Art et pop culture : changer le regard sur les troubles psychiques
Comment représenter les troubles psychiques sans tomber dans le cliché ? Parler des schizophrénies sans effrayer ou exposer la dépression sans la réduire à un simple « manque de volonté » ? Plein Espoir vous fait découvrir Pop et Psy et l’association Arts Convergences, deux initiatives qui démontrent que cinéma et création artistique peuvent devenir des leviers puissants contre la stigmatisation. À travers des œuvres emblématiques et la création, l’art peut participer à une meilleure compréhension des troubles psychiques.
La création comme réponse à la stigmatisation
L’association Arts Convergences, fondée par Laurence Dupin est un acteur essentiel de cette reconfiguration des regards. Pour Plein Espoir, elle livre l’objectif de cette initiative : permettre aux personnes vivant avec des troubles psychiques de développer leurs talents artistiques en dehors des structures de soin, et de retrouver ainsi confiance, visibilité et insertion sociale. « On proposait en général aux personnes vivant avec une maladie psychique, au mieux, des activités créatives dans des hôpitaux de jour ou en CATTP (centre d'aide thérapeutique à temps partiel)… Mais il manquait un véritable espace de création et de valorisation pour certains talents. »
Depuis 2014, l’association organise des ateliers d’arts menés comme de véritables projets professionnels, avec le soutien d’artistes confirmés et de structures culturelles partenaires comme les Beaux-Arts. Chaque projet débouche sur une exposition publique, comme celle organisée lors des Journées du Patrimoine ou à Versailles.
Pour Laurence Dupin, il ne s’agit pas de « soigner par l’art », mais bien de reconnaître des artistes, avec une démarche et une œuvre, indépendamment de leur diagnostic. « Lors des expositions, on ne parle pas frontalement de maladie psychique. Sur les cartels, on présente une œuvre, pas un trouble. Ce sont les artistes eux-mêmes qui choisissent s’ils veulent en parler ou non. » C’est notamment le cas de Pierre, participant de la première exposition de l’association, qui a présenté une vidéo intitulée Voilà quoi. Il y évoque la difficulté du regard social, la solitude liée aux épisodes de crise, et l’ambivalence du diagnostic : « Ses proches pensaient qu’il avait simplement eu des soucis d’alcool. Ce flou est fréquent car on entre souvent dans la maladie psychique par l’addiction. »
Réinterpréter la folie : quand l’art interroge les représentations
Laurence Dupin revendique également le droit d’utiliser le mot « folie », trop souvent mis au ban, pour mieux en interroger les représentations sociales et historiques. En témoigne l’exposition Attributs et Représentations de la folie autour de Jérôme Bosch, menée avec la ville de Saint-Germain-en-Laye.
Partant du célèbre tableau L’Escamoteur, les artistes en ateliers ont été invités à reproduire et réinterpréter les figures médiévales du tableau, en particulier celles incarnant la marginalité ou la différence. Le résultat, de gigantesques personnages en papier mâché, à la fois spectaculaires et inquiétants, exposés dans plusieurs lieux culturels. « Ce tableau, exposé récemment au Louvre, montre comment on représentait la différence au Moyen Âge. Et on voit que certaines caricatures perdurent. L’idée, c’était de se réapproprier ce mot, cette histoire, et d’en faire quelque chose. » Cette démarche s’est poursuivie avec le concours Les Mots de la Folie, lancé par l’association en 2022 et déjà à sa troisième édition. Un projet participatif et artistique, qui invite chacun à jouer avec le langage pour réinterroger avec humour, poésie ou décalage notre rapport aux mots liés à la santé mentale, et ainsi contribuer à décloisonner l’univers de la maladie psychique.
Le cinéma : une représentation des maladies psychiques impactante
Autre acteur important, qui a choisi l’art et plus particulièrement le cinéma pour parler de troubles psychiques, Jean-Victor Blanc, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, a lancé le concept de Culture Pop et Psy (qui a donné lieu à la parution d’un livre et à un festival annuel, dont la Fondation Falret, adhérent de Santé mentale France est un partenaire majeur).
