« La psychoéducation nous a permis de mieux nous comprendre pour mieux vivre ensemble »
Quand une personne vit avec un trouble psychique, c’est tout son entourage qui est impacté. On se sent souvent seul, dépassé, sans clés pour comprendre ce qui se joue. La psychoéducation est l’apprentissage qui permet de mieux comprendre ces troubles pour mieux vivre avec au quotidien. Elle n’est pas réservée qu’aux personnes concernées, mais s’adresse aussi à tous et toutes : proches, amis, partenaires, qui cherchent à soutenir. En apprenant ensemble, on comprend mieux, on communique autrement et on sort de l’isolement.
Pour Plein Espoir, Anne 22 ans et Gilbert 23 ans, en couple, témoignent de cette transformation rendue possible grâce à un programme de psychoéducation.
Plein Espoir : Chez Plein Espoir nous mettons en avant des parcours de vie de personnes concernées par des troubles psychiques et leurs proches : pouvez-vous nous expliquer comment votre vie de couple vous a conduit à découvrir la psychoéducation ?
Gilbert : C’est au cours d’un voyage en 2018 que j’ai rencontré Anne. Nous nous sommes mariés en 2023. Durant toute notre histoire, j’ai suivi son parcours psy sans jamais avoir vraiment d’aide en tant que proche, jusqu’à ce que je découvre ESPER PRO (une association de médiateurs fondée sur le principe de la pair-aidance et du rétablissement, ndlr). J’ai suivi une journée de formation, puis des séances en visio avec d’autres proches, ce qui m’a aussi permis d’accéder à des ressources pour découvrir ensuite le programme de psychoéducation de Connexion Familiales (Une association d’aide aux proches de personnes touchées par le trouble borderline, ndlr).
Anne : À l’origine, nous étions dans une relation à distance, lui à Orléans, moi à Marseille. C’était très compliqué, car j’avais déjà mon trouble mais je n’étais pas suivie, car ce n’était pas admis dans ma famille. Adolescente, lorsque je me scarifiais, mes parents me punissaient. Je me suis donc longtemps empêchée de parler de ma souffrance. À ma majorité, j’ai commencé un suivi, tout en poursuivant des études de psychologie que j’ai dû arrêter à cause de la dégradation de mon état de santé. Après plusieurs hospitalisations pour tentatives de suicide, on m’a présenté une structure, le CLIP à Marseille, qui proposait un suivi pour des patients sujets aux troubles psychotiques (on pensait alors que j’avais un trouble schizophrénique). Cela m’a donné un premier aperçu de la psychoéducation. J’ai également fréquenté des CMP où on me parlait de dépression, de troubles anxieux, de panique… mais sans jamais vraiment m’expliquer ce que j’avais. Après des années d’errance médicale, en 2023, je change de psychiatre et celle-ci me pose enfin un diagnostic clair : un trouble de la personnalité borderline. Ce fut un choc. Je me suis rendu compte que j’avais perdu du temps à souffrir sans bénéficier des thérapies adaptées. Lorsque j’ai identifié mon trouble, le CLIP m’a orientée vers Isabella Bourrachot, qui proposait un programme dédié avec ESPER PRO.
Plein Espoir : Comment se déroulait votre quotidien avant de découvrir la psychoéducation ?
Gilbert : C’était très compliqué. Après le lycée, en pleine période de confinement, je m’oriente vers une prépa, mais je me sens isolé à cause du Covid et je dois arrêter ce cursus. Ma famille attribue cet échec à ma rencontre avec Anne. Cet environnement familial très contrôlant et violent, dont je me suis extrait avec difficulté, ne m’a jamais vraiment soutenu. Pour Anne, ma simple présence était déjà beaucoup ; je pense que c’était la meilleure chose que je pouvais faire. Comme elle ne pouvait pas s’exprimer dans sa propre famille, elle se retenait et extériorisait ses émotions avec moi.
Anne : Dans ma famille, je n’avais pas la sensation de pouvoir être moi-même et je me renfermais. Avec Gilbert, nous avions notre espace de parole et rien que le fait de pouvoir m’exprimer dans cette relation saine me faisait du bien. Même si nous n’étions que des ados qui n’y connaissions rien, il a été d’un grand soutien. Le quotidien peut être lourd pour nous. Mon trouble se manifeste par des crises explosives durant lesquelles je peux me faire du mal en surdosant mes médicaments et ou en fracassant des objets. Mais je peux aussi hurler contre l’autre et être violente verbalement. J’ai aussi une phase où je peux être envahie par une sensation de vide. Le gouffre en moi est alors tout ce que je peux ressentir. C’est une crise silencieuse où je m’isole, qui peut durer très longtemps.
