Pair-aidance familiale : faire place aux proches pour mieux soigner
Devenir pair-aidant, cela suppose d’avoir été confronté à un trouble psychique, d’avoir pris un peu de distance avec ce qu’on a vécu, et d’être engagé dans un chemin de rétablissement. Mais on oublie souvent qu’il ne touche jamais une seule personne. Quand il survient, souvent à l’adolescence ou au début de la vie adulte, c’est aussi le quotidien de tout l’entourage qui se trouve bouleversé. Des parents, des frères, des sœurs, des proches, soudain plongés dans une réalité inconnue, et surtout sans mode d’emploi.
Pour les accompagner dans cette épreuve, il existe des programmes de psychoéducation familiale. On y apprend à mieux comprendre ce que vit son proche, mais aussi à prendre soin de soi, à trouver une place juste dans ce nouvel équilibre. Ce n’est pas seulement une question de connaissances : c’est un nouvel apprentissage de la relation. De l’écoute, du respect des rythmes, du recul aussi. Et comme dans la pair-aidance, il est également possible d’aller plus loin et transformer ce vécu en un engagement professionnel en devenant pair-aidant familial. Pascal Brisset, Marie De Boulay et Julie Coulombe ont choisi cette voie. Pour Plein Espoir, ils nous racontent ce que ce pas de côté a changé pour eux, ce que la formation leur a apporté, et ce qu’ils font aujourd’hui, auprès d’autres familles.
De la psychoéducation à l’engagement professionnel
À la suite d’une crise importante et de l’hospitalisation d’un proche, Pascal Brisset et Marie De Boulay ont découvert la psychoéducation, en intégrant le programme Profamille. Comme beaucoup de futurs pairs-aidants familiaux, ils y ont trouvé bien plus qu’une meilleure compréhension du trouble psychique. Ce parcours leur a permis de saisir ce que vivait leur proche, mais aussi à ajuster leur posture, à apaiser les tensions, à mieux gérer leurs émotions et le stress du quotidien, pour envisager l’avenir plus sereinement.« Avec les autres personnes qui suivaient Profamille en même temps que moi, on a monté un groupe qui a commencé à fonctionner comme une association pour porter l’espoir », raconte Pascal Brisset. Pendant un temps, ils se sont organisés entre eux, de manière informelle. « Et puis, quand j’ai entendu parler du diplôme universitaire de pair-aidance familiale en santé mentale et neuro-développement, à l’Université Claude Bernard Lyon 1, je me suis dit que ça pourrait m’aider à structurer ce qu’on faisait, à mieux accompagner. »
Pour Marie De Boulay, la professionnalisation n’est arrivée qu’après plusieurs années d’accompagnement et de cheminement personnel. En 2021, après une rupture conventionnelle dans son poste de responsable communication, elle décide de changer de voie, avec l’envie d’accompagner autrement. « J’avais commencé une formation à l’Approche centrée sur la personne, selon la méthode du psychologue américain Carl Rogers. Et puis un jour, totalement par hasard, j’apprends qu’un médecin cherchait des pairs-aidants familiaux. Je me suis tout de suite dit : c’est fait pour moi. » L’annonce précisait deux choses : avoir accompagné un proche ayant été hospitalisé dans un service psychiatrique, et avoir pris suffisamment de recul sur le trouble de son proche. Ce médecin, c’était Alain Cantero, psychiatre, chef de pôle du 94G16 et vice-président de la commission médicale des Hôpitaux Paris Est Val-de-Marne. Il cherchait à s’entourer de proches devenus ressources. Mais à ce moment-là, le rôle restait flou, il fallait encore tout inventer.
