Pair-aidance : un métier qui cherche sa place
La santé mentale, c’est un sujet qui nous touche tous, directement ou indirectement. Quand on vit avec des troubles psychiques, on sait à quel point le chemin peut être difficile, jusqu’à nous isoler . Dans ce contexte, la pair-aidance a émergé comme une bouffée d’air : des personnes qui ont traversé des expériences similaires viennent à notre rencontre, non pas en tant que soignants, mais comme compagnons de route, avec ce regard unique que seule la connaissance du vécu peut offrir.
Pourtant, parler de professionnalisation dans ce domaine, ce n’est pas si simple. On pourrait penser qu’il suffit de mettre en place des formations, des diplômes, pour mieux encadrer cette aide précieuse. Mais en réalité, la pair-aidance, c’est bien plus qu’un métier à formaliser. C’est un savoir-faire humain, qui repose sur la confiance, le partage, et la réciprocité. Comment alors trouver un équilibre, pour que cette professionnalisation nous serve sans perdre ce qui fait sa richesse ? Comment éviter les obstacles que rencontre la pair-aidance pour se développer ?
Transformer son expérience en compétence : des formations qui offrent une boîte à outils
À l’origine, la pair-aidance s’est développée de façon informelle, dans les services psychiatriques, les Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM) ou encore les associations. C’était (et c’est encore) une main tendue entre personnes concernées, basée sur la réciprocité, l’écoute et la confiance. Mais depuis une dizaine d’années, une dynamique de professionnalisation est à l’œuvre.
En France, plusieurs formations ont vu le jour, dont le Diplôme Universitaire (DU) du centre hospitalier Le Vinatier, à Lyon, pionnier en la matière. Fabrice Saulière, coordinateur de la formation, en précise les contours : 121 heures de cours, un stage de 35 à 70 heures, un mémoire et un programme dense. « Chaque année, nous formons entre trente et quarante pairs-aidants, sélectionnés via un processus rigoureux, avec notamment la condition d’être en situation de rétablissement d’un trouble psychique. »
L’objectif ? Fournir une véritable boîte à outils pour accompagner efficacement les personnes concernées. « Nous abordons la méthodologie des entretiens, la gestion relationnelle et affective, les stratégies pour demander de l’aide ou se protéger lorsqu’on se sent dépassé. Nous préparons les pairs-aidants à la complexité des relations humaines, souvent délicates. Le lien qui se crée est particulier, car il repose sur une expérience vécue commune. »
Le programme couvre aussi l’éducation thérapeutique du patient : construire et animer des groupes de psychoéducation, appréhender les bases de l’anthropologie sociale de la maladie. À cela s’ajoutent des modules sur les plans de rétablissement, les traitements, la stigmatisation, la prévention du suicide, les directives anticipées en psychiatrie, l’insertion par le logement (notamment avec le modèle “Un chez soi d’abord”), ou encore la périnatalité et la parentalité. « Les pairs sont souvent experts de leur propre trouble, mais pas forcément des autres. On travaille donc une culture générale en santé mentale, et on les aide à valoriser leur savoir expérientiel à bon escient. Il ne s’agit pas de tout raconter à l’autre, mais d’utiliser son vécu au bon moment, de façon pertinente. »
La fonction de pair-aidant est à la fois riche et variée. Elle permet une réelle capacité d’action et une large marge de manœuvre. Aujourd’hui, la pair-aidance informelle, forme d’entraide spontanée entre personnes concernées telle qu’on la trouve entre personnes hospitalisées ou dans des contextes spontanés coexiste avec une pair-aidance professionnalisée. « Nous cherchons à structurer cette entraide pour en faire une véritable activité professionnelle », poursuit Fabrice Saulière. « De plus en plus de personnes en poste viennent valider leur pratique par ce diplôme. Cela les aide à consolider leurs acquis et favorise leur recrutement. » Les candidats ayant un projet professionnel sont particulièrement encouragés, qu’il s’agisse d’un emploi salarié ou d’un engagement bénévole dans une association, un GEM (Groupe d’entraide mutuelle) ou une structure médico-sociale — des secteurs qui recrutent de plus en plus de pairs-aidants.
Aujourd’hui, le terme de pair-aidant recouvre une grande diversité de profils et de structures. Mais cette voie professionnelle, encore émergente, demeure parfois floue et méconnue. La structuration en cours cherche à lui donner toute sa légitimité. Pour autant, cette voie professionnelle n’est pas toujours linéaire.