Plein Espoir : Aviez-vous des attentes et appréhensions particulières avant d'entamer ce programme ?
Anne : J’espérais enfin être comprise, car jusqu’à présent, je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme moi, et je me sentais très isolée. J’avais aussi ce besoin de mieux vivre au quotidien, de trouver des solutions à partir de ce que je ressentais. Je voulais apprendre à mieux gérer mes crises, à les rendre moins lourdes pour Gilbert. Je sais que je peux être horrible sans le vouloir, que c’est plus fort que moi. Dans ces moments-là, je me sens très mal, incapable de contrôler quoi que ce soit. Je bascule dans un autre univers, je me dissocie complètement.
Gilbert : C’était un peu pareil pour moi. J’avais besoin de rencontrer des personnes qui vivaient la même chose, car ce trouble est très mal compris par l’entourage. Souvent, on me dit que je l’aide trop, que je devrais être plus ferme, lui « mettre un coup de pied aux fesses ». C’est violent à entendre. Alors, rencontrer des gens qui le vivent aussi, ça a été une avancée immense. Comprendre les mécanismes du trouble, pouvoir enfin les expliquer... c’est précieux, parce que c’est complexe, et personne ne nous apprend ça. On a besoin de repères pour savoir comment le proche va réagir, comment on peut l’aider, comment on peut exprimer ce qu’on ressent sans le faire souffrir davantage. Dans notre société, on rejette souvent les émotions fortes. On les invalide. Mais chez Anne, les émotions sont au cœur de sa vie. Et le reconnaître, ça a tout changé. Apprendre aussi à me protéger, à poser mes limites… ça, c’est devenu fondamental.
Plein Espoir : Vous avez une anecdote de moments qui étaient compliqués dans votre quotidien et qui sont mieux gérés grâce à la psychoéducation ?
Anne : Ce n’est pas un souvenir très précis, mais il arrivait souvent quand Gilbert sortait au restaurant ou en soirée avec des amis, qu’il me dise à quelle heure il pensait rentrer. Mais s’il ne respectait pas cet horaire ou ne donnait pas de nouvelles, ça devenait très difficile pour moi. Dans mon trouble, la peur de l’abandon est très forte. Pour lui, ce n’était pas grave d’avoir une heure de décalage. Mais pour moi, rester seule sans nouvelles, c’était insupportable. Grâce à la psychoéducation, on a appris à mieux communiquer sur ces situations. Maintenant, on se donne un créneau pour son retour, et s’il y a du changement, il me prévient. Et avant de sortir, il fait attention à moi, il peut m’aider à préparer un repas, me proposer un film à regarder. Ce sont des gestes qui montrent qu’il prend soin de moi, même en son absence.
Plein Espoir : Comment se déroulaient les séances de groupe ? Avez-vous vécu des prises de conscience et des moments marquants ?
Anne : C’était très enrichissant, mais aussi mentalement éprouvant. Les gens partageaient leur vécu, ce qui faisait souvent écho à notre propre histoire. Ça réveillait beaucoup de choses, parfois douloureuses mais chacun pouvait entendre ou parler de ce qu’il voulait. J’ai pris conscience de nombreuses réalités, notamment des violences en milieu psychiatrique. Mais ce qui m’a surtout marquée, c’est de comprendre que les violences que j’ai subies dans mon enfance sont au cœur de ma souffrance actuelle. On m’avait toujours dit : « Tu es comme ça, c’est ta personnalité », comme si c’était figé. Mais ce n’est pas vrai. Ma prédisposition génétique est minime, c’est surtout l’environnement qui a façonné mon fonctionnement. Cette prise de conscience m’a redonné du pouvoir sur moi-même. J’ai compris que je pouvais agir. On nous a aussi expliqué comment notre cerveau fonctionne différemment. Un schéma m’a marquée, il montrait la différence de traitement des émotions entre une personne "neurotypique" et une personne avec un trouble borderline. Par exemple, si quelqu’un entend un bruit inquiétant dans la rue, il a peur, se retourne, constate que ce n’était rien, et la peur redescend rapidement. Chez moi, l’émotion monte beaucoup plus haut… et met des heures, parfois des jours, à redescendre. Ce n’est pas un manque de volonté. C’est une réalité biologique. La psychoéducation, c’est un peu comme apprendre à hacker son cerveau. Dans une prise de décision, on apprend à analyser la situation, à observer les options… à freiner l’impulsion. Sauf que, chez les personnes borderline, ce mécanisme est altéré. On doit donc apprendre à reprogrammer notre manière de réagir, pour ne pas répondre systématiquement par l’impulsivité. C’est un long processus qui peut prendre des années.
