Pair-aidance : quand le vécu devient une vocation
Transformer son parcours de vie en expertise professionnelle : c'est le pari qu'ont fait les pairs aidants, ces professionnels qui accompagnent d'autres personnes vivant avec un trouble psychique. Leur rôle s'inscrit dans une démarche thérapeutique reconnue, celle du rétablissement. En s’appuyant sur leurs savoirs expérientiels et une formation encadrée, ils jouent un rôle de médiation entre les patients et les professionnels de santé. Un rôle d'intermédiaire qui permet aux personnes accompagnées de mieux exprimer leurs besoins, de se sentir comprises et de faciliter leur accès aux soins au sein d'établissements de santé ou médico-sociaux.
Mais comment passe-t-on du statut de patient à celui de membre de l’équipe soignante ? Quels défis cette reconversion professionnelle soulève-t-elle ? Trois pairs aidants aux parcours, âges et motivations différents nous racontent leur cheminement : entre découverte fortuite et recherche active, intégration difficile et accueil bienveillant, poursuite de carrière et reconversion, ils illustrent la diversité des voies menant à cette vocation entre révélation professionnelle et quête de sens.
« La première fois que j’ai entendu parler de cette fonction, ça a fait tilt dans ma tête : ça donnait du sens à tout ce que j’avais vécu », se souvient Laurent, 59 ans, aujourd'hui de retour vers le domaine artistique après huit années comme médiateur de santé pair. Pour cet ancien musicien formé au conservatoire, la découverte de ce métier s'est faite par hasard, lors d'un témoignage sur le sport et la santé mentale. Après avoir couru un marathon sous antipsychotiques à 49 ans, un exploit qui lui a valu quelques publications dans la presse, il avait été sollicité pour partager son expérience en milieu médical. « Le vrai but au départ du métier de pair aidant, c'est d'inspirer les autres. On incarne l’espérance, celle d’arriver à reprendre le pouvoir d'agir sur son trouble psychique », explique-t-il. Une mission qui résonnait alors parfaitement avec sa propre quête de sens, débutée en 2010 quand il avait compris que sa « mission de vie » était d'aider à la dé-stigmatisation de son trouble, la schizophrénie.
Pour Emilie*, 35 ans, le chemin vers la pair-aidance s'est dessiné différemment. Après des études en criminologie et une première crise psychotique à 26 ans alors qu’elle vit en Angleterre, elle a longtemps erré dans un système de soins qu'elle jugeait inadapté. « De retour en France après cette crise, ma mère était réfractaire à l’idée de m’hospitaliser. Plus globalement, on se sentait démunies car la prise en charge proposée par le système de santé mentale d’alors, ne correspondait pas à mes besoins. », confie-t-elle. C'est une rencontre fortuite sur les bancs de la fac qui lui a fait découvrir l'existence de pairs. Alors qu’elle se confie à une nouvelle amie sur son mal-être et ses symptômes, l’étudiante lui répond : « T'as fait une petite bouffée délirante ma chère, bienvenue au club ! ». Un moment fort qui reste gravé dans la mémoire d’Emilie : « Quand on rencontre un pair, c’est-à-dire quelqu’un qui vit la même chose que vous, qu’on peut se reconnaître dans son histoire, ça apporte un soulagement énorme et ça brise enfin la solitude », analyse-t-elle aujourd'hui. Cette révélation l'a menée vers un engagement associatif, puis vers la pair-aidance professionnelle en centre hospitalier.
