Psychoéducation : Comprendre son trouble psy, un levier essentiel pour se rétablir
Qu'est-ce que la psychoéducation ? Derrière ce terme technique se cache une démarche simple mais puissante : apprendre à connaître son trouble psychique pour mieux le gérer au quotidien. Un processus qui peut prendre différentes formes — programmes structurés, recherches personnelles, écriture thérapeutique — mais qui poursuit toujours le même objectif : donner aux personnes concernées les clés pour devenir actrices de leur rétablissement. Chez Plein Espoir, nous avons recueilli les témoignages de trois personnes pour qui la psychoéducation a été un tournant dans leur parcours de soin. Leurs histoires, bien que différentes, révèlent toutes le pouvoir transformateur de la connaissance face aux troubles.
Mettre un nom sur ses maux pour se libérer de la culpabilité
Si développer des connaissances sur sa maladie présente de nombreux avantages pour les personnes concernées, le tout premier — et non des moindres — , est de pouvoir dissiper le sentiment de culpabilité qui accompagne souvent les troubles psychiques. Pour Carole, 30 ans, qui vit avec des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et un trouble anxieux généralisé, cette prise de conscience a été déterminante. Après une importante crise de panique, elle a consulté un psychologue spécialisé en thérapie comportementale et cognitive (TCC) qui lui a enfin posé un diagnostic clair, mettant des mots sur des symptômes qu'elle connaissait depuis l'enfance. « Ce qui a été le plus aidant, c'était de comprendre que ce n'était pas de ma faute », confie-t-elle. Une prise de conscience d'autant plus libératrice, que son entourage la rendait responsable de ses symptômes : « Au début, mes parents étaient beaucoup dans le reproche, ils me disaient tout le temps : “Tu t'écoutes trop, fais des efforts !”, alors que ça ne dépend pas de ma volonté. »
À l’inverse, pour Claire C., l’annonce du diagnostic de sa schizophrénie à 22 ans, a été une véritable « onde de choc ». « Le mot “schizophrène” fait peur à tout le monde, moi la première, quand bien même à l’époque je travaillais dans le milieu hospitalier », se souvient-elle. Ce n’est que dix ans après ce diagnostic, qu'elle a pu s'en libérer à travers l'écriture de son livre « Mi-ombre, mi-lumière », éd. du Panthéon, 2017. « J’ai fait énormément de recherches sur ma maladie, j’ai interrogé mes soignants, mon entourage et j’ai opéré une grande introspection : un travail qui m’a permis de poser moi-même mon diagnostic en quelque sorte, pour enfin l’accepter. » Un processus créatif qui l’a fait passer de « Je ne m'en sortirai jamais, c'est trop difficile » à « Je suis schizophrène et maintenant je vis avec. »
Une déculpabilisation qu’a également opérée Claire V., 46 ans, en empruntant une toute autre voie : celle du collectif. Si le diagnostic de son trouble bipolaire fut posé tôt, à l’âge de 16 ans, en partie grâce à un terrain familial favorable à sa détection, le chemin vers son appropriation fut, lui, assez long. C’est sa participation à des programmes structurés de psychoéducation qui lui a offert « du recul sur la maladie ». Une distance nécessaire pour ne plus se sentir définie uniquement par son trouble. « Pendant plusieurs semaines, on échange en groupe avec d’autres personnes concernées par la maladie autour d’un animateur. On parle du quotidien, de ce qui fonctionne pour nous… Ce partage d’expérience entre malades est très précieux », ajoute-t-elle, soulignant l'importance de se sentir comprise par ses pairs. Une approche collective qui complète ainsi les démarches individuelles de Carole et Claire C., montrant la diversité des chemins qui mènent à l'acceptation et à l’appropriation de son trouble psychique.
