Créer au-delà des troubles psy : 24h dans la vie de Mamari
Dans une journée, chacun compose avec son énergie, son humeur, ses contraintes. Quand on vit avec un ou plusieurs troubles psychiques, cette composition prend une autre dimension. Il faut inventer, ajuster, bricoler des repères et s’adapter heure par heure. Chercher ce qui apaise, ce qui stimule, ce qu’on a instinctivement envie de faire : une douche froide, un coup de fil à une amie, une pause pour ne rien faire.
Pour comprendre comment cette recherche se vit quand on exerce un métier créatif, Plein Espoir a rencontré Mamari, humoriste et chroniqueuse, qui parle ouvertement de ses troubles psychiques dans son spectacle Trop drôle pour mourir et de son parcours de rétablissement, avec ses hauts et ses bas. Chez elle, les rituels bougent, se transforment, se colorent selon l’état du jour, les imprévus, et l’impératif de monter sur scène. Elle raconte comment elle transforme ses contraintes en terrain de jeu, mais surtout comment sa santé mentale passe toujours avant tout le reste.
6h30 : Messages et douche froide
Ma journée dépend de ce que j’ai à faire. Je peux jouer mon spectacle, jouer juste quelques minutes dans un comedy club et il y a des jours où je dois préparer des chroniques, ce n’est jamais pareil. Après et c’est important de le rappeler, j’ai plusieurs troubles psychiques, le principal c’est un stress post-traumatique, puis il y a un trouble dépressif chronique et un TDAH. Je me considère en rétablissement, parce que j’ai connu des moments où juste me lever ou prendre une douche, c’était impossible. Maintenant, ça va mieux. Je me lève à 6h30, parce que ma copine commence à cette heure-là, et la première chose que je fais, c’est lui envoyer un message. Après, souvent, je me rendors un peu, puis je me lève pour de bon autour de 8h. Je prends mon traitement, pour l’anxiété et le TDAH, et je file sous la douche. Sans mon traitement, je suis au ralenti. Ça me met en route. À une période, j’essayais pas mal de choses pour aller mieux et j’ai essayé les douches froides pour rire. Je dois bien reconnaître que ça me stimule. Ensuite, je traîne un peu sur Instagram, je réponds aux messages urgents, comme ça c’est fait. Je jette un œil à mon agenda pour voir ce qui m’attend.
10h : Soutien entre amis et méditation
Quand j’ai du mal à commencer ma journée, j’appelle des amis. Je fais partie de plusieurs groupes de parole, on a mis en place un petit système d’entraide. Si je me sens submergée, quand j’ai l’impression d’avoir trop à faire, j’appelle mon amie Marie-Laure. Hier encore, je l’ai appelée en lui disant que j’avais envie de pleurer tellement j’étais stressée parce que j’avais trop de choses à faire. Elle m’a aidée à sortir de ça, avec des questions toutes simples : qu’est-ce que tu ne peux pas changer dans ton emploi du temps ? qu’est-ce qui peut attendre ? Ça m’aide à revenir à la réalité, à défaire la spirale. Parce que quand je stresse, tout se mélange dans ma tête, comme un gros gribouillis d’enfant, je ne vois plus rien. En revanche, quand je suis bien lunée, je fais une méditation - ce qui doit arriver une fois toutes les deux semaines (rires) -. Ça m’aide à me recentrer, à laisser moins de place aux pensées, à revenir dans mon corps. Ça me force aussi à ralentir, parce que je suis toujours en train de courir, toujours avec cette impression qu’il faut aller vite. La méditation me fait redescendre, je retrouve un peu de temps. Parfois, quand j’ai un besoin précis, je fais une méditation guidée pour la confiance en soi, la gratitude... Et j’ai aussi une « méditation d’urgence » pour les jours où je suis vraiment très angoissée et que je n’arrive même pas à appeler quelqu’un.
