Un réveillon solidaire pour adoucir une période difficile pour la santé mentale
Pour beaucoup d’entre nous, les fêtes de fin d’année ne riment pas forcément avec grands repas et joie partagée. Entre les bilans que nous dressons malgré nous, la solitude qui s’invite dans les journées trop courtes et les tensions familiales, cette période peut être éprouvante, parfois mélancolique. À Libourne, le Kiosque 12, groupe d’entraide mutuelle (GEM), a trouvé une manière d’y remettre un peu de chaleur : organiser un réveillon le plus inclusif possible, où l’on peut vraiment venir comme on est.
Que l’on vive avec un trouble psychique ou non, la période entre Noël et le jour de l’an peut être difficile à vivre. C’est un moment où l’on repense à tout ce qui s’est passé pendant l’année, à ce qu’on a réussi, à nos échecs, à ce qu’on aurait aimé faire autrement. Dans ces jours un peu suspendus, il arrive de se sentir isolé et de se replier un peu sur soi. Les personnes qui font partie de notre quotidien sont prises par leurs obligations familiales ou s’éloignent quelques jours. Et la lumière de l’hiver, qui décline chaque jour un peu plus tôt, accentue encore l’impression de solitude.
Alors, pour alléger ce moment qui serre souvent un peu le cœur, le Kiosque 12, le groupe d’entraide mutuelle (GEM) de Libourne, en Gironde, a trouvé une solution : organiser son propre nouvel an. L’idée voit le jour en 2009, lorsque cinq membres de l’association prennent conscience qu’ils s’apprêtent à passer cette soirée chacun de leur côté, seuls avec leurs inquiétudes, leurs doutes et ce sentiment diffus d’échec que les fêtes ont parfois le don de raviver. Pour donner à l’arrivée de la nouvelle année un peu plus d’élan, ils décident de sortir les casseroles, préparer ensemble une paëlla, dans la petite salle où ils se retrouvent chaque semaine. Chacun s’investit à sa manière, avec ce qu’il peut, sans obligation ni mise en scène. En chemin vers la soirée, ils croisent d’autres personnes isolées, parfois à la rue, et les invitent simplement à se joindre à eux. Une façon, modeste mais puissante, de transformer une date qu’on redoute en un moment de chaleur collective, et de rappeler que, pour la santé mentale aussi, le lien reste souvent le meilleur des remèdes.
Une fête qui a pris de l’ampleur au fil des années
« Quinze ans plus tard, c’est près de 180 personnes qui viennent chaque année faire la fête avec nous », raconte Ginou, coprésidente de l’association qui participe à l’événement depuis 2011. Les festivités ne se tiennent plus dans les locaux du GEM, désormais trop petits, mais dans une grande salle prêtée par la mairie pour l’occasion. Au fil des années, la ville de Libourne, la Fondation de France, le Crédit Mutuel ainsi que plusieurs associations locales se sont associés à l’initiative, donnant à ce réveillon une ampleur qu’aucun des membres n’avait imaginée au départ. « On a commencé petit, mais chaque année, on a ajouté quelque chose, et on est fier de voir que ça rassemble autant et pas seulement des membres de l’association et leurs proches », ajoute-t-elle.
La fête est ouverte à tous, adultes comme enfants, qu’on soit directement concerné par des troubles psychiques, proches aidants, ou simplement à la recherche d’un lieu bienveillant pour passer le cap de la nouvelle année. Ici, pas d’étiquette à l’entrée, seulement une inscription par téléphone. La soirée est encadrée par les deux salariés de l’association, Sandrine, la coordinatrice, et Benjamin, l’animateur, présents tout au long du réveillon pour veiller à ce que chacun se sente en sécurité. Une participation est demandée — six euros pour les adultes, quatre pour les enfants — avec la possibilité de donner davantage pour ceux qui le souhaitent, afin de soutenir l’initiative. Début décembre, près d’une centaine de personnes avaient déjà réservé leur place, signe que le besoin d’un espace apaisé et accueillant, en cette période chargée émotionnellement, est bien réel.
Oser sortir de sa zone de confort et réaliser qu’on peut faire beaucoup de choses
Choix des groupes de musique, idées d’animations, décoration de la salle, échanges avec le traiteur, organisation de l’accueil et du service : pendant des mois, les membres du GEM qui le souhaitent s’investissent dans la préparation de la soirée. Non pas sous la pression d’un résultat à atteindre, mais dans un cadre où chacun peut trouver sa place, à son rythme. « Cette année, on a commencé à en parler dès le mois de juin, raconte Benjamin, l’animateur du Kiosque 12. Sur les trente-cinq membres de l’association, beaucoup se portent volontaires pour donner un coup de main. Certains sont plus à l’aise avec les activités manuelles, d’autres préfèrent s’occuper de l’accueil ou des réservations. Chacun fait comme il le veut et quand il peut. » Petite nouveauté cette année : une tombola est organisée avec le soutien des commerçants de la ville. « Pour récolter tous les lots, on a dû expliquer notre initiative à des personnes très éloignées de nous et qui ne connaissent pas toujours les troubles psychiques. Au prix de beaucoup de pas, on a réussi à tout rassembler. C’est une vraie réussite », sourit Ginou.
