Mieux comprendre et connaître son trouble psy, c’est de la psychoéducation !
Comment mieux vivre avec un trouble psychique ? Par où commencer, quand on cherche à comprendre ce qui se passe, à retrouver un peu de prise sur son quotidien ? Et qu’est-ce qui peut, doucement, aider à avancer ? La psychoéducation n’efface pas les troubles. Elle ne remplace ni les traitements, ni le suivi thérapeutique. Mais elle peut offrir un point d’appui. C’est un chemin qui aide à mieux comprendre son trouble, à repérer ce qui soutient ou ce qui fragilise, à retrouver des repères et des outils pour faire face. Pour mieux comprendre ce qu’est et ce que n’est pas la psychoéducation, Plein Espoir a rencontré Aude Caria. Épidémiologiste de formation, elle a travaillé pendant dix ans à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avant de fonder la première Maison des usagers en psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Depuis 2003, elle dirige le Psycom, un organisme public d’information sur la santé mentale. Elle y porte une vision du soin ancrée dans le réel, attentive aux besoins des personnes concernées, et aux inégalités qui traversent les parcours.
Plein Espoir : On parle de plus en plus de psychoéducation, mais de quoi s’agit-il vraiment ? Et depuis quand cette approche a-t-elle trouvé sa place en France ?
Aude Caria : On parle de psychoéducation, mais c’est en réalité la même chose que l’éducation thérapeutique du patient. Les deux termes sont employés comme synonymes. D’après la définition de l’Organisation mondiale de la santé, l’éducation thérapeutique a pour but d’aider les patients à acquérir ou à maintenir les compétences dont ils ont besoin pour mieux vivre avec une maladie chronique. En France, elle a été inscrite dans le code de la santé publique en 2009, avec un objectif clair : rendre les patients plus autonomes, faciliter leur adhésion aux traitements et améliorer leur qualité de vie.
En psychiatrie, cela signifie accompagner les personnes qui vivent avec un trouble psychique pour qu’elles puissent mieux comprendre ce qui leur arrive, renforcer leurs capacités d’adaptation et s’appuyer sur leur propre expérience. Tout cela à travers des programmes spécialisés, construits pour elles.
Plein Espoir : Et dans la vie quotidienne, très concrètement, qu’est-ce que ça implique ?
Aude Caria : La psychoéducation s’adresse aux personnes qui vivent avec un trouble psychique, mais aussi à celles et ceux qui les entourent. Au départ, elle a d’ailleurs été pensée pour eux : des parents, un conjoint, une sœur, qui cherchent à comprendre ce que vit leur proche. À trouver les bons gestes, à réagir face à l’inconnu, à tenir au quotidien. Aujourd’hui encore, certains programmes sont spécifiquement conçus pour l’entourage, mais la majorité s’adressent aux personnes concernées.
Dans tous les cas, ce sont des programmes très structurés de plusieurs mois, avec des étapes, une progression, et un accompagnement ajusté à chacun. L’objectif, c’est de mieux comprendre son trouble, de repérer ce qui aide ou ce qui complique les choses. On apprend à reconnaître les signes d’alerte, à gérer les traitements, les moments de crise, à identifier les soutiens, les ressources. C’est une manière d’en limiter l’impact, de prévenir les rechutes, et de retrouver, peu à peu, de son pouvoir d’agir.
Plein Espoir : Vous dites que ces parcours sont encadrés, construits sur plusieurs mois. Mais est-ce qu’on n’apprend pas aussi en dehors de ce cadre ? Parce que le trouble change, les situations bougent… et les besoins ne sont peut-être pas les mêmes tout au long de la vie ?
