“En fait c’est la chose que je préfère dans la vie : être maman”Le droit à la maternité pour les personnes vivant avec un trouble
Devenir parent quand on vit avec un trouble psychique, c'est affronter ses propres doutes, le poids des regards et parfois l'absence de soutien adapté. Pourtant, derrière les préjugés et la stigmatisation, des milliers de mères construisent leur parentalité avec courage et lucidité. Entre deux maternités radicalement différentes, Johanna témoigne d'un parcours qui l'a menée du déni de son trouble à l'acceptation, puis à l'épanouissement. Ses mots résonnent avec ceux de Pascaline Javault, pair-aidante spécialisée en parentalité et créatrice du podcast Mères en eaux troubles, qui œuvre au quotidien pour que ces mères soient enfin entendues et accompagnées. Ensemble, elles nous rappellent une vérité essentielle : avoir un trouble psychique n'empêche pas d'être parent. Au contraire, cela peut devenir un puissant moteur de rétablissement.
Johanna a 24 ans lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte. Son trouble bipolaire vient tout juste d’être diagnostiqué, mais elle refuse encore d’y faire face. Dans une forme de déni, elle ne suit alors ni traitement ni suivi psychologique. Une première maternité qui survient par ailleurs dans un contexte inattendu : le père de l’enfant, qu’elle connaît depuis moins de six mois, lui avait assuré être stérile. Il s’avère finalement qu’il était simplement « peu fertile », mais bel et bien capable de concevoir. Une nuance qui bouleverse alors leur relation et le cours de leurs vies. Mais Johanna décide de garder l’enfant : « Je me suis naïvement dit ce bébé allait m'ancrer dans la réalité, que ça allait me sortir de mon instabilité émotionnelle » confie-t-elle. Mais la réalité rattrape vite ses espoirs avec un post-partum très difficile. Une dépression profonde s'installe, qui finira par nécessiter une hospitalisation en psychiatrie pour crise suicidaire. À l'époque, les réseaux sociaux n'existent pas sous leur forme actuelle, on parle peu de santé mentale, et encore moins de dépression post-partum. Johanna se sent isolée, désemparée face à ce qu’elle vit.
Quand la stigmatisation commence dès l'hôpital
C'est lors de cette hospitalisation que Johanna ne peut plus fuir la réalité de sa condition. Mais les mots qui l'accompagnent sont loin d'être aidants. « On me disait : “Remettez-vous, vous avez un enfant. Pensez à votre fille.” Ce qui m'a achevée, se souvient-elle. Bien sûr que je pense à elle ! La dépression, ce n'est pas une question de volonté. Ce genre de discours est très culpabilisant. »
Une expérience qui résonne avec les constats de Pascaline, pair-aidante en santé mentale spécialisée en parentalité et périnatalité. Après sa propre maternité compliquée, elle a consacré un mémoire de recherche à la prise en charge des femmes enceintes concernées par des troubles psychiques. « La stigmatisation pèse énormément sur nous », explique-t-elle. Dès qu'on évoque nos troubles psy, il y a un biais de regard, y compris de la part des soignants. Ajouter un enfant à l’équation change tout. »
Pascaline s'est longtemps elle-même auto-censurée, ayant intégré les messages de son entourage et des professionnels de santé qui lui répétaient de ne jamais devenir mère. « Une personne de ma famille a même fait deux heures de route juste pour venir me dire qu'il ne fallait jamais que j'aie d'enfant à cause de mon traitement. Si bien que j'avais fait le deuil de mon désir de maternité, mais c'était très douloureux. » C'est finalement un heureux hasard de la vie, une grossesse « surprise », qui viendra rabattre les cartes, et lui permettre de fonder sa famille.
Le tournant : accepter le soutien et se soigner
Paradoxalement, c'est sa fille qui devient le moteur du rétablissement de Johanna. « Elle m'a donné l’élan dont j’avais besoin pour aller de l’avant. J’avais un petit être humain qui avait vraiment besoin de moi, et ça m'a motivée à me soigner. » Le déni cède alors la place à l'acceptation, puis à un véritable travail thérapeutique. Six ans plus tard, avec un nouveau conjoint travaillant en psychiatrie, Johanna envisage une deuxième grossesse dans des conditions radicalement différentes. Elle est désormais stabilisée, connaît sa maladie, et bénéficie d'un accompagnement spécialisé avec un psychiatre au sein d’un CHU pour les femmes enceintes ayant des troubles psychiques. « Là, je me suis sentie en confiance du début à la fin. Je savais que je n'étais pas seule, il y avait toute une équipe autour de moi et tout s’est très bien passé. Le jour et la nuit avec ma première grossesse ! »
Cette fois, elle prend des traitements médicamenteux qui la stabilise tout en étant compatibles avec sa grossesse, car contrairement aux idées reçues, des solutions existent lorsqu'on est accompagné par un professionnel de santé. Et c’est essentiel rappelle-t-elle : « Je suis aussi asthmatique : si on me retire mon traitement, je m’étouffe ! Pour mes troubles psychiques c’est pareil, j’en ai besoin pour bien fonctionner même s’il faut les adapter au contexte bien sûr. » Cette fois, le post-partum se passe très bien, au point qu'elle envisage même d’avoir un troisième enfant.
