« Quand les troubles sont arrivés, la pratique artistique a été un refuge pour moi »
Créer pour se relier aux autres. Pour Maximilien Durant, artiste et médiateur de santé pair, la pratique artistique est plus qu’un refuge : c’est une façon de rendre ses troubles visibles, de dire qui il est et de trouver, autrement, sa place dans le monde.
Pour Plein Espoir, il nous raconte comment la création peut devenir, pour certains, un véritable espace de rencontre. Le chant, la peinture, la magie, et l’écriture sont des activités qui l’aident à avancer dans son rétablissement personnel, elles sont aussi une façon de partager et de se rapprocher, un peu plus, des autres. Une posture que l’on expérimente régulièrement chez Plein Espoir, y compris pour cet article !
Plein Espoir : Tu fais de la musique, de la peinture, tu écris des recueils de poésie, tu animes une chaîne YouTube où tu parles de ton trouble psychique… Est-ce que tu avais déjà une pratique artistique régulière avant les premiers symptômes de la schizophrénie ?
Maximilien Durant : Mon premier moyen d’expression, ça a été le chant et j’ai commencé dès que j’ai eu des cordes vocales (rires). Bien avant l’arrivée de mes premiers troubles qui sont arrivés au collège. C’est assez paradoxal, parce que j’ai toujours été un enfant plutôt timide. Mais chanter, c’était instinctif, ça me faisait du bien, c’était une façon pour moi d'exprimer ce que je ressentais au plus profond de moi, et de sortir une certaine colère. J’ai découvert très tôt, vers sept ou huit ans, le rock, AC/DC, Alice Cooper et en cherchant un peu plus loin, au fil des années, je suis tombé sur des groupes japonais, dont je regardais les traductions sur internet. Mes parents n’ont jamais été fans, pour eux c’était juste du bruit. Certaines chansons résonnaient si fort en moi qu’il pouvait m’arriver de pleurer en écoutant la voix du chanteur ou juste l’instrumental et en même temps, ça me faisait du bien. Plus tard, j’ai monté des groupes. Faire de la musique à plusieurs, partager cette énergie entre nous et avec un public me plaisait énormément.
Petit, j’aimais aussi la magie, c’est une forme d’expression qui nécessite qu’on entre dans un personnage, qu’on tienne un rôle. Je me souviens quand j’étais plus jeune, je faisais des tours dans la salle d’attente du psychiatre ou celle du médecin généraliste. Il fallait oser quand on y pense, car j’ai toujours été un grand timide. Pendant ma licence de psychologie à la fac, je faisais des spectacles avec ma copine de l’époque : il y avait du piano, du chant, de la magie, le tout théâtralisé et avec beaucoup d’humour.
Plein Espoir : Est-ce que les troubles psychiques ont eu un impact sur ta pratique artistique ?
Maximilien Durant : Alors que je n’ai jamais vraiment aimé écrire, j'ai découvert la puissance de l'écriture quand j'étais au lycée. Je me suis rendu compte que c'était un moyen de m'exprimer autrement, une façon de jeter sur papier ce que je ressentais au plus profond de moi et de prendre un peu de distance avec ce que je vivais. Il fallait que ça sorte d'une façon ou d'une autre. Quand le diagnostic est tombé, en première au lycée, ça a été un choc. Et en même temps, j’avais un besoin presque vital d’exprimer ce que je traversais. J’ai écrit plusieurs recueils de poésie, inspirés de ce que je vivais. C’était aussi une manière de laisser une trace, d’essayer de rendre compréhensible ce que je ressentais, pour les autres… et pour moi-même. Quand on te dit que tu es atteint de schizophrénie, que tu dois vivre avec des hallucinations auditives et visuelles, qu’une voix te pousse à te faire du mal ou aux autres, c’est impossible d’imaginer que ça n’a pas d’impact. Ça change ta vie dans chacun de ses aspects. Même si j’ai vraiment envie de faire quelque chose, il suffit de voir à quel point il est difficile d’être motivé. J'essaie de me forcer un maximum, parce que je sais qu'au bout d'une demi-heure, je vais ressentir du plaisir à pratiquer une activité. Et puis, la mémoire aussi est touchée. Ce n’est pas simple de se souvenir d’un texte, ni des mouvements pour réaliser un tour de magie et encore moins de l’ordre dans lequel les enchaîner.
