Psychoéducation au travail : un outil pour briser les tabous sur la santé mentale en entreprise
Comment aborder les troubles psychiques en entreprise ? Une question qui reste délicate dans un monde professionnel où subsistent encore de nombreuses idées reçues sur le sujet. Pourtant, la santé mentale concerne tous les collaborateurs, qu'ils vivent eux-mêmes avec un trouble psychique ou qu’ils côtoient des collègues concernés. Entre stigmatisation et méconnaissance, la psychoéducation s'impose comme un outil précieux pour créer un environnement de travail plus adapté à tous. Chez Plein Espoir, on est convaincu que parler ouvertement de ces sujets permet de désamorcer les peurs et d'améliorer la qualité de vie au travail. Pauline Sevégrand, People Operations Manager, chez Octopus Energy, et Marie-Luce Stephan, docteure en sciences de gestion et formatrice en Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM) partagent leur vision et leurs solutions concrètes.
« Encore aujourd’hui, il y a toujours beaucoup de peur autour des troubles psychiques, notamment à cause de leurs mauvaises représentations dans la culture populaire », constate Pauline Sevégrand, responsable chez Octopus Energy. Une crainte qui stigmatise les personnes concernées, dans un monde professionnel qui a longtemps tu, cette réalité pourtant vécue par de nombreux salariés. Mais dans un contexte post-Covid où la détresse psychologique a explosé, les entreprises commencent à prendre conscience de l'importance d'accompagner leurs collaborateurs. « Il y a eu beaucoup de casse », souligne Marie-Luce Stephan, docteure en sciences de gestion spécialisée dans la prévention des risques humains. « Le Covid a mis en lumière beaucoup de troubles. On s'est rendu compte que tout ce qu'on évoquait avant concernant le stress, le burn-out, s'était complètement démultiplié.»
Cette prise de conscience s'est traduite par des avancées concrètes, comme la circulaire du 23 février 2022 qui « intime toute organisation publique à se doter d'un dispositif pour la santé mentale ». Mais au-delà des aspects réglementaires, c'est bien un changement de paradigme qui s'opère dans certaines entreprises privées ces dernières années, à l'image d'Octopus Energy, qui a récemment formé une vingtaine de secouristes en santé mentale. « On a la chance d'avoir un comex très impliqué sur ces sujets-là qui nous donne les moyens d’agir », explique la responsable RH de cette entreprise de 350 salariés. Une approche positive mais pas forcément encore suffisante, dans un univers professionnel où les préjugés sur la santé mentale ont la vie dure.
Les troubles psychiques : au-delà des apparences
Premier cliché tenace en entreprise : les troubles psychiques toucheraient uniquement les personnes « fragiles ». Une idée reçue que Marie-Luce Stephan s'emploie à démentir : « On sait aujourd’hui que les troubles psychiques peuvent toucher tout le monde sans absolument aucune distinction ni aucune forme de discrimination. » Loin d'être l'apanage de quelques individus au caractère défaillant selon ce vieux stéréotype, les troubles psychiques peuvent toucher n'importe qui, indépendamment de sa personnalité ou de ses capacités professionnelles.
De même, contrairement à une autre idée fausse selon laquelle, les troubles psychiques seraient facilement détectables via des signes très visibles, ils passent souvent inaperçus au travail. Tout simplement parce que la plupart des personnes concernées développent des stratégies de compensation sophistiquées pour maintenir une façade professionnelle impeccable. « On ne voit pas forcément quand les gens souffrent de troubles psychiques, d'une part parce qu'ils prennent sur eux, et d'autre part parce qu'ils sont soignés », explique l'experte. Une réalité confirmée par Pauline Sevégrand : « On peut très bien côtoyer des personnes avec des troubles qui sont passés sous les radars. J'ai le cas d'une personne de ma famille dont on ne se doute pas un seul instant qu’elle vit avec un trouble bipolaire car elle est très sociable, hyper empathique… Elle donne très bien le change en société mais explose parfois dans l’intimité. »
Performance et troubles psychiques : déconstruire les mythes
« Un collaborateur qui vit un trouble psychique peut être tout aussi performant que n'importe qui dès lors qu'il est stabilisé », affirme Marie-Luce Stephan, remettant en question l'idée que ces troubles affecteraient nécessairement les capacités professionnelles. Pour illustrer son propos, elle met en garde contre la fascination parfois exercée par certaines phases de troubles comme par exemple la manie dans la bipolarité (un état euphorique pendant lequel on déborde d’énergie) : « Quand on dit qu'une personne bipolaire sera plus productive en phase maniaque, on alimente une stigmatisation. » Une vision déformée qui nourrit des fantasmes dangereux, comme « l'idée que ces personnes seraient bien dans les boîtes de pub pour exploiter leur créativité dans cet état, alors que la priorité pour ces personnes est d’être stable. ». L’objectif des personnes en rétablissement, étant avant tout de poursuivre une vie professionnelle durable et épanouissante.