Concrètement les séances se faisaient en groupe d’une vingtaine de personnes maximum. Le programme durait 16 séances : les 10 premières étaient axées sur la psychoéducation, les 6 suivantes sur des exercices pratiques, notamment sur la gestion des relations interpersonnelles. Ce qui faisait vraiment du bien, c’était de découvrir que le trouble borderline, malgré sa lourdeur, peut aussi être une force. Dans certaines situations, c’est un véritable atout.
Gilbert : Tout est parti d’une discussion dans leur groupe où l’idée a émergé de proposer quelque chose pour les proches. Il y a d’abord eu une journée de formation, qui a ensuite donné naissance à des visios en petit groupe, uniquement entre proches. Lors de ces rencontres, Isabella Bourrachot qui anime le programme, nous a aidé à mieux comprendre certains comportements qui, vus de l’extérieur, peuvent sembler contradictoires ou déroutants. Par exemple, dans le cadre de la peur de l’abandon, la personne concernée peut parfois tester les limites… Ce n’est pas évident à vivre, mais en en parlant, on commence à mieux saisir. Ce partage d’expériences a été important pour moi. Avant cela, je ressentais un grand sentiment d’impuissance, la sensation de subir, sans avoir aucun levier pour aider Anne. Grâce à cette première formation, j’ai compris que l’environnement avait un rôle clé, et qu’il y avait des choses à faire. Cela m’a motivé à suivre une seconde formation, plus théorique, avec l’association Connexions Familiales. Deux approches différentes, mais complémentaires.
Cette deuxième formation s’inspire de la TCD (thérapie comportementale dialectique), qui vient des États-Unis et qui est aujourd’hui la méthode la plus recommandée pour les troubles borderline. Elle se déroule en 10 séances de 2 heures, avec beaucoup de mise en pratique. Chaque semaine, on revient sur les apprentissages, on approfondit. C’est très structuré avec des supports, outils et méthodes. Par exemple, un des grands principes que j’ai retenu, c’est la validation. Apprendre à reconnaître que les émotions d’Anne, même si elles sont beaucoup plus intenses que les miennes, sont légitimes. Elle a le droit de les ressentir, et tenter de les nier ou de les étouffer ne fait qu’aggraver la situation. Mais j’ai aussi appris à poser mes propres limites, pour me protéger. C’est difficile, mais indispensable. Comme dans un avion, il faut mettre son propre masque à oxygène avant d’aider l’autre. J’ai appris à dire quand ça va trop loin pour moi, à devenir un cadre plus solide, plus sécurisant pour elle. Poser des limites, ce n’est pas claquer la porte ou fuir. C’est apprendre à dire : « Là, j’ai besoin de prendre du recul, je préfère me mettre à l’écart un moment », plutôt que de réagir brusquement et nourrir, malgré moi, sa peur de l’abandon. Il y a aussi une vraie entraide entre proches. Ce sont des moments où on partage, on s’informe, on découvre des dispositifs qu’on ne connaît pas toujours. En tant que proche, on est souvent très seul, mal informé, et peu soutenu. Ces espaces d’écoute, de soutien et de conseils ont vraiment fait la différence.
Plein Espoir : Quels sont les aspects positifs du trouble dont vous vous êtes aperçus ?
Gilbert : Anne a une grande créativité et une intelligence émotionnelle élevée. Elle comprend très vite, apprend de façon totalement autodidacte… Je ne sais pas si c’est lié à son trouble ou simplement à sa personnalité, mais en tout cas, c’est remarquable.