Plein Espoir : Tu animes aussi une chaîne YouTube, Maximilien Durant Schizophrénie, où tu parles de ta maladie. Est-ce que la création, pour toi, c’est une façon de créer une communauté, d’échanger avec d’autres ?
Maximilien Durant : Ces dernières années, on parle de plus en plus de santé mentale, c’est vrai, mais la schizophrénie reste très stigmatisée dans notre société. Beaucoup de personnes préfèrent cacher leur trouble, ou dire qu’elles souffrent d’une dépression ou d’un trouble bipolaire, plutôt que d’avouer qu’elles souffrent de schizophrénie. Malheureusement, de nombreux clichés entourent ce trouble. On dit souvent que les personnes concernées sont violentes… alors qu’en réalité, elles sont plus souvent victimes d’agressions. Quand le diagnostic de ma maladie est tombé, j’ai même vu le regard de mes proches changer, j'ai eu l'impression qu'on me regardait comme si j'étais un monstre. Mes proches ne me faisaient plus confiance, ils se sont éloignés de moi. Mes parents étaient très inquiets quand la psychiatre nous a dit que je ne serais peut-être jamais capable de travailler, ni même de faire un café. Aujourd’hui, mon parcours montre tout l’inverse, même si je ne sais toujours pas faire de café, parce que je n’en bois pas. Je suis devenu médiateur de santé pair, après avoir été bénévole dans plusieurs associations, comme La Maison Perchée. J’ai aussi témoigné de mon histoire à travers différents formats, notamment lors des Journées de la Schizophrénie ou avec Positive Minders. Dans mon travail, il m’arrive de rencontrer des parents dont un proche est concerné par la schizophrénie. Je leur raconte qu’il est possible d’aller mieux, pour leur proche comme pour eux. Et souvent, cela suffit à redonner un peu d’espoir, à briser la solitude, là où ils se sentent perdus. Je montre aussi aux personnes que j’accompagne qu’il est possible de retrouver une vie satisfaisante pour soi.
Pendant longtemps, j’ai eu peur de parler de ma maladie. Aujourd’hui, témoigner de mon parcours et parler de santé mentale pour contribuer à déstigmatiser les troubles psychiques est devenu mon combat et, d’une certaine manière, une forme de thérapie.
C’est ce que je fais sur ma chaîne YouTube, même si je suis un peu moins actif en ce moment, faute de temps. Mon objectif : informer, déconstruire les idées reçues sur la schizophrénie, redonner de l’espoir aux personnes concernées, à leurs proches, mais aussi aux soignants. Oui, on peut reprendre sa vie en main ! Je suis très touché par les commentaires et les témoignages que je reçois régulièrement. Plus que la création d’une communauté, j’y vois un lien humain fort. Et si cela permet d’aider ne serait-ce que quelques personnes, alors je me dis que j’ai déjà accompli quelque chose. C’est essentiel pour moi.
Plein Espoir : Tu proposes également des ateliers artistiques à des personnes concernées, en tant que pair aidant. Tu peux nous en dire un peu plus ?
Maximilien Durant : Dans mon chemin de rétablissement, la pratique artistique a pris une place importante. Et je vois bien que beaucoup de personnes concernées cherchent, elles aussi, une activité dans laquelle s’épanouir, sans toujours savoir par où commencer.
Quand j’étais encore mineur, on m’a proposé un atelier d’art-thérapie. J’ai essayé… et franchement, ça ne m’a pas plu. Aujourd’hui, quand on me pose la question, je conseille d’essayer plusieurs choses. Le rétablissement, c’est un voyage : il faut explorer, tester.
Avant même de savoir si une activité nous plaît, on peut commencer sans professeur. Internet est une véritable mine d’or. Et si ça accroche, il sera toujours temps, ensuite, de suivre des cours pour approfondir. Je leur dis aussi de ne pas se mettre la pression : c’est un moment pour eux, rien qu’à eux. On ne cherche pas la perfection. En ce moment, je peins et j’écris un peu moins. Ce qui m’anime le plus depuis deux ans, c’est d’être maître du jeu dans des jeux de rôle. J’ai découvert que cette activité, à la croisée entre le jeu de société et le théâtre, me faisait beaucoup de bien et qu’elle pouvait aussi apporter énormément aux personnes que j’accompagne. C’est pourquoi j’ai proposé une partie de jeu de rôle aux usagers de l’hôpital de jour où je travaille. Mon objectif, à terme, serait d’en faire une activité régulière, sur une plus longue durée. Car le jeu de rôle permet de travailler de nombreuses choses, souvent sans même s’en rendre compte : la mémoire, la concentration, la capacité à se mettre à la place de l’autre, à ressentir des émotions… mais aussi la confiance, l’estime et l’affirmation de soi. Je le vois vraiment comme un outil complet au service du rétablissement.
