiques l’ont montré : en plus d’une baisse d’hospitalisation, des crises mieux anticipées, une meilleure relation entre les soignants et les personnes concernées. Mais au-delà des chiffres, elles ont permis d’améliorer la question des droits, de la dignité de la personne concernée et rétablir une forme de confiance.

En France, plusieurs outils ont émergé, avec des formes et des noms différents. Il y a par exemple Mon GPS, un document accessible à tous, qu’on peut télécharger sur le site du Psycom [et dont la diffusion est soutenue par Santé mentale France] et remplir chez soi, avec un proche, un médecin ou un soignant. Au début, il pose des questions sur soi — qui je suis, ce qui me fait du bien, ce que je redoute — et ensuite, il invite à exprimer ses souhaits si jamais une hospitalisation devait survenir. C’est des gestes qui peuvent sembler simples et anodins et pourtant essentiels pour les personnes concernées : Pouvoir appeler mon frère. Avoir accès à mon téléphone. Éviter tel médicament, qui me fait trop d’effets secondaires

Il y a aussi le plan de crise conjoint, qui se construit avec l’équipe soignante, souvent en centre médico-psychologique (CMP). Plus centré sur la gestion des crises, il permet de réfléchir à froid à ce que l’on voudrait — ou pas — si la situation devenait plus compliquée. C’est une co-écriture : l’équipe propose, la personne ajuste, et ensemble, on trace une feuille de route. Enfin, un autre format se déploie dans certains hôpitaux : les DAIP, directives anticipées co-construites avec un médiateur de santé pair. À la différence des autres personnes dans les services de psychiatrie, ce sont des personnes qui ont elles-mêmes traversé la psychiatrie, qui se sont formées et qui accompagnent aujourd’hui d’autres personnes qui le vivent. Elles apportent une parole différente, plus horizontale, souvent plus libre. Ce sont elles qui mènent les entretiens, qui aident à poser des mots, à dérouler ce qui parfois reste emmêlé dans la tête.

L’enjeu est toujours le même : écrire quand ça va, pour ne pas être dépossédé quand ça ne va pas. Et parfois, ça donne lieu à des scènes très touchantes : une infirmière qui, sentant une personne glisser, lui rappelle doucement qu’elle avait noté qu’aller au cinéma l’aidait à respirer ; un médecin qui relit avec elle ce qu’elle avait écrit, un jour où elle allait bien, pour mieux entendre ce qu’elle n’arrive plus à dire…

Plein Espoir : Aujourd’hui, plusieurs déclinaisons de Mon GPS existent, pouvez-vous nous en dire plus ?

Céline Loubières : Le premier “Mon GPS” est né en 2019, juste avant la crise du Covid, sous l’impulsion de Psycom. Un document simple, accessible à tous, pour poser ses repères, dire qui l’on est au-delà du trouble, et anticiper ce qu’on souhaite si une crise survient.

Puis d’autres déclinaisons ont vu le jour, pour mieux coller à la diversité des parcours. En 2021, une version a été créée pour les adolescents et les jeunes adultes. Parce que l’entrée dans la vie avec un trouble psychique ne se vit pas de la même manière à 17 ans qu’à 40. Parce que les mots, les inquiétudes, les points d’appui ne sont pas les mêmes. Cette version invite les plus jeunes à se raconter, à poser ce qui leur fait du bien, ce qui les rassure, ce qu’ils ne veulent surtout pas dans les moments difficiles.

Plus récemment, une autre version, moins connue mais tout aussi essentielle, s’adresse aux parents vivant avec un trouble psychique. Né d’un partenariat avec l’Unafam — association engagée aux côtés des personnes vivant avec des troubles psychiques et de leurs proches — ce projet porte une idée forte : rappeler que derrière l’hospitalisation, il y a aussi, parfois, des mères, des pères. Trop souvent, cet aspect est relégué au second plan, comme si la parentalité s’éclipsait dès l’entrée en soins. Mon GPS Parent permet de ne pas oublier. Il invite à nommer les enfants, les liens, les habitudes du quotidien qu’il serait important de préserver. Il permet de dire : voilà ce que vous devez savoir sur mes enfants si je suis hospitalisé·e. Voilà ce qui les aide, ce qui les inquiète, ce qui peut les rassurer. C’est aussi une manière de soutenir la dynamique de rétablissement, en revalorisant le rôle de parent comme une force, un moteur, même dans la traversée des crises. Chaque version est pensée avec les personnes concernées, en collaboration. C’est ce qui fait la force de ces outils : ils ne sont pas plaqués d’en haut, ils sont tissés à hauteur d’humanité.

Plein Espoir : Les DAP sont-elles toujours respectées lorsque la personne concernée est hospitalisée ?

Céline Loubières : C’est peut-être là que les choses se compliquent. Car aujourd’hui, elles ne sont ni encadrées par la loi, ni juridiquement opposables. Ce qui signifie qu’à l’hôpital personne n’a l’obligation de les suivre, même si elles ont été rédigées avec soin. On ne peut pas, par exemple, refuser une mesure de contention en s’appuyant uniquement sur une DAP.

Alors, forcément, cela freine. Certains professionnels disent que ça ne sert à rien et côté usagers, la déception peut aussi être grande : pourquoi prendre la peine d’écrire ce qu’on souhaite, si personne ne s’engage à le respecter ?

Et pourtant. Quand on prend le temps d’écouter, vraiment, les demandes formulées sont loin d’être irréalistes. Les personnes concernées ne réclament ni la lune, ni la fin des soins, ni des passe-droits. Elles demandent, simplement, à être traitées avec un peu plus de considération. Par exemple, ça peut être : Si je dois être hospitalisé·e, je préférerais une chambre seule. Si ce n’est pas possible, alors avec quelqu’un de mon âge. Ou encore : Si je suis hospitalisée, je voudrais pouvoir prévenir rapidement ma diététicienne.”

Après, certaines demandes sont plus complexes. Comme cette femme traumatisée par une injection intramusculaire reçue lors d’une précédente hospitalisation. Dans sa DAP, elle écrivait : “Je refuse tout traitement administré de cette façon.” Une parole forte, qui oblige à réfléchir. Comment, en tant que soignant, éviter de revivre une telle situation ? Quels signaux repérer pour désamorcer la crise en amont ? Que mettre en place pour que l’hospitalisation, si elle devient inévitable, se fasse avec respect et dialogue ?

Ces documents permettent d’anticiper les difficultés. Mais pour cela, encore faut-il que les DAP suivent la personne dans son parcours. Or, bien souvent, elles se perdent entre les services. L’équipe ambulatoire qui connaît bien le patient n’est pas toujours la même que celle de l’hospitalisation. La DAP reste dans un tiroir ou un classeur, au lieu d’être visible dans le dossier médical. C’est là tout l’enjeu aujourd’hui : faire en sorte que ces documents soient intégrés, reconnus, partagés. Que leur contenu circule, de la consultation au service d’urgence, du centre médico-psychologique (CMP) au service fermé. Plusieurs équipes y travaillent activement, avec une ambition claire : faire entrer les DAP dans le parcours de soin comme une évidence.

Plein Espoir : Qu’est-ce que ça change pour les patients et les personnes concernées ? 

Céline Loubières : Tout ce qui permet de fluidifier la communication est une avancée. Et les DAP, c’est exactement cela : un espace pour dire, poser les choses, quand souvent, on ne s’en sent pas le droit. Car dans les faits, beaucoup de personnes n’osent pas s’exprimer sur ce qu’elles vivent. Et trop souvent, les professionnels parlent à leur place, en pensant bien faire.

Avec les DAP, on change de posture. On co-construit. La personne concernée, un soignant, parfois un proche : on s’assied ensemble, on prend le temps. Ce n’est pas un document qu’on remplit à la va-vite en une consultation. Il faut deux, trois, parfois quatre rendez-vous. Car ce n’est pas un formulaire : c’est un cheminement. Une manière d’ancrer les choses, d’y revenir, de faire mémoire aussi. Car ce qu’on n’écrit pas, souvent, s’efface.

Pour les soignants, c’est une autre manière de travailler : en s’appuyant sur le savoir de la personne. Cela oblige à se fédérer, à créer un langage commun. On sort du schéma vertical. On construit une relation de soin où chacun apporte quelque chose. Alors bien sûr, les DAP, ce n’est pas un remède miracle. Mais elles s’inscrivent dans une philosophie plus large : celle du rétablissement. Une approche qui, il y a quinze ans encore, ne concernait qu’un petit noyau convaincu. En 2009, 2010, en France, c’était marginal. Aujourd’hui, c’est mieux diffusé, mieux reconnu. Mais ce n’est toujours pas généralisé. Tout le monde n’y adhère pas, même si les résultats sont là.