Développer des stratégies complètes pour gérer les symptômes
Au-delà de la compréhension théorique, la psychoéducation permet de mettre en place des outils pratiques pour faire face aux symptômes au quotidien. Comme Carole, qui s'est plongée dans la recherche d'informations après l’annonce de son diagnostic : « J'ai commencé à me renseigner sur ce que sont les TOC, les troubles anxieux. J'ai beaucoup lu sur le sujet. C'est là où j'ai aussi rencontré l'AFTOC (Association Française de personnes souffrant de Troubles Obsessionnels Compulsifs) dont je fais partie aujourd’hui. » Cette démarche lui a permis de développer un arsenal thérapeutique personnel : « J'ai développé beaucoup d'exercices de respiration. J'ai fait des recherches sur la cohérence cardiaque, la méditation, des exercices d'ancrage... C'est le cumul de tout ça qui m'aide à gérer mes symptômes, même dans les moments où ça devient un peu plus compliqué. » Une approche pragmatique, que l’on retrouve également chez Claire C., qui a développé ses propres stratégies d'adaptation après des années de vie avec la schizophrénie. « Je sais ce qui peut déclencher ou calmer mes symptômes. Par exemple, le manque de sommeil m’est fatal ! Quand je sors plus que d'habitude, ça me détraque tout et me déstabilise mentalement. Donc si je fais une soirée, je prévois un ou deux jours de repos derrière. » Une anticipation qui lui permet de prévenir les crises, illustrant comment la connaissance de soi devient un outil de prévention.
Claire V. de son côté, observe que sa récente participation à un programme de psychoéducation sur le trouble borderline a eu un effet inattendu sur sa propre stabilité : « Ça fait trois mois qu'on fait ce groupe et trois mois que je suis stable. » En effet, même si ce programme ne porte pas directement sur son trouble bipolaire, la compréhension des mécanismes psychiques en général semble avoir eu un impact positif sur sa santé mentale, si bien qu’elle envisage de devenir pair aidante pour mettre à profit ses nouvelles connaissances.

Améliorer la communication avec l'entourage
« Ma maman a enfin compris ce que je pouvais vivre », se souvient Claire C., à la publication de son livre. Grâce à ce travail d’écriture, la jeune femme a réussi à se reconnecter avec son histoire personnelle jusqu’alors fragmentée, et mieux faire comprendre sa maladie à ses proches. Une démarche psychoéducative qui a renforcé la compréhension mutuelle entre la mère et la fille et renforcé leur relation.
Tout comme Carole, pour qui l'information a aussi été vecteur de changement au sein de sa famille : « Par exemple à 8 ans, je ne supportais pas qu’on déplace des objets dans ma chambre parce que j'avais l'impression qu'il allait m'arriver un malheur… Un comportement superstitieux qui agaçait mes parents. Mais à partir du moment où ma mère s'est renseignée sur les TOC, elle a été plus indulgente avec moi et ça m’a beaucoup aidé dans mon rétablissement » Ce partage de connaissances a alors créé un terrain d'entente entre les membres de sa famille.
Cette amélioration des relations s'étend également au cercle social plus large, comme le montre l'expérience de Claire V.. Sa démarche de psychoéducation lui a ainsi permis d'améliorer ses interactions avec une nouvelle connaissance : « Je suis habituée à ce que les gens ne me décodent pas toujours mais bien sûr, moi aussi j’ai des lacunes. Il se trouve que je côtoyais une personne avec un trouble borderline et depuis que je suis ce programme de psychoéducation, j'arrive à mieux l'appréhender. Nos relations sont beaucoup plus apaisées. » Cette capacité à mieux comprendre les autres est un bénéfice collatéral précieux de la psychoéducation, qui enrichit ainsi la vie sociale dans son ensemble.
Ces expériences convergent vers un même constat : quand on comprend mieux sa propre condition, on devient aussi plus apte à l'expliquer aux autres. « Maintenant j'en parle beaucoup plus librement », confie Carole, « justement pour que la maladie soit mieux connue et moins stigmatisée. C'est assez marrant parce que parfois, le fait d'en parler a permis à trois-quatre personnes de mon entourage de me confier : “Moi aussi j'ai des TOC, ça me fait du bien de le dire parce que je n'en parle jamais”. » La parole libérée crée ainsi un cercle vertueux de compréhension mutuelle, qui peut s'étendre bien au-delà du premier cercle familial.