Juliette, quant à elle, a découvert le métier de pair-aidant juste après le diagnostic de son trouble bipolaire à 29 ans, suite à une tentative de suicide. « Je voulais mieux me comprendre, et pour cela je cherchais partout des témoignages de personnes vivant avec le même trouble que moi », raconte-t-elle. C’est lors de ces investigations en ligne qu’elle tombe sur la conférence d’une médiatrice de santé pair, une découverte déterminante : « Le fait de transformer mon parcours de rétablissement en compétence, de le mettre au service des autres pour les aider, ça m'a semblé être une évidence. C’était offrir aux autres ce qui m'avait cruellement manqué dans mon parcours… une forme de revanche sur la vie. »
Une intégration parfois délicate dans les équipes
Dès l’année de leur prise de poste, nos trois témoins ont suivi une formation de licence (déployée sur 8 semaines complètes de cours en présentiel au rythme d’une semaine par mois) tout en intégrant un établissement hospitalier ou une structure médico-sociale de santé mentale. Mais l'arrivée d'un pair aidant au sein d’une équipe soignante ne va pas toujours de soi. Juliette en garde un souvenir mitigé : « L'intégration n'a pas été évidente. Il faut dire qu'en 2017, la fonction de pair-aidant était très peu connue. Le chef de service a annoncé mon arrivée aux membres de l'équipe seulement une semaine avant, et il m'a introduit en disant "Juliette va faire tout ce que vous ne savez pas faire !" Autant dire qu'on ne m'a pas déroulé le tapis rouge au début. » Elle a même été confrontée à des réactions stigmatisantes : « Mon infirmière référente m'a dit par exemple que je ramenais la maladie mentale en salle de pause car à ses yeux, j’en étais l’incarnation. C’était d’autant plus dur à entendre qu’à l’hôpital je pensais être dans une safe place, un lieu où on entend pas ce genre de clichés. » Des débuts difficiles qui illustrent les résistances que peut susciter cette profession encore nouvelle, même si les choses semblent évoluer dans le bon sens.
Laurent, lui, a eu plus de chance : « Ça s'est plutôt bien passé avec les équipes car il y avait eu une formation de plusieurs jours donnée aux soignants pour leur expliquer le rôle d’un médiateur de santé pair. » Car si le pair aidant n’est pas un soignant en tant que tel, il fait bien partie de l’équipe et assiste aux réunions du service. Pour que tout le monde trouve sa place, la préparation lui semble essentielle : « Les soignants peuvent avoir des appréhensions s’ils ne sont pas bien informés. Ce qui revient souvent c’est : "Et si le pair aidant décompense, on fait quoi ?" Leur formation sur le sujet sert à lever tous ces doutes. »
Arrivée plus récemment dans un contexte où la pair-aidance est désormais mieux connue, Emilie quant à elle, témoigne d'une intégration plus fluide : « J’ai pris mes marques progressivement, en douceur et dans une volonté partagée par l’équipe d'intégrer ce point de vue complémentaire aux soins des patients. » Une réussite qui repose sur une bonne communication insiste-t-elle : « Il faut pouvoir tout verbaliser, y compris les craintes. C’est en mettant tout à plat avec les soignants qu’on trouve sa place. »
Des bienfaits thérapeutiques et humains pour tous
A l’unisson, nos trois témoins reconnaissent qu’accompagner d'autres personnes dans leur rétablissement, contribue au leur. « Les histoires des autres me permettent d’avoir une relecture plus douce, plus compassionnelle de la mienne, explique Emilie. Et puis je me sens utile, ce qui me donne une bonne raison de me lever chaque matin. » Laurent confirme : « Avoir exercé pendant huit ans a pansé mes plaies. J'ai beaucoup évolué tant professionnellement que personnellement grâce à ce métier jusqu'au point où aujourd'hui, je me dis que je n’ai plus “besoin” d'être médiateur de santé pair. Un peu comme une nouvelle étape de mon rétablissement. » Une évolution qui a pris un tournant artistique, le poussant à monter une pièce de théâtre sur son parcours pour continuer sa mission de dé-stigmatisation de la schizophrénie mais avec une nouvelle approche.
Si devenir pair aidant est une démarche bénéfique pour soi, Juliette tient à apporter de la nuance : « Je n'ai pas embrassé cette vocation dans le but d'œuvrer à mon propre rétablissement, précise-t-elle. Je n'avais pas d'attentes en ce sens mais même si de fait, ça m'aide aussi c’est vrai. » Elle évoque notamment ses moments d'échange avec les patients, qui l'éclairent sur son propre vécu : « Une fois, une patiente m’a parlé de sa relation avec sa mère, ce qui m’a permis de décoder les réactions de la mienne ! Ce qui indéniable c’est que toutes ces rencontres m’enrichissent en me donnant une grande diversité de points de vue, des nouvelles idées, de nouvelles perspectives sur des situations que j’ai connu… un apport très précieux. » Mais cette proximité avec la maladie a aussi ses limites. « Le but du rétablissement c'est que le trouble psychique devienne une mini partie de la vie, la plus petite possible. Or en étant pair-aidante c'est l'inverse : 35 heures par semaine on baigne dans les troubles psy qui nous renvoient indéniablement au nôtre », observe lucidement Juliette.