Aujourd’hui, je pense que ce genre de dispositifs devraient concerner tout le monde. Bien au-delà de la psychiatrie. Récemment, une amie, atteinte de la maladie de Parkinson, s’en est saisie. Car les enjeux sont les mêmes : comment anticiper, comment exprimer ses besoins quand on sent qu’on perd la main ? Pour Alzheimer aussi. Pour toutes les situations où la parole peut vaciller. Où les soins s’imposent sans toujours s’ajuster à la personne. Dans l’idéal, chacun devrait avoir sa forme de directive anticipée en cas d’hospitalisation. Une trace, un repère, une voix qu’on laisse à disposition pour les jours plus compliqués. Ce n’est pas une contrainte, c’est une main tendue entre les étapes du soin. Un filet de sécurité. Une mémoire partagée.

Jusqu’où s’impliquer dans l’accompagnement et les soins de son enfant ? 

Être parent d’un enfant concerné par un trouble psychique, c’est souvent devenir, presque malgré soi, un maillon du soin. On remarque les premiers signes, on s’inquiète, on cherche un nom à la souffrance. On prend les rendez-vous, on accompagne, on raconte ce qu’on a vu, entendu, deviné. Et après ? Jusqu’où faut-il – ou peut-on – s’impliquer ? Quel espace laisser à l’enfant ou au jeune adulte dans les choix thérapeutiques qui le concernent ? Et comment ne pas s’effacer soi-même dans ce rôle ? Pour mieux comprendre ce que cette place implique, Plein Espoir a rencontré Lucile, mère de trois enfants vivant avec des troubles psychiques, et Elisabetta Scanferla, psychologue clinicienne,  docteure en psychologie au GHU Paris psychiatrie & neurosciences. L’une témoigne de ce que signifie accompagner au quotidien, l’autre apporte des éléments de compréhension du rôle parental dans le soin. Ensemble, elles tracent les contours d’un équilibre fragile mais possible.

La première fois que Lucile a poussé la porte d’un cabinet, c’était pour Marie, sa cadette. À l’école, les lettres se confondaient, les lignes sautaient, l’écriture s’éparpillait. Les devoirs tournaient court, la petite fille fondait en larmes. « On a découvert qu’elle avait une dyslexie, puis une dysorthographie et une dysgraphie », se souvient la maman. L’orthophonie ne suffisait pas. Alors Lucile a cherché ailleurs. Une psychomotricienne. Puis une ergothérapeute. « L’écriture restait un frein. On avait l’impression de ne pas avancer. Et elle perdait confiance en ses capacités. » Peu après, c’est Julie, la petite dernière, qui a reçu un diagnostic de trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Camille, l’aînée, a été la dernière à mettre des mots sur ses difficultés. Le diagnostic est arrivé tard : un trouble du spectre de l’autisme.. Pourtant, à force de tout compenser, de faire comme si de rien n’était, Camille a fini par s’épuiser. Et les troubles psychiques sont apparus, en silence, par-dessus le reste. « Elle a toujours su compenser, mais à force de tenir, elle a fini par s’effondrer », explique Lucile.

Trois enfants, trois parcours et cette même mécanique qui se met en marche : anticiper, chercher, relancer, coordonner. Trouver les bons professionnels, recroiser les diagnostics, transmettre les bilans, expliquer, encore. À force, Lucile est devenue l’architecte silencieuse de l’accompagnement de ses filles. Une présence discrète, mais permanente. « Ensuite, j’ai proposé à mon conjoint qu’on fasse un bilan neuropsy à Marie, ma deuxième, pour mettre en lumière ses forces, pas seulement ses manques. Juste pour qu’elle voie qu’elle est capable. » Parce qu’à force de passer d’un cabinet à l’autre, on finit par ne plus voir que ce qui cloche. Lucile le sait, elle n’est pas soignante, mais elle tient les rênes. Par nécessité. Face à des équipes parfois dépassées, ou peu formées aux troubles du développement, la maman a appris à décoder les signes, à poser les bonnes questions, à traduire pour ses filles ce qu’on n’explique pas toujours bien. « Et franchement, je regrette qu’à l’époque on n’ait pas insisté davantage, nous dit-elle. On était déjà tellement épuisés à creuser, à chercher partout… Mais, j’aurais aimé savoir ça plus tôt. »

Ce que Lucile décrit, beaucoup de parents le vivent : ce sentiment de devoir porter le soin à bout de bras, de devoir à la fois comprendre, choisir, accompagner… sans trop savoir jusqu’où aller. Alors, quelle est la juste place du parent dans un parcours de soin ? Comment accompagner sans empiéter sur l’espace de leur enfant ? Et à quel moment doivent-ils, aussi, penser à se préserver ?

Ne pas oublier de prendre du temps pour soi


Elisabetta Scanferla, psychologue clinicienne au GHU Paris psychiatrie & neurosciences, connaît bien cette mécanique dans le contexte des troubles psychiques : des parents qui s’investissent sans compter, parce qu’il faut que ça avance, parce que personne d’autre ne le fera à leur place. « Ils deviennent les relais du soin, les interprètes du quotidien. Ils contribuent à  la cohérence du parcours de soins. Mais cela a souvent un impact sur leur propre équilibre. »Elisabetta Scanferla, psychologue clinicienne au GHU Paris psychiatrie & neurosciences, connaît bien cette mécanique dans le contexte des troubles psychiques : des parents qui s’investissent sans compter, parce qu’il faut que ça avance, parce que personne d’autre ne le fera à leur place. « Ils deviennent les relais du soin, les interprètes du quotidien. Ils contribuent à  la cohérence du parcours de soins. Mais cela a souvent un impact sur leur propre équilibre. »

Elle parle d’un repli progressif, presque imperceptible au début. On annule un rendez-vous pour caser une séance d’orthophonie. On travaille tard le soir pour rattraper une journée passée dans les salles d’attente. Et puis on oublie de prendre soin de soi. « Sur le moment, on pense que c’est temporaire, que c’est normal. Mais la temporalité du soin, quand il s’installe dans la durée, peut finir par empiéter sur le reste. » Et cette invisibilité-là, elle peut coûter cher. « Certains parents développent des troubles anxieux ou dépressifs. Des épuisements sévères, qui s’installent en silence. » Parce que tout leur être est absorbé par les besoins de leur enfant, et qu’ils n’ont plus de lieu à eux, plus de respiration.

Pourtant, insiste-t-elle, prendre du temps pour soi n’est pas un luxe, c’est une condition de l’accompagnement. « Pour pouvoir être là dans la durée, pleinement présent, il faut pouvoir se reposer, respirer, exister, aussi en dehors du soin. Ce n’est pas tourner négliger son enfant, c’est rester capable de l’accompagner autrement — plus solidement, plus durablement. » Et surtout, ne pas culpabiliser. « C’est souvent ce que j’entends : « Si je m’arrête, si je pense à moi, je les laisse tomber. » Mais c’est l’inverse. Un parent qui tient, c’est un socle. Et ça, c’est ce dont l’enfant a le plus besoin. »

Avec les années, Lucile a appris à ne plus tout porter, tout le temps. « Aujourd’hui, on jongle entre ce qui est vraiment important, ce qu’on ne peut pas lâcher, et ce sur quoi elles ont une certaine marge de manœuvre. » Mais aussi, avec son compagnon, ils ont posé des repères, des garde-fous. Des espaces rien qu’à eux, à préserver coûte que coûte. « Par exemple, dans quinze jours, on partira tous les deux, rien que nous deux. On a tout organisé pour que les enfants soient chez des amis. C’est une règle absolue pour nous : chaque année, on se réserve une semaine et un week-end en amoureux. C’est non négociable. » Un rituel fragile mais nécessaire. Une façon de dire que tout ne repose pas uniquement sur leurs épaules, que la vie de couple, elle aussi, mérite d’être protégée. Pour tenir. Et pour continuer à accompagner leurs filles, main dans la main.

Respecter la parole de l’enfant, faire confiance aux soignants

Après, Lucile le reconnaît : lâcher prise, ce n’est pas simple. Surtout quand on a dû, pendant des années, insister pour être prise au sérieux. Quand chaque avancée a demandé de convaincre, de justifier, de chercher seule. Dans ces conditions, la méfiance finit par s’installer. Alors on reste en alerte. On veut tout suivre, tout comprendre, s’assurer que rien ne nous échappe. « Il y a eu des moments où je posais trop de questions, admet-elle. C’était pas contre elles, c’était par peur de passer à côté. »

Mais à mesure que ses filles grandissent, Lucile apprend à se tenir un peu en retrait. À respecter ce qu’elles choisissent — ou non — de partager avec elle. « Parfois, elles ne me disent rien. Je prends sur moi. Je leur dis juste que je suis là, si un jour elles veulent en parler. » Sur les décisions importantes, en revanche, tout se discute en famille. « Oui, il y a des choses qui ne sont pas négociables, des choix où, vraiment, leur bien-être prime. Mais la plupart du temps, les décisions sont prises ensemble, de façon collégiale. Après tout, c’est leur vie, et il est important qu’elles aient leur mot à dire. »

Elle repense à sa deuxième fille, qui s’est effondrée il y a quelques mois. « La psychiatre a recommandé une hospitalisation. On a refusé. On a accepté les antidépresseurs, mais on a préféré la garder à la maison, jour et nuit. Et même si on suit généralement les recommandations des professionnels, cette fois-ci, je crois qu’on a bien fait. Elle s’est relevée comme ça. » Elle marque une pause : « Chaque décision est une réflexion. Rien n’est évident. »

Le cap des 18 ans, une rupture brutale pour les parents


Elisabetta Scanferla accompagne des adultes — parfois juste majeurs. Même si les enfants ne sont pas au cœur de sa pratique, elle le constate régulièrement : le passage à l’âge adulte constitue un moment difficile pour les familles. Jusqu’à 18 ans, les parents peuvent assister aux entretiens médicaux, poser des questions, suivre les soins au plus près. Et puis, cela s’arrête soudainement. À partir de sa majorité, le secret médical s’applique à un jeune adulte. Le professionnel de santé ne peut communiquer d’informations médicales à un tiers, y compris aux parents, que si la personne majeure donne son consentement explicite. Le secret médical s’applique à la famille si leur proche n’autorise pas la présence de ses parents lors d’un entretien médical. Les proches-aidants se retrouvent tenus à l’écart. Une bascule souvent incomprise et vécue comme brutale. « Ils ont été présents dans les soins jusque-là, leur enfant vit encore sous le même toit, et soudain, ils se sentent écartés », explique-t-elle.

