image de fond jaune

Couple et troubles psy : et s’il était possible de s’épanouir autrement ?

“Et toi alors, tu as un amoureux ?” On entend dès le plus jeune âge cette question qui se transforme rapidement en forme d’injonction : notre bonheur se niche forcément dans une relation amoureuse.  En réalité, et heureusement, on peut s’épanouir autrement. Et si la solitude peut faire peur quand on vit avec un trouble psychique, elle peut aussi être l’occasion de prendre soin de soi et faire ce qui nous fait vraiment plaisir. Loin des contraintes du couple, on peut se lancer dans des projets personnels ou renforcer des liens importants, comme nos amitiés. Mais attention, il est important de distinguer solitude et isolement : la solitude peut être un espace de liberté, alors que l’isolement est souvent vécu comme une contrainte. D’ailleurs, quand on choisit la solitude, on se rend vite compte que le bonheur ne dépend pas d’une autre personne, mais d’abord de l’amour qu’on se porte et des liens qu’on tisse avec les autres. En tout cas, chez Plein espoir, on en est convaincu : il est tout à fait possible d’être épanoui sans être en couple.

Ces dernières années, on parle de plus en plus d’asexualité, de polyamour, d’amour platonique…, ou même du choix de rester seul. Les mentalités semblent s’ouvrir et l’idée de vivre sans être en couple paraît de plus en plus acceptée. Pourtant, dans les films, les séries et, plus largement, dans la culture populaire, on continue de nous expliquer qu’on serait tous plus heureux en couple. Comme si, sans ce lien – celui qui unit deux personnes autour d’un projet commun – on risquait de passer à côté de l’essentiel. Mais parfois, et plus encore lorsqu’on vit avec des troubles psychiques, on peut réaliser que le couple n’est pas toujours facile à envisager et qu’il n’est pas fait pour nous. Et devinez quoi ? On peut tout à fait s’épanouir autrement. Pour mieux comprendre comment vivre heureux sans être en couple, on a rencontré Lucie, Jessica et Adélaïde, qui ont accepté de nous partager leurs parcours (1).

Ne pas céder aux injonctions de la société 


Lucie, 28 ans, est convaincue de ne pas être faite pour le couple. Célibataire depuis toujours, elle n’a jamais envisagé la vie autrement. Ce n’est ni par peur ni par rejet, mais simplement parce que l’idée du couple ne lui parle pas. Elle n’a jamais ressenti d’attirance particulière pour quelqu’un et considère aussi le sexe comme accessoire. D’ailleurs, quand il s’agit de choisir entre le couple et la liberté, le choix est simple : « Pour moi, être seule, c’est être libre de prendre mes décisions. Je fais mes projets sans avoir à m’ajuster aux envies de quelqu’un d’autre. Mais attention, être célibataire par choix ne signifie pas être isolée ! Mes amis sont essentiels à mon équilibre. J’adore partager des moments avec eux, mais après j’aime autant rentrer chez moi et retrouver mon espace. »


Dépressive chronique depuis près de dix ans, la jeune femme traverse parfois des périodes difficiles marquées par des pensées très sombres. Ses parents, inquiets pour elle, aimeraient qu’elle en finisse avec le célibat : « Ils me disent que je vais le regretter, que plus tard, je serai moins jolie et que je ne pourrai pas avoir d'enfants. Parfois, ils me disent que la vie est de plus en plus chère et que c’est plus facile à gérer à deux. Mais aussi que si ça ne va pas bien dans ma tête, je serais contente d’avoir quelqu’un à côté. » Lucie comprend, mais cela ne change rien : « Je trouve que c'est malhonnête de se mettre en couple juste pour des raisons pratiques, sachant que je ne ressens rien pour l’autre. Et puis, le fait d’être dépressive me pousse encore plus à rester seule. Je n’ai pas envie d’imposer ça à quelqu’un, ni de m’excuser ou de faire semblant quand je ne vais pas bien. » La culpabilité de se sentir « un poids » est une réalité pour beaucoup de ceux qui vivent avec des troubles psychiques. Mais il est important de ne pas oublier que la solitude n’est pas toujours une malédiction. Elle peut aussi être une étape nécessaire : un espace pour se redécouvrir, pour apprivoiser ses blessures avant de se rouvrir au monde, ou à l’autre. 