Des perspectives d'évolution encore à construire
Après plusieurs années d'exercice, la question de l'évolution professionnelle peut se poser pour les pairs aidants. À l’instar de Laurent, qui a choisi de changer de voie : « Personnellement, je pense qu'on ne peut pas faire ce métier toute sa vie parce qu’au bout d’un moment, on sature. On se réfère toujours à son trouble psychique, ce qui nous “condamne” à toujours parler de ça et après plusieurs années, on a envie d’explorer d’autres sujets. »
Emilie réfléchit aussi à ces enjeux : « Dans les perspectives d’avenir, il faut penser aux futurs pairs aidants. Qu’est ce qu’on peut leur proposer s'ils veulent prendre d'autres fonctions dans le champ de la santé mentale par exemple ? Car la question de la reconversion du médiateur de santé mentale est une question qui peut légitimement se poser après quelques années de pratique. » Quitte à diversifier ses activités, comme Juliette qui y trouve son équilibre : devenue salariée dans un organisme de formation, elle garde « la pair-aidance un petit peu en libéral pour certains patients » tout en développant d'autres fonctions. Elle participe notamment à des projets de recherche avec l'université de Bordeaux et à des groupes de travail ministériels. De quoi continuer à développer son expertise tout en empruntant d’autres chemins professionnels.
Un métier en quête de reconnaissance
Malgré leur expertise désormais reconnue sur le terrain, les pairs aidants peinent encore à obtenir une reconnaissance statutaire. « Administrativement, ce métier n'existe pas », déplore Juliette. « Les directives de départ prévoient de démarrer sur un statut d'adjoint administratif catégorie C dans les hôpitaux. On n'est pas loin du SMIC en termes de rémunération. » Une précarité qui pousse certains à se réorienter : « J'ai des collègues pairs aidants qui reprennent des études de psychomotricité ou de psychologie parce que le statut n'est tellement pas reconnu qu'à long terme, ils se disent : "En fait, j'aime bien mon travail, mais si je ne peux pas avoir un salaire décent, ce n’est pas vivable." »
Pourtant les initiatives se multiplient. Au-delà de l'hôpital, de plus en plus de structures médico-sociales et sociales ouvrent des postes ainsi que des cliniques privées, « ce qui étend un peu le champ des possibles », positive Juliette. Mais pour Emilie, nous sommes face à « une nécessité de structurer davantage cette fonction pour continuer à bâtir sa légitimité ». Ce à quoi s’est attelé Juliette notamment en participant à un projet européen coordonné par l’OMS qui vient de publier « un référentiel de compétences des pairs aidants et des recommandations pour former les équipes », ainsi qu'un MOOC accessible au grand public.
Ces trois parcours illustrent ainsi la richesse et la complexité d'un métier encore en construction. Entre vocation personnelle et professionnalisation, entre expertise du vécu et formation universitaire, les pairs aidants dessinent les contours d'une profession qui révolutionne l'approche de la santé mentale. Leur présence dans les équipes soignantes n'est plus anecdotique : elle devient peu à peu une évidence, portée par la conviction que l'expérience de la maladie peut devenir une formidable ressource thérapeutique. Reste à construire les conditions pour que cette vocation puisse s'épanouir durablement, au bénéfice de tous ceux qui cherchent une voie vers le rétablissement.
Au-delà de la professionnalisation de la pair-aidance, chez Plein Espoir, on sait que cette pratique dépasse largement le cadre des établissements de santé. Partager son histoire, tisser des liens à travers un vécu commun, apporter à l'autre ce qui nous a manqué : nous le faisons tous et toutes intuitivement. Un mouvement naturel de solidarité entre personnes ayant traversé des épreuves similaires, nous rappelant que notre parcours peut être une ressource précieuse pour autrui.
* Le prénom a été modifié afin de préserver l’anonymat de la personne interviewée.
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