« J’ai transformé mon histoire en force » : grandir avec un parent en souffrance psychique
Mickaël, game designer, vit avec un trouble borderline. Sa mère aux multiples épisodes dépressifs, souffrait probablement du même trouble, mais elle n'a jamais été diagnostiquée ni suivie. Dans ce témoignage pour Plein Espoir, il raconte comment grandir aux côtés d’une mère vivant avec un trouble psychique a façonné sa personnalité et ses choix de vie et surtout, comment il a réussi à transformer cette histoire en force en créant un jeu vidéo immersif qui sensibilise à la santé mentale et explore la complexité des émotions humaines.
Mon projet s'appelle The Others (“les autres” en français, ndlr) et c'est probablement l'œuvre la plus importante de ma vie. Un jeu vidéo où, en découvrant les pathologies des autres personnages, on se découvre soi-même. Le joueur se met dans les baskets des personnes vivant avec un trouble psychique pour mieux les comprendre. C'est ma façon d'expliquer : « Regardez, c'est ça que vivent ces personnes ! » Quelque part, c'est aussi un moyen de transformer mon histoire personnelle en quelque chose d'utile. Pour comprendre comment j'en suis arrivé là, il faut remonter à mon enfance, qui m'a appris l'empathie d'une manière singulière.
L'image a été générée par une intelligence artificielle
Quand l'enfant devient l'adulte de la maison
Ma mère était une femme triste, toujours habillée en noir, qui écoutait Edith Piaf en boucle, en proie avec de nombreux épisodes dépressifs. Elle avait perdu un enfant juste avant moi et me répétant souvent que j'aurais dû avoir un grand frère. Ce qui fait que je me suis longtemps senti comme un enfant « pansement », celui qui devait réparer cette blessure.
Mon enfance a été marquée par ce qu'on appelle la parentification, c'est-à-dire l'inversion des rôles parent-enfant. Très tôt, j'ai été responsabilisé pour les tâches ménagères : dès 11 ans, je faisais la cuisine, le ménage et je gérais le quotidien, surtout pendant les périodes où mes parents étaient séparés et où ma mère était au plus mal, incapable de sortir de son lit. Je veillais également sur mon frère cadet, qui lui, a été plus épargné. En tant qu’aîné, j’étais un peu le chef de famille par intérim.
Cette situation était complexe à vivre. D'un côté, endosser ces responsabilités me donnait le sentiment d'être indispensable à la maison, avec l’espoir de me faire aimer davantage par ma famille. De l'autre, je ressentais de la frustration, celle de faire des choses qui n'étaient pas de mon âge. Avec le recul, je me dis que j'ai appris plein de choses utiles très jeune et que je suis devenu rapidement autonome, avec un sens des responsabilités assez développé pour mon âge. Mais sur le moment, je vivais surtout dans l'évitement des conflits et dans ce besoin constant de prendre soin des autres, et surtout de ma mère, ce qu'on appelle le syndrome du sauveur.
Mes parents, issus d'une génération qui ne prenait pas soin de sa santé mentale, n'ont jamais consulté. Ils étaient dans un schéma de victimisation permanente, incapables d'entendre la souffrance de leurs enfants. Hélas, ma mère n'a jamais suivi de traitement pour soigner sa dépression. Après plusieurs tentatives de suicide, elle s'est donné la mort l'année dernière, deux jours avant ce qui aurait dû être son premier rendez-vous chez un psychologue. Un cap qu'elle n'a jamais réussi à passer malgré mes encouragements à suivre une thérapie (si vous traversez une période difficile ou avez des pensées suicidaires, contactez le numéro national de prévention du suicide au 3114, accessible gratuitement et anonymement 24h/24 et 7j/7).
Le déclic : comprendre pour mieux se reconstruire
À son décès, j'ai ressenti une culpabilité immense, comme si j'avais échoué à cette mission que je m'étais donnée depuis l'enfance : la sauver. Mais c'est justement ce deuil qui m'a poussé à entamer un vrai travail thérapeutique. Aujourd'hui, avec du recul et un accompagnement au CHU de Montpellier, j'ai compris que ce n'était pas ma responsabilité. J'étais un enfant, puis un jeune adulte qui faisait de son mieux avec les outils qu'il avait.