Bien que ce soit souvent perçu comme un tabou, Lucie se sent épanouie, malgré l'absence de relation amoureuse. De toute façon, ce n’est pas le genre de chose qu’on peut forcer. Elle continue de résister aux pressions extérieures pour vivre selon ses propres choix : en dehors de ce qu’on attend d’elle, mais en harmonie avec qui elle est vraiment. Ce choix lui permet de se recentrer, d’affronter ses peurs et ses doutes sans attendre qu’une autre personne l’aide à le faire. 


« Ce qui compte, c’est de trouver un équilibre. On n’a pas besoin d’un couple pour ça. Moi, ce que j’aime, c’est entretenir des amitiés profondes et profiter de ma vie seule, sans chercher à plaire ou à m’adapter aux autres. » La jeune femme qui se considère comme aromantique (une personne qui ne ressent pas de sentiment amoureux) n’a jamais pensé devenir maman un jour et refuse même l’idée de vivre autrement que seule. Et vous savez quoi ? Ça ne l’empêche pas de réaliser plein de choses ! 

Plus de tranquillité émotionnelle

Contrairement à Lucie, Jessica, 26 ans, a vécu plusieurs histoires d’amour. Par ailleurs, elle n’imagine pas une vie sans sexualité à deux. Pour autant, son trouble borderline a souvent été à l’origine d’incompréhensions dans ses anciennes relations, ce qui l’a beaucoup fait souffrir. « Ma dernière histoire a duré trois ans, et quand la personne avec qui j’étais m’a dit que ça serait bien de s’installer ensemble, j’ai fui. J’avais très peur de m’enfermer avec lui et de ne plus arriver à gérer les moments où je ne vais pas bien. Je passais mon temps à pleurer. » Avec le trouble borderline, on peut parfois avoir du mal à gérer ses émotions, mais aussi, il n’est pas rare qu’un petit malentendu ou un changement de comportement soit vu comme un rejet. Elle nous explique : « Par exemple, quand je ne reçois pas de message pendant une journée, je peux commencer à me dire qu’on m’aime plus ou qu’on me déteste. »


Il y a deux ans, Jessica a donc pris une décision importante : renoncer au couple exclusif, parce que c’était trop difficile. Depuis, elle a trouvé une autre façon de vivre ses relations amoureuses. Elle fréquente trois garçons qui sont aussi des amis de longue date. « Ce qui est important, c’est qu’ils soient d’abord mes amis. Ils connaissent déjà mon trouble, donc ils comprennent mes réactions et ils sont là quand ça ne va pas. » Pour Jessica, ces relations répondent à plusieurs besoins liés à son trouble. Cela lui permet d’éviter la pression d’un couple exclusif qui pourrait réveiller ses peurs, sans renoncer à l’amour. Et si elle traverse une période difficile, elle peut se tourner vers eux sans craindre de les perdre ou qu’ils réagissent mal. C’est sa façon à elle de garder les commandes, de ne plus être embarquée dans le manège des attentes et des désillusions. L’idée qu’un amour puisse réparer ce qui s’effrite à l’intérieur, c’est beau, c’est même tentant. Mais c’est aussi dangereux. Émilie préfère croire qu’un lien solide ne tient jamais à une mission de sauvetage. On ne sauve personne, et surtout pas soi-même, en se perdant dans l’autre.


