Hériter des troubles psychiques ? : « Il n’y a pas de gène de la dépression »
Entre mythes et réalités, l’hérédité autour des troubles psy nourrit depuis longtemps les fantasmes et les peurs. Pour comprendre ce que la science sait et ce qu’elle ne sait pas encore, Plein Espoir a rencontré Boris Chaumette, docteur en psychiatrie et neurosciences, chercheur à l’Inserm et psychiatre au GHU Paris, à Sainte-Anne, auteur de Schizophrénie et génétique. Un ADN de la folie ? (Éditions Humensciences).
Le fait de développer un trouble psychique reste pour beaucoup un mystère. On cherche à comprendre, à expliquer, parfois même à se reprocher quelque chose. Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Derrière chaque trouble, il y a une histoire singulière, un contexte, un environnement. Et pourtant, la même question revient souvent, presque en secret : est-ce que tout cela pouvait être inscrit dans mes gènes ? Longtemps, le lien entre hérédité et troubles psychiques a été entouré de malentendus, comme si parler de génétique revenait à dire que tout était joué d’avance. La recherche montre aujourd’hui une réalité plus nuancée : oui, certains facteurs biologiques peuvent entrer en jeu dans certains troubles psychiques, mais ils ne disent jamais tout. L’histoire de vie, les émotions, le contexte social comptent tout autant. Comprendre cette complexité, c’est aussi redonner un peu de liberté et d’espoir à celles et ceux qui se posent la question.
On n’y pense pas toujours quand le trouble psychique entre dans la vie, parce qu’il faut déjà apprendre à composer avec le quotidien. Pourtant, la question de l’hérédité reste au cœur des inquiétudes de nombreuses familles. « Dans le service où je travaille, on a fait un petit sondage pour savoir si les médecins étaient souvent interrogés sur la part d’hérédité des troubles psychiques. Dans plus de 90 % des cas, la question revenait. Beaucoup de familles s’inquiètent d’avoir un frère ou une sœur concerné et redoutent de transmettre quelque chose à leurs enfants », raconte Boris Chaumette. Et ce qui change aujourd’hui, explique le chercheur, c’est que les progrès de la médecine permettent enfin d’apporter des réponses un peu plus précises à ces questions.
Porter une anomalie génétique ne veut pas forcément dire développer un trouble psychique
Même si cela reste très rare, la science a pu faire le lien entre des anomalies génétiques et le fait de développer certains troubles psychiques. Le spécialiste cite par exemple la délétion 22q11, qui correspond à la disparition d’un tout petit fragment du chromosome 22. Les personnes qui en sont porteuses présentent un risque plus élevé de développer une schizophrénie : environ 30%, contre 1% dans la population générale. Mais cela ne veut pas dire que la personne va forcément développer le trouble, cela indique seulement que le terrain peut-être plus favorable. « L’enjeu, pour ces personnes, c’est d’agir sur ce qui est actionnable : l’environnement, les habitudes de vie, la gestion du stress », explique Boris Chaumette, qui dirige le Centre de référence pour les maladies rares à expression psychiatrique (CRMR) au GHU Paris.
Quand il reçoit des personnes qui présentent certaines anomalies, il leur conseille par exemple d’éviter le cannabis, connu pour favoriser certains troubles, et de prêter attention à la façon dont elles gèrent le stress dans leur vie quotidienne. « Le stress est un grand pourvoyeur de troubles psychiques, rappelle-t-il. Parfois, je propose un traitement léger pour le réguler ou j’oriente vers une thérapie cognitivo-comportementale (TCC). L’idée, c’est d’agir tôt, avant que les difficultés ne s’installent. » Par ses conseils et son accompagnement, le spécialiste veut faire comprendre que l’hérédité n’est pas une fatalité. Il existe toujours des manières d’agir pour aller mieux. Même avec une fragilité, on peut être accompagné, mieux se connaître et trouver ce qui aide vraiment. Rien n’est figé, et chaque pas, aussi petit soit-il, compte.
Au delà du facteur génétique, les épreuves rencontrées sont à prendre en compte
D’ailleurs, il ne faut pas croire que l’hérédité fait tout, loin de là. Les études menées sur les vrais jumeaux, qui partagent presque 100 % de leur ADN, le montrent bien : « Si l’un des deux présente un trouble schizophrène, l’autre a environ une chance sur deux d’être concerné. C’est beaucoup, mais ce n’est pas automatique », souligne Boris Chaumette.
Et dans les faits, la plupart des personnes concernées aujourd’hui par un trouble psychique ne présentent aucune prédisposition génétique connue. L’histoire de vie, les épreuves traversées ou encore l’environnement jouent souvent un rôle tout aussi déterminant. « Imaginez : vous perdez un enfant, un proche... Vous pouvez faire une dépression, et c’est parfaitement compréhensible. Ce n’est pas lié à vos gènes, mais à la violence de ce que vous vivez », poursuit le psychiatre. Les troubles psychiques naissent souvent d’un mélange d’histoires de vie, d’émotions, de contextes, parfois d’événements qui viennent tout bouleverser. C’est ce qu’on appelle parfois la complexité du vivant. Et contrairement à ce que l’on entend parfois, il n’existe pas de gène de la dépression ou de la schizophrénie, seulement des sensibilités qui s’expriment différemment selon les chemins de vie.
