Trouble psychique : Hop, un programme pour accompagner le dévoilement
Faut-il en parler, ou pas ? Derrière cette question se cache un vrai dilemme pour beaucoup de personnes qui vivent avec un trouble psychique. Si pour certains, se confier ne pose pas de problème ; pour d’autres, c’est une décision lourde qui touche à l’intime. Pour les accompagner dans ce choix, un programme existe : Honnête, Ouvert, Prêt (HOP). En quelques séances, il invite chacun à réfléchir au dévoilement, et surtout à la manière de le faire.
Pour mieux saisir les enjeux de ce programme, Plein Espoir a rencontré Jérôme Favrod, infirmier spécialiste clinique suisse et ancien professeur à l’Institut et Haute École de la Santé La Source à Lausanne, qui a contribué à son adaptation et à sa diffusion dans le monde francophone.
Plein Espoir : Le programme HOP a été créé aux États-Unis en 2012. Pourquoi vous y êtes vous intéressé au point de l’adapter pour le mettre en place dans le monde francophone ?
Jérôme Favrod : Dans le cadre de mon travail d’infirmier en psychiatrie, je m’intéresse depuis longtemps à la question de la stigmatisation et l’auto-stigmatisation des personnes qui vivent avec des troubles psychiques. En 1986, alors que j’étais à Los Angeles, j’ai eu la chance de rencontrer Patrick W. Corrigan, professeur émérite de psychologie à l’Illinois Institute of Technology, auteur et défenseur des personnes atteintes de maladie mentale, dont j'ai toujours suivi le travail. À l’origine, ce programme thérapeutique court n’était qu’un chapitre d’un livre qu’il avait coécrit avec Robert Lundin, un usager de psychiatrie. Ensemble, ils ont ensuite choisi de transformer ce texte pour inviter les personnes qui le souhaitaient à échanger sur la question du dévoilement et y travailler avec un accompagnement adapté à chacun.
Ce qui est intéressant, c’est que Patrick Corrigan était lui-même concerné par le trouble anxieux. Dans ses écrits, il raconte à quel point ça lui pesait, comment il se sentait freiné dans ses activités et incapable d’en parler. Jusqu’au jour où il a choisi de faire son “coming out”. Pour lui cette prise de parole a eu un effet libérateur : elle a été bien accueillie et ça ne l’a pas empêché d’être considéré comme un grand chercheur dans sa discipline.
Plein Espoir : D’après votre expérience, l’auto-stigmatisation est-elle fréquente ?
Jérôme Favrod : C’est très courant ! Généralement, les personnes qui vivent avec un trouble psychique finissent par intérioriser les stéréotypes qui circulent à leur sujet. Elles peuvent se dire : À quoi bon chercher un appartement ? De toute façon, les propriétaires ou les bailleurs ne voudront jamais louer un bien à quelqu’un qui est suivi en psychiatrie. Ou encore : Comment, lors d’un repas de famille, expliquer à mon oncle ou à ma tante, que je n’arrive pas à travailler comme les autres ? Beaucoup finissent par se mettre des barrières, en pensant qu’ils ne trouveront jamais d’emploi ni de partenaire amoureux. Ce mécanisme fragilise profondément l’estime de soi, limite le recours aux soins et la participation aux dispositifs d’accompagnement, en particulier chez les personnes qui vivent avec une schizophrénie. Ses effets se répercutent lourdement, tant sur leur qualité de vie que sur celle de leurs proches.
J’ai beaucoup travaillé sur ces questions avec mes patients, mais je n’ai jamais oublié que dans certains contextes, il valait mieux éviter de se dévoiler. En Suisse, par exemple, la dernière chose à faire est de dire à un employeur qu’on a un trouble psychique, parce que cela risque d’avoir un impact négatif sur la relation de travail. Bien sûr, certains employeurs sont plus ouverts que d’autres. Mais d’après ce que m’ont raconté les personnes que j’accompagne, c’est surtout le cas des entreprises dotées d’un label de qualité sociale, de celles qui ont déjà vécu une expérience positive avec une personne concernée, ou encore dont le dirigeant a lui-même un proche vivant avec un trouble psychique.
