Santé mentale : une prescription pour aller au musée ?
Entrer dans un musée, s’arrêter devant une œuvre, laisser venir une émotion. Pour beaucoup, c’est une sortie parmi d’autres. Mais chez Plein Espoir, on sait que quand on vit avec un trouble psychique, cela peut devenir bien plus. Une sortie au théâtre, un atelier d’arts plastiques, peut être proposé, parfois même prescrit, au même titre qu’un traitement médicamenteux. On parle alors de prescription muséale : une ordonnance pas comme les autres, où l’art vient en soutien de l’accompagnement thérapeutique, et ouvre, pas à pas, un chemin vers le mieux-être.
Pour mieux comprendre ce que recouvre cette pratique encore trop peu connue en France, on a rencontré Roxane Scheibli, déléguée générale d’Entreprendre pour aider, un fonds de dotation qui soutient le développement d’ateliers culturels à visée thérapeutique. Dans plusieurs régions, ces projets offrent à des personnes en souffrance psychique un autre accès à l’art. Non pas comme un loisir, mais comme un appui dans leur parcours de rétablissement et une reconnexion aux autres. Une façon de reprendre place, doucement, dans le monde.
Plein Espoir : On en parle de plus en plus, mais concrètement, qu’est-ce que la prescription muséale ?
Roxane Scheibli : Il y a deux manières de le voir, je crois. La première relève du soin. Un médecin, un psychiatre ou un professionnel de santé remet à une personne en souffrance une ordonnance un peu particulière. Au lieu d’un médicament, il y est proposé un cycle de visites au musée, un atelier d’expression ou une pratique artistique, plusieurs sorties au théâtre en groupe. Cette forme de prescription muséale, née au Canada en 2018 sous l’impulsion de Nathalie Bondil au Musée des Beaux-Arts de Montréal, s’adresse tout particulièrement aux personnes concernées par des troubles psychiques. L’idée, c’est d’ajouter autre chose au soin, quelque chose de plus humain, de plus ouvert.
Et puis il y a une autre approche, plus libre, plus intuitive. Elle ne passe pas forcément par une ordonnance ni par un cadre médical. Elle part simplement de l’idée que, parfois, l’art fait du bien. Une séance de cinéma, un spectacle, un moment de création partagé… Ce n’est pas un traitement au sens strict, mais une échappée discrète. Quelque chose qui touche, qui réveille en douceur. Par l’attention, la beauté, ou juste le fait d’être là, ensemble, à vivre quelque chose.
Plein Espoir : Si c’est prescrit par un professionnel de santé, est-ce que cela signifie que c’est remboursé ?
Roxane Scheibli : Oui, la prescription muséale implique qu’une prise en charge financière est prévue, d’une manière ou d’une autre. Dans certains territoires, ce sont les pouvoirs publics qui soutiennent ces dispositifs. Cela permet non seulement de faciliter l’accès aux lieux culturels, mais aussi d’accompagner des personnes qui, sans cela, ne se seraient peut-être pas tournées vers ce type de pratiques. Il existe aussi des structures philanthropiques, comme la nôtre, qui participent au financement de ces programmes.
Il est essentiel que ces sorties de groupe soient accompagnées par des professionnels formés, capables de créer un espace d’échange et d’écoute. Cela peut être un médiateur de santé ayant croisé son parcours avec une formation artistique, un art-thérapeute, ou encore un conservateur sensibilisé à l’accompagnement des personnes vivant avec des troubles psychiques. Ce qui compte, c’est la justesse du regard, et la capacité à faire lien. Le financement n’est pas un simple détail logistique : il garantit justement la solidité de la démarche thérapeutique. Sans cela, on risque de basculer vers quelque chose qui relève plus du loisir ponctuel, agréable, mais sans véritable suivi ni continuité. Pour que les effets soient durables, il faut du temps, de la régularité, de l’attention. C’est ainsi que la confiance revient : on ose prendre la parole, proposer une idée, participer à une activité. Peu à peu, on se sent utile, présent, à sa place, dans le groupe comme dans sa propre vie.
Plein Espoir : Quels sont les principaux bénéfices de la prescription muséale ?
