Santé mentale et réseaux sociaux : piège ou libération ?
Sur TikTok, Instagram ou X, les hashtags #dépression, #bipolaire ou #anxiété déclenchent des vagues de témoignages. Derrière l’écran, des millions d’internautes racontent leurs vécus, partagent un diagnostic, exposent leur parcours thérapeutique. Les réseaux sociaux ont inventé de nouveaux rituels du dévoilement : une vidéo tournée dans sa chambre, quelques mots confiés sous un filtre esthétique, un post publié au cœur d’une nuit d’insomnie.
Cette libération de la parole a une portée indéniable : elle brise des tabous, permet à chacun de se reconnaître dans les récits des autres, tisse des solidarités virtuelles. Mais elle soulève aussi des questions : à force de se dévoiler en ligne, ne risque-t-on pas de se réduire à une étiquette médicale ? De confondre sincérité et mise en scène ? De transformer la vulnérabilité en norme sociale, voire en argument marketing ?
Pour comprendre comment les codes numériques redéfinissent la manière dont les individus révèlent leurs troubles psychiques, Plein Espoir a interrogé Vanessa Lalo, psychologue clinicienne, spécialiste des pratiques numériques.
Plein Espoir : Les réseaux sociaux sont devenus des espaces de confidences sur la santé mentale. Que change ce dévoilement en ligne ?
Vanessa Lalo : Il bouleverse complètement les façons de parler de soi. Pendant longtemps, les troubles psychiques restaient cachés : on se confiait, au mieux, à un proche ou à un professionnel. Désormais, on peut s’adresser à des milliers de personnes en un clic. Ce dévoilement public peut être un immense soulagement : en voyant d’autres partager leur expérience, on se sent légitime à raconter la sienne. Cela permet de sortir de la honte et de l’isolement. Mais la logique des réseaux pousse à condenser, simplifier, mettre en scène. Or la santé mentale est complexe et n’entre pas toujours dans ces formats courts et esthétiques.
Plein Espoir : Les hashtags jouent un rôle central dans ce processus. Comment fonctionnent-ils comme outils de dévoilement ?
Vanessa Lalo : Les hashtags sont des portes d’entrée vers une communauté. Publier avec #dépression ou #bipolaire, c’est à la fois revendiquer une identité et chercher un écho. Cela crée une appartenance immédiate : on n’est plus seul, on rejoint une conversation mondiale. Mais il y a un paradoxe : ces mots, qui renvoient à des diagnostics médicaux complexes, circulent de manière banalisée. Ils deviennent des raccourcis pour dire une humeur ou un état passager. Le dévoilement peut alors perdre de sa profondeur : au lieu d’expliquer son vécu singulier, on adopte une étiquette standardisée.
Plein Espoir : Quand on se reconnaît dans ces témoignages, le danger n’est-il pas de s'auto-diagnostiquer ?
Vanessa Lalo : Oui, c’est l’un des risques majeurs. Beaucoup de jeunes reconnaissent des morceaux de leur vécu dans une vidéo et concluent : « C’est moi, donc je suis bipolaire ou TDAH ». Or se retrouver dans un récit ne suffit pas à poser un diagnostic. Mais les réseaux renforcent ce mécanisme : plus on regarde un contenu lié à l’anxiété, plus l’algorithme propose des vidéos similaires. Cela pousse à s’enfermer dans une identité médicale au lieu de consulter un professionnel de santé.
Plein Espoir : Les influenceurs et les célébrités participent aussi à ce mouvement. Quel est l'impact de leur prise de parole ?
Vanessa Lalo : Leur dévoilement est puissant, car il légitime celui des autres. Quand une célébrité raconte sa dépression ou son burn-out, cela brise un tabou : si quelqu’un d’admiré ose en parler, pourquoi pas moi ? Mais il y a un écart entre ces récits et la réalité du plus grand nombre. Les célébrités disposent de ressources (financières, médicales, sociales, NDLR) que tout le monde n’a pas. Leur manière de se dévoiler peut devenir un modèle, presque une injonction : « Moi j’ai traversé ça comme ça, donc toi aussi tu devrais y arriver ». Ce qui était libérateur peut alors se transformer en pression implicite.
Plein Espoir : Peut-on parler d’une nouvelle « culture de la confession » en ligne ??
Vanessa Lalo : Oui, avec des codes très spécifiques. Le dévoilement se fait souvent sous forme de vidéos courtes, avec une musique évocatrice, des sous-titres, parfois des filtres esthétiques. Cela crée un rituel numérique : on se filme dans l’intimité de sa chambre, mais en suivant des formats très répandus. Raconter sa souffrance devient une manière d’exister sur les réseaux, d’être entendu, reconnu. Il y a une scénarisation, parfois même une compétition implicite qui se crée : qui souffre le plus, qui est le plus authentique, qui suscite le plus d’émotions ? Une dérive qui transforme la vulnérabilité en performance, et qui éloigne du témoignage sincère.
Plein Espoir : Le dévoilement peut aussi devenir un levier marketing. Comment cela se traduit-il ?
Vanessa Lalo : On observe en effet une récupération commerciale. Des influenceurs sont sponsorisés pour raconter leur burn-out, des marques associent leurs produits à des slogans sur la vulnérabilité ou l’acceptation de soi. Le témoignage personnel se transforme alors en argument publicitaire. Pour les internautes, c’est très difficile à démêler : est-ce une véritable confession ou une stratégie de contenu ? Cela brouille les repères et peut fragiliser encore plus ceux qui cherchent vraiment de l’aide.
Plein Espoir : Comment les professionnels de santé composent-ils avec cette influence numérique sur les patients ?
Vanessa Lalo : Nous devons l’intégrer, car elle fait désormais partie de la réalité des patients. Beaucoup de jeunes arrivent en consultation en faisant référence aux contenus des réseaux sociaux. Et ça peut être une porte d’entrée : on part de ce que la personne a vu en ligne, et on l’aide à distinguer ce qui relève du vécu personnel de ce qui est un format numérique. Certains collègues investissent eux-mêmes les réseaux sociaux pour expliquer, nuancer, apporter de la complexité aux sujets liés à la santé mentale. C’est une manière d’accompagner ces pratiques sans les laisser uniquement aux algorithmes, aux influenceurs… ou même à ChatGPT, qui devient lui aussi une source de réponses à laquelle les jeunes se réfèrent.
Plein Espoir : En un mot, le dévoilement numérique est-il une chance ou un piège pour les personnes vivant avec un trouble psychique ?
Vanessa Lalo : C’est une avancée énorme, car cela permet à des milliers de personnes de sortir du silence et de trouver du soutien. Mais il ne faut pas en rester à cette première étape. Le dévoilement, pour être réellement libérateur, doit être accueilli, entendu, accompagné. Sinon, il risque de produire de nouvelles normes, de nouvelles cases où l’on s’enferme. Les réseaux sociaux ne sont pas le problème en soi : ils amplifient les paroles. À nous de créer les conditions pour que ces révélations soient le début d’un chemin de soin, et non une simple étiquette affichée au vu et au su de tous.
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