Son livre éponyme (Pop & Psy, Plon, 2022), ainsi que son festival, ses conférences et podcasts, décryptent les représentations médiatiques des troubles mentaux. Croisant représentations cinématographiques des troubles psy avec les critères cliniques/médicaux, son expérience de terrain et les enjeux du soin psychiatrique, il déconstruit les idées reçues.
Watchlist : quand la pop culture éclaire notre regard sur les troubles psychiques
La puissance d’un film ne réside pas seulement dans sa narration, elle agit aussi comme un miroir, voire une source d’information (ou de désinformation) sur les troubles psychiques. Via l’analyse d’œuvres bien connues, Jean-Victor Blanc propose une lecture transversale et éclairante. Avec un groupe de psychoéducation de patients, il utilise même le visionnage comme support de réflexion pour briser le tabou autour de la maladie mentale. Dans son livre que Plein Espoir s’est procuré, il dissèque de nombreux exemples en une sorte de watchlist (liste de films) pour mieux comprendre les différents troubles (liste non exhaustive) :
Certains films, à l’image de Happiness Therapy, où Bradley Cooper incarne un homme en rémission d’un trouble bipolaire, sont pertinents et assez réalistes en termes de mise à l’écran de la maladie, selon le psychiatre. Black Swan offre une représentation juste et nuancée des troubles schizophréniques, loin des clichés sensationnalistes. Mélancholia montre bien « l’indifférence au monde, les pensées morbides et l’état stuporeux », caractéristique de la dépression. Ces œuvres populaires, touchantes, parfois dérangeantes, montrent que la souffrance mentale ne résume jamais une personne. Qu’il s’agisse de TOC, d’addiction, en passant par les troubles borderline ou du comportement alimentaire, de nombreux films révèlent ainsi la complexité de maladies souvent invisibles ou méconnues, tout en soulignant l’importance du regard de l’entourage, de la société, et parfois même des soins. Ces récits peuvent, par leur réalisme et leur humanité, contribuer à briser les tabous autour de la santé mentale.
Quand le cinéma véhicule des clichés
Cependant ces œuvres véhiculent aussi leur lot d’idées reçues ou de clichés à la vie dure. Outre ceux sur les maladies psychiques souvent caricaturés à l’écran, c’est aussi toute une partie de la psychiatrie qui est malmenée . Des traitements efficaces sont par exemple détournés en instruments de torture qui lobotomisent. Vol au-dessus d’un nid de coucou et Shutter Island traitent ainsi de l’électroconvulsivothérapie (ECT). Pourtant, comme le rappelle Jean-Victor Blanc, c’est aujourd’hui « le traitement le plus efficace contre la dépression sévère ». L’auteur cite encore, les critiques du film Mommy (2014) de Xavier Dolan, qui se sont toutes fendues d’un diagnostic différent sur le personnage principal. « Les Inrocks le voient « un peu psychotique », Libération le qualifie de « demi-givré », le Figaro d’« ado bipolaire » quand d'autres évoquent un TDAH. Pour l’auteur, cela illustre bien le degré d’incompréhension de ces troubles psychiques dans la société : des maladies interchangeables auxquelles sont accolées des fausses étiquettes. Il invite toutefois à une prise de recul : « Le problème n’est pas tant que Vol au-dessus d’un nid de coucou, renvoie une image négative de l’hospitalisation en psychiatrie, mais que, plus de quarante ans plus tard, ce film puisse encore être pris pour une réalité lorsque des soins se révèlent nécessaires. »
Dans une visée éducative, certaines œuvres peuvent ainsi être des leviers de compréhension, qui intégrées dans des programmes de psychoéducation, pour les personnes concernées et leurs proches, aident à lutter contre la stigmatisation et l’auto-stigmatisation, tout en jouant aussi un rôle auprès du grand public.
L’art comme la pop culture peuvent contribuer à faire évoluer les mentalités sur les sujets de santé mentale. L’initiative Pop & Psy, tout comme les projets portés par Arts Convergences, montrent que la fiction et l’expression artistiques peuvent informer, sensibiliser et surtout, humaniser.
Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.
Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.