Le vrai tournant, ça a été mon diagnostic et mon suivi dans un programme pour les personnes atteintes d'un trouble de l'humeur borderline. Deux heures chaque semaine, tous les jeudis, on partage nos récits entre pairs. En observant ce que je ressens et en écoutant les autres, j'ai retrouvé ma mère. Je suis aujourd'hui convaincu qu'elle avait le même trouble que moi, qui d’ailleurs peut avoir un caractère héréditaire.
Les personnes concernées sont hypersensibles, écorchées vives. Elles vivent les émotions de manière très intense et mettent beaucoup de temps à les faire passer. Leurs problèmes d'estime de soi sont souvent amplifiés par des schémas familiaux difficiles. Or ma mère avait elle-même eu une enfance difficile et elle a reproduit ce schéma.
Prendre conscience et se détacher des vieux schémas
Ce qui a vraiment changé pour moi, c'est la prise de conscience. Grâce au suivi thérapeutique, j'ai appris à identifier les mécanismes automatiques qui me guidaient depuis l'enfance. Ce besoin compulsif de sauver les autres, d'éviter les conflits à tout prix, de me rendre indispensable pour être aimé... aujourd'hui, je les reconnais quand ils se manifestent. Et surtout, je peux choisir de ne pas les suivre aveuglément.
Je ne dis pas que c'est facile ou que tout est réglé. Ces réflexes sont profondément ancrés. Mais maintenant, quand je sens que je glisse dans ce rôle de sauveur, je peux m'arrêter et me demander : "Est-ce que je fais ça pour l'autre ou pour apaiser mon anxiété ? Est-ce vraiment ma responsabilité ?" Cette distance critique, c'est ce qui fait toute la différence. Je ne suis plus prisonnier de ces schémas, je les observe, je les travaille.
Mon copain m'aide beaucoup dans ce processus. Nous avons construit une relation saine, où je n'ai pas besoin de m'oublier pour être aimé. C'était nouveau pour moi au début, presque déstabilisant, mais c'est libérateur. J'apprends petit à petit à poser des limites, à dire non, à reconnaître mes besoins sans culpabiliser.
Transformer l'expérience en projet porteur de sens
Aujourd'hui, j'ai la chance d'exercer le métier de game designer alors qu'au départ, j'étais juste un geek qui aimait les jeux vidéo ! Petit à petit, j'ai orienté ma carrière sur des sujets éthiques : diversité, inclusion, accessibilité, impact social. J'avais besoin de trouver de la valeur dans ce que je faisais, mais différemment qu'avant.
La différence, c'est que je ne crée pas mon projet par obligation ou par culpabilité, mais par choix conscient. Je ne cherche plus à "sauver" qui que ce soit. Avec mon jeu vidéo The Others, je veux raconter des histoires émouvantes autour des patients tout en sensibilisant sur les différentes pathologies mentales mais je le fais avec des limites claires, en préservant ma propre santé mentale et mon équilibre.
Ce projet est important pour moi parce qu'il transforme l'expérience difficile de grandir avec un parent qui a un trouble psychique en quelque chose d'utile pour la société. Mais contrairement à l'enfant que j'étais, je sais maintenant que ma valeur ne dépend pas de ce que j'apporte aux autres. Je ne porte plus le poids du monde sur mes épaules. Je crée ce jeu parce que ça a du sens pour moi, pas parce que je dois réparer quelque chose.
Et puis, je m'en suis plutôt bien sorti, je suis fier de mon parcours de vie et d'œuvrer à mon rétablissement chaque jour. Cela n'a été possible que parce que j'ai accepté de demander de l'aide, de suivre un accompagnement thérapeutique, et d'ouvrir les yeux sur les mécanismes qui me guidaient. Mon message aux personnes qui ont grandi dans des contextes similaires, est celui-là : il est possible de se reconstruire, de sortir des vieux schémas, mais cela demande un travail actif. La prise de conscience est la première étape, le suivi thérapeutique est un outil précieux, et s'entourer de personnes bienveillantes fait toute la différence.
Mon histoire avec ma mère n'a pas eu de happy end, mais mon histoire à moi n'est pas terminée. Et aujourd'hui, je peux dire que j'en écris les chapitres avec plus de liberté et de sérénité.
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