Pair-aidance se dévoiler grâce aux autres
Le dévoilement d’un trouble psychique reste une étape délicate, freinée par la peur du jugement et de la stigmatisation. Elise, pair-aidante, raconte comment son parcours personnel et professionnel l’a conduite à accompagner d’autres personnes dans cette étape cruciale. À travers son expérience, elle illustre comment la pair-aidance peut offrir soutien, conseils pratiques et exemples concrets pour se sentir prêt à se confier, en toute sécurité, auprès de son entourage ou de ses collègues.
Grandir avec un trouble invisible
Mon parcours avec la santé mentale a commencé très tôt, sans que je le sache vraiment. Je suis la deuxième de trois sœurs, et j’ai grandi dans une famille d’artistes où tout ce qui sortait de la norme était souvent valorisé. Si j’avais un « petit grain de folie », c’était même plutôt bien vu. Mais pour moi, ce « grain de folie » était en réalité de l’anxiété persistante.
Mes premiers symptômes sont apparus vers l’âge de cinq ans. Nous changions souvent de ville à cause du métier de mon père qui est scientifique, et je ressentais une peur constante de ne pas savoir où j’allais, de devoir m’adapter sans cesse à un environnement inconnu. À l’école, je ne tenais pas en place et ne comprenais pas toujours les consignes. On me reprochait mon « manque de maturité ». Aujourd’hui, je sais que j’avais un TDAH, mais à l’époque, ni moi ni mes parents n’en avions conscience.
À neuf ans, j’ai eu mes premières idées suicidaires après un épisode traumatisant avec des amis de mes parents. Je suis montée sur le toit de ma maison et ma mère m’a vue et m’a retenue. Elle m’a sauvée physiquement, mais elle n’a rien fait ensuite pour que je sois aidée mentalement. À 13 ans, les épisodes de dissociation se sont intensifiés : je ne savais plus qui j’étais, ni où je me trouvais. Ma mère pensait que cela passerait, me mettait au lit avec une bouillotte, mais rien ne s’arrêtait vraiment. À quinze ans, j’ai traversé ma première vraie dépression. Je ne pouvais plus me lever, me laver, aller au lycée. Malgré tout, j’ai fini par obtenir mon bac, mais c’était comme un miracle.
Le rôle déterminant du dévoilement
À 17 ans, j’ai connu mon premier épisode maniaque. Du jour au lendemain, je suis sortie de ma dépression, avec une énergie débordante et des idées délirantes, comme celle d’épouser un Irlandais rencontré en ligne ! Heureusement je ne l’ai pas fait… Quelques années plus tard, j’ai même décroché un poste de chargée de production sans aucune expérience ni formation. Pendant mes phases d’hypomanie, je pouvais me faire passer pour qui je voulais, convaincre tout le monde et avancer malgré mes lacunes.
C’est lors de cette expérience professionnelle que j’ai vécu un moment clé : une collègue s’est levée en plein open space et a déclaré à tous : « J’ai un trouble borderline, ça veut dire que je suis sensible à tel type de situation. Ne le prenez pas mal, il faut me ménager. » Je me suis alors tournée vers elle en larmes, et je lui ai avoué : « Je ne sais pas ce que j’ai, mais je prends sur moi depuis des années. » C’est elle qui m’a poussée à consulter un psychiatre. Ce geste, son dévoilement grandiloquent, a marqué le début de mon parcours en psychiatrie.
Le parcours psychiatrique et l’importance du suivi adapté
Mes premiers rendez-vous avec des professionnels de santé ont été chaotiques. J’avais tellement intégré la stigmatisation autour de la maladie mentale que je mentais. Le premier psychiatre que j’ai consulté m’a diagnostiqué une « dépression saisonnière » et m’a prescrit un antidépresseur. En réalité, je vivais des épisodes bipolaires, et ce traitement a aggravé mon cas en déclenchant une manie sévère. Heureusement, après cela, ma psychologue a rapidement détecté le problème et m’a ensuite accompagnée pendant des années.