Son rôle consiste alors à poser un cadre. Expliquer que cette coupure n’est pas une décision médicale arbitraire, mais une obligation légale. Et que certains échanges restent possibles, avec l’accord du patient, notamment sous forme d’entretiens familiaux. Elle prend aussi le temps de répondre aux questions très concrètes : les soins, les symptômes, les modalités d’une hospitalisation. Ce travail d’explication est essentiel pour contenir l’angoisse, éviter que les familles se sentent reléguées au second plan. « Quand on leur dit ce qui peut être partagé, ce qui ne peut pas l’être, tout en respectant la loi, ça change leur posture. Ils repartent un peu plus apaisés, un peu mieux outillés pour continuer à soutenir leur proche dans la durée. »

Le savoir expérientiel : quand l’expérience du parent éclaire le soin

Ce que vivent les parents d’enfants atteints de troubles psychiques ne se trouve dans aucun manuel. Et pourtant, leur expérience constitue un savoir à part entière. Un savoir invisible, mais précieux. C’est ce qu’on appelle le savoir expérientiel — celui de celles et ceux qui vivent avec la maladie ou aux côtés de la personne concernée. « Il existe d’un côté le savoir académique des soignants, et de l’autre, celui du quotidien : ce que les proches observent, traversent, ajustent jour après jour, précise Elisabetta Scanferla. Ce savoir-là est essentiel, dans les phases de transition, au début d’un nouveau traitement et tout au long du parcours de soin et de rétablissement de la personne. »

Pour ne pas perdre cette mémoire familiale en chemin, certains établissements proposent des entretiens familiaux d’accueil. Des temps encadrés, en présence du patient, où les proches peuvent partager leur connaissance du trouble, transmettre des éléments clés, poser leurs questions. Une manière d’articuler les expertises, sans confisquer la parole de la personne concernée. Mais pour Elisabetta, il ne s’agit pas simplement « d’inclure les proches » dans le soin. « C’est un mot qui me gêne un peu, je préfère dire qu’il s’agit de reconnaître leur rôle et de les accompagner dans ce qu’ils vivent. Ce soutien-là, quand il est bien pensé, est essentiel pour tout le monde : pour la personne en souffrance, mais aussi pour ses proches. »

Parents et soignants : avancer ensemble, sans s’oublier

Travailler main dans la main avec les soignants, sans s’oublier. Faire confiance, peu à peu. Et apprendre à lâcher. Lucile le sait bien : quand on a un enfant qui vit avec un trouble, on devient vite le relais, le traducteur. On accompagne, on anticipe, on soutient. Et puis un jour, on comprend. Qu’on ne pourra pas tout suivre, tout retenir, tout contrôler. Qu’il faudra, parfois, laisser faire.

Les enfants grandissent. Ils trouvent leurs propres mots, leurs propres silences. Il y a des décisions qu’ils veulent prendre seuls, des choses qu’ils ne veulent plus partager. Alors, il faut parfois se contenter de dire : je suis là, si tu veux. On n’est plus au centre, mais pas tout à fait en dehors. Juste à côté. « Je me suis longtemps dit que c’était à moi de tout porter, confie Lucile. Et puis j’ai compris qu’on ne tient pas comme ça. Qu’on ne peut pas les aider si on s’oublie complètement. » De toute façon, on ne peut pas être partout. On ne peut pas, tout le temps, tout porter. Et ce n’est pas un échec. C’est simplement le signe que le soin s’inscrit dans la durée. Qu’il faut tenir. Et pour tenir, il faut des alliés. Des soignants qui écoutent, qui reconnaissent le savoir discret de ceux qui vivent à côté, au plus près. Des professionnels qui savent aussi poser des repères, protéger les espaces de chacun, préserver les places.

Dans les troubles du développement et psychiques, il y a des allers-retours, des doutes, des choix difficiles. On fait au mieux, avec ce qu’on sait, ce qu’on ressent. On pèse les bénéfices et les risques, on se trompe peut-être, on avance quand même. Parce qu’il faut bien décider. Parce qu’aimer, c’est aussi avancer dans l’incertitude.  Et c’est sans doute là que réside l’essentiel : dans ce lien fragile, mouvant, imparfait, mais profondément humain. Dans cette façon d’accompagner, jour après jour, sans avoir toutes les réponses. Juste la présence, la constance, et ce mélange de force et de doute qu’on appelle parfois, être parent.

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Troubles psychiques et parentalité : accompagner le rétablissement de son enfant à son rythme


Quand on devient parent, on imagine un chemin pour son enfant. On souhaite qu’il ne manque de rien, bien sûr, mais surtout qu’il apprenne à faire seul, à tracer sa voie dans un monde qu’on sait parfois difficile. Mais il arrive que les troubles psychiques viennent bouleverser l’équation. Tout semble aller bien, et soudain, sortir de sa chambre, se laver, prendre un bus deviennent des épreuves. Et face à cela, on s’inquiète, on s’épuise, on s’agace aussi. Il faut alors apprendre à voir les choses autrement. À ne plus regarder son enfant à travers ce qu’il devrait faire, mais à travers ce qu’il essaie, à son rythme. Valérie et Nadia ont accepté de nous raconter le chemin parcouru avec leurs filles, Audrey et Sarah. L’une vit avec un trouble anxieux généralisé, l’autre avec un trouble du spectre de l’autisme. Deux histoires pleines de doutes, d’ajustements et de petits pas qui finissent par compter.

Être parent, c’est souvent projeter un parcours fantasmé sur son enfant, sans même s’en rendre compte. On imagine nos enfants débrouillards, entourés, pleins d’envies. On croit, à tort, qu’un amour immense suffira à les mettre à l’abri, à les protéger de tout. Alors on trace dans sa tête une ligne droite, pavée d’étapes rassurantes : des copains, le bac, des trajets en autonomie, un premier job, peut-être. On se dit que ça viendra, naturellement. Que c’est comme ça que ça doit se passer. Mais parfois, le scénario déraille. Il faut alors apprendre à marcher à petits pas, rester liés, même quand il faut accepter de renoncer à certaines choses.

Quand les gestes les plus simples deviennent des sommets à gravir


Valérie se souvient de l’enfance d’Audrey comme d’un grand ciel bleu. Une petite fille vive, bavarde, le rire facile, le regard toujours tourné vers les autres. À l’école, tout se passe bien. Elle aime apprendre, elle est entourée. Adolescente, elle sort beaucoup, elle vit fort. Bien sûr, il y a déjà quelques ombres, mais c’est normal à cet âge-là. Audrey a toujours eu peur de la maladie. Par exemple, dès qu’un camarade vomit, elle s’enfuit. Pour elle, c’est la pire chose au monde, une panique incontrôlable. Et puis, elle n’aime pas trop le changement. Il suffit de changer de place un meuble dans sa chambre pour qu’elle perde le sommeil. Elle a besoin de cadres, d’être sûre que les gens l’aiment, qu’ils ne vont pas partir.