Bien que cette forme d'amour ne soit pas “classique”, elle nous montre qu’on peut être aimé et soutenu sans les contraintes du couple exclusif. Elle offre aussi un luxe rare : du temps pour soi. Ce petit espace où l’on peut respirer, se retrouver, recoller les morceaux quand l’équilibre vacille. C’est une façon d’aimer qui écoute, qui s’adapte, qui sait vivre au rythme des besoins de chacun. Un acte de courage, en réalité. 

Des phases de trop-plein, puis de vide profond

Adélaïde a 63 ans, et des histoires d’amour, elle en a vécu. Beaucoup. Malgré les montagnes russes de son trouble bipolaire, diagnostiqué à 25 ans. Ce trouble complexe se caractérise par des variations importantes de l'humeur, où l’on passe de périodes de grande énergie à des phases de dépression profonde, où on se retrouve dans une incapacité à se connecter aux autres. L'alternance de ces phases rend les relations stables difficiles à vivre. D’ailleurs, la première fois que Adélaïde a connu la dépression, c’est lorsqu’elle est tombée amoureuse d’un homme alors qu’elle était déjà en couple. Elle se souvient que le mélange de sentiments a été trop difficile à gérer : « Je n’ai pas supporté. J’ai quitté mon compagnon et je suis retournée vivre chez mes parents. Pendant six mois, je n’arrivais pas à prendre soin de moi, si on me disait pas d’aller me laver, je le faisais pas et j’étais incapable de me faire à manger. J’ai fini par être hospitalisée. » 


Avec les années, Adélaïde a appris à comprendre comment elle fonctionne. « Quand je suis dans une phase maniaque, tout me semble possible : je suis pleine d’énergie, je multiplie les relations et mon désir sexuel est important. Mais dès que la dépression arrive, je me referme sur moi-même, je n’arrive plus à m’intéresser à rien ni à personne. Pendant longtemps et que je sois amoureuse ou non, je rompais systématiquement quand je n’allais pas bien. » Il est facile de comprendre que, dans ces conditions, maintenir un couple, avec des projets communs et une vie partagée, est souvent impossible. D’ailleurs, contrairement à beaucoup de femmes de sa génération, Adélaïde n’a jamais aspiré à la maternité ni à bâtir une relation "très sérieuse" avec un homme.  « Depuis toute jeune, quand je rencontre quelqu’un, je suis à fond. Mais au bout de quelques mois, je me lasse, je ne vois plus l’intérêt de continuer. Et puis, j’ai été hospitalisée six fois. Ce n’est pas facile de maintenir des relations stables avec tout ça. »


Aujourd’hui, son état est stabilisé. Et bien qu’elle voit quelqu’un depuis deux ans, elle ne parle toujours pas de couple. Chacun chez soi. Ce qui est important pour elle, c’est de vivre pleinement l’instant, tout en gardant de l’espace pour être heureuse de le retrouver. « On pourrait croire que j’ai raté quelque chose, mais je ne suis pas d’accord. Ça ne m’a pas empêchée d’avoir une carrière épanouie et des amitiés très solides. La plupart de mes amies sont là depuis l’adolescence, et c’est ça qui fait mon équilibre. On dit souvent que les histoires d’amour sont les plus importantes dans la vie, mais pour moi, ce sont mes amitiés qui comptent. Et je ne pense pas que ce soit un amour moins fort. » Avec son parcours, elle nous montre que refuser d’être en couple ne signifie pas du tout renoncer à l’amour. C’est simplement une façon de l’orienter ailleurs : vers l’amitié, la famille, ou même un engagement personnel qui résonne. Se recentrer sur soi, c’est poser les fondations d’un amour plus ancré, plus stable, plus durable. Pas celui qui s’épuise dans les attentes d’une relation classique, mais celui qui se construit lentement, sur des bases plus profondes.