Enfin, du côté de Julie Coulombe, les premiers troubles sont apparus dès les débuts de l’adolescence de son proche : d’abord des crises d’angoisse, une anxiété diffuse, puis d’autres difficultés sont venues s’ajouter. Il a fallu faire face aux hospitalisations, aux retours à la maison, au manque de réponses claires. Avec les années, elle a appris à se repérer dans le système de soins, à décoder le langage des médecins, à deviner ce qui se jouait derrière les portes de l’hôpital. Mais à l’approche de la majorité de son proche, elle ressent le besoin d’aller plus loin, et se rapprocher d’associations. Un jour, elle tombe sur une petite annonce qui parle d'une formation pour devenir pair-aidant familial. « Je les ai appelés tout de suite. Je leur ai dit que ça m’intéressait. On était le 20 août, les cours commençaient en septembre. J’ai écrit tous les jours aux professeurs pour qu’ils me prennent. » Elle commence la formation à distance en parallèle de son travail à temps plein dans la finance. Et comme Pascal et Marie, elle comprend qu’elle est au bon endroit.
Du vécu à l’expertise, construire une crédibilité
Un mot revient dans chaque témoignage : la légitimité que leur a apportée la formation en pair-aidance familiale. Et avec elle, une crédibilité reconnue, aussi bien par les équipes médicales que par les familles. « La formation nous propose des mises en situation avec les proches et les soignants, parce qu’on est justement à l’interface entre les deux. Et c’est une place précieuse, reconnaît Pascal Brisset. Parfois, les médecins ont du mal à s’adresser aux familles. Et quand on est parent ou frère, ce n’est pas toujours facile non plus de se faire entendre. »
Marie De Boulay et Julie Coulombe ont suivi ensemble la certification en pair-aidance familiale professionnelle, proposée par l’Association québécoise de réhabilitation psychosociale et l’Université du Québec à Rimouski, en 2022. À l’époque, le diplôme universitaire de Lyon n’existait pas encore. Marie De Boulay a donc suivi la formation à distance, depuis la France. Ce qui les a marquées, c’est l’ouverture du programme et la qualité des échanges. « On rencontrait de nombreux psychiatres, des personnes très engagées dans le rétablissement au Québec. Pour mon stage, je suis allée dans un hôpital psychiatrique, pour être au plus près des équipes médicales », raconte Julie Coulombe.
La française, de son côté, a intégré le service des Hôpitaux Paris Est Val-de-Marne. Ce qu’elle retient particulièrement de la formation, c’est l’espace donné au travail sur soi. « Il y avait un module sur le recul personnel : est-ce qu’on est bien avec ce qu’on a vécu ? Et une autre partie essentielle sur les techniques de dévoilement. Dans un métier classique, on ne parle pas de soi. Là, on est témoins directs. Mais comment raconter son expérience aux familles, comment la partager sans que ça déborde ? », raconte-t-elle. Dans son unité, elle conçoit des outils de suivi et d’évaluation : tableaux de bord, indicateurs, questionnaires après les entretiens. « Je sais combien de mères, de pères, de frères, de sœurs on a rencontrés. C’est précieux pour valider notre démarche et objectiver ce que l’on fait. » Elle construit aussi une base de ressources, territoriales et nationales, pour que chaque famille accompagnée reparte avec des repères concrets.