Aude Caria : Oui, c’est vrai. La psychoéducation, c’est d’abord un apprentissage. Un pas qu’on fait à un moment où l’on se sent prêt à avancer, à accepter aussi l’idée de vivre avec un trouble psychique. Le professionnel de santé qui encadre ce parcours, qu’il soit psychiatre, psychologue ou infirmier, a suivi une formation spécifique. Il n’est pas seulement là pour transmettre des savoirs, mais pour accompagner, pour aider à construire des repères, à développer des compétences que la personne pourra garder en elle et faire évoluer avec le temps.
On peut discuter du mot éducation, qui peut parfois paraître un peu rigide. Mais ce qui compte, c’est ce que cela permet : des outils concrets pour reprendre la main sur son quotidien. Et puis, c’est important de le dire, il n’existe pas un seul programme valable pour tous. Chaque parcours est adapté. Tout dépend du trouble, des traitements en cours, du chemin déjà parcouru, du soutien disponible autour de la personne. Est-ce qu’elle travaille ? Est-elle isolée ? A-t-elle déjà trouvé certains appuis ? Ce sont ces éléments-là qui permettent de fixer les objectifs.
Plein Espoir : Pour éviter les contresens et les ambiguïtés, qu’est-ce que la psychoéducation n’est pas ? Se renseigner seul sur son trouble, écouter des témoignages, échanger avec un pair aidant… est-ce que ça en fait partie ? Ou est-ce encore autre chose ?
Aude Caria : Comme je le disais plus tôt, la psychoéducation, au sens strict, désigne des programmes encadrés. Il y a une progression, un cadre, des étapes précises. Et c’est justement cette structure qui fait toute la différence. Mais dans le langage courant, le mot est parfois utilisé de façon plus large. On y range tout ce qui peut aider à mieux comprendre son trouble : lire un article, écouter un témoignage, échanger avec un pair aidant, chercher des ressources par soi-même. Ce sont des démarches complémentaires précieuses, utiles, mais plus libres, plus informelles. On parle alors plutôt d’auto-support. Nous avons d’ailleurs consacré une page ressource à ce sujet sur le site du Psycom.
Et puis la psychoéducation, ce n’est pas non plus un groupe de parole. Bien sûr, dans un programme, on échange aussi. Mais ce n’est pas le même cadre, ni le même but. Dans un groupe de parole, on partage une expérience, on crée du lien. C’est un autre espace, tout aussi important, mais différent.
Plein Espoir : Comment est structuré un programme de psychoéducation ?
Aude Caria : Il existe des trames-types, mais chaque programme commence toujours par une étape essentielle : le diagnostic éducatif. C’est un temps d’échange, un moment pour mieux comprendre la personne concernée, identifier ses ressources, explorer différents aspects de sa vie, ses questions, ses attentes, ce dont elle a besoin. On regarde aussi ce qu’elle sait déjà de son trouble, ce qu’elle a compris, ce qui l’a aidée ou, au contraire, freinée. C’est important de revenir sur ce qui a fait du bien, sur ce qui a permis de tenir, de traverser une épreuve. C’est à partir de là qu’on peut construire quelque chose de juste. Quand c’est possible, cette démarche peut aussi inclure les proches. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de soigner un symptôme, mais de prendre en compte la personne dans sa globalité, dans son histoire, dans ses liens.
À partir de ce premier échange, un programme est défini, avec des priorités d’apprentissage. Le parcours peut combiner des séances individuelles et collectives, réparties sur plusieurs semaines, parfois plusieurs mois. Entre deux séances, il peut y avoir des exercices à faire, des choses à observer, à expérimenter. Et à la fin, une évaluation permet de faire le point.
Mais je tiens à poser un point de vigilance. La plupart des programmes ont été conçus par des soignants, sans que les personnes directement concernées soient associées. Et ça, c’est une vraie limite. Pour qu’un programme soit vraiment utile, vraiment ajusté, il doit être pensé avec celles et ceux à qui il s’adresse. Sinon, on risque de partir de ce que les professionnels imaginent être bon pour les patients, sans entendre ce que les personnes expriment elles-mêmes comme priorités. Si l’objectif principal devient la réduction des symptômes, on risque de passer à côté de l’essentiel. Car ce n’est pas toujours ce qui compte le plus pour la personne concernée. Ce qui peut avoir le plus de valeur pour elle, c’est de pouvoir reprendre le travail, relire un livre, partir quelques jours. Des choses simples, concrètes, mais qui touchent directement à la qualité de vie.
