Un jour, mille routines, pour mieux vivre avec un trouble psy
Dans une journée, chacun suit son rythme, souvent sans trop y penser. Mais quand on vit avec un trouble psychique, ce rythme ne va pas toujours de soi. Il faut s’apprivoiser, construire ses routines, parfois heure par heure. Car l’équilibre repose souvent sur des repères simples : un horaire de lever, un repas à heure fixe, une pause au bon moment. Des gestes qui semblent anodins, mais qui, pour certains, tiennent lieu de boussole.
Pour mieux comprendre comment une routine peut devenir un vrai soutien au quotidien, Plein Espoir a rencontré Clément Baissat, fondateur de Hope Stage. Cette structure, qui réunit une association et une entreprise à impact, accompagne les personnes bipolaires et leurs proches. Il nous a raconté comment, jour après jour, il organise ses journées avec soin. Un cadre qu’il a mis en place avec le temps, non pas comme une contrainte, mais comme un moyen de se sentir mieux et de progresser.
8h, réveil. Une question : qu’est-ce que j’ai envie d’accomplir aujourd’hui ?
Tous les matins, c’est le même rituel. La semaine, le réveil sonne à 8h. Le week-end, mon corps suit cette habitude sans même y penser : neuf fois sur dix, je me réveille à la même heure. Cinq minutes de câlins avec ma copine, puis je me lève. Ensuite, je bois un grand verre d’eau et j’avale tout de suite mon médicament. Un geste simple, devenu réflexe, pour garder l’équilibre face à mon trouble bipolaire.
Depuis quelque temps, je remplis mon journal de cinq minutes, une sorte de guide de gratitude à compléter tous les matins. Je réponds à ce genre de questions : « Aujourd’hui sera une bonne journée parce que… » Les questions varient, parfois elles sont très personnelles, d’autres plus factuelles. J’y note aussi mon humeur, sous forme de diagramme. Ce n’est pas très académique, mais ça me permet de sentir où j’en suis dans les phases de mon trouble psychique. J’en profite pour faire le point sur ce qui m’attend dans la journée : quelles sont mes priorités ? Qu’est-ce que j’ai envie d’accomplir ? Poser les mots sur un carnet me permet d’ordonner un peu le flou et ça me rassure.
Je pars de la maison à pied. J’aime ce moment-là. Marcher un peu avant d’arriver au coworking, ça me met en mouvement. Sur le chemin, je passe toujours commande pour le déjeuner. Je prends toujours une pomme et une banane. C’est simple, et ça m’enlève une charge. Je n’ai pas à y penser. Quand j’arrive, le repas m’attend déjà. Comme un petit repère dans la journée.
9h, bureau. Entre méthode Pomodoro et quête d’équilibre.
Plus il y a de routines, mieux c’est. C’est essentiel à mon équilibre. Avant même d’ouvrir mes mails, je commence par la première tâche de ma to-do list, celle que j’ai définie chez moi, au calme, avant de partir. Les mails, je les ouvre plus tard, entre 10h et 11h. Les mails, ce sont les urgences des autres, pas les miennes. Je protège beaucoup mes matinées. Pas de rendez-vous au téléphone avant 11h. C’est le temps que je m’accorde pour avancer sur ce qui compte vraiment. En ce moment, je me consacre beaucoup au recrutement et à la formation des bénévoles de Hope Stage, l’association que j’ai créée pour aider les personnes bipolaires et leurs proches.
Pour le travail de fond, j’utilise la méthode Pomodoro. C’est une technique née dans les années 1980, pensée pour aider à mieux gérer son temps et sa concentration. Le principe est simple : on est investi sur une tâche pendant vingt-cinq minutes, puis on fait une courte pause, de trois minutes environ. Ce rythme me convient, ça me structure. Ça m’aide à rester dans ma tâche sans me disperser, sans m’épuiser non plus. À chaque pause, je prends soin de mon corps. Je m’étire, je marche un peu, je vais remplir ma bouteille d’eau.
Je ne bois ni café, ni thé. Un jour, quelqu’un m’a expliqué que le café ne donne pas vraiment d’énergie. Les personnes qui en boivent tous les jours finissent par en avoir besoin pour retrouver leur niveau d’énergie normal. Sans café, elles se sentent fatiguées, moins efficaces parce que leur corps s’est habitué à cette stimulation. Le café ne leur donne pas un « plus », il les ramène juste à un état de base. Depuis, j’en bois plus. Je me dis que si je peux me sentir bien sans ça, autant ne pas en dépendre. Alors, je bois de l’eau et parfois des tisanes.
Je m’intéresse beaucoup aux routines et aux techniques d’amélioration de soi, ça m’aide à mieux vivre mon trouble bipolaire, c’est même essentiel à mon équilibre. Par exemple, j’ai été marqué par la lecture de Atomic Habits, en français, Un rien peut tout changer (éd Larousse, 2019), le livre de James Clear. L’auteur explique qu’il faut au moins trois semaines pour mettre en place une nouvelle habitude et qu’elle tienne dans le temps. Même avec de la motivation, changer ses habitudes, en créer de nouvelles ou se débarrasser des mauvaises, ça ne s’imprime pas du jour au lendemain. Ce sont les petits gestes répétés qui finissent par faire une vraie différence.