Pair aidant familial : une place en construction
Aujourd’hui, Marie De Boulay est toujours pair-aidante famille professionnelle — un terme qui, précise-t-elle, s’accorde aussi au féminin. Elle travaille là où tout a commencé, et fait également partie de l’unité fonctionnelle Open Dialogue. Une approche qui cherche à répondre autrement aux situations de crise : isolement, délires, risque de passage à l’acte ou d’hospitalisation sans consentement. Ouvrir le dialogue, plutôt que fermer les portes. Elle travaille aux quatre cinquièmes et elle est rémunérée pour ce qu’elle fait. « Pour moi, être payée, ça fait partie de la professionnalisation. C’est aussi une forme de reconnaissance. Quand tu es salarié, tu ne travailles pas de la même manière que quand tu es bénévole. C’est une autre posture, une autre crédibilité. »
Julie Coulombe, elle, continue de travailler à temps plein dans la finance. Mais à côté, elle n’a jamais cessé de s’impliquer. Elle a participé à la création d’une ligne d’écoute pour les familles, s’investit dans plusieurs projets de recherche, et a même décroché une bourse pour renforcer les liens entre le système de santé et les organismes communautaires. « Mon dernier gros projet, c’est la mise en place d’un groupe de soutien pour toutes les cliniques du Québec, après un premier épisode psychotique. L’objectif, c’est de ratisser tout le territoire pour proposer des services aux familles. » Elle sourit : « C’est ce que je fais le soir et le week-end. Un mi-temps en plus de mon temps plein. »
Pascal Brisset, retraité, constate que la plupart des pairs-aidants familiaux sont soit employés dans des structures de soins, quand les postes existent, soit en recherche d’un emploi. Face à ce manque de débouchés, il a choisi une autre voie : en juin 2025, il a ouvert Parentraide, un tiers-lieu dédié aux aidants, à Rouen. Un espace animé par des pairs-aidants familiaux, pensé comme un lieu de ressources, de solidarité et de répit. « C’est un lieu destiné aux aidants, quelle que soit la situation de handicap de leur enfant : troubles du spectre de l’autisme, handicap moteur, troubles psychiques comme la schizophrénie, malvoyance... Peu importe l’âge de l’enfant, ou celui de l’aidant. » Il faut le dire, les places restent encore limitées pour ceux qui souhaitent s’orienter dans cette voie, et nombreux sont les pairs-aidants familiaux formés qui peinent à trouver leur place dans les structures. Pascal, Marie et Julie espèrent que les initiatives qu’ils portent, dans les soins, la recherche ou le tissu associatif, aideront à faire reconnaître ce rôle, à lui donner un cadre, une légitimité, et des perspectives durables.
À partir de l’intime, tracer une nouvelle voie
Pour Julie Coulombe, la professionnalisation en pair-aidance fait pleinement partie de son parcours de rétablissement familial. « Quand les psychiatres me parlent de mon proche, ils savent que je suis capable de vérifier une information. Alors, ils font attention à ce qu’ils disent, à ce qu’ils font. » Mais au-delà de ça, ce qui compte pour elle, c’est de se sentir utile. « L’information destinée aux proches, en réalité, n’existe pas. Et c’est grâce à la pair-aidance familiale qu’on commence enfin à reconnaître que derrière un enfant, un adolescent, un jeune adulte, il y a une famille. Cette personne n’est pas née toute seule. Elle fait partie d’un écosystème. Et c’est dans cet écosystème qu’elle retournera une fois la crise passée. »
Marie De Boulay, ce qu’elle aime, c’est être là, aux côtés des familles. « C’est un peu bateau de dire que j’aime me sentir utile, mais c’est tellement vrai. » Elle a choisi de se recentrer sur l’accompagnement, de limiter ses interventions dans les colloques. « Mon cœur de métier, il est vraiment là. J’adore ce que je fais. Tous les jours, je me dis que j’ai de la chance : c’est un métier qui me nourrit autant sur le plan humain qu’intellectuel. » Pascal Brisset va même un peu plus loin. Il reconnaît que sans le diplôme universitaire, il n’aurait peut-être pas mesuré ce que cette expérience avait transformé. « Ça m’a décrassé le neurone, comme je dis souvent. J’ai compris que c’était une richesse, d’avoir un proche concerné. Que ça change le regard sur la vie. Bien sûr, à condition que la personne soit bien accompagnée. Mais on peut aussi choisir de porter l’espoir. »
Tous trois ont puisé dans l’épreuve une force d’engagement. Ils ont transformé une expérience intime, souvent douloureuse, en savoir vivant. Et font aujourd’hui le lien, à leur manière, entre les familles et les institutions. Ce métier encore jeune, ils l’ont vu naître, expérimenter, chercher sa place. Ce qu’ils souhaitent désormais, c’est qu’il puisse s’ancrer durablement. Qu’on reconnaisse enfin que les familles aussi ont une voix importante à faire entendre, qu’elles ont leur place dans le parcours thérapeutique, et qu’elles peuvent, elles aussi, contribuer au rétablissement.
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