À dix-huit ans, elle tombe enceinte. Un oubli de pilule, comme si elle ne mesurait pas encore que son corps est devenu celui d’une femme. Pour Valérie, le choc est double. Une semaine plus tôt, elle a appris qu’elle avait un cancer du sein. C’est trop d’informations en même temps. Alors elle fait un choix qu’elle traîne encore avec elle : elle part quelques jours de la maison, laisse son mari s’occuper de sa fille. « J’étais vidée, lessivée… J’avais l’impression que tout s’effondrait en même temps, mon corps, ma fille, nos repères. J’ai fui. C’est dur à dire, mais c’est ce que j’ai fait. »

Après cet événement, tout semble reprendre sa place. Audrey poursuit ses études. Mais un an plus tard, le jour anniversaire de l’avortement, la jeune femme fait une crise de panique dans le métro. Elle est en sueur, son cœur s’emballe, elle a l’impression qu’elle va mourir. Par chance, une amie la ramène chez elle. À partir de ce jour-là, tout change. Dès qu’elle sort de son lit, ses mains tremblent. Son cœur cogne trop fort. Elle n’arrive pas à expliquer ce qui lui arrive, et Valérie, elle, ne sait plus comment l’aider. « Elle, qui était si libre, si pleine d’élan, ne savait même plus comment se lever. Je ne comprenais pas. C’est pourtant pas si difficile de se lever, je l’ai fait quand j’étais malade. Au début, je pensais que c’était une mauvaise passe. Mais ça ne passait pas. » Pour la mère de famille, c’est comme si un voile était tombé sur sa fille. Un voile dont elle ne connaissait ni la texture, ni les bords. Au bout de quelques mois, le psychiatre qui suit Audrey parle de trouble anxieux généralisé.

Une petite fille différente qui cumule les troubles

Pour Nadia, l’histoire est différente. Elle a longtemps pensé que sa fille était originale. Une petite fille pleine d’imagination, avec ses obsessions passagères et ses peurs minuscules. Un jour, c’était les papillons. Le lendemain, les fourmis. En famille, on en riait tendrement. « Sarah est fofolle », disait-on, comme une façon de ne pas s’inquiéter. Mais Nadia, elle, sentait bien qu’il y avait quelque chose. Sa fille était maladroite, certaines choses lui semblaient impossibles. Les lacets, les ciseaux, le coloriage. Elle découpait toujours de travers, dessinait comme elle pouvait. Elle avait du mal à situer son corps, à se repérer dans l’espace. Avec le temps, un mot a fini par mettre un nom sur ce flou : dyspraxie. Et puis un autre : dysgraphie.

À l’école, les jeux de balles étaient un cauchemar. Elle n’attrapait rien, n’envoyait rien. Écrire lui faisait mal. Sarah serrait son stylo trop fort. « Un jour, en CP, elle avait mal découpé un exercice. Je croyais qu’elle s’en fichait. Je lui ai demandé de recommencer. Mais elle n’y arrivait pas. Et moi, je croyais qu’elle faisait exprès. » Il y a aussi eu les devoirs, les cahiers. À cause de la dysgraphie, son écriture était tremblante, désordonnée. Nadia déchirait les feuilles, pensant que ce n’était pas assez soigné. « Je voulais l’aider à progresser… mais avec le recul, je vois que je l’épuisais. » Le collège est arrivé. Avec lui, l’anxiété. Sarah parlait très vite, trop vite. On ne la comprenait pas toujours. Alors Nadia l’a amené voir une orthophoniste qui leur a expliqué que ça pouvait être lié à la dysgraphie. Quelques mois après sa rentrée en sixième, une prof lui reproche d’avoir mal colorié une carte de géographie. Elle lui dit qu’elle n’a pas fait d’effort. Alors, les fois suivantes, l’adolescente demande à son petit frère de le faire à sa place. Sarah se sent nulle. Inadaptée.

Un jour, un exercice d’alerte attentat a tout fait basculer. Une simple simulation, mais pour elle, un vrai traumatisme. Coincée sous une table, compressée contre les autres, persuadée que c’était réel. Depuis, chaque bruit violent — marteau-piqueur, sirène, portière qui claque — ravive cette peur. Son corps se souvient, comme si l’alerte ne s’était jamais arrêtée. Nadia a cherché de l’aide. Psychologues, thérapies. Mais souvent, on cherchait à éteindre les feux un par un, sans jamais regarder l’ensemble. La maman, elle, voyait bien que quelque chose persistait. Sa fille parlait d’une « batterie sociale » qu’il fallait recharger, seule, après chaque interaction. À la fin du lycée, un nouveau mot vient enfin se poser sur ce que vit Sarah : trouble du spectre de l’autisme (TSA). Une explication, oui — mais aussi tout un monde à réapprendre.

Composer avec l’imprévu, les retours en arrière, avec cette lenteur qu’on n’avait pas choisie


Quand Audrey fait une crise d’angoisse, Valérie fait ce que font tant de mères. Elle prend sa fille dans ses bras, lui murmure que ça va passer, que ce n’est qu’une mauvaise période. Elle veut y croire. Mais au fond, une inquiétude grandit. Quand les jours passent, puis les semaines, sans amélioration, cette inquiétude devient vertige. Audrey a mis ses études entre parenthèses, incapable même de descendre seule au coin de la rue. « Je voulais l’aider, mais je ne savais plus comment. Elle avait peur de tout, tout le temps. Je me disais qu’elle avait besoin d’un cadre, d’un lieu où on saurait faire mieux que moi. Et c’est vrai que j’arrive plus vraiment à la regarder comme avant. Elle était si différente » Les crises d’angoisse d’Audrey sont quotidiennes. Les médicaments, prescrits à la va-vite, ne l’apaisent que brièvement. Valérie fait de son mieux, mais elle perd patience. Parfois, elle s’énerve. « Je me disais : ce n’est pas possible, elle va finir folle… Et je n’arrivais même pas à dire ce mot sans culpabilité. » Le lien entre elles devient fragile, tendu, tissé d’amour et d’impuissance.

Alors,Valérie décide de reprendre les choses en main. Pas de manière brutale, non. Mais avec une méthode, une stratégie maison, bricolée à l’intuition : fixer des objectifs, même minuscules. « Si tu vas jusque-là, il se passera ça. Tu auras droit à ça. » Une façon d’ancrer le progrès dans quelque chose de positif. « J’ai compris qu’elle avait besoin d’un cadre, mais surtout d’un horizon. Juste un petit plaisir au bout de l’effort. » Audrey joue le jeu. Elle avance à pas minuscules, parfois en arrière, parfois sur le côté. Et un jour, elle réussit. Trois stations de métro. Seule. Le cœur tambourine, les mains tremblent, mais elle tient.
Valérie retient ses larmes. « J’avais l’impression qu’elle venait de gravir l’Everest. Pour moi, c’était immense. » Ce petit exploit change la dynamique. Audrey retrouve un peu d’élan, un peu de confiance. L’idée de reprendre le chemin de l’école ne semble plus si lointaine. Elle n’est pas guérie, non. Mais elle n’est plus figée. Et ça, c’est déjà beaucoup.

Des stratégies pour avancer ensemble

Quand le diagnostic de trouble du spectre autistique est tombé, Nadia s’attendait à des larmes, peut-être même à de la colère. Mais au fond, sa fille savait. « Mettre un mot, c’est parfois arrêter de se sentir décalée sans raison. Quand on comprend enfin ce qui se passe, on peut chercher des solutions. » Et c’est ce qu’elles ont fait, toutes les deux. Trouver des systèmes, des astuces, des façons de rendre le quotidien plus facile.

Pour la douche, par exemple. Sarah pouvait y rester quarante minutes, sans s’en rendre compte. Elle se perdait dans ses pensées, dans la sensation de l’eau. Alors une idée a émergé : les chansons. Une chanson pour une douche rapide. Deux ou trois si elle doit se laver les cheveux. Elle met sa playlist, et le temps s’organise tout seul. « Avec la musique, elle sait où elle en est. Et nous aussi. »

Même en études supérieures, le stress des devoirs reste une zone sensible. Le lundi soir, surtout, quand tout s’accumule. Alors Nadia s’assoit encore parfois à côté d’elle. Ensemble, elles listent, hiérarchisent, découpent la semaine. « Une fois que tout était posé, elle respire mieux. Elle a besoin de savoir, de visualiser. C’est sa façon à elle de reprendre la main. » Rien n’est simple, mais rien n’est figé non plus. Chaque solution trouvée ressemble à une petite victoire. Mais ça ne fonctionne pas toujours. Les jours de fatigue, de surcharge ou d’anxiété diffuse, c’est comme si tout s’effondrait d’un coup. Comme un grand retour en arrière, imprévisible et décourageant. Pour Nadia, ces moments-là sont les plus durs. Elle a l’impression d’avoir tout mal fait, de ne pas savoir comment l’aider. « Je me dis que je m’y suis mal prise… que j’ai raté quelque chose. »

Comprendre que grandir, c’est parfois apprendre à faire moins, mais mieux

Aujourd’hui, Audrey a terminé ses études. Elle travaille dans le service communication d’une association. Elle a quitté la maison, doucement, par étapes. Elle vit à quelques rues seulement de chez ses parents. Comme un entre-deux rassurant. « Comme ça, si ça ne va pas bien, elle peut venir. Elle sait qu’on n’est jamais loin. »

Tout n’est pas parfait, bien sûr. Audrey a choisi un travail proche, pour éviter les transports. Elle ne sort jamais sans son médicament au fond du sac, comme un filet de sécurité. Elle ne prend pas l’avion, renonce parfois à certaines escapades, certains projets. Mais elle vit. Presque comme les autres filles de son âge. Et ça, Valérie le vit comme une victoire. Elles ont gardé un réflexe, toutes les deux : célébrer chaque petite avancée. Un repas, une attention, un mot doux. Parce que rien ne va de soi, et que tout progrès mérite d’être vu, nommé, partagé.