Des besoins spécifiques mais une parentalité pleine
Au quotidien, Johanna reconnaît avoir des besoins particuliers. Elle a par exemple moins de capacité que son conjoint à endurer le stress, les imprévus, le manque de sommeil. « J'ai besoin de plus de repos. Mes filles savent que je n'ai pas la même résistance que leur beau-père ou leur père face à la fatigue. On a donc instauré des temps calmes pour que je puisse recharger mes batteries mais avec cette organisation, tout roule à la maison. » Quand des symptômes psychotiques commençaient à apparaître après les nuits entrecoupées par le réveil de son nourrisson, elle a dû demander à son conjoint de prendre le relais pour ne pas dégrader son état. La communication et l'adaptation ont été essentielles pour établir une vie de famille équilibrée.
Hélas, la situation s’est également compliquée avec sa fille aînée, diagnostiquée d’un TDAH et d’un trouble de l’opposition. Face aux crises violentes et à l'épuisement qui menaçait sa propre santé, Johanna a pris une décision difficile mais nécessaire : son aînée vit désormais principalement chez son père, entouré de sa belle-famille, dans un environnement qui répond davantage à ses besoins. « C'est dur de ne pas la voir tous les jours, mais c'est aussi ça être mère : faire les choix qui ne sont pas forcément les plus faciles, mais qui sont le mieux pour l'enfant. De fait, elle va beaucoup mieux et moi aussi. Tout le monde est apaisé, et nous sommes toujours très proches. »
Transmettre sans tabou
Une proximité entre mère et fille, qui a permis à Johanna de parler ouvertement de ses troubles, en adaptant le discours à son âge. Des livres pour enfants l'ont ainsi aidée à expliquer les émotions qui submergent. Et elle ne se cache pas pour prendre ses traitements. « Un jour elle m'a demandé à quoi servait ces médicaments et je lui ai expliqué que c'était pour nourrir mon cerveau. Quand elle a elle-même dû prendre des traitements, ça n'a du coup pas été difficile. D’ailleurs elle parle ouvertement de ses troubles à ses camarades de classe, elle n’a pas de tabou là dessus ! »
Pascaline partage cette approche : « C’est important de s’ouvrir auprès de nos enfants sans les assommer avec des termes médicaux ou des diagnostics précis. Ma fille a quatre ans, et je lui parle de mes besoins, de mes limites. Et puis, elle voit les choses, elle les ressent. Parler de ses émotions, de ses difficultés, c'est en réalité parler de santé mentale à son enfant et c’est fondamental. »
Un modèle de résilience
Aujourd'hui, Johanna se sent en paix. « J'ai confiance en l’avenir parce que j'aime tellement ce rôle, en fait c'est la chose que je préfère dans la vie : être maman. C'est ce qui me porte et me fait grandir. » Elle observe même qu'elle a parfois une meilleure résistance que certains parents non concernés par des troubles psychiques face aux petits stress du quotidien.
« On est un modèle pour nos enfants, rappelle Pascaline. Être un modèle, c'est aussi montrer que c'est important de prendre soin de sa santé mentale. Ce sont des leçons essentielles qu'on transmet. On passe beaucoup de temps à culpabiliser de ce qu'on n'arrive pas à faire, mais il y a aussi des choses très précieuses qu'on transmet comme notre résilience. »
Changer les regards
Pour Pascaline, qui intervient régulièrement dans les hôpitaux, un changement de posture doit venir des professionnels de santé eux-mêmes. « Très souvent, on me dit : “J'ai telle patiente qui veut absolument avoir un enfant et ce n'est pas une bonne idée, comment lui dire ?” Ce à quoi je réponds : ce n'est pas à vous de choisir. Si vous remettez en question son projet en fermant la porte, vous perdrez sa confiance et la relation thérapeutique. » Elle plaide pour une posture horizontale, d'alliance plutôt que de paternalisme. « Les personnes concernées vont continuer à avoir des enfants. La vraie question à se poser c’est : est-ce qu'on reste passif, en disant juste “ça va être difficile”, ou est-ce qu'on s'implique pour voir comment les aider pour que ça se passe au mieux ? »
Un message d'espoir
« Ce n’est pas parce qu’on a un trouble psychique qu’on ne peut pas être parent. Ça s’organise, c’est tout. Au contraire, ça peut être un super levier de rétablissement », conclut Johanna avant de préciser : « Mais il ne faut pas avoir peur de demander de l’aide. Il faut oser en parler, il n’y a rien de honteux à cette situation. » Une honte et une culpabilité pourtant largement partagées par les mères vivant avec un trouble psychique, comme en témoignent les récits recueillis par Pascaline à travers son podcast. Un sentiment qu’elle tente de déconstruire : « Quand une mère me dit “le pauvre enfant, il n’a pas demandé à vivre ça”, je réponds du tac au tac : “Et toi, as-tu demandé à vivre avec un trouble psychique ?” » Une manière de rétablir un peu de bienveillance envers soi-même et de rappeler que la maternité, même traversée par la maladie, n’en reste pas moins un acte d’amour et de courage.
Ainsi, la parentalité avec un trouble psychique n'est ni un parcours héroïque exceptionnel, ni une fatalité vouée à l'échec. C'est un chemin qui demande de l'organisation, du soutien, et surtout le droit de l'emprunter sans jugement. Comme le résume Pascaline : « Savoir que d'autres personnes vivent ces difficultés en même temps que nous, est un grand soulagement. » Le parcours de Johanna en témoigne : entre sa première maternité dans le déni et la deuxième dans la sérénité, le rétablissement a tracé son chemin. Un chemin de vie à part entière, où vulnérabilité et force se conjuguent pour construire, jour après jour, une parentalité bien réelle et profondément aimante.