Roxane Scheibli : Ils sont nombreux, et parfois même très importants. On le sait depuis longtemps : l’art et la pratique artistique peuvent faire beaucoup de bien. Qu’il s’agisse simplement de regarder une œuvre ou d’en créer une, l’art peut agir en complément d’un traitement médicamenteux et d’un suivi thérapeutique avec un psychologue ou un psychiatre. Être spectateur, c’est déjà se laisser toucher, éveiller une émotion, se reconnecter au monde. Mais les effets sont souvent plus forts quand on devient acteur. Quand on joue, qu’on dessine, qu’on crée quelque chose de ces mains. C’est ce que j’appelle les bienfaits du contournement. Par le théâtre, le dessin, les arts plastiques, on peut dire autrement ce qui, dans la vie quotidienne ou face à un médecin, peut rester bloqué. On déplace, on libère.
Cela permet aussi de prendre de la distance avec l’anxiété, de se concentrer sur autre chose que les symptômes qui nous accompagnent dans notre quotidien. La pratique artistique stimule les cinq sens, aide à se réancrer dans son corps, à retrouver un contact avec soi, avec ce qui nous entoure. Il réveille aussi des fonctions cognitives : la mémoire, l’attention, l’imaginaire. Les bénéfices sont multiples : on retrouve de l’aisance dans ses gestes, on prend confiance, on ose un peu plus. Et surtout, cela permet de sortir de l’isolement. Parce que dans ces moments-là, on échange, on partage, on écoute. On se nourrit des regards des autres, de ce qu’ils disent, de ce qu’ils créent. Et on se sent, peu à peu, moins seul. Certains professionnels estiment que cela peut participer au processus de “renarcissisation”, c’est-à-dire le fait d’améliorer l’estime de soi, d’éprouver de la fierté dans ce qu’on fait. Et pour certaines personnes, c’est même l’occasion de découvrir un talent jusque-là ignoré.
Plein Espoir : Et quelles en seraient les limites ou les précautions à garder en tête ?
Roxane Scheibli : Comme dans tout ce qui se développe rapidement, il y a un mouvement de fond très positif, et des expérimentations qui ont clairement montré l’impact bénéfique de la prescription muséale. Mais il faut rester vigilant. Comme partout, il existe des dispositifs mal conçus, mal encadrés. Pour que cela fonctionne vraiment, il faut que la démarche soit construite, par des professionnels de la santé mentale formés, mais aussi en lien étroit avec les personnes concernées. C’est ensemble que le cadre se pense et s’ajuste, pour que chacun y trouve sa place. Ce n’est pas une animation culturelle comme une autre, mais un espace à co-construire, au plus près des besoins et des envies de ceux qui y participent.
Un autre point fondamental, c’est le temps. Une simple sortie au musée, isolée, ne suffit pas. Pour que ce soit véritablement utile, il faut que le projet s’inscrive dans la durée plusieurs semaines, plusieurs mois, voire davantage. C’est dans la continuité que les effets durables s’observent. Enfin, il ne s’agit pas seulement de regarder, mais d’entrer en lien. La visite d’un musée peut être un point de départ, mais elle doit inviter à autre chose : une réaction, un échange, une mise en mouvement. Qu’est-ce qu’on a vu ? Qu’est-ce que ça a fait naître ? Qu’est-ce que ça raconte de soi, des autres, du monde ? Et surtout, qu’est-ce qu’on a envie d’en faire ? Un mot, un geste, une création. La prescription muséale prend tout son sens quand elle devient un terrain de rencontre, de dialogue, de transformation où chacun peut se réapproprier l’art, à sa manière.
Plein Espoir : Comment peut-on y avoir accès ? Faut-il être suivi en psychiatrie, faire partie d’un GEM ou d’une association ?
Roxane Scheibli : En France, il n’existe pas encore de déploiement uniforme sur tout le territoire. Ce sont des initiatives locales, portées par certains établissements, associations ou collectivités. On en trouve dans quelques villes, dans certains départements, mais ce n’est pas généralisé.
Pour savoir ce qui a été mis en place près de chez soi, le plus simple est de se renseigner auprès des structures de santé mentale, des associations locales ou des services culturels de sa commune. Parfois, ce sont des établissements publics qui portent ces initiatives, parfois des structures associatives ou des fondations. Ce qu’il faut garder en tête, c’est que la prescription muséale ne remplace pas un accompagnement thérapeutique. Elle ne s’y substitue pas, mais peut l’accompagner. Un appui parfois important sur le chemin du rétablissement.
Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.
Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.