J’ai rencontré plusieurs psychiatres, certains inadaptés, l’une était presque mystique, mais c’est un troisième, celui avec qui j’ai travaillé longtemps, qui a posé un diagnostic clair de trouble bipolaire et proposé un traitement stabilisant. Même avec ce suivi, il a fallu du temps pour accepter ma maladie. J’ai en revanche tout de suite ressenti le besoin de me dévoiler auprès de mes proches, surtout pour justifier certains de mes comportements. Malheureusement, leur accueil a été décevant : beaucoup de déni, parfois du rejet. Avec le recul, je m’y suis sûrement mal prise, ces personnes n’étaient pas prêtes… mais tout de même, ces réactions ont été violentes pour moi. Aujourd’hui la situation a évolué : mon père s’est appuyé sur la littérature scientifique pour me comprendre et a fini par l’accepter, mais ma mère, elle, reste encore dans le déni. Et j’ai opéré un tri dans mes amis : ceux pour qui mon trouble psychique posait un problème ne sont plus dans ma vie.
Au travail, j’ai longtemps menti sur mes absences, inventant des problèmes respiratoires. Finalement, un jour j’ai dit la vérité à ma responsable et ce fut un réel soulagement. Elle a accueilli mon dévoilement avec bienveillance, ce qui m’a permis de continuer à travailler sereinement et d’établir un cadre sécurisé.
La pair-aidance : transmettre ce qui m’a manqué
Je n’ai jamais bénéficié de pair-aidance quand j’étais jeune adulte, mais j’aurais tellement aimé ! Pendant mon hospitalisation, les personnes que je rencontrais étaient souvent plus âgées et me semblaient très malades, ce qui m’a donné le sentiment que mon futur serait sombre. Plus tard, en contactant des groupes en ligne de personnes bipolaires, j’ai trouvé un soulagement temporaire, mais voir constamment le malheur des autres ne m’aidait pas à me rétablir.
Découvrir la pair-aidance a été une révélation : il s’agit d’accompagner d’autres personnes en s’appuyant sur son expérience vécue, avec une dimension biomédicale et psychologique. Aujourd’hui, j’accompagne des jeunes et des familles, en les aidant à réfléchir au dévoilement. Trois questions clés guident cette démarche : « À qui ? Comment ? Pourquoi ? »
Se poser ces questions changent tout au moment de se dévoiler. J’ai par exemple accompagné un jeune adulte dans un groupe de parole qui voulait annoncer son trouble psychique à ses parents. A mon inverse, son père était dans le rejet et sa mère plus réceptive. Grâce aux outils de psychoéducation du groupe, il a pu préparer son dévoilement : anticiper les réactions possibles, formuler son message de manière claire et adaptée, et se sentir soutenu avant même de parler. Quelques mois plus tard, il a pu se confier en toute sécurité, ouvrant un dialogue constructif avec ses parents et posant les bases d’une relation plus claire et apaisée. Cet accompagnement montre que la pair-aidance ne se limite pas à l’écoute : elle offre des stratégies concrètes pour que le passage à l’action se fasse en confiance.
Se dévoiler : une étape libératrice
Se dévoiler reste une étape personnelle et délicate. Ce n’est pas obligatoire, mais cela peut faciliter l’acceptation de soi, permettre un accompagnement mieux adapté et ouvrir des portes vers des relations plus authentiques. La pair-aidance joue ici un rôle clé : elle propose des exemples concrets, un cadre sécurisant et un soutien qui permet de réfléchir avant d’agir.
Aujourd’hui, je transmets ce que j’aurais aimé recevoir : écoute, compréhension et conseils pratiques. Que ce soit dans le cadre familial ou professionnel, le dévoilement doit être réfléchi : adapter le message à l’interlocuteur, respecter son rythme, utiliser un langage clair et factuel. Chaque histoire est unique, mais se préparer, être accompagné et bénéficier de retours d’expérience rend cette étape beaucoup plus sûre et constructive. La pair-aidance permet de transformer une démarche qui fait peur, en une expérience éclairée et positive, en donnant confiance pour avancer sur son chemin de rétablissement.