Plein Espoir : Est-ce que tu dirais que la pratique artistique, peu importe le médium, c’est une façon de partager des choses avec d’autres, de faire des expériences, de se faire du bien ?
Maximilien Durant : Déjà, il faut arrêter avec le cliché selon lequel avoir des troubles psychiques donnerait des dispositions particulières pour l’art. L’important, c’est de trouver ce qui nous parle et ce qui nous fait du bien. Ça peut être de l’art, mais aussi du sport, ou tout autre chose. Dans mon cas, l’écriture a été essentielle. Ça m’a permis de comprendre mon propre chemin, de voir ce que j’avais déjà accompli, de me demander où j’en étais. C’est un travail de réflexion. La peinture, c’est autre chose. Quand je peins, je me déconnecte complètement, j’oublie la maladie, je ne pense plus aux symptômes. Je teste des choses, j’apprends seul, je suis fier de certaines de mes créations. C’est d’autant plus valorisant quand l’entourage nous encourage à continuer, et qu’on commence à vendre ses tableaux.
Et puis, après la création, vient l’envie de partager. Je suis très fier d’avoir autoédité deux recueils de poésie. Les tenir entre mes mains, c’est concret, c’est la preuve que j’ai réussi à aller jusqu’au bout. Ce ne sera pas un best-seller, mais peu importe : je l’ai fait pour moi, pour me montrer, une fois de plus, que j’étais capable de réaliser des choses.
J’ai aussi eu la chance de montrer mes tableaux dans des expositions collectives, alors que, pendant longtemps, je m’étais convaincu que la peinture ce n’était pas fait pour moi.
Après, ce qui est difficile avec la schizophrénie, quelle que soit l’activité, c’est de réussir à s’y mettre. L’envie est là, mais la mise en action demande un effort immense. C’est quelque chose que je constate aussi chez les personnes que j’accompagne : ce n’est pas qu’elles ne veulent pas, c’est que parfois, elles n’y arrivent pas. Parce que ça demande une énergie que les autres ne soupçonnent pas. Alors oui, on ne peut pas le faire tous les jours, mais quand on y arrive, quand on crée, et qu’en plus on reçoit des retours positifs, ça compte. Ça donne du sens. Et surtout, ça crée du lien.
Plein Espoir : Quels seraient les prochains terrains artistiques que tu aimerais explorer et dans quel objectif ?
Maximilien Durant : Aujourd’hui, mon travail auprès des usagers en psychiatrie fait pleinement partie de mon propre parcours de rétablissement. Je partage mon expérience et mes idées, aussi bien avec eux qu’avec les professionnels de santé. Du côté de la pratique artistique, j’aimerais continuer à faire des vidéos pour casser les clichés sur la schizophrénie et parler d’autres troubles psychiques. C’est important pour moi d’être un porte-parole d’espoir. Et de l’espoir, on en manque.
Après et c’est ce que je répète souvent aux personnes que j’accompagne : il ne faut jamais se fermer de portes. Par exemple, j’ai déjà essayé la danse country, en famille. Ce n’est pas pour moi, pour l’instant. Mais qui sait ? Peut-être que dans dix ans, ça le deviendra. Il faut tester, sortir un peu de sa zone de confort. C’est comme ça, aussi, qu’on avance dans son parcours de rétablissement. On tâtonne, on explore, on fait des découvertes, de belles rencontres… et surtout, on apprend à mieux se connaître. On se redécouvre, on évolue. Pour finir, oui, la souffrance psychique peut s’exprimer dans l’art, mais elle n’en est pas la condition. Ce qui compte, c’est l’envie d’essayer, de chercher, d’expérimenter. Ce sont ces pas-là, parfois hésitants mais sincères, qui nourrissent le processus de rétablissement.
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