11h : Prendre du temps pour soi et flâner
Si je n’ai rien d’urgent, je m’autorise à flâner, à ne rien faire, à laisser les tâches venir comme elles viennent. C’est très important dans mon rétablissement en santé mentale. Et à la fin de chaque tâche, je prends aussi le temps de faire une pause avant d’enchaîner. Avec le TDAH, j’ai tendance à tout faire d’une traite, en oubliant complètement de penser à moi. Il m’arrive encore, très souvent, d’arriver à 20 heures et de réaliser que je n’ai rien mangé de la journée. Je peux aussi épuiser ma batterie sociale avant même d’avoir commencé à jouer. Alors j’essaie de travailler sur le réalisme de ce que je prévois. Parce que quand je n’arrive pas à bien m’organiser, et comme j’ai besoin de temps pour me reposer, le temps que je peux vraiment consacrer à la création est en réalité assez limité.
13h : Le soutien de l’auxiliaire de vie pour ranger son appartement et sa tête
Deux fois par semaine, j’ai une auxiliaire de vie qui vient chez moi. En 2019, j’ai été hospitalisée en psychiatrie et, avec l’assistante sociale, on a monté un dossier de reconnaissance de handicap. Ça faisait un ou deux ans que j’y pensais, mais je ne me sentais pas légitime. J’ai fini par me lancer et ça m’a aidée à accepter que j’avais des difficultés à gérer le quotidien. TDAH, dépression, stress post-traumatique… laisse tomber. Parfois, tu restes immobile, bloquée, incapable de faire quoi que ce soit. J’ai eu du mal à obtenir cette aide, parce que je suis jeune et que j’ai l’air en forme. Mais j’ai fini par y arriver. Aujourd’hui, cette personne m’aide à entretenir l’appartement, faire les courses, la lessive… et, quand j’en ai besoin, quelqu’un d’autre vient pour qu’on fasse les tâches administratives ensemble. Quand tout est rangé, ma tête est plus claire. Et comme on fait les choses ensemble, ça m’aide à me mettre en mouvement. On discute, ça rend le moment plus léger. Avant, quand ça n’allait pas, le désordre s’installait vite et je m’enfonçais dedans. Ça pouvait durer des semaines. Le seul point qui reste difficile pour moi, c’est de cuisiner. Je commande beaucoup. Mais pour moi, ça reste une stratégie d’adaptation face aux difficultés exécutives.
18h : Se maquiller et sauter dans un VTC
Il y a aussi ce moment où je suis en contact avec mon manager, Romain, puis je commence à me préparer pour aller jouer. Il y a un rituel auquel je tiens beaucoup : le make-up. Contrairement à la scène, qui est devenue mon travail, le maquillage reste un espace de créativité gratuit, juste entre moi et moi. Sans pression de productivité, de performance ou d’argent. Ça m’amuse, c’est presque méditatif parce que je me concentre sur des gestes précis. Je préfère quand j’ai le temps de le faire chez moi, mais parfois, je le fais dans le VTC qui m’emmène au spectacle, ou dans les loges. De toute façon, les gens me disent toujours que je me balade avec trop de sacs… et c’est vrai.
Je prends beaucoup de VTC, ça vient d’une période où j’étais en dépression sévère. À ce moment-là, j’avais énormément de mal à sortir de chez moi. Le VTC m’a aidée à moins annuler mes rendez-vous quand je manquais d’énergie. Marcher jusqu’au métro me semblait insurmontable, comme gravir une montagne. Aujourd’hui, ça va plutôt bien, mais ça reste fluctuant. J’essaie de ne pas culpabiliser quand je n’arrive pas à faire tout ce que j’avais imaginé. Et même dans les mauvais jours, je vais travailler. La dernière fois que je n’ai pas réussi à le faire, c’était il y a trois ans.
21h : Prête à monter sur scène
Ce soir, j’ai une scène à 21h30. Je vais jouer une dizaine de minutes et, comme d’habitude, c’est seulement sur le chemin que je commence à réfléchir à ce que j’ai envie de jouer, à piocher dans tout le matériel que j’ai, à voir ce que je peux ajouter ou tester. J’écris de moins en moins sur papier, tout se fait dans ma tête. Et comme je ne prépare pas grand-chose, souvent je me dis : « Aujourd’hui, c’est ma chute, ils vont bien voir que je suis nulle. » Ce sentiment de ne pas être assez prête, c’est fréquent… et en même temps, avec tout ce que j’ai à gérer au quotidien, la création est reléguée au dernier plan.
