« Je viens comme je suis » : quand le sport soutient la santé mentale
Chez Plein Espoir, on aime rappeler que le rétablissement est un chemin. Et certaines personnes concernées nous racontent que, sur ce chemin, il y a parfois un terrain de sport. Pas le sport performatif, qui chronomètre, compare et juge. Mais plutôt celui qui accueille et permet de reconnecter avec une communauté. Une activité humaine qui rassemble, donne un rythme aux semaines et une place à chacun·e, quelle que soit sa vulnérabilité.
Pour cet article, Vickie et Nadia, toutes deux concernées, nous ont livré leurs récits et le Dr Alexandre Feltz, médecin généraliste à Strasbourg et pionnier du « sport santé sur ordonnance », son analyse. Ensemble, ils et elles dessinent ce que peut devenir une activité physique collective quand elle se transforme en espace d’inclusion, de stabilité et d’appartenance.
Vickie : « Au club, je viens comme je suis »
Quand on appelle Vickie, elle sourit presque de se retrouver là à parler de course à pied : « Il y a un an, je ne marchais plus du tout. » À 35 ans, elle vit avec un trouble anxieux généralisé et des TCA (troubles du comportement alimentaire) depuis son adolescence, et plus récemment avec une fibromyalgie et des douleurs chroniques. En arrêt de travail long depuis janvier dernier, son monde se réduit aux cabinets médicaux. « Mis à part les médecins, les kinés et les ostéos, je ne voyais plus personne. »
Puis un algologue (médecin spécialisé dans la prise en charge de la douleur, ndlr) lui dit ce qui devient un électrochoc : « Vous perdez en masse musculaire, en énergie… ça va être de pire en pire si vous ne bougez pas. » Alors Vickie fait un choix, elle s’inscrit dans un club de running et de trail. Elle commence par courir seule, quelques kilomètres, puis rejoint une association sportive en août. Le groupe est hétérogène et mélange des personnes avec douleurs chroniques comme elle, et d’autres ultra-performantes. « Je me retrouve avec des gens qui sont hyper forts, et pourtant tout le monde avance ensemble. Ça donne une vraie dynamique. »
Ce que le sport change dans sa vie dépasse largement les muscles. D’abord le rythme : « Le mardi et le dimanche, c’est entraînement. Même si je ne peux pas tout faire, j’ai un rendez-vous. Ça me redonne une discipline douce. » Puis l’isolement se fissure, avec la trentaine de personnes qui composent le groupe de running. « J’ai recréé du lien social. Ça faisait un an que je ne voyais plus personne. Là, je revois du monde, on partage des choses. Ça m’a sorti la tête de l’eau. Franchement, c’est génial pour l’estime de soi et l’engagement social. »
Et puis, il y a ce rapport nouveau au corps, bouleversant pour elle qui a longtemps vécu avec des TCA : « Si je ne mange pas, je ne peux pas courir. Ça m’a appris à nourrir mon corps pour autre chose que la performance ou la culpabilité. Au début, j’ai adoré aller boire un coup ou manger une pâtisserie après l’entraînement. Je me suis sentie en sécurité pour partager un moment, sans qu’on commente ce que je mange ou pas. »
Ce qui la touche le plus, c’est probablement la question de la place. « Dans la vie de tous les jours, je n’ai pas toujours l’occasion d’être moi-même. Mais au club, je viens comme je suis. Ma fibromyalgie, mes TCA, mon trouble anxieux… tout le monde le sait, et on s’adapte. Je n’ai rien à cacher. Je suis incluse avec mes difficultés et en étant moi-même. »Elle raconte aussi ce moment fondateur où elle réalise qu’elle dépasse ses propres croyances, encadrée par son coach. Au début, elle doute. Elle a l’impression que son corps ne suit plus. Puis les kilomètres s’additionnent, lentement. Un, deux, cinq, puis dix. « Quand j’ai fait 10 km, je ne croyais pas du tout en moi. Le coach m’a dit : “C’était pas facile, mais tu l’as fait.” Et ça, pour moi, c’était énorme. Je me bats contre moi-même. Je muscle mon corps et mon mental. » Pour elle, la réponse est claire, le sport n’est pas juste bon pour son physique. Il est devenu une pièce centrale de son rétablissement et de sa stabilité.