La psychoéducation comme levier de changement
Face à toutes ces idées reçues au travail, la psychoéducation apparaît comme un outil essentiel. « Ce que demandent en premier l’ensemble des collaborateurs en entreprise, c'est d'être informés, de savoir de quoi on parle », souligne Marie-Luce Stephan. Cette démarche pédagogique est d'autant plus nécessaire que les représentations médiatiques des troubles psychiques sont souvent éloignées de la réalité. Un besoin d'information confirmé par l’étude OpinionWay pour Psycom (2022) qui révèle que 72% des Français estiment manquer d'informations sur les troubles psychiques, ce qui contribue au maintien des préjugés. Un chiffre qui illustre bien l'ampleur du déficit de connaissances et l'urgence d'initiatives de sensibilisation en milieu professionnel.
« Dans les formations en PSSM, on présente les troubles psychiques. Si on reprend l’exemple du trouble bipolaire, on va expliquer ce que c’est, comment il se manifeste, pourquoi un diagnostic prend autant de temps », détaille-t-elle. « Pour la schizophrénie, on insiste sur le fait que c'est une pathologie où la personne est dans sa réalité. Car oui bien sûr les crises qui peuvent intervenir laissent parfois les autres dans un état de sidération, mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’elles ne sont pas dangereuses. » Des informations précieuses et éclairantes, qui servent à tous les niveaux hiérarchiques des organisations.
Car contrairement à un autre préjugé tenace, parler de santé mentale en entreprise n'est pas contre-productif ! « Faire semblant que les troubles psychiques n'existent pas n’aide ni la direction ni les personnes concernées », affirme Pauline Sevégrand. Marie-Luce Stephan abonde dans ce sens : « Plus on en parle de manière très simple, plus on donne des informations claires et à la portée de tout le monde, plus on réduit la tension autour de ces sujets. »
Des dispositifs concrets pour accompagner les collaborateurs
Au-delà de la sensibilisation, des dispositifs concrets peuvent être mis en place. Chez Octopus Energy, plusieurs initiatives ont vu le jour : « Formation de secouristes en santé mentale, création d'un outil d'alerte permettant aux salariés de signaler anonymement leurs difficultés, mise à disposition de séances gratuites avec des psychologues », énumère Pauline Sevégrand.
Ces secouristes formés jouent ainsi un rôle de tampon pour les collègues en détresse « c’est autoriser à dire à voix haute “ta douleur ou ce moment difficile n'est pas à prendre à la légère” et informer qu'il y a des ressources pour se faire accompagner ». Un dispositif qui préserve la confidentialité, puisque « l'objectif n'est pas de faire remonter chaque cas au RH ».
Marie-Luce Stephan, qui a formé plus de 300 secouristes en santé mentale, évoque également le concept de « bienveilleurs » : « une communauté composée de collaborateurs volontaires qui suivent une formation spécifique. On leur apprend à identifier des signaux faibles d'émergence de risques humains : situations de harcèlement, de burn-out, de fragilité psychologique. »
Pour que ces dispositifs fonctionnent, « il faut impérativement que les organisations se dotent de dispositifs pour faciliter l'action de ces secouristes ». Certaines entreprises affichent le nom des secouristes formés, d'autres préfèrent mettre en place « un espace avec une adresse mail pour les contacter de façon confidentielle ». Dans tous les cas l'objectif est de soutenir au mieux les salariés qui en auraient besoin et protéger l’ensemble des équipiers.
Des aménagements simples et accessibles
Accompagner les collaborateurs vivant avec des troubles psychiques ne nécessite pas toujours des investissements coûteux. « On a eu des cas de personnes qui avaient besoin de casques antibruit, illustre Pauline Sevégrand. On met également à disposition des salles où les gens peuvent s'isoler. » Enfin, le télétravail peut également constituer « une bulle, un cocon pour pouvoir s'apaiser et redescendre en pression », analyse la cadre en ressources humaines.
D'autres entreprises vont plus loin, comme le rapporte Marie-Luce Stephan : « J'ai connu des organisations qui mettaient en place des cours de relaxation et de méditation, d'autres qui avaient des endroits où les gens pouvaient se reposer, presque comme des salles de sieste… » Ces adaptations s'inscrivent dans une approche plus globale que l'experte a conceptualisée à travers un « modèle d'attention intra-organisationnelle en trois points : l'attention à soi (être vigilant à l'impact de notre environnement de travail), l'attention aux autres (remarquer les changements de comportement d'un collègue), et l'attention aux conditions de travail. » L’objectif étant de créer un climat de travail sain où chacun peut se sentir bien.
Vers une culture d'entreprise plus inclusive
Au-delà des dispositifs formels, c'est bien un changement de culture qui s'opère dans les entreprises les plus avancées sur ces questions grâce à une psychoéducation active. « Parler des troubles psychiques permet de montrer qu'on accueille tout le monde dans une démarche d'inclusivité », résume Pauline Sevégrand. « Ça libère la parole et montre que ça fait partie du quotidien. » Un environnement où chacun peut exprimer ses difficultés sans crainte de stigmatisation ou de répercussions sur sa carrière. Car comme le souligne l'experte, la crainte persiste : « On projette toujours que afficher son trouble va entraver notre progression, nous empêcher d'avoir une promotion. » Un frein que seule une politique volontariste et sincère peut lever.
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