Valérie aurait voulu que sa fille ne perde pas de temps, qu’elle profite davantage de ses vingt ans. « Parfois, je suis triste qu’elle ait été obligée de passer par là, mais c’est une super femme et je suis très fière d’elle. » Ces épreuves, elles ne les ont pas seulement traversées. Elles les ont partagées. Et dans les creux, dans les silences, dans les tâtonnements, un lien s’est renforcé. Plus solide. Plus doux, aussi.

De son côté, Sarah est en deuxième année de licence. Elle aime ce qu’elle fait, elle s’y sent bien. Ses journées sont rythmées par des rituels qu’elle a elle-même construits. Dans l’autisme, ces routines ne sont pas des détails : elles organisent le monde, le rendent un peu plus prévisible. Sarah a ses propres repères, ses stratégies et Nadia les respecte.

Comme le diagnostic est arrivé tard, Nadia et son compagnon ont longtemps insisté pour que leur fille “fasse comme les autres”. Qu’elle tienne bon, qu’elle dépasse ses blocages. Même après que le mot ait été posé, ils n’ont pas relâché l’effort. « Quand elle est partie faire un stage à l’étranger, elle a failli rentrer au bout de quelques jours. Elle était en panique. Elle voulait tout arrêter. Je lui ai dit : si tu ne tiens pas ces trois mois, il faudra peut-être repenser tout ton projet professionnel. » Sarah a tenu. Il a fallu du temps, des ajustements, beaucoup de solitude. Mais elle est restée. Et elle est rentrée changée. Fière d’elle. « Ce n’était pas parfait, mais elle l’a fait. Et maintenant elle sait qu’elle en est capable. »

Aujourd’hui, Nadia regarde sa fille avancer autrement. Avec plus de conscience, plus d’autonomie. Elle a appris à lâcher prise. Certaines choses prendront du temps. D’autres ne viendront peut-être jamais. « Ce n’est pas grave. On fait avec. De toute façon, personne ne sait tout faire. »

Des stratégies pour avancer ensemble

Au début, Valérie et Nadia ont cherché des explications. Elles ont voulu comprendre, corriger, accélérer. Elles ont espéré que ce n’était qu’un détour, qu’un pli passager dans l’histoire de leurs filles. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Il a fallu du temps pour nommer les choses, et encore plus pour les accepter. Pour cesser de vouloir réparer. Pour apprendre à faire avec. Peu à peu, les deux mamans ont changé de posture. Elles ont compris qu’il ne s’agissait pas de tirer, mais d’ajuster. D’apprendre à accompagner autrement. Ça ne s’est pas fait en un jour. Il a fallu de la patience. Et des renoncements, aussi.

Audrey et Sarah avancent à leur rythme. Avec des limites, des stratégies, des jours sans. Et malgré tout, une force tranquille. Valérie et Nadia, elles, ont appris à rester à leurs côtés. Présentes sans brusquer. À aimer sans conditions. Ce qu’elles ont gagné en chemin — la confiance, la complicité, ce lien tissé au fil des épreuves — vaut peut-être plus encore que ce qu’elles avaient imaginé.

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Troubles psychiques et parentalité : éviter la surprotection, réapprendre la liberté


Protéger son enfant, c’est un réflexe. On veut qu’il aille bien, qu’il se sente aimé, entouré, stimulé. On s’inquiète quand quelque chose ne va pas, on essaie de tout faire pour l’aider. Mais quand les troubles psychiques viennent perturber l’équilibre, il devient facile d’en faire trop, sans même s’en rendre compte. On veut éviter qu’il se sente à part, qu’il souffre du regard des autres ou du manque de lien social. On cherche à le rassurer, à tout prix. Pour beaucoup de parents, c’est là que commence une sorte d’équilibre fragile : comment préserver son enfant sans le surprotéger ? Comment l’accompagner en lui laissant suffisamment d’espace pour qu’il réussisse à s’accomplir ? Pour mieux comprendre ce que vivent les familles au jour le jour, Plein Espoir a rencontré Frédéric, père d’une adolescente haut potentiel, touchée par un trouble borderline et des troubles alimentaires, et Carole, maman d’une jeune adulte qui vit avec un trouble schizophrénique

Marie a toujours été une enfant différente. À cinq ans, elle avait déjà sauté deux classes. Elle s’ennuyait en cours, apprenait vite, mais restait seule. Première de la classe, oui, mais mise à l’écart par les autres enfants. « Contrairement à ses sœurs, elle n’a jamais été invitée à un anniversaire », nous raconte Frédéric, son père. Alors, avec son ex-compagne, ils ont essayé de compenser. Ils étaient très présents, faisaient beaucoup d’activités avec elle, pendant que les deux autres filles jouaient avec leurs amis. À l’adolescence, elle est victime de harcèlement. « À la fin du collège, elle a commencé à être harcelée. Elle ne nous disait rien, mais un jour, ma femme a vu qu’elle se scarifiait les cuisses. Elle nous a montré les messages », nous confie-t-il. Frédéric l’emmène consulter plusieurs spécialistes. Mais face aux médecins, Marie masque tout. Elle sourit, minimise, joue le jeu. Les semaines passent, puis une nuit, la plus jeune de ses sœurs la retrouve inconsciente dans la salle de bain, les bras en sang. Marie est hospitalisée plusieurs mois dans un service psychiatrique pour enfants. « Au début, on ne pouvait pas la voir. Puis, après quelques semaines, on a eu le droit de passer juste quelques heures avec elle. »

Protéger à tout prix


Depuis sa chambre d’hôpital, l’adolescente commence à demander à ses parents d’apporter certains objets, de lui acheter des choses qui lui font plaisir. Aussi, elle devient très sélective sur ce qu’elle accepte de manger. Avant, elle goûtait à tout, sans vraiment faire d’histoire. Désormais, seuls quelques aliments trouvent grâce à ses yeux. « Quand ton enfant a frôlé la mort, même si tu ne sais pas vraiment si c’était un appel à l’aide ou une vraie volonté de partir, tout s’effondre et tu passes tous ses caprices, raconte Frédérique, la voix posée. Tu n’arrêtes pas de te demander ce que tu n’as pas vu, ce que tu aurais pu faire autrement. Tu te dis que c’est de ta faute. Et tout ce qui comptait avant – ton boulot, tes amis, ta vie de couple – passe au second plan. Il ne reste que ça : la peur qu’elle replonge. Et ce besoin de la voir tenir debout. » Quand Marie obtient l’autorisation de rentrer une journée en famille, la maison se transforme en zone sous haute surveillance. Frédéric cache tout ce qui pourrait blesser : les ciseaux, les couteaux, même les objets les plus anodins sont rangés hors de vue. Marie dit qu’elle étouffe un peu. Qu’elle aimerait avoir un peu d’air. Mais pour ses parents, détourner le regard, ne serait-ce qu’une seconde, est impossible.

Pour Carole, la situation est un peu différente. Sa fille a commencé à avoir des problèmes quand elle est partie du cocon familial pour faire ses études. « Léa a rapidement perdu le lien avec ses amis d’enfance, elle ne s’en est pas fait de nouveaux. Quand elle rentrait le week-end, je la trouvais changée. Elle avait pris du poids, ses cheveux n’étaient pas toujours propres, elle restait enfermée. Et puis… à vingt ans, normalement, on a envie de sortir, de faire la fête non ? », nous dit Carole, d’une voix douce. La mère de famille pense d’abord à une petite déprime passagère, comme tant d’autres à cet âge. Elle ne s’imagine pas qu’il puisse s’agir de quelque chose de plus profond. Jusqu’à ce jour, quelques mois plus tard, où tout bascule. Alors qu’elle est en vacances avec son mari, son téléphone sonne. Les gendarmes lui expliquent que sa fille, après une fête de famille, n’est pas rentrée chez elle. Elle a été retrouvée à errer dans un village sans savoir où elle se trouvait. Mais surtout, elle n’arrive plus à distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Carole et son compagnon font plus de 500 kilomètres pour la rejoindre. « Quand Léa a été conduite à l’hôpital, les médecins lui ont donné un anxiolytique. Elle s’est sentie un peu mieux, plus calme », raconte Carole. Sa fille lui a demandé de rentrer à la maison. De retour dans le foyer familial, Carole pousse sa fille à venir manger à table, à reprendre un rythme normal, à dormir la nuit comme avant. Elle essaie de recréer un cadre, de remettre un peu d’ordre, comme si cela pouvait suffire à ramener sa fille à elle. Elle ne sait pas encore qu’elle est dans une réalité qui lui échappe et qu’il faut lui laisser de l’espace. Très vite, son état se dégrade. Léa est envahie par des angoisses de mort difficiles à apaiser.

