« Ce que la pair-aidance m’a apporté »
On vit tous, d’une manière ou d’une autre, des moments où la santé mentale vacille, où les troubles psy s’immiscent dans nos vies ou celles de nos proches. Dans ces instants souvent lourds de solitude et d’incertitude, la pair-aidance se révèle comme une lumière collective, un espace où on peut partager, comprendre et avancer ensemble. À travers les parcours de Michael, Jérôme et Nicolas, Plein Espoir nous fait découvrir comment cette expérience humaine, fondée sur le vécu et l’entraide, redonne sens, un horizon. Leurs voix nous invitent aussi à expérimenter une autre manière de vivre la santé mentale, plus inclusive, plus respectueuse, plus vivante.
« La pair-aidance m’a permis de ne plus être seul »
Je m’appelle Michael, j’ai 55 ans, et je suis polyhandicapé. Pendant trente ans, j’ai travaillé dans les ressources humaines, j’ai eu une vie professionnelle classique, une famille, quatre enfants. Mais entre les maladies chroniques, mon TDAH non diagnostiqué pendant longtemps, et deux de mes enfants eux-mêmes neuroatypiques, j’ai fini par comprendre que ma vie se construisait en dehors des normes. J’ai découvert la pair-aidance sans en connaître le nom, à 19 ans, lors de mon service civique en Allemagne. J’étais intégré à une équipe qui accompagnait des jeunes autistes, et nos réunions d’équipe ressemblaient déjà à ce que je considère aujourd’hui comme de la pair-aidance : on partageait nos vécus, nos erreurs, nos pistes d’action. Ce n’était pas académique. C’était du terrain, du concret, de l’humain. Plus tard, avec la maladie qui s’est aggravée et mes enfants à accompagner, j’ai pris le rôle d'aidant auprès d’eux, puis de pair-aidant auprès des autres presque naturellement. Depuis un peu plus de deux ans, je suis conseiller d’entraide dans une association. J’interviens auprès de jeunes en situation de handicap, parfois en leur donnant des cours, parfois en les écoutant, tout simplement. Ce lien direct, ce partage d’expérience, c’est l’essence même de la pair-aidance.
Ce que j’apporte, c’est mon vécu. J’ai traversé ces situations. Je peux dire : « Moi aussi, j’ai connu ça. Voici ce qui m’a aidé. » Et surtout, je suis libre de parole. Je ne suis pas un soignant, je ne suis pas un encadrant. Je suis un égal. Et ça change tout. La pair-aidance m’a reconnecté aux autres, elle m’a donné un rôle actif, une utilité, une place. Elle m’a permis d’apprendre à mieux comprendre, à adapter mes réactions, à transmettre à mes enfants cette capacité à envisager plusieurs options, à garder la tête froide même dans l’incertitude. Parce que dans la maladie, rien n’est stable. Il faut toujours prévoir un plan A, B, C… Et ça, je le transmets aujourd’hui. Ce que je vis au sein du Conseil d’entraide Vivre, c’est un échange permanent. On n’est jamais seuls. Si je suis face à une situation que je ne connais pas, je pose la question au groupe. Il y aura toujours quelqu’un pour répondre. C’est une intelligence collective basée sur le réel. C’est puissant, c’est concret, c’est rassurant. Ce que j’aimerais que l’on comprenne, c’est que la pair-aidance ne concerne pas uniquement les personnes en situation de handicap ou de troubles psychiques. On est tous, un jour ou l’autre, confrontés à des moments de fragilité. Deuil, burn-out, maladie… La santé mentale est un spectre large. Et la pair-aidance peut être une vraie réponse humaine, solidaire et ancrée dans le vécu. Ce que je fais aujourd’hui, je le fais aussi pour ceux qui n’ont pas encore trouvé cette bouffée d’oxygène. Je veux leur dire : non, vous n’êtes pas seuls. Il y a des gens qui vous comprennent, qui peuvent vous aider parce qu’ils sont passés par là. Et ensemble, on avance.
« La pair-aidance a été une véritable bouée de sauvetage »
Je m’appelle Jérôme, j’ai cinquante-six ans et je vis à Paris, où je suis né et ai grandi. Père de trois enfants âgés de trente, vingt-deux et vingt ans, mon parcours a longtemps été heureux et plutôt privilégié. Enfance dans la petite bourgeoisie parisienne, études d’histoire puis de communication audiovisuelle, et une carrière dans le documentaire. Une éthique professionnelle forte, basée sur le respect et l’empathie, a toujours guidé mon travail. Tout a basculé à trente-huit ans, suite à des difficultés personnelles. Après un passage à l’hôpital Sainte-Anne, un diagnostic est tombé, suivi d’un traitement au lithium. Pendant huit ans, j’ai suivi ce parcours médical sans vraiment comprendre la nature exacte de la maladie ni parvenir à l’accepter pleinement. En 2015, à cause des effets secondaires graves du lithium, j'interromps mon traitement brutalement. Cette décision a déclenché une période d’hypomanie intense, suivie d’une hospitalisation sous contrainte, où l’isolement, la contention et la médication forcée ont provoqué une expérience traumatisante. Cette période fut la pire de ma vie, marquée par un profond sentiment d’humiliation et de souffrance. À la sortie de cette épreuve, la vie normale semblait hors de portée. La reconnaissance d’un handicap a dû être acceptée, une séparation avec ma compagne s’est imposée, et la réorganisation quotidienne est devenue un combat pour simplement survivre. C’est à ce moment-là que l’association Argos 2001 et la pair-aidance sont entrées dans ma vie.