Je trouve que cette volonté d’amélioration continue colle bien avec le slogan de Hope Stage qui est : « Transforme ta bipolarité en opportunité. » L’idée, c’est que beaucoup de personnes qui vivent avec ce trouble psychique ne prennent pas le temps, ou ne se sentent pas capables de changer. Dans l’association, on essaie de ne pas aller contre notre bipolarité, mais de travailler avec elle.
15h. Marche active et suivi thérapeutique avec le pair-aidant
L’après-midi, je marche beaucoup, souvent pendant mes appels téléphoniques : deux à trois heures par jour, même sous la pluie. C’est quelque chose dont j’ai besoin pour remettre mes idées en ordre. Il y a quelque temps, j’ai découvert que le cerveau fonctionnait sur deux modes. Il y a le « focus », quand on est concentré sur une tâche, et puis le « relâcher », quand on ne fait rien de précis. Et c’est justement dans le second que le cerveau fait le tri. Pour passer une information de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme, il faut un temps de pause, une respiration. Il suffit de voir les chercheurs, les prix Nobel, ils font beaucoup de pauses, ils se promènent. C’est une autre façon de travailler, mais essentielle. Et peut-être plus encore pour les personnes bipolaires.
Pour mon suivi thérapeutique, je vois un psychiatre environ toutes les cinq semaines et un psychologue à la même fréquence. Mais surtout, j’appelle mon pair-aidant toutes les semaines pour faire le point sur la semaine passée. C’est moins structuré qu’avec les professionnels, mais pour moi, c’est tout aussi important. Il sait ce que je vis, il connaît mes hauts, mes bas, mes doutes. Il me comprend sans que j’aie besoin d’entrer dans les détails. Ça rend nos échanges plus directs, plus vrais. C’est un appui précieux. Il n’est pas là pour juger, ni pour soigner. Juste pour écouter, partager son expérience, m’aider à garder le cap. Bien sûr, mon suivi thérapeutique n’a pas toujours été aussi léger. Aujourd’hui, je suis en rétablissement, mais ça ne m’empêche pas de rester très vigilant.
18h. Bilan de la journée : se recentrer et surtout protéger le sommeil
Généralement, je fais des journées de huit à neuf heures. Et le soir, en rentrant chez moi, après le dîner, je travaille encore un peu. Mais ce n’est pas pour faire la même chose, c’est un temps dédié à l’écriture. Au cours de la journée, j’ai souvent beaucoup de pensées qui arrivent, sans avoir le temps de me poser pour vraiment y réfléchir. Après dîner, j’écris au moins pendant une bonne demi-heure, pour les poser quelque part. Ça me permet de faire le point : voilà ce que j’ai compris aujourd’hui, voilà ce que je peux mettre en place. Si je ne le fais pas, je n’arrête pas d’y penser. Parfois, je me réveille en pleine nuit, surtout quand je suis dans une phase « up » (maniaque ou hypomaniaque). Écrire m’aide à reformuler mes pensées, à les sortir de ma tête. C’est ma façon de les apaiser.
Même si je ne pense pas à mon trouble toute la journée, je reste particulièrement attentif à mon sommeil. C’est ce qui donne un cadre à mes journées. Et c’est aussi le premier signe qu’un déséquilibre s’installe, quand je commence à basculer dans une phase up ou de dépression. C’est un vrai point sensible. Généralement, je ne prends que mon médicament le matin, mais si j’ai mal dormi la veille ou si je sens que ça commence à dériver, il m’arrive d’en prendre un autre pour m’aider à dormir.
C’est un classique, mais je fais très attention aux écrans. À partir de 22 heures, mon téléphone passe en noir et blanc, ça donne moins envie de le regarder. À la place, j’écris à la main. Et si je me réveille dans la nuit, ce qui arrive souvent en phase maniaque, le plus efficace pour moi, c’est de me lever et d’écrire. Rester allongé à tourner en rond ne m’aide pas. Je prends un carnet et je note ce qui me passe par la tête. Ça peut être des idées dans tous les sens, ou juste quelques phrases. Ce n’est pas grave. Ce qui compte, c’est de les sortir. Souvent, une fois que c’est posé, l’agitation retombe et je peux me rendormir.
Oui, tous ces rituels peuvent sembler très stricts, presque rigides. D’autant que la plupart des gens de mon âge vivent sans trop y penser, sans avoir besoin de surveiller leur routine, de boire de l’eau régulièrement ou de se coucher à heure fixe. Mais quand on est bipolaire, si on veut avancer et tenir sur la durée, ce n’est pas une option. C’est essentiel. Il faut veiller au sommeil et plus globalement à son équilibre de vie. Moi, je ne vois pas ça comme une contrainte. Ça me structure, ça m’aide à tenir debout. Au fond, ça me permet d’aller toujours plus loin et surtout, d’avancer plus sereinement.
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