Quatre mois plus tard, alors qu’elle est suivie en hôpital de jour, le diagnostic de schizophrénie est posé. Par chance, Carole trouve la formation Profamille, un programme de psychoéducation destiné aux proches de personnes vivant avec des troubles psychiques. « Au début, je culpabilisais beaucoup. Je me disais que je n’avais pas vu les signes assez tôt. Et cette question me hantait : qu’est-ce qu’elle fera quand on ne sera plus là ? » La formation lui permet de trouver des outils concrets pour mieux comprendre, mieux réagir en cas de crise, maintenir le lien sans se perdre. « On m’a expliqué que ce n’était pas de ma faute. Que c’était une maladie du cerveau. Et ça, ça change tout. On m’a redonné une forme de pouvoir d’agir. J’ai compris qu’il fallait que j’arrête de vouloir tout le temps la prendre dans mes bras quand elle n’allait pas bien, que je lui laisse de l’espace. »

Faire confiance à nouveau, pas à pas

Quand Marie sort de l’hôpital, Frédéric et sa compagne ne sont pas d’accord sur la manière d’accompagner son retour. Lui pense qu’il faut réintroduire peu à peu des repères, des habitudes. Elle, de son côté, redoute que la moindre contrariété ne provoque une rechute. Alors, elle cède à tout, sans oser dire non. Mais dans cette maison où chacun marche sur des œufs, ce sont les petits gestes du quotidien qui vont doucement refaire surface. Frédéric commence par demander à sa fille de mettre la table. Ce n’est pas grand-chose, juste une assiette, une fourchette. Puis, elle doit sortir le chien. Le matin, il l’encourage à se lever à heure fixe, même si c’est plus tard que ses sœurs, juste pour redonner un rythme. Parfois, elle proteste. D’autres fois, elle s’exécute, en traînant un peu, mais sans s’effondrer.

« Ce n’était jamais dans la confrontation. C’était toujours par petites touches, pour qu’elle sente qu’elle était capable », explique Frédéric. Peu à peu, Marie reprend des choses qu’elle avait abandonnées : ranger sa chambre, préparer son petit-déjeuner seule, se laver sans qu’on le lui rappelle. Sa mère observe, d’abord inquiète. « Elle avait peur que la moindre contrariété la brise à nouveau. Mais elle a  vu que ces petites contraintes, en réalité, l’aidaientt à se reconstruire. Qu’elle avait besoin de ça pour redevenir elle-même », explique Frédéric. La mère lâche un peu. Elle recommence à poser des limites, à faire confiance aussi, là où il n’y avait que la peur. Marie, de son côté, comprend que ces règles ne sont pas des punitions, mais des ancrages. Et, un jour, elle évoque l’idée de reprendre ses études, à son rythme. La maison n’est plus verrouillée, mais elle n’est plus sans cadre non plus.

Avec le recul, Frédéric mesure à quel point poser un cadre a été déterminant. « Si on avait continué à tout faire pour elle, à la ménager sans arrêt, elle aurait eu du mal à progresser. Elle aurait gardé cette idée qu’elle ne peut pas. Qu’elle a besoin de nous pour chaque chose. » Le choix n’a pas été simple. Il a fallu accepter de prendre des risques, de laisser une part d’inconnu entrer dans leur quotidien. Mais c’est justement cette prise de distance qui a permis à Marie de se réapproprier sa vie, à son rythme. « Bien sûr qu’on a encore peur, qu’on se demande si on verra les signes à temps si quelque chose ne va pas. Mais on ne peut pas l’empêcher de faire ses propres expériences, d’apprendre de ses erreurs, de se confronter aux difficultés. Parce que c’est ça, la vie aussi », dit Frédéric. Il sait que la vigilance ne disparaîtra jamais tout à fait. Que leur regard restera plus attentif, plus inquiet parfois, que pour ses sœurs. « Être tout le temps derrière elle, ce n’est pas lui rendre service. Il faut qu’elle sente qu’on croit en elle. C’est ça qui fait tenir, au fond. Pas la peur, mais la confiance. » Le rétablissement, dans leur famille, a pris la forme d’un pas de côté. Savoir s’éloigner un peu, pour qu’elle puisse avancer seule.

De son côté, Carole apprend une forme de patience qu’elle ne soupçonnait pas. Une vigilance silencieuse, sans contrôle permanent, sans surinterprétation. Elle comprend qu’elle aussi qu’il faut parfois s’effacer un peu, laisser de l’espace, même quand l’angoisse incite à resserrer l’étreinte. Le plus complexe, parfois, c’est que sa fille est adulte. « Une fois, elle m’a dit : maman, je suis majeure et je sens que je suis allée trop loin. C’est là qu’on voit qu’il y a encore un fil, un lien de confiance. » Depuis, elle a trouvé un traitement qui lui convient. Peu à peu, son équilibre s’est stabilisé, et avec lui, une nouvelle forme d’autonomie a émergé. Elle fait les choses à son rythme, mais elle les fait. Cela fait sept mois que la jeune femme ne vit plus chez ses parents. Ce départ, ils l’ont préparé ensemble, pas à pas. Et il a fallu, aussi, que Carole soit prête à ce mouvement-là. « Elle n’est pas loin. Et elle gère très bien. Les papiers, le ménage, le quotidien. Quand quelque chose bloque, on lui montre, on l’accompagne. Mais c’est elle qui fait. » Pour Léa, ce changement est un tournant. Pour ses parents aussi. Cela donne une image positive, une forme de confiance réciproque. Et ça leur permet de retrouver, eux aussi, un peu d’espace dans leur couple, dans leur vie. Socialement, la jeune femme reste très isolée. Pas d’amis de son âge. Ses parents sont ses principaux repères. Cette place, Carole l’assume, mais elle sait qu’il faut veiller à ne pas tout faire à sa place. « Il y a des moments où je me surprends à vouloir la préserver de tout. Elle me demande quelque chose, je dis non, puis je finis par le faire quand même, parce que ça m’inquiète. » Mettre des limites reste un travail constant. Savoir dire : “ça, ce n’est pas pour tout de suite”. Résister à la tentation de compenser la maladie par des petits plaisirs immédiats. Carole et son mari savent qu’il peut y avoir d’autres crises, d’autres hospitalisations. Ils ont appris à vivre avec cette incertitude, à apprivoiser la vie telle qu’elle est, et non telle qu’ils l’avaient imaginée. Et surtout, à marcher à ses côtés, sans chercher à la guider tout le temps. Avec doigté. Avec amour. Avec cette part de flou qu’on ne maîtrise jamais vraiment.

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École et troubles psychiques : le regard d’une AESH et maman concernée

Comment aider un enfant à trouver sa place à l’école malgré ses difficultés ? Comment lui donner confiance en lui et favoriser son intégration sans qu’il se sente stigmatisé ? Derrière ces enjeux cruciaux, les AESH – Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap – ont pour mission d’aider les enfants à gagner en autonomie à l’école. Présents au quotidien, à l’écoute, ils jouent un rôle essentiel, bien qu’encore trop méconnu. Pour mieux comprendre leur quotidien et les défis qu’ils relèvent, Plein Espoir a rencontré Zakya, AESH et maman concernée, qui accompagne depuis plusieurs années des enfants concernés par les troubles psychiques. Forte de son expérience professionnelle et personnelle, elle nous partage son regard sur l’inclusion scolaire, l’importance de la bienveillance et les leviers qui permettraient d’améliorer l’accès à l’éducation au bénéfice de tous.

Plein Espoir : D’après votre expérience, quels sont les principaux défis auxquels font face les familles dont un enfant vit avec un trouble psychique dans son éducation ? Comment se construit votre lien avec les parents ?

Zakya : En tant qu’AESH, nous accompagnons des enfants aux parcours très différents : certains ont un handicap moteur qui limite leur autonomie, d’autres sont sur le spectre autistique ou vivent avec des troubles de l’attention. Lorsqu’on commence à suivre un élève, on sait qu’il va avoir des besoins spécifiques, mais les échanges avec les parents sont limités. Souvent, ils ne parlent pas de toutes les difficultés de leur enfant, alors on les découvre progressivement, en étant à leurs côtés au quotidien. Avec le temps, on comprend leurs défis, leurs angoisses, leurs petits combats de chaque jour.

Ça peut sembler étrange, mais malgré notre rôle central auprès des enfants, nous n’avons pas officiellement le droit de contacter les familles. Les informations nous parviennent uniquement par l’intermédiaire du chef d’établissement. Pourtant, avec le temps, des liens se tissent parfois. Les échanges restent majoritairement centrés sur le suivi médical ou paramédical de l’enfant qu’on accompagne : les rendez-vous chez le pédopsychiatre, les séances d’orthophonie ou de psychomotricité. Après, les parents sont assez fermés concernant tout ce qui se passe à la maison. Dans la plupart des structures, je trouve qu’il manque un vrai espace de collaboration entre parents et AESH, alors que l’on devrait pouvoir unir nos forces autour de l’enfant.

Plein Espoir : Après plusieurs mois, voire plusieurs années d’accompagnement, un lien privilégié se crée avec l’enfant. Les familles en ont-elles conscience ? Le reconnaissent-elles et le valorisent-elles ? 