Les groupes de parole ont joué un rôle crucial, comme une bouée de sauvetage. Écouter d’autres personnes partager leurs histoires, leurs luttes et leurs espoirs a ouvert une fenêtre vers un possible rétablissement. La maladie n’apparaissait plus comme une condamnation à vie, mais comme un chemin sinueux vers une vie pleine, même imparfaite. Petit à petit, la parole s’est libérée, et la participation active aux groupes a suivi. J’ai suivi des formations de médiateur de santé pair, puis mon engagement professionnel en psychiatrie est né. Ce travail représente une mission profonde : faire comprendre que la contrainte, la contention ou la surmédication ne sont pas des soins, mais des instruments de contrôle social qui engendrent davantage de souffrance que de guérison. Une autre vision, plus humaine et respectueuse, centrée sur l’écoute, l’empathie et la reconnaissance de la personne derrière le diagnostic, doit être portée. La pair-aidance a littéralement transformé ma vie, brisant l’isolement, redonnant dignité et sens à mon histoire, ainsi qu’à ma vulnérabilité. Aujourd’hui, la définition de soi ne se résume plus au statut de patient, mais à celui de citoyen, je me considère comme un « psytoyen ». Les personnes qui ont vécu des difficultés liées à un trouble psychique ont un potentiel immense à offrir à la société, grâce à leur expérience, leur empathie et leur bienveillance. La conviction que le rétablissement est possible s’affirme clairement : il ne s’agit pas de nier la maladie, mais de l’apprivoiser et de la transformer. La pair-aidance incarne cette lumière dans la nuit, une voix qui dit : « Tu n’es pas seul, la vie peut être belle. » Cette lumière, il est important de la transmettre, en poursuivant un travail pour une psychiatrie plus humaine, ouverte et respectueuse.
En décembre 2025, j’ai contribué à lancer l'événement intitulé Les États généreux de la pair-aidance, destiné à faire entendre cette voix nouvelle dans le soin psychiatrique. Parce qu’il y a urgence à changer les choses, et parce que chacun mérite d’être accueilli avec respect et dignité, quelle que soit sa santé mentale.
« Devenir pair-aidant a donné un sens à mon parcours »
Je n’ai pas rencontré de pair-aidant dans mon parcours, mais cela m’aurait sans doute aidé. Tout a commencé en 2012. À l’époque, je subissais un harcèlement moral au travail. Mon sommeil s’est effondré, j’étais reclus, en décalage total. Un mi-temps thérapeutique m’a permis de reprendre pied, mais une agression à la fin de cette même année m’a replongé dans l’obscurité : cauchemars, terreurs nocturnes, isolement. J’étais en conflit avec ma famille, sans emploi, et profondément en détresse. S’en est suivie une période de « faux diagnostic ». Je cherchais des réponses sur Internet : TDAH, Asperger, zèbre… Cette errance m’a mené à une crise en avril 2014. J’ai été hospitalisé sous contrainte et on m’a diagnostiqué un trouble bipolaire. À l’époque, la pair-aidance n’était pas visible. J’ai suivi des soins : CATTP (Centre d'accueil thérapeutique à temps partiel, ndlr), hôpital de jour. C’est à ce moment que j’ai croisé une personne qui se formait pour devenir pair-aidant. Il m’a dit qu’il était patient expert. Je l’ai jugé. Je ne comprenais pas comment il pouvait aider les autres alors qu’il semblait lui-même encore très fragile. Je ne faisais pas encore la différence entre la personne et la maladie. Je me suis alors engagé ailleurs : radios, MJC (maison des jeunes et de culture), militantisme. J’y cherchais de la solidarité. J’y ai souvent trouvé des discours, mais peu d’entraide réelle. Pendant longtemps, j’ai confondu la relation de pair à pair avec la pair-aidance.
C’est une randonnée qui a tout changé. En rejoignant un collectif mêlant personnes isolées, précaires ou concernées par la santé mentale, j’ai découvert l’intervention psychosociale par la nature. J’ai enfin senti une forme d’appartenance. Et j’ai rencontré des pair-aidants, cette fois sans méfiance. Ce chemin m’a mené à exercer ce métier. En immersion dans une unité mobile de crise, j’ai découvert une pratique de terrain. Petit à petit, tout ce que j’avais vécu depuis 2012 a pris sens. Mon parcours, mes épreuves, mes compétences d’avant : tout s’alignait. J’ai été embauché à temps plein, dans une équipe mobile, un organisme de formation, et une clinique. Pour moi, un pair-aidant parle la langue de la personne concernée. Dans une crise psychique, ce n’est pas évident d’être compris. Ni par les soignants, ni par sa famille, ni par l’administration. Le pair, lui, sait. Il a traversé. Il n’a pas besoin de longues explications. Aujourd’hui, je vis avec un trouble bipolaire, de l’anxiété, des insomnies. Mais je vis aussi avec des rêves, des engagements, des passions. J’ai appris à ne plus me définir par ma maladie. À une époque, j’étais « bipolaire » à plein temps. Aujourd’hui, je suis une personne. Pas une pathologie. Le métier de pair-aidant reste encore flou. Il attire parfois des opportunistes. Mais pour moi, il s’agit d’éthique, de cadre, de formation continue. Ce métier est en construction, et j’essaie d’y contribuer humblement. Je crois à la force de l’expérience partagée, à une santé mentale qui ne soit pas réservée aux spécialistes, à une société où l’entraide est un levier de rétablissement.
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Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.