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Et après ? Comment continuer a avancer après un programme de psychoéducation  ?

Comprendre ce que l’on vit, poser des repères, apprendre à composer avec un trouble psychique : c’est souvent ce que permet un programme de psychoéducation. Ces parcours, proposés sur plusieurs semaines, peuvent marquer un tournant. Mais une fois le programme terminé, comment continuer ? Que faire de ce que l’on a reçu, de ce que l’on a compris, quand le trouble évolue, quand la vie bouge, parfois brutalement ?

Pour explorer ces questions, Plein Espoir a rencontré Isabella Bourrachot, personne concernée par les troubles psychiques et créatrice du programme de psychoéducation Esper Pro. À travers son histoire, elle raconte ce que la psychoéducation peut apporter et ce qu’elle ne peut pas. Elle parle d’outils, de souplesse, de collectif, mais aussi de la nécessité, pour chacun, de trouver sa propre façon de rester en mouvement.

Plein Espoir : Les programmes de psychoéducation s’étalent souvent sur plusieurs semaines, parfois plusieurs mois. Ils arrivent à un moment particulier de la vie, où l’on a besoin de comprendre, de poser des repères, d’apprendre à vivre autrement. Mais est-ce qu’un seul programme suffit ? Est-ce que ça peut vraiment, à lui seul, permettre d’apprivoiser un trouble psychique dans la durée ?


Isabella Bourrachot : Je pense que tout dépend du moment de vie dans lequel on se trouve. Quand on vient juste de recevoir un diagnostic, il y a souvent un besoin très fort de comprendre. Comprendre ce qu’est ce ou ces troubles, comment il s’est invité dans notre vie, ce qu’on en pense, ce qu’on peut faire, les traitements possibles, les types de prise en charge… À ce moment-là, suivre un programme de psychoéducation peut vraiment poser les bases, aider à y voir plus clair.

Après, je ne pense pas qu’un seul programme suffise, parce qu’il y a mille façons de continuer à apprendre, à comprendre ce qui nous arrive, à s’adapter. Parce qu’on évolue. Et que nos besoins changent selon les moments : après un premier épisode, en période de crise, ou quand on entre dans une phase de rétablissement.

Même si chaque histoire est unique, j’ai repéré trois grandes étapes dans l'appréhension du trouble psychique : il y a d’abord l’avant, ce moment flou où l’on sent bien que quelque chose ne va pas, sans savoir exactement quoi. On n’a pas encore les mots, mais on accumule déjà un savoir sur soi, très précieux, parce qu’il vient de notre expérience personnelle. Puis il y a le basculement. Une décompensation, un moment où les symptômes deviennent  plus marqués, qui fait tomber le diagnostic. C’est souvent un moment de rupture dans le parcours de vie. Et ensuite, il y a ce que j’appelle l’après. C’est comment on vit avec, comment on apprend à faire avec cette nouvelle réalité. Donc, selon là où l’on en est, on ne cherche pas la même chose. Evidemment, ces grandes étapes sont des repères généraux, en réalité, on va et vient de manière plus subtile entre ceux-ci.

Plein Espoir : D’ailleurs, en tant que personne concernée, avant même d’être à l’origine d’un programme, est-ce que vous en avez suivi plusieurs programmes de psychoéducation ?

Isabella Bourrachot : Oui, mais dans mon cas c’est un peu particulier parce que j’ai reçu différents diagnostics. À l’adolescence, puis pendant une dizaine d’années, on m’a dit que j’étais dépressive et anxieuse. À cette époque-là, je n’ai pas suivi de programme. Et puis, autour de la trentaine, le diagnostic a changé : on m’a parlé de trouble bipolaire. Cette fois, on m’a proposé un parcours de psychoéducation collectif. Je n’étais plus tout à fait au début du chemin, mais je devais accepter la stigmatisation, autour de ce trouble. Dans mon entourage proche, au travail, parfois même dans mes relations amoureuses… C’était dur. Ce que je cherchais, à ce moment-là, c’était surtout à changer de regard. Sur moi. Sur le trouble. À entendre d’autres récits que le mien. À ne plus être seule avec mes questions. Parce qu’autour de moi, il y avait très peu de personnes concernées. Le programme m’a beaucoup aidé pour ça.  J’ai gardé ce diagnostic une dizaine d’années, mais au fond de moi, quelque chose ne collait pas. Il manquait des pièces au puzzle. Les traitements n’étaient pas toujours adaptés.