Zakya : Parfois, oui, certaines familles expriment leur reconnaissance, surtout après une année passée aux côtés de leur enfant. On reçoit des petits mots, des gestes d’attention. Mais souvent, il y a aussi des parents qui restent en retrait. Certains sont encore dans une forme de déni, d’autres ont du mal à mettre des mots sur les difficultés de leur enfant. Cela crée une distance, une réserve dans les échanges, comme si parler du trouble rendait les choses plus réelles. 

Plein Espoir : Quand vous accompagnez un enfant, cela dure combien de temps et sur combien d’heures par semaine ?

Zakya : Tout dépend de la notification de la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH), c’est elle qui détermine le nombre d’heures d’accompagnement accordées à l’enfant. Cela peut être 20 heures, 15 heures, 12 heures… Mais il est très rare que l’on puisse assurer l’intégralité des heures prévues. Par exemple, un enfant qui a une notification pour 15 heures sera accompagné 10 ou 12 heures, et c’est déjà une chance. Il y a une raison à cela : il y a une telle pénurie d’AESH que nous devons nous adapter avec les moyens disponibles. 

Ensuite, la MDPH indique si l’enfant bénéficie d’un AESH individuel ou d’un AESH mutualisé. Dans mon cas, j’interviens en mutualisé, ce qui signifie que j’accompagne plusieurs enfants à la fois. Mais oui, le suivi peut s’inscrire dans la durée. Par exemple, j’ai deux enfants que j’ai connus en grande section et que j’accompagne toujours aujourd’hui, en CM1. C’est précieux de pouvoir suivre les enfants dans le temps, parce que cela nous permet de tisser une vraie relation et de mieux comprendre leurs besoins au fil des années. 

Plein Espoir : Concrètement, comment un trouble psychique impacte-t-il la scolarité et le bien-être des enfants à l’école ?

Zakya : De multiples façons. J’ai eu l’occasion d’accompagner plusieurs enfants avec un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité, et en classe, c’est souvent un défi. Par rapport aux autres élèves, la différence est visible, surtout au niveau de la concentration. Ces enfants ont constamment besoin de bouger, de manipuler quelque chose avec leurs mains. Forcément, cela se répercute sur leurs apprentissages et leurs résultats scolaires.

Certains des enfants que j’accompagne suivent aussi un traitement médicamenteux. Et là, la différence est flagrante : lorsqu’ils arrivent le matin sans avoir pris leur médicament – parce que les parents ont oublié ou parce que l’enfant refuse – ça se ressent immédiatement. Ils sont plus agités, ils ont du mal à tenir en place, ils se lèvent sans cesse, ils peuvent être plus impulsifs. Bien sûr, je le remarque tout de suite et j’en informe l’enseignant. Il ne s’agit pas de stigmatiser l’enfant, mais d’adapter notre approche pour l’aider à traverser sa journée du mieux possible.

Plein Espoir : Quand un enfant devient soudainement très agité, comment faites-vous pour l’apaiser ?

Zakya : En classe, si l’enfant est vraiment trop agité, la meilleure solution est souvent de l’extraire quelques minutes de l’environnement bruyant. Sortir avec lui pour prendre l’air, marcher un peu, échanger quelques mots pour l’aider à retrouver son calme. Dans certaines écoles, il existe des salles dédiées, mais c’est encore assez rare. Quand on en a la possibilité, ces pauses peuvent vraiment faire la différence.

Plein Espoir : Au-delà de l’apaisement des moments d’agitation, comment accompagnez-vous concrètement les enfants dans leur apprentissage ? Travaillez-vous en binôme avec l’enseignant ?

Zakya : J’ai la chance de travailler dans un établissement où le bien-être de l’enfant est vraiment une priorité. Ici, il y a une vraie complémentarité avec les enseignants : on échange beaucoup, on forme une équipe soudée autour de l’enfant, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas ailleurs. Dans certains établissements, les AESH peuvent se sentir mis à l’écart, mais ici, je me sens pleinement intégrée dans une dynamique commune d’accompagnement et de soutien. Dans mon travail, il n’y a pas de méthode unique, parce qu’aucun enfant ne ressemble à un autre. Et puis, il faut dire qu’il n’existe pas vraiment d’accompagnement des enfants en situation de handicap psychique. On apprend donc sur le terrain, on s’adapte en permanence.

Pour moi, l’essentiel, c’est de veiller à ce que l’enfant garde une bonne estime de lui. Je fais tout pour qu’il ne se sente ni exclu, ni stigmatisé par rapport aux autres. En classe, j’adopte une posture très ouverte : je ne me contente pas d’accompagner l’enfant dont j’ai la charge. Si un autre élève me sollicite ponctuellement, je l’aide aussi. En grande section, par exemple, les enfants ne comprennent pas forcément pourquoi je suis là pour un camarade en particulier, alors en donnant un coup de main à tous quand c’est possible, je fais en sorte que mon élève ne se sente pas différent des autres. Au final, mon rôle va bien au-delà de l’accompagnement scolaire : c’est aussi une présence bienveillante, un repère pour que l’enfant puisse avancer avec plus de confiance.

Plein Espoir : Quand vous dites que vous essayez de donner confiance aux enfants, comment procédez-vous concrètement ? Et pour les parents qui n’ont pas encore la chance d’avoir quelqu’un pour les aider, quels conseils pourriez-vous leur donner ?

Zakya : Le plus important, c’est la communication. Beaucoup d’enfants en difficulté peuvent ressentir une certaine timidité, ou avoir l’impression que le regard des autres n’est pas bienveillant. Mon rôle, c’est justement de créer du lien, de veiller à ce qu’ils ne se referment pas sur eux-mêmes, qu’ils restent connectés aux autres.

Concrètement, j’essaie d’initier le dialogue avec leurs camarades, de favoriser les interactions pour qu’ils ne se sentent pas mis à l’écart. Mais c’est aussi beaucoup d’écoute et d’empathie : prendre le temps de parler avec l’enfant, comprendre ses craintes, détecter ses difficultés, mais aussi ses forces. Trop souvent, on se concentre sur ce qui ne va pas. Or, un enfant en difficulté n’a pas que des faiblesses, il a aussi des capacités, des talents. Mon travail, c’est de mettre en lumière ces forces pour qu’il se sente valorisé et qu’il trouve sa place. Après, il n’y a pas de recette miracle. Mais si j’avais un conseil à donner aux parents, ce serait de ne pas hésiter à échanger avec les enseignants, avec les autres parents, de ne pas rester seuls face aux difficultés. L’isolement est souvent le plus grand frein à la confiance en soi, autant pour les enfants que pour leurs familles. 

Plein Espoir : Quand les enfants grandissent, ils prennent conscience des différences entre eux. Est-ce que cela crée des situations d’exclusion pour ceux qui ont des troubles psychiques ?

Zakya : Non, pas nécessairement. Tout dépend du climat de la classe et de la manière dont l’inclusion est abordée. Dans certaines classes, on observe une vraie bienveillance de la part des élèves envers leur camarade en difficulté. Ils développent naturellement des gestes d’entraide et ça change beaucoup de choses pour l’enfant accompagné. Après, je sais que ce n’est pas le cas partout. Mais là où je travaille, nous avons la chance d’avoir des parents plutôt ouverts et coopérants. Certains acceptent même de venir en classe pour expliquer aux élèves les difficultés de leur enfant, ou autorisent l’enseignant à le faire. Cette transparence aide beaucoup : une fois que les autres enfants comprennent pourquoi leur camarade a parfois plus de mal, ils sont souvent plus enclins à l’aider, à être patients.

Plein Espoir : Selon vous, que pourrait-on améliorer pour éviter la stigmatisation et garantir un meilleur accès à l’éducation pour ces enfants ?

Zakya : La clé, c’est la formation. Aujourd’hui, il y a un véritable manque de formation, aussi bien pour les enseignants que pour les AESH. Beaucoup arrivent sur le terrain sans préparation, sans connaissances spécifiques sur les troubles psychiques ou les besoins particuliers de ces enfants.

Personnellement, mon parcours est un peu différent : je suis aussi maman d’un enfant autiste avec TDAH. Cela fait 13 ou 14 ans que je navigue dans cet univers, et j’ai eu la chance de suivre des formations, non pas dans un cadre professionnel, mais en tant que parent concerné. L’hôpital Robert-Debré, par exemple, propose des formations aux parents d’enfants autistes pour mieux les accompagner au quotidien. Ce que j’ai appris pour mon fils, je l’applique aussi dans mon travail. Mais tout le monde n’a pas cette opportunité. Et c’est là que l’Éducation nationale doit agir : si les enseignants et les AESH étaient mieux formés à la prise en charge de ces enfants, on éviterait tellement d’incompréhensions et de difficultés.