Nadia : « C’est le sport qui m’a réconcilié avec l’humain »
Pour Nadia, 42 ans, le sport n’arrive pas comme une simple activité. Il arrive comme un langage qu’elle n’avait jamais pu utiliser. Son parcours en pédopsychiatrie commence tôt, dans un contexte de psychotrauma complexe, de TCA et de diagnostics tardifs comme le TDAH. Elle garde de cette période un souvenir douloureux. « Déjà quand on est enfant avec des troubles psy, on est mis à part. Et en plus, on n’avait pas le droit de parler librement. Je subissais. C’était la double peine. »
Elle rompt avec la psychiatrie à l’adolescence. « Quand ce ne sont que des personnes extérieures à sa souffrance qui nous disent que ça va aller, comment disposer de notre corps, de nos pensées, c’est parfois infantilisant et on finit par ne plus y croire ». Puis, sans vraiment l’avoir cherché, un dojo devient un refuge. D’abord le karaté, puis la boxe, puis le MMA. Elle explique : « J’ai compris que je n’avais pas besoin de mots. Mon corps pouvait parler. Et lui, il avait beaucoup à dire. »
Dans les sports de combat, explique-t-elle, elle a enfin trouvé « ce qui lui manquait ailleurs ». Le MMA lui offre un cadre où elle peut exister pleinement, sans se censurer : « Les coachs m’ont apporté la sécurité que je n’avais jamais eue. Ils m’ont autorisée à être moi, sans filtre. Même ma colère, ma violence intérieure… là j’étais autorisée à la ressentir, c’était ok, parce qu’il y avait un cadre, des valeurs. » Cette discipline devient pour elle un véritable langage, un mode d’échange d’une précision inattendue. « C’est du corps à corps. On apprend à écouter l’autre. À respecter ses limites. À s’arrêter quand il y a un truc qui déborde. C’est comme une conversation avec des sous-titres invisibles. » Elle raconte avoir renoué grâce au sport « des liens de confiance », elle qui avait souffert, en pédopsychiatrie, de ne pas pouvoir échanger plus avec des pairs. Dans les groupes d’entraînement, dit-elle, elle retrouve enfin cette résonance qu’elle cherchait. « Les pratiques de sport de combat comme le MMA, se prendre des coups, je pense que ça demande un petit brin de folie. Les personnes qui pratiquent, qu’est-ce qu’elles viennent chercher ? Il y a un vécu derrière, mais on n’a pas besoin d’aller gratter. On peut communiquer autrement. »
Ce rapport au corps modifie profondément sa trajectoire psychique. « Le psy, c’était que la parole. Mais dans mon histoire, le trauma, c’est le corps qui l’a vécu. Ça m’a permis de me réapproprier mon corps et mon vécu. Le sport a refait le lien entre ma tête et mon corps, recréé l’unité. C’est ça qui m’a permis de revenir plus tard vers un parcours thérapeutique classique, mais en étant actrice, pas simplement en écoutant les directives du médecin. »
Aujourd’hui sophrologue et en formation de pair-aidance, elle transmet ce qu’elle a reçu. « On ne peut pas toujours poser des mots. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On laisse la vie en pause ? Le sport peut redonner du sens, même quand la parole n’est pas accessible. Ce partage de vécu peut apporter des éléments clés à d’autres personnes qui a des moments de leur vie sont complètement dans le noir. Je partage cette expérience centrale de mon parcours de rétablissement avec mes pairs à Vénissieux, mais aussi avec les équipes soignantes qui ont mis en place des accompagnements APA (activité physique adaptée). On a bien compris ici que le sport pouvait être bon pour la santé mentale. »
Le collectif comme filet de sécurité
Les histoires de Vickie et Nadia parlent d’elles-mêmes, mais elles se retrouvent dans beaucoup d’études scientifiques. La Haute Autorité de Santé, par exemple, recommande l’activité physique adaptée pour traiter la dépression légère à modérée et l’anxiété. Une étude récente a montré qu’elle réduit significativement les symptômes de dépression et de détresse psychologique. À l’heure où un Français sur quatre affirme se sentir régulièrement seul d’après l’Étude Solitudes 2024 de la Fondation de France (un sentiment accru pour les populations les plus vulnérables), le sport apparaît comme un enjeu majeur de santé publique, avec un impact positif sur l’estime de soi et l’impression d’appartenir à un groupe.