Le trac, ce n’est pas quand je monte sur scène. C’est juste avant. Une espèce de tétanie, le cœur qui bat très fort. Pour que ça passe, j’essaye de bouger le plus possible, je fais des mouvements un peu ridicules avec les bras pour faire circuler l’énergie, pour ne pas rester figée. Sinon, je me transforme en bloc de glace devant le public. Après, le stress dépend aussi des lieux où je me produis. Il y a des scènes que je connais par cœur, où je ressens encore du stress, mais ça va. Il y a des endroits plus intimidants, qui me pétrifient. Généralement, je suis en retard, je cours partout, je fais mille choses en même temps. Je crois que c’est presque une stratégie d’adaptation : me remplir d’actions pendant que je stresse, m’empêche de rester bloquée. Et étrangement, dans ces moments-là, je suis très efficace. Mes idées sont plus claires, je vais droit au but.
21h30 : Hyper focus avec le public
Je crois que le stress et la peur, c’est ce que je connais le mieux. Je fonctionne plus à l’adrénaline qu’au calme, même si j’essaie de faire en sorte que ça change. Et même si j’essaye toujours de ne pas basculer dans la panique, quand je ne ressens pas de stress avant de monter sur scène, je trouve ça bizarre, je me dis qu’il y a un truc qui cloche. Ce n’est pas simple de trouver un équilibre, mais la peur et le stress ne sont pas forcément négatifs. Parfois, ils peuvent même être un moteur.
Sur scène, je suis souvent dans un état d’hyper focus, l’autre face du TDAH. Je suis complètement là, avec les gens, dans le moment présent. Je pense que c’est pour ça que j’aime ça, et que je suis capable de le faire. Après, ça dépend des soirs. Samedi dernier, par exemple, je n'étais pas très attentive. Du coup, j’ai beaucoup interagi avec le public, mais ça m’a mise en retard et à un moment, j’ai demandé à la régie où on en était dans le temps imparti et j’ai réussi à rendre l’imprévu du peu de temps qui me restait drôle. En sortant de scène, je m’en veux toujours un peu. Mais bon,… c’est la vie.
22h30 : Fin de journée
Mon travail, c’est un endroit où je peux être fantasque, où je me sens socialement acceptée telle que je suis. Ça colle bien à mon rythme. Aujourd’hui, j’arrive à me lever, mais ça n’a pas toujours été le cas. Et puis, je peux choisir mon emploi du temps. Avec toutes les problématiques liées à la maladie, au besoin de faire des pauses, je crée mes propres opportunités. Tout le monde peut choisir de démarrer, de se lancer. La scène me permet de retrouver une forme d’insouciance, de fantaisie, de jeu. C’est une fierté pour moi de faire ça aujourd’hui. Et puis, après une scène, je suis contente d’avoir réussi à faire quelque chose de ma journée.
Je ne vais pas tomber dans le cliché de dire que la scène est une thérapie, parce que c’est faux. Et je pourrais même le répéter quatre fois. La scène, c’est un milieu très difficile. Il n’y a pas de place pour tout le monde, on ne gagne pas très bien sa vie, et ça peut être violent. Certains publics trouvent que ce que tu fais n’est pas drôle du tout. Et c’est dur de séparer ton travail de toi-même. Il faut vivre beaucoup de rejet avant de pouvoir en faire un métier. Et puis, contrairement à beaucoup d’autres professions, il n’y a pas vraiment de cadre. Tu pourrais accepter tout, tout le temps. Je vois beaucoup de comédiens qui font des burn-out, qui ne vont pas bien du tout. Moi, ma carrière avance plus lentement parce que je prends des pauses, parce que je fais toujours passer ma santé mentale en premier. Et parfois, je panique, je me demande si j’ai fait les bons choix. Aucune société de production n’a envie de miser sur quelqu’un qui fait autant de pauses. On attend que tu rentabilises, que tu enchaînes les dates. Moi, je fais autrement. Je ne suis pas prête à changer de logique. Je préfère rater le coche que d’y laisser ma peau.
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