Aborder la question de l’héritage pour déculpabiliser et mieux accompagner
Pour autant, aborder l’hérédité, même si les cas restent rares, est essentiel, car cela permet de déculpabiliser les familles. « Je ne compte plus le nombre de parents qui pensent que tout est de leur faute : qu’ils ont mal éduqué leurs enfants, qu’ils les ont trop exposés aux écrans avant trois ans… Beaucoup vivent avec une culpabilité énorme, confie Boris Chaumette. Quand on aborde la question de la génétique, certains fondent en larmes. Ils me disent qu’ils ont toujours cru qu’ils étaient responsables. » Il se souvient d’une mère venue le voir il y a quelques semaines, dont le fils de vingt-cinq ans présente une déficience intellectuelle. « En parlant avec elle, j’évoque la piste génétique. Là, elle me raconte que quand son enfant avait quelques mois, il est tombé de la table à langer. Elle ne l’avait jamais dit à personne, mais elle est persuadée que tout vient de là. » Le psychiatre remarque alors chez le jeune homme certains traits physiques caractéristiques, ce qu’on appelle des dysmorphies faciales. Il réalise un test génétique et une anomalie est identifiée. « Ce jour-là, je lui ai retiré vingt-cinq ans de culpabilité », souffle-t-il.
Mais mettre en évidence une anomalie génétique n’apporte pas toujours que des bénéfices pour la personne concernée. Boris Chaumette raconte que certains psychiatres lui ont adressé des patients dont les traitements ne fonctionnaient pas, mais qu’après la découverte d’une mutation génétique, certains ont préféré interrompre le suivi, ne sachant plus comment les accompagner. « « J’ai eu récemment le cas d’une femme suivie par le même spécialiste depuis plus de vingt ans, raconte-t-il. Après la découverte d’une mutation génétique, il ne voulait plus continuer à la suivre. Je lui ai dit : vous l’avez accompagnée pendant vingt ans, pourquoi arrêter maintenant qu’on comprend mieux ce qu’elle a ? La personne n’a pas changé parce qu’on a trouvé quelque chose. Au contraire, cela peut aider à adapter les soins, à explorer d’autres traitements, à avancer autrement. » Ces découvertes ne devraient jamais être vécues comme un verdict, mais comme une piste pour mieux comprendre, trouver des solutions, mieux soigner et apaiser la part de culpabilité qui accompagne souvent la vie des personnes concernées par des troubles psychiques. Et, heureusement, c’est d’ailleurs ce qui se passe dans la grande majorité des situations.
Un meilleur accompagnement pour libérer la parole autour de la grossesse
Pour autant, il faut rester prudent, souligne le spécialiste. Avec la hausse des diagnostics de TDAH et, plus largement, des troubles neuroatypiques, notre société a parfois tendance à tout ramener à la biologie ou à la génétique. Pour Boris Chaumette, l’enjeu n’est pas de chercher un trouble à tout prix, mais d’aider les familles à trouver des repères fiables et des dispositifs d’accompagnement accessibles. « Combien de personnes passent encore à côté d’un diagnostic qui pourrait changer leur prise en charge, leur confiance en eux, pose le psychiatre. Quand un trouble est identifié, on peut rééduquer, accompagner, et ça change tout. Et s’il n’y en a pas, d’aider quand même la personne à trouver les bons appuis pour avancer. »
Enfin, pour les personnes vivant avec un trouble psychique et qui envisagent d’avoir un enfant, il insiste sur un point essentiel : la planification. « Je leur conseille toujours de venir consulter avant de commencer une grossesse. L’idée, c’est de pouvoir la préparer sereinement, en s’assurant que le trouble est bien stabilisé et que la personne est dans de bonnes conditions pour accueillir un enfant. Ce n’est déjà pas simple d’en avoir un quand tout va bien, alors quand on vit avec un trouble psychiatrique, c’est d’autant plus important d’être accompagné. » Cette consultation préventive permet aussi d’aborder des questions médicales plus générales : « Comme pour toutes les femmes, c’est l’occasion de vérifier le traitement, de prendre de la vitamine B9 pour prévenir certaines malformations, de faire un point global avec son médecin ou son gynécologue. »
Sur la question de la transmission, « lorsque des doutes existent dans une famille, on peut aujourd’hui apporter des réponses concrètes. Il m’arrive de recevoir des couples qui n’ont eux-mêmes aucun trouble, mais dont un frère, une sœur ou un cousin est concerné. Dans ce cas, on peut proposer un test génétique à la personne atteinte, afin de vérifier s’il existe une maladie identifiée dans la famille. » Ces consultations, réalisées dans les centres de référence pour les maladies rares à expression psychiatrique, permettent d’anticiper, d’évaluer les risques et, surtout, de rassurer. « Beaucoup de couples viennent simplement pour en parler. C’est aussi cela, la prévention : pouvoir poser ses questions, sans peur ni jugement. »
Finalement, ce que nous apprend la science, c’est que la question de l’hérédité ne devrait plus être un tabou. Dans certains cas, elle peut entrer en jeu, mais elle n’explique pas tout. Les gènes participent parfois à l’histoire, sans jamais en écrire seuls le scénario. L’environnement, les émotions, les relations, les épreuves de vie jouent aussi leur rôle, parfois plus important encore.
Savoir cela, c’est comprendre que rien n’est tracé d’avance. Une prédisposition n’est pas une condamnation, mais une information qui peut aider à mieux se connaître, à repérer les signaux, à demander de l’aide au bon moment et à mieux identifier l’héritage, social ou culturel, que l’on souhaite transmettre, sur lequel nous avons la main . C’est aussi une façon d’alléger la culpabilité, de redonner de la nuance là où l’on cherche souvent une cause unique. Parce que la santé mentale se construit, jour après jour, dans ce fragile équilibre entre ce que l’on reçoit et ce que l’on en fait.