Plein Espoir : Pour suivre un programme de psychoéducation, faut-il forcément passer par l’hôpital ?
Aude Caria : Les programmes d’éducation thérapeutique doivent être validés par les Agences Régionales de Santé. Concrètement, cela signifie qu’une équipe, au sein d’un service, conçoit un programme en s’appuyant sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé. Ce programme est ensuite soumis à l’ARS, qui autorise ou non sa mise en place.
Aujourd’hui, ces programmes sont proposés au sein des services de soins, à l’hôpital ou dans les centres médico-psychologiques (CMP). Il existe des initiatives pour les développer aussi en libéral, mais je n’ai pas de données précises sur l’ampleur de ces dispositifs. Ce qui pose question aujourd’hui, c’est l’accessibilité. Il y a une volonté de les rendre disponibles plus largement, mais dans les faits, ce n’est pas encore le cas partout.
Plein Espoir : Pouvez-vous nous en dire plus sur les programmes destinés aux proches ?
Aude Caria : Oui, il existe plusieurs programmes destinés aux proches, comme ProFamille, Prospect, développé par l’Unafam (Union Nationale de Familles et Amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques), ou encore le programme Bref. ProFamille, par exemple, a été lancé à l’initiative de soignants, au départ pour soutenir les familles de personnes vivant avec une schizophrénie. C’est un cycle de plusieurs séances, pensé pour aider les proches à mieux comprendre ce que vit leur enfant, leur conjoint, leur frère ou sœur et à trouver des appuis concrets au quotidien.
On y parle de la maladie, bien sûr, des traitements, de la prise en charge. Mais surtout, on apprend à ajuster sa manière d’être en lien avec la personne concernée. À reconnaître ce qui peut blesser sans qu’on le veuille, à reformuler, à se faire comprendre sans brusquer. On aborde aussi les angoisses qu’on peut ressentir soi-même, les tensions, les malentendus avec les équipes soignantes. C’est un espace pour parler de ce qui inquiète, pour comprendre aussi ce qui se joue du côté des professionnels. Par exemple, pourquoi une visite à l'hôpital nous a été refusée, pourquoi on n’a pas toujours toutes les informations. Et puis il y a des outils concrets : des méthodes pour gérer le stress, désamorcer un conflit, trouver les bons mots. Il n’y a pas de solutions toutes faites, mais des clés pour garder le lien, sans s’épuiser.
Plein Espoir : Il y a un mot que vous n’avez pas encore prononcé, mais qu’on entend en filigrane depuis le début : celui de routine. En quoi le fait de structurer son quotidien, de mettre en place des routines, ça fait aussi partie de la psychoéducation ?
Aude Caria : C’est une clé importante, oui. Ce qu’on appelle aussi « hygiène de vie ». Concrètement, cela passe par la remise en place de petits repères dans le quotidien : retrouver un rythme, redonner une forme aux journées. Il n’y a pas de modèle unique, chacun avance comme il peut. Mais on sait que, bien souvent, des choses simples comme se lever à heure fixe, marcher un peu, prendre ses repas à heures régulières, permettent de rendre le temps plus lisible. Et quand les journées deviennent plus prévisibles, elles sont aussi un peu moins angoissantes.
C’est un peu ce que la psychoéducation nous apprend : à observer ce qui nous aide, comprendre pourquoi ça fonctionne, et transformer cette connaissance en actions concrètes. Ce n’est pas une injonction au mieux-faire, c’est une façon de reprendre la main. D’agir là où, parfois, on pensait ne plus pouvoir.