Le métier de pair‑aidant : entre engagement personnel et cadre encore flou
Lorsque Laurent intègre, en 2018, la promotion lilloise de la licence Médiateur de Santé Pair, il sait qu’il s’aventure sur un terrain neuf. Ils sont 33 – des personnes concernées aux parcours variés – unies par la même envie : transformer l’expérience de la maladie en ressource partagée. « La richesse des échanges m’a marqué : nous mettions nos récits en commun et apprenions les uns des autres. Là, j’ai compris ce que signifie vraiment “capitaliser l’expérience”. » Il note cependant un léger décalage entre certains modules de sociologie très théoriques et les besoins concrets du terrain : « Pour travailler dans un Lieu Halte Soins Santé, j’aurais préféré approfondir les addictions, par exemple. »
Sur le terrain : un rôle encore méconnu
Pair‑aidant dans le médico‑social, Laurent navigue alors entre LHSS (Lits Halte Soins Santé), appartements thérapeutiques, SAMSAH et associations. Il se souvient d’avoir souvent dû expliquer sa présence auprès d’équipes médicales pas toujours conscientes du rôle de pair-aidant et soulevant l’enjeu de leur intégration dans les équipes pluridisciplinaires. Pour Fabrice Saulière, une meilleure information serait la clef pour une collaboration réussie. « Certains pair-aidant arrêtent leur métier à cause d’une mauvaise préparation à leur intégration. Face à ces résistances, il faudrait déjà rassurer les équipes en leur expliquant qu’on n’est pas là pour remplacer les infirmiers, mais pour les compléter. On ne fait pas le même métier : nous ne faisons pas d’injections, ne prenons pas la tension ou le pouls lors d’examens médicaux. Il faut aussi partager toute la littérature scientifique qui a montré l’efficacité de la pair-aidance. Et tordre le coup à une idée reçue : non, le pair aidant ne va pas devenir pote avec les patients, il y a un cadre professionnel strict. Ce n’est pas un loisir, c’est un travail. » Laurent s’interroge sur ces incompréhensions. Le terme de « médiateur » pourrait aussi créer de l'ambiguïté selon lui : est-ce que le pair est là pour aider, ou pour arbitrer ? « Cela marque un peu trop l’idée d’une relation conflictuelle à résoudre entre usagers et soignants. Je préfère parler “d’éveilleurs de ressources”.»
Faire carrière ? Une question ouverte
Si depuis 2012, plusieurs formations ont essaimé en France, la profession elle, n’est toujours pas inscrite au registre national des certifications professionnelles, le statut administratif reste flou, la rémunération variable, quand il ne s’agit pas d’une activité bénévole, et de fait, la catégorie pair‑aidant n’existe même pas sur la déclaration d’impôts. Pour autant, dans le cadre de la Grande Cause Nationale 2025 dédiée à la santé mentale, les choses avancent. La HAS (Haute Autorité de Santé) a ainsi dévoilé une note de cadrage pour notamment clarifier les différentes dénominations comme patient partenaire, pair-aidant, patient expert, pair-intervenant, médiateur santé-pair…) et formuler des recommandations de bonnes pratiques,afin de détailler les compétences attendues d’un pair-aidant et clarifier leur place au sein d’équipes pluriprofessionnelles.
Mais peut-on « faire carrière » dans la pair-aidance et l’envisager comme un métier ? Pour Laurent, la réponse est nuancée. Après huit ans de pratique, il décide d’arrêter. Non par rejet, mais par nécessité : « À chaque fois qu’on témoigne, on réactive le diagnostic. On passe notre vie à répéter qu’on a eu une schizophrénie. Mais à un moment, on a aussi envie d’être autre chose. » Il se tourne alors vers ses premières amours : la musique, l’écriture, le théâtre et coécrit une pièce de théâtre, en poursuivant son œuvre vers la déstigmatisation. Pour lui, la pair-aidance est un passage, pas un statut figé : « Ce n’est pas parce qu’on s’est rétabli qu’on peut aider tout le monde. Et surtout, on ne doit pas croire qu’on est un sauveur. » Son témoignage pose une question essentielle : comment faire exister une profession sans enfermer l’individu dans son passé ? La professionnalisation, si elle est nécessaire, doit rester souple. Elle doit reconnaître les parcours variés, intégrer les expériences bénévoles, et permettre à chacun de trouver sa manière d’être utile. Pour Laurent, la pair-aidance aura été un passage. Une étape de réappropriation de soi, sans pour autant devenir un métier à vie. « Au début, je pensais que je ferais ça toute ma vie. Aujourd’hui, je dis : non. Pas pour moi. C’est trop confrontant. Trop lié à ce que j’essaie justement de dépasser. » C’est peut-être là que se joue une réflexion clé : se professionnaliser en pair-aidance n’est pas toujours une évidence.
Et maintenant, quelles alternatives ?
Laurent ne renie rien. s’il défend le métier de pair aidant, avec conviction, nuance, lucidité, il invite aussi à imaginer d’autres formes d’engagement : la recherche, l’éducation populaire, l’art, le militantisme, la transmission. « La créativité, pour moi, c’est une forme de soin. Une autre manière d’aider, sans s’y perdre. » Ce que Laurent pose là, c’est une brèche. Une ouverture. Un espace pour penser la pair-aidance autrement : non comme un rôle figé, mais comme une manière d’être en relation, temporairement ou pleinement.
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