Reconnaître les signes avant-coureurs et prévenir les rechutes
L'un des aspects les plus pratiques de la psychoéducation est d'apprendre à repérer les signaux d'alerte. Pour Carole, dont les TOC ont ressurgi sous différentes formes au fil du temps, notamment des TOC d'hygiène pendant la période COVID, cette vigilance est devenue une seconde nature : « Aujourd'hui, je reconnais les signes. Parfois, quand je suis fatiguée, je me dis “OK, je suis en train de faire un TOC, mais ce n'est pas très grave c’est passager”. Et d'autres fois, je me dis “Attention, tu es en train de retomber dans un comportement qui peut s’installer”. » Cette conscience lui permet d'agir avant que la situation ne se détériore.
Cette vigilance peut aussi s'acquérir par l'expérience, parfois douloureuse, comme l'illustre le parcours de Claire C. Elle a appris à ses dépens l'importance de maintenir son traitement, après avoir tenté de l'arrêter : « Ça allait tellement bien que j'ai arrêté mes médicaments pendant trois-quatre mois. Je me suis dit à l’époque : “c’est fini, je suis guérie” ». Malheureusement, les symptômes sont revenus : « Je suis repartie dans mon monde, les hallucinations ont recommencé… Donc j'ai repris mes cachets et je ne l’ai plus jamais arrêté. » Cette expérience, bien que difficile, fait désormais partie intégrante de sa connaissance de la maladie et de sa gestion.
Entre ces apprentissages par l'expérience personnelle et les connaissances plus théoriques, Claire V. apporte une nuance importante concernant le timing de la psychoéducation. Après avoir participé à deux programmes différents — l'un sur le trouble bipolaire et l'autre sur le trouble borderline — elle recommande aux futurs participants de bien choisir le moment : « Ça dépend du stade où on en est dans sa thérapie. Si c'est trop tôt, on peut ne pas être prêt. Vraiment, on plonge au cœur du sujet et ça peut faire peur au début. » Une observation qui souligne que la psychoéducation doit être adaptée à chaque parcours individuel et que le moment où l'on s'y engage peut être aussi important que son contenu.
Vers l'autonomie et l'empowerment
Ces trois témoignages, malgré leurs différences, convergent vers une même conclusion : la psychoéducation peut être un chemin vers l'autonomie. Pour Carole, cela se traduit concrètement dans sa vie professionnelle : « M’approprier ma maladie m'a permis de demander la RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé) à mon travail et de légitimer ma situation. » Elle a même réorienté sa carrière pour sensibiliser aux questions de santé mentale, transformant ainsi son expérience en expertise professionnelle.
Une transformation de l'identité, que l’on retrouve chez Claire C., qui après avoir traversé des années difficiles, a non seulement retrouvé une certaine stabilité mais a aussi développé une nouvelle facette créative. Elle poursuit son chemin d'écriture avec d'autres livres, dont un recueil de poèmes commencé avec sa mère avant son décès et un livre pour enfants qui a été édité. Sa fierté est palpable : « Je suis fière de pouvoir aider les personnes atteintes de schizophrénie. Surtout les plus jeunes, pour qui, je le sais pour être passé par là, c’est si difficile d’accepter sa maladie au début.»
Claire V., quant à elle, illustre comment un projet d'avenir peut devenir un moteur de rétablissement. Elle a trouvé dans son ambition de devenir pair-aidante une nouvelle direction qui donne sens à son expérience : « Ce projet est devenu de plus en plus concret et m'aide personnellement. » Sa démarche, encore en devenir, nous rappelle que le rétablissement est un processus continu, qui se nourrit de projets et d'aspirations.
Ces trois témoignages illustrent bien comment la psychoéducation transforme profondément le rapport à la maladie, au-delà de la simple gestion des symptômes. Qu'elle prenne la forme de recherches personnelles, d'un processus créatif ou de programmes structurés, elle donne aux personnes les outils pour devenir expertes de leur condition. Chez Plein Espoir, nous voyons dans ces parcours la confirmation que la connaissance est une forme de pouvoir : comprendre sa maladie, c'est déjà commencer à guérir. Le rétablissement n'est pas l'absence totale de symptômes, mais la capacité retrouvée à vivre pleinement, malgré et avec la maladie.
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