Il y a aussi un problème structurel : aujourd’hui, beaucoup d’enfants qui auraient besoin d’être dans des établissements spécialisés se retrouvent dans le cursus scolaire classique, non pas parce que c’est le mieux pour eux, mais faute de places ailleurs. Et en même temps, la loi est claire : chaque enfant a le droit d’être scolarisé. Il y a encore beaucoup à faire.

Plein Espoir : Quel est le progrès le plus marquant que vous ayez observé chez un enfant que vous avez accompagné ? Y a-t-il une histoire qui vous a particulièrement touchée ?

Zakya : Oui. C’est un garçon que j’accompagne depuis la grande section, et à l’époque, c’était un enfant extrêmement timide, renfermé, presque silencieux. Il n’osait pas parler, ni aux adultes, ni à ses camarades. Mais petit à petit, il a commencé à s’ouvrir, d’abord en chuchotant quelques mots, puis en échangeant davantage avec les autres. Et avec cette ouverture est venue la confiance. Il a compris qu’il pouvait lui aussi réussir, qu’il était capable, comme les autres. Sur le plan scolaire, il participe en classe, il lève la main, il ose répondre aux questions. Cela peut sembler anodin, mais pour lui, c’est une immense victoire. Parfois, il suffit d’un petit coup de pouce : un encouragement discret, un regard bienveillant, un simple « Tu connais la réponse, vas-y, ose ! » pour qu’un enfant prenne son envol. Aujourd’hui, il fait pleinement partie des têtes de la classe, et c’est une immense fierté, pour lui comme pour nous. Voir un enfant qui s’épanouit, qui prend sa place, qui croit en lui, c’est la plus belle des récompenses.

Fratrie et troubles psychiques : comment maintenir un équilibre entre les frères et sœurs ?


Comment garantir l’équité au sein d’une fratrie ? Une équation impossible qui se pose à tous les parents, mais qui est d’autant plus prégnante pour ceux dont l’un des enfants vit avec un trouble psychique. Parce que cet enfant demande plus de temps, plus d’attention, parfois au détriment des frères et sœurs, qui, eux aussi, sont touchés par la situation, même en silence. Parfois, cette dynamique crée des tensions, des frustrations, un sentiment d’injustice difficile à nommer. Parfois, elle soude aussi. Chez Plein Espoir, on est convaincu que ces liens tissés dans l’épreuve, malgré les déséquilibres, peuvent devenir une force pour toute la famille. Deux mamans et un grand frère dans ce schéma familial ont accepté de nous raconter leurs histoires.

« Du jour au lendemain, la vie de famille est devenue ingérable », soupire Virginie(1), dont la fille de 15 ans souffre d’une sévère dépression depuis maintenant dix-huit mois. Malgré un suivi psy régulier, sa santé mentale continue de se détériorer, et sa détresse se manifeste parfois de façon agressive. « Quand elle est en colère, elle m’insulte et a des gestes violents à mon égard… » Des scènes tragiques, qui se déroulent sous les yeux de sa petite sœur, qui, du haut de ses cinq ans, assiste impuissante aux crises de son aînée. Une situation lourde de culpabilité pour la maman, qui consacre l’essentiel de son temps et de son énergie à soutenir son adolescente en souffrance. « Je cours partout pour consulter des spécialistes, chercher des solutions de prise en charge, tout en jonglant avec mon boulot… Je sais que la petite en pâtit. » Alors, pour compenser, elle s’efforce de dégager des instants rien qu’à elles, des sorties, des activités, des bulles d’échange où, loin du chaos, les mots se libèrent. C’est au détour d’un de ces moments qu’elle a pris la mesure de ce que vivait sa cadette. « Elle m’a confié qu’elle s’inquiétait beaucoup pour sa grande sœur. C’est là que j’ai compris qu’elle avait, elle aussi, besoin d’un soutien, qu’il fallait l’aider à préserver sa propre santé mentale. »

Du temps de qualité en tête-à-tête, c’est aussi l’une des solutions mises en place par Paulina pour maintenir l’équilibre familial. Maman de deux enfants, elle tente de répondre au mieux aux besoins de son fils de sept ans, atteint d’un trouble du spectre autistique et sujet à l’anxiété, tout comme à ceux de sa plus jeune fille, âgée de quatre ans. « Les moments individuels sont essentiels, souligne-t-elle. Avec mon mari, nous veillons à passer du temps seul avec chacun de nos enfants. Par exemple, comme Coline partage ma passion pour l’équitation, nous avons des moments privilégiés ensemble autour des chevaux. » Née avec une malformation cardiaque, la petite battante a su « prendre sa place » dans la famille, jusqu’alors 100% concentrée autour de son frère. « Coup du sort, mon deuxième bébé avait aussi une problématique de santé. Paradoxalement, cette situation m’a presque fait relativiser les difficultés de Victor car au moins, sa vie n’était pas en danger. » Désormais rétablie, la petite fille a développé une relation particulière avec son grand frère. « Bien qu’elle soit la cadette, Coline se montre protectrice envers son frère. Elle ne comprend pas ses troubles, c’est simplement son grand frère. » Une dynamique unique, qui contribue à leur développement mutuel d’après les observations de leur maman.

Une relation fraternelle unique


Jonathan, 32 ans, se souviendra toujours du moment où on a diagnostiqué la schizophrénie de son demi-frère qui a aujourd’hui 20 ans. Après plusieurs épisodes critiques, dont une hospitalisation longue en psychiatrie, cette révélation permet à la famille de relire différemment les événements passés : « J’ai compris tout ce qu’il avait pu traverser. Je me suis dit “Ah mais c’est pour ça qu’il a eu telle réaction dans telle situation”, que parfois il disparaissait ou qu’il n’arrivait pas à se lever… » Bien qu’aimant profondément son petit frère, le jeune homme admet que ses frasques occupaient tout l’espace de la sphère familiale, au détriment des autres enfants. « Je n’avais pas de colère contre lui, mais j’en avais marre que toutes les conversations tournent autour de lui, mon père n’arrêtait pas de m’appeler pour en parler. Parfois, j’aurais aimé qu’on s’intéresse aussi à mes problèmes. »

Une fois le diagnostic posé, Jonathan s’est beaucoup renseigné sur le trouble de son frère, avec qui il entretient désormais une relation apaisée qu’il a à cœur de normaliser. « Aujourd’hui, il prend un traitement qui lui convient et il mène une vie stable. Je suis fier de lui et du chemin qu’il a parcouru. On a d’ailleurs retrouvé notre complicité. Et puis, il m’a ouvert les yeux sur la réalité de la schizophrénie, bien éloignée de la représentation clichée véhiculée dans les films. Cette connaissance est une richesse à mes yeux. » De là à statuer sur un parfait équilibre familial entre les quatre frères ? Pas complètement, tant les membres de la famille restent mobilisés. Ils maintiennent en effet une vigilance particulière à l’égard du jeune demi-frère, notamment sur la suite de son traitement : « Si on sent qu’il y a matière à s’inquiéter, on organise sur le champ “un conseil de guerre” avec mes frères et mon père. » Une solidarité familiale qui a deux vertus : celle de soutenir le proche qui vit avec un trouble psychique, mais aussi les autres membres de la famille, qui eux aussi ont besoin d’une attention particulière.

Les clés d’une harmonie parmi d’autres

En tant que parents, plutôt que de poursuivre un équilibre parfait, illusoire quel que soit le modèle familial, on préfère chercher une harmonie qui fasse sens pour chaque foyer. Chez Plein Espoir, on le sait, chaque enfant a des besoins différents, et prendre en compte ces différences pour accompagner au mieux tant celui qui vit avec un trouble psychique, que ses autres frères et sœurs qui grandissent à ses côtés, est bien souvent la clé. Être parent est un challenge quotidien. Entre les tâches ménagères, les devoirs, les soins, les obligations professionnelles… nous sommes tous embarqués dans un tourbillon qui peut parfois nous dépasser. Charge à nous d’être attentifs et d’aménager du temps dédié à la communication avec nos enfants, pour privilégier une écoute active, bienveillante, et rompre tout sentiment d’isolement qui pourrait survenir chez l’un des membres de la famille.

En plus de maintenir, quand ils le peuvent, des moments individuels avec chacun de leurs enfants et des activités séparées pour eux, certains parents tentent aussi de préserver du temps pour leur couple. Même si ce n’est pas toujours évident, s’accorder une escapade à deux, une soirée en tête-à-tête, peut aider à souffler un peu. Et puis, quand ils arrivent à jongler avec le reste, ils essaient de ne pas s’oublier totalement. Petit à petit, chacun se construit une boussole pour trouver un équilibre, même imparfait, mais qui leur ressemble. « Je fais du sport tous les jours et j’ai une attention particulière sur la qualité de mon sommeil. », détaille Paulina, autant en forme sur le plan physique que mental. Une recette qu’elle recommande d’appliquer à tous ceux qui le peuvent : « Si les parents prennent soin d’eux, ils sont plus aptes à prendre soin de leurs enfants, conclut-elle. C‘est un équilibre subtil, qui demande de l’organisation, mais qui permet à chaque membre de la famille de trouver sa place. »

(1)Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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