Quand j’ai été prête à envisager autre chose, je suis allée chercher un autre diagnostic. Et c’est là qu’on a posé celui de trouble de la personnalité borderline. Après ça, j’ai testé une autre forme de programme de psychoéducation, plus individuelle. Il s’agissait d’un cahier d’exercices à faire chez soi. On peut aussi le suivre en visio ou en groupe, mais moi, je l’ai fait seule. J’avais intégré mon psychologue à la démarche, pour avoir un peu de retour sur ce que je faisais, ce que je comprenais. Ce n’était pas toujours évident d’être seule, mais ça m’a aidé à m'approprier certains outils. De garder ce qui faisait sens et de laisser de côté ce qui ne me convenait pas. Dans les programmes qui durent entre dix et douze semaines, c’est souvent après coup qu’on fait ce tri. On ne sait pas toujours ce qui va rester.

Plein Espoir : Et qu’est-ce que vous avez appris sur vous à chaque fois ? Est-ce que les différents programmes vous ont apporté des choses distinctes ? Adaptées à votre histoire, à votre rythme, à votre environnement ?

Isabella Bourrachot : Oui. Le programme sur la bipolarité, qui était un programme collectif, m’a offert un espace de parole que je n’avais jamais connu jusque-là. Un lieu où j’ai pu poser des choses que je n’aurais jamais imaginé dire à voix haute, ni même réussir à formuler face à d’autres. J’y ai aussi appris beaucoup de choses très concrètes : l’importance des routines, de l’hygiène de vie, des repères. Surtout, j’ai compris que ces outils ne fonctionnent pas parce qu’ils sont prescrits dans un protocole, mais parce qu’ils prennent vie dans l’échange. Quand quelqu’un partage ce qui marche pour lui, et qu’un autre répond : « Tiens, je n’y avais pas pensé comme ça ». C’est quelque chose de vivant, qui ne relève pas du savoir théorique mais de l’expérience partagée. 

Le deuxième programme que j’ai suivi était d’un tout autre registre. J’étais dans une démarche plus personnelle, plus introspective aussi. J’avais besoin de croiser plusieurs approches, de m’ouvrir à d’autres lectures, d’autres perspectives. Et peut-être, de toucher à un endroit plus douloureux : celui du doute que j’avais toujours ressenti vis-à-vis de mes diagnostics. Pendant longtemps, j’ai eu l’impression de porter un costume mal taillé. Rien ne collait tout à fait. Alors j’ai cherché. Et dans cette quête, j’ai compris que, finalement, ce n’est pas le diagnostic en soi qui importe, mais ce qu’il permet d’éclairer. Ce qu’il relie. Ce qu’il ouvre. 

Aujourd’hui, je dirais que finalement, peu importe le cadre, ce qui compte, ce sont les ressources qu’on s’approprie, les outils qu’on adapte à sa propre vie. Et c’est dans cette diversité-là, que la psychoéducation devient un appui.

Plein Espoir : Est-ce que le fait d’avoir reçu plusieurs diagnostics, parfois erronés, vous a fait douter de l’utilité de la psychoéducation ?

Isabella Bourrachot : Non, je ne dirais pas ça. En fait, je comprends qu’on ait pu se tromper sur ce que je vivais. À l’époque, je ne montrais pas tout. Il y avait des parties de moi que je n’arrivais pas encore à exprimer. Ce que je laissais voir ressemblait à une dépression, ou à une bipolarité. C’est seulement plus tard, quand j’ai pu affronter certaines choses, quand j’ai été prête à les questionner, que j’ai pu aller vers un diagnostic plus juste.