À Strasbourg, le sport devient un soin à part entière
À la Maison de la Santé et du Sport de Strasbourg, le Dr Alexandre Feltz travaille depuis plusieurs années à intégrer le sport dans les parcours de santé. Il raconte que Strasbourg est la ville pionnière du « sport-santé sur ordonnance ». C’est d’ailleurs dans cette même ville, que se sont tenus les ateliers du rétablissement de Santé Mentale France, dont la dernière édition s’intéressait au sport comme facteur de rétablissement. L’idée est simple poursuit le docteur : « Quand on est fragile, physiquement ou psychiquement, le médecin peut prescrire de l’activité physique adaptée, comme un traitement. » À la Maison Sport Santé, les personnes rencontrent un éducateur médico-sportif formé (notamment sur les premiers secours en santé mentale). Puis un programme sur mesure est créé. Avec 120 créneaux différents allant du tai-chi au foot, en passant par la natation ou le vélo, plus de 1800 personnes franchissent les portes de l’établissement chaque semaine (dont 30% pour des raisons de santé mentale). « On s’adapte à l’état de santé, aux envies, au profil. » Et aussi, on y fait collectif, les cours décloisonnant les problématiques de santé des patients, sont organisés par niveau. Dans sa dimension sociale et motivationnelle, le sport santé ne peut être que collectif selon le médecin.
Le médecin insiste sur l’impact psychique. « Beaucoup de personnes concernées par la psychiatrie ne se sentent pas légitimes pour aller dans des clubs, des piscines, des salles. Le sport-santé leur redonne un accès à la cité. Elles retrouvent un lieu, un groupe, une routine. » Il rappelle aussi que l’activité physique permet parfois de réduire les effets secondaires des médicaments, notamment la prise de poids, ce qui rassure de nombreuses personnes qui hésitent à se soigner.
Une initiative qui a fait florès dans le Grand Est. Pilotée par l’ARS, Prescrimouv’, donne droit aux personnes vivant avec une ALD (affection longue durée) à 12 prescriptions gratuites par an. De même, il est possible de se rapprocher d’une Maison de Sport Santé proche de chez vous via le répertoire de l’Union nationale du Sport Santé.
Sortir du culte de la performance
Pour beaucoup de personnes concernées, le sport peut aussi devenir un piège. La performance peut réveiller des compulsions, renforcer l’auto-jugement ou créer une pression supplémentaire. Le Dr Feltz est clair : « Ce n’est pas du sport à proprement parler. C’est de l’activité physique, régulière, modérée, adaptée. On est là pour le bien-être, pas pour la performance. »
Chez Plein Espoir, on sait bien que le rétablissement n’est jamais une injonction. Personne n’a l’obligation de faire du sport. Mais tout le monde devrait avoir la possibilité d’essayer, d’être accompagné, de trouver un groupe où l’on peut avancer ensemble et à son rythme
Le mouvement comme espace de rétablissement
Les parcours de Vickie et Nadia nous rappellent que le mouvement n’est pas seulement une affaire de muscles. C’est une manière de se relier à soi et aux autres, de retrouver un rythme, de se sentir vivant. Dans un club, un dojo, une Maison Sport Santé ou une simple marche à plusieurs, on peut trouver un espace où nos vulnérabilités ne sont pas une anomalie mais une composante légitime de notre présence. Et parfois, comme le dit Vickie, il suffit d’un simple « tu l’as fait » pour que quelque chose recommence à bouger dedans.