Pour Benjamin, cette initiative va bien au-delà de la visibilité donnée à l’association, à la déstigmatisation ou à la sensibilisation aux troubles psychiques, elle permet à ces membres de se découvrir autrement. Beaucoup réalisent qu’ils sont capables de s’engager, de s’organiser, de tenir un rôle dans la durée, là où ils pensaient parfois devoir se contenter de composer avec leurs fragilités. « Tout le monde est heureux de voir que c’est possible et que ça se passe bien. Pour certains, c’est une façon de se remettre en jambes et d’oublier les difficultés du quotidien. Parfois, c’est une première marche vers quelque chose de plus grand », explique-t-il.
Rencontrer de nouvelles personnes
Cathy, coprésidente de l’association avec Ginou, participe pour la quatrième fois à l’événement. « Avant ce réveillon solidaire, j’étais seule, parce que ma famille est à Paris et qu’il y avait un peu de distance entre nous, explique-t-elle. C’est un moyen de rencontrer autrement des personnes qu’on connaît de vue et d’en découvrir de nouvelles. Ça brise vraiment l’isolement et ça permet de vivre cette période plus sereinement. » Même si elle a depuis renoué avec ses proches, elle continue de s’investir et tient à être présente ce soir-là.
La veille, Cathy installera les décorations dans la salle avec d’autres volontaires. « On tient à ce qu’un maximum de choses soient prêtes à l’avance pour éviter de tout faire le même jour et de ne pas avoir assez d’énergie pour profiter toute la soirée », rit-elle. Cette année, grâce aux ateliers organisés avec les partenaires, elle a appris à fabriquer des bougies, et s’active depuis plusieurs semaines pour que les 180 participants repartent avec une carte de vœux réalisée à la main. Un geste simple, mais qui compte. Pour elle, c’est une manière de prolonger la soirée et de laisser à chacun un petit souvenir de ce moment partagé.
De son côté, Ginou sera en charge de l’accueil de 18h30 à 20h30. « Je dois attendre que les personnes arrivent, cocher les noms, prendre les manteaux. C’est beaucoup de responsabilité, même si maintenant c’est plus simple, puisqu’il n’y a plus d’encaissement le jour même », explique-t-elle. À quelques semaines de l’événement, le trac est là, bien sûr. Mais surtout l’envie d’y être. Elle attend ce moment avec une impatience tranquille.
Une parenthèse pour les oubliés des fêtes de fin d’année
Ce que les deux coprésidentes du Kiosque 12 espèrent avant tout, c’est que chacun arrive avec de la bonne humeur et l’envie d’être là. De partager un moment ensemble. Ce réveillon n’a pas vocation à tout réparer. Il se veut plutôt comme une parenthèse, un temps pour se retrouver, rire, discuter, et laisser de côté, quelques heures, les fragilités et les périodes plus compliquées. Elles le rappellent aussi avec un sourire : organiser un tel événement n’est jamais évident, même avec le soutien de Benjamin et Sandrine. Si de nombreuses personnes extérieures à l’association se sont portées volontaires pour donner un coup de main le soir du réveillon, l’aide sera tout aussi précieuse le 2 janvier, au moment de remettre la salle de la mairie en ordre.
Pour Benjamin, qui vivra cette année son premier réveillon avec le Kiosque 12, les effets de cette soirée se font déjà sentir, bien avant le jour J. Il les observe dans l’énergie déployée en amont, dans le soin apporté à la fabrication des décorations, dans ces petits groupes qui se forment spontanément, s’organisent, s’entraident, prennent des initiatives. Pour beaucoup, ces semaines de préparation comptent autant que la fête elle-même. Elles redonnent un rythme, une place, une utilité. Elles permettent de se projeter, de sortir de l’isolement, de retrouver une confiance parfois abîmée par les troubles psychiques ou les ruptures qu’ils entraînent bien souvent.
Au fond, ce réveillon, par l’enthousiasme qu’il suscite et l’ampleur qu’il a pris au fil du temps, devient un espace rare, où chacun peut être là sans avoir à se justifier, sans masquer ses fragilités, sans répondre à des attentes. Un moment où l’on existe simplement parmi les autres. Et c’est sans doute là la réussite la plus précieuse du Kiosque 12 : rappeler, concrètement, que traverser cette période de l’année ne devrait jamais se faire seul.
Réveillon solidaire en Libournais, salle des Charruauds, 54 rue Max-Linder, 33 500 Libourne. Pour plus d’informations, vous pouvez joindre le Kiosque 12 au 06 78 50 41 98.
© Image à la une : Maxime Gruss - Santé Mentale France.