Donc non, ça ne m’a pas fait douter de la psychoéducation. Au contraire. Je pense même que certaines personnes avaient déjà compris que j’étais peut-être concernée par un trouble de la personnalité borderline. Mais que ce n’était pas le bon moment pour moi. Peut-être parce que je ne le demandais pas, ou parce que j’avais encore besoin de passer par d’autres étapes. Et malgré ça, les programmes qu’on m’a proposés m’ont vraiment aidée. Et puis, le trouble borderline n'est pas posé facilement. C’est un diagnostic complexe, qui touche à la relation aux autres, à des choses très profondes, parfois douloureuses.

Plein Espoir : Même quand le diagnostic est juste, le trouble évolue sans cesse. Il y a des moments de vie qui peuvent tout remettre en question : la perte d’un proche, une séparation, un grand bouleversement. Comment la psychoéducation peut-elle s’adapter à ces changements, puisqu’elle se déroule à un moment donné, dans un cadre précis ?

Isabella Bourrachot : Oui, devenir parent, se séparer, vivre un deuil… Ce sont des événements qui viennent bousculer tout l’équilibre, même quand on pensait l’avoir trouvé. Personnellement, ce que la psychoéducation m’a appris, c’est justement à repérer certains signaux, à mettre en place des stratégies pour prendre soin de moi. Et puis, ça m’a aidé à développer une forme de souplesse pour faire face aux événements de la vie. La capacité à se réajuster, à déconstruire ce qu’on croyait acquis pour le reconstruire autrement. Ces réajustements ne viennent pas uniquement d’un programme qu’on a suivi, elle se nourrit aussi d’autres choses : une lecture qui tombe au bon moment, une conversation avec une autre personne concernée, une thérapie qui propose un nouvel éclairage. Ce sont ces ressources qui, au fil du temps, permettent de continuer à avancer.

Plein Espoir : À travers votre parcours, on pourrait dire que la psychoéducation, c’est quelque chose qu’on fait toute sa vie, même si à certains moments, on a besoin d’un temps particulier pour poser des bases, des repères.

Isabella Bourrachot : C’est exactement ça ! Pour moi, la psychoéducation, c’est plus un  tremplin, un appui, un point de départ, qu’une destination. Apprendre à vivre avec un trouble psychique, une vulnérabilité ou un handicap, selon les mots qu’on choisit, passe par tout un ensemble d’expériences, des lectures, des discussions, parfois même des silences. Dès qu’on prend conscience qu’il y a une différence, un écart, quelque chose s’enclenche. Et dans une société encore très validiste, ce travail d’adaptation est constant.

Alors oui, la psychoéducation peut avoir beaucoup de sens, mais encore faut-il que ce soit le bon moment. D’ailleurs dans notre association, on reçoit chaque personne en entretien individuel avant de commencer un programme. On échange : comment elles nous ont connues, ce qu’elles attendent, si elles ont déjà engagé une démarche ailleurs. Et parfois, on se rend compte que ce n’est pas encore leur moment pour elles. Certaines avancent à leur rythme, avec leurs ressources, sans forcément vouloir ou pouvoir s’inscrire dans un groupe. Parce que ça demande du courage aussi, de venir, de s’exposer, d’accepter cette forme de vulnérabilité.


Et puis il faut le dire : la psychoéducation ne donne pas un pouvoir sur le trouble. Ce n’est pas une formule magique. C’est un outil. Un passage. Un élément parmi d’autres dans une boîte à outils qu’on construit au fil du temps. Ce qui compte, c’est de rester à l’écoute de ce qu’on vit, et de ne pas rester figé. On apprend souvent par l’expérience : la sienne, mais aussi celle des autres. C’est ça, le cœur du savoir expérientiel.


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30 mai 2025

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