Plein Espoir : Pouvez-vous expliquer concrètement comment se déroule le programme HOP, pour celles et ceux qui seraient intéressés ?
Jérôme Favrod : Le principe de Honnête, Ouvert, Prêt (HOP), c’est un programme court : avec trois séances d’une heure, suivies d’une session de rappel un mois plus tard. Les groupes réunissent de trois à huit participants et sont animés par un binôme avec un médiateur de santé pair et un professionnel de santé.
La première séance invite chacun à peser les avantages et les inconvénients du dévoilement de son trouble psychique. Chacun établit sa propre liste, mise ensuite en perspective selon les contextes — professionnel, familial, amical — et selon leurs effets à court ou long terme. La deuxième session présente différentes façons de se dévoiler et amène les participants à identifier les personnes auprès desquelles cette démarche pourrait être pertinente. On les aide aussi à anticiper les réactions possibles, émotionnelles comme comportementales.
La troisième séance est centrée sur le récit personnel. Les participants apprennent à raconter leur histoire de façon accessible et non stigmatisante. Ceux qui se sont déjà dévoilés partagent leur expérience, repèrent ce qui a fonctionné ou non, et ajustent leur récit. La séance se termine par un récapitulatif et une réflexion sur l’avenir.
Un mois plus tard, une session de rappel permet de revenir sur les intentions de chacun et, pour ceux qui ont choisi de se dévoiler, d’évaluer cette expérience.
Plein Espoir : Pourquoi le dévoilement est-il un moment qui nécessite réflexion, un temps d’arrêt et parfois même un programme d’accompagnement ?
Jérôme Favrod : Tout le monde n’a pas besoin de suivre un programme pour apprendre à parler de son trouble psychique. Mais, pour certaines personnes, il peut être difficile de mesurer les conséquences d’un dévoilement ou avoir du mal à mettre les formes. On peut l’avoir fait une fois, que cela se soit mal passé, et avoir envie de faire autrement. C’est pour cela qu’un accompagnement peut être utile. On peut commencer par un détail, une expérience partagée, comme lorsque la personne en face de nous, nous confie avoir traversé des périodes difficiles. Cela peut ouvrir une porte, puis d’autres, jusqu’à parler plus frontalement de son trouble. Dans notre étude pilote, les résultats se sont révélés très positifs pour les participants. Le programme a donc été traduit et mis à disposition de l’ensemble du public francophone.
Plein Espoir : Est-ce que vous diriez que le dévoilement peut participer au chemin vers le rétablissement ?
Jérôme Favrod : Oui, dans une certaine mesure. Le fait de s’approprier son histoire, d’en parler librement, d’accepter qui l’on est et de la partager avec les autres peut être une façon de reprendre du pouvoir sur sa vie. Les recherches montrent que dévoiler sa maladie psychique peut être une stratégie pour renforcer l’estime de soi et lutter contre les stéréotypes. Après, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de moments difficiles : comme pour tout le monde, il y a toujours des hauts et des bas.
Récemment, j’ai participé à une conférence où, pour la première fois de ma vie, j’ai raconté l’épisode psychotique que j’avais traversé à 17 ans devant un public. Certains proches le savaient déjà, mais là, c’était devant des centaines de personnes. C’était émouvant, parce qu’on touche à quelque chose de très personnel, et cela réactive aussi des souvenirs douloureux. J’ai vu les réactions dans la salle : certaines personnes étaient choquées, d’autres interpellées. Ce n’est jamais anodin de prendre la parole sur ces sujets, et cela peut changer la manière dont les autres vous perçoivent.
C’est pourquoi il est important d’accompagner ce choix, mais sans jamais en faire une règle. On ne peut pas dire aux gens : “Vous devez passer par l’étape du dévoilement pour vous rétablir.” Chacun a son propre chemin. Je connais d’ailleurs des personnes qui ne se sont jamais dévoilées, qui n’ont même jamais accepté leur trouble psychique, et qui pourtant se sont rétablies. Ce que je souhaite, c’est qu’il existe un maximum d’outils, à la disposition de chacun, libre ensuite de s’en saisir ou non. Et de jamais oublier qu’il n’y a pas une seule voie vers le rétablissement.
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