On le sait bien, les troubles psychiques peuvent être invisibles, presque secrets. Mais leurs effets, eux, sont parfois loin de passer inaperçus. Comme Lucie, Sarah, Adélaïde, certains choisissent de renoncer au couple pour ne pas exposer leur partenaire à des crises, des sautes d’humeur imprévisibles, ou des émotions trop lourdes à porter à deux. Ce n’est pas de l’égoïsme, mais un geste d’amour. Un amour, à la fois envers soi et envers l’autre. Pourtant, cette décision, souvent difficile à assumer, soulève une question fondamentale : pourquoi accorde-t-on autant de poids à la vie à deux, au point de considérer la solitude comme un échec ? Si l’on prend un moment pour observer autour de soi, on se rend vite compte que de plus en plus de personnes, même sans troubles psychologiques, choisissent un chemin différent, loin des attentes traditionnelles. Toutes ces histoires nous rappellent que refuser le couple, opter pour une solitude active, ne rime pas avec toujours isolement. C’est plutôt une reconnaissance de ses limites, de ses besoins, et de sa capacité à tisser des liens autrement. Ce n’est pas un renoncement. C’est une manière de se reconstruire, plus fort, plus serein, en toute liberté, et en dehors des contes de fées que l’on nous raconte depuis notre enfance.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l'anonymat des personnes interviewées.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

pictogramme calendrier

22 janvier 2025

pictogramme calendrier

image de fond jaune

Témoignages suivants

28 témoignages

Le travail 2/2 - Ange - Un podcast Plein Espoir

pictogramme article

Identité, au-delà des troubles psychiques - Philippa - Un podcast Plein Espoir

pictogramme article

La vie intime 2/2 - Mickaël - Un podcast Plein Espoir

pictogramme article

La vie intime 1/2 - Mickaël - Un podcast Plein Espoir

pictogramme article

Le travail 1/2 - Ange - Un podcast Plein Espoir

pictogramme article

Ils le vivent - Philippa

pictogramme article

Ils le vivent - Ange

pictogramme article

Ils le vivent - Cécile

pictogramme article

Comment le travail peut devenir un levier de rétablissement ?

pictogramme article

Rupture et troubles psy : quand la fin d'une relation met à l'épreuve nos fragilités émotionnelles

pictogramme article

Trouble psychique et identité : se réapproprier qui l’on est

pictogramme article

Troubles psychiques : l’écriture comme outil pour se réapproprier son histoire

pictogramme article

Quand un trouble psy s'invite dans le couple : comment trouver un nouvel équilibre ?

pictogramme article

Le trouble psychique change-t-il qui je suis ?

pictogramme article

Un jour, mille rôles : mon quotidien avec un trouble psy

pictogramme article

Troubles psychiques et sexualité : appréhender les variations du désir

pictogramme article

Troubles psychiques : gérer les non-dits au sein d’une relation amoureuse

pictogramme article

Appel à témoignages anonymes : parentalité et troubles psychiques

Couple et troubles psy : et s'il était possible de s'épanouir autrement ?

pictogramme article

La posture du sauveur : comprendre ses limites pour mieux appréhender sa relation amoureuse

pictogramme article

Se rétablir à deux : la relation amoureuse comme espace d’épanouissement

pictogramme article

Préserver la complicité et l’amour malgré les troubles psychiques

pictogramme article

Troubles psychiques au travail : doit-on en parler, quand et comment ?

pictogramme article

Comment prendre soin de notre santé mentale au travail ?

pictogramme article

Milieu ordinaire & milieu protégé : quelle différence ?

pictogramme article

Peut-on tout faire quand on vit avec un trouble psychique ?

pictogramme article

La RQTH comme levier de rétablissement et d’inclusion au travail

pictogramme article

Réorientation professionnelle : rebondir après un diagnostic de trouble psy ?

pictogramme article
image de fond bleue image de fond jaune
Image Carte Contact

Ensemble pour le rétablissement !

Que vous souhaitiez partager votre histoire ou contribuer activement au rétablissement, nous sommes là pour vous écouter. Contactez-nous et faites partie de notre communauté engagée !