Anne : Depuis toujours, j’ai travaillé mon empathie. La créativité, elle aussi, fait partie de moi, c’est devenu un moyen d’expression mais aussi un régulateur émotionnel. Travailler avec mes mains m’aide énormément à canaliser mes impulsions. Du coup, je touche à tout : broderie, couture, crochet… et je suis même en train de lancer une micro-entreprise de création de bijoux. Un autre aspect qui peut être à la fois positif, c’est l’intensité émotionnelle. Je ressens tout à 2000 %, ce qui est parfois épuisant… mais ça vaut aussi pour les émotions positives. Par exemple, voir un coucher de soleil magnifique, pour moi, ça peut être un moment magique.
Plein Espoir : La psychoéducation vous a-t-elle permis d’accéder d’autres informations importantes dont vous n’aviez pas connaissance jusque-là ?
Anne : Oui, clairement. Je voulais faire un dossier MDPH pour pouvoir poursuivre mes études dans de meilleures conditions, car je n’avais que la bourse pour vivre. Mais mes soignants m’avaient dit que ça ne servait à rien et je les ai bêtement crus. C’est seulement grâce à la psychoéducation, et en particulier grâce à Isabella, que j’ai compris que c’était possible. Elle m’a raconté qu’elle avait été dans la même situation que moi et qu’elle avait réussi à obtenir une reconnaissance.
Plein Espoir : Chez Plein Espoir, on sait que le rétablissement est un processus. Au-delà d’un mieux-être au quotidien ces formations vous ont-elles aidé à mieux le comprendre et à vous projeter dans l’avenir, malgré les difficultés ?
Gilbert : Oui, j’ai compris que le rétablissement n’est pas un chemin linéaire. Il y a des hauts, des bas… et parfois des très bas. Il faut apprendre à profiter de l’instant présent, tel qu’il est, et accepter que certaines choses évoluent et d’autres non. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de progression. Au contraire, on avance. À travers les témoignages d’autres personnes, j’ai pu entrevoir ce que cela signifie. C’est aussi mieux se connaître, s’entourer des bonnes personnes, construire un environnement plus bienveillant. Finalement, le rétablissement, c’est à la fois personnel et évolutif. Pour moi, c’est réussir à limiter l’intensité des crises les plus difficiles et à tirer parti des moments les plus stables.
Anne : De mon côté, c’est plus compliqué. J’ai encore du mal à voir les choses de manière aussi claire, parce que je suis en plein dedans. Pour l’instant, ce que je ressens, c’est que mes problèmes ne s’améliorent pas vraiment, même si je comprends la théorie du rétablissement. Je vois bien que certaines personnes réussissent à avancer, à stabiliser leur situation. On ne parle pas de guérison, mais plutôt d’apprendre à vivre avec. Je suis d’accord avec cette idée que ce n’est pas linéaire. On peut aller mieux, puis très mal, puis un peu mieux à nouveau… Mais moi, ce que je vis, c’est une souffrance continue, même dans les périodes qui semblent plus calmes. Rien ne me paraît vraiment durable. Alors oui, j’ai compris des choses, j’ai des outils. Mais concrètement, pour le moment, je ne ressens pas cette amélioration en moi.
Plein Espoir : Recommanderiez-vous aux lecteurs de Plein Espoir la psychoéducation, que ce soit des proches ou des personnes directement touchées par le trouble ?
Gilbert : Oui, sans hésiter. La psychoéducation m’a permis non seulement de mieux comprendre Anne, mais aussi d’avoir un impact positif autour de moi, notamment dans ma famille. Parfois, les gens agissent mal mais ce n’est pas de la malveillance, c’est juste de l’ignorance ou des schémas qu’on répète sans les questionner. Participer à ces formations, c’est aussi faire partie d’une chaîne de transmission. Notre témoignage peut servir à d’autres. On ne peut pas être uniquement dans la position de recevoir. Pouvoir aider à notre tour, c’est enrichissant, valorisant, et ça donne du sens à ce qu’on traverse.
Anne : Je dirais que ce n’est pas une solution miracle. Il ne faut pas s’attendre à ce que tout change du jour au lendemain. Mais sur le long terme, oui, c’est bénéfique. Voir d’autres personnes concernées, se reconnaître dans leurs vécus, ça permet de sortir de l’isolement. On apprend à mieux se comprendre, à être plus indulgent avec soi-même. Ça nous a beaucoup aidé à mieux nous comprendre en tant que couple, à mieux vivre ensemble. On pourrait vraiment généraliser ces dispositifs. Et puis il y a une vraie entraide entre les participants. On se passe les bons contacts, les noms de soignants bienveillants, les bonnes adresses… Ça crée du lien